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Je remercie Sylania pour ses interventions. Moorcock, c'est un peu le double-face de ce qu'on appelle la fantasy (et qui devrait, dans son cas, être plus généralement étendu à la Science Fiction).
D'un côté, il y a le Moorcock très connu. Celui qui pond des sagas épiques (qui ne sont jamais dénuées de sens historique/philosophique/tragique), celles d'Elric, de Corum, d'Hawkmoon... En gros, celles dont sont tirés des jeux de rôles. Mais là dessus, je ne vous apprendrais rien du tout, car ces bouquins, on peut les trouver partout. Sylania a effectivement raison sur le cycle d'Hawkmoon, avec une moyenne de trois jours pour chaque bouquin.
De l'autre côté, il y a le Moorcock qui écrit pour faire passer ses idées. C'est lui qui écrit son manifeste politique en 1982 où il traite aussi bien d'anarchisme du XIXème que du XXème. C'est un Moorcock cultivé, conscient de son histoire et du monde qui l'entoure. La première approche, littéraire, que l'on pourrait en avoir, c'est via des oeuvres qui s'inscrivent dans une perspective petits romans un peu fantasy. Je pense notamment au Leviathan des Terres, où, à travers un récit épique relativement commun, se développe un aspect utopique et uchronique qui pousse à la réflexion. Mais à côté de ça, il y a aussi Voici l'homme (qui fait indirectement référence au Ecce Homo de Nietzsche), pamphlet uchronique (encore), antireligieux, où l'ironie se joint à une réflexion plus large (et pessimiste) de l'humanité. Enfin, il y a, et je ne cesserais jamais de louer ce cycle, Jerry Cornelius. Jerry Cornelius, c'est un cycle qui a été réédité il n'y a pas longtemps par l'Atalante. Une première nouvelle un peu chiante, le reste magnifique. Encore une fois de l'uchronie, mais une uchronie des années 60, des années 70, une idéologie qui s'échoue, et une richesse que je n'ai toujours pas finie de découvrir. En écrivant les nouvelles de Jerry Cornelius (qui s'éparpillent un peu partout), Moorcock avait décidé qu'en tant qu'anarchiste, il fallait laisser au lecteur la "liberté" d'agir sur le récit, et ne pas être soumis au narrateur. C'est pourquoi l'on se retrouve avec des morceaux d'évènements, sans chronologie, chaotiques (parcequ'il faut bien parler de chaos), que l'on doit replacer tant bien que mal pour comprendre un peu. (C'est un peu le même système dans les livres d'Antoine Volodine, ou dans les films de David Lynch)
Pour poursuivre un peu ce côté moins connu de Moorcock, il faut également rappeler que Moorcock, ce n'est pas qu'un écrivain. C'est un homme qui, très tôt, s'est trouvé dans la contre-culture londonienne des années 50 et 60. Mother London en est un parfait manifeste, avec une approche qui se veut impersonnelle, et qui est néanmoins très auto-biographique. Moorcock est un joueur de banjo, de guitare. Il joue dans les métros. Dans sa courte période parisienne, il jouera devant des librairies, pour pouvoir s'acheter des livres de Camus (et ce n'est pas anodin, car l'aspect absurde de Jerry Cornelius a beaucoup à voir avec l'existentialisme de Camus ou de Sartre). Moorcock, cela paraît normal, se retrouvera donc très tôt avec LE groupe qui, au début des années 70 représente la contre-culture Londonienne, les couches populaires et mixtes, parquées à Ladbroke Grove et sur le marché de Portobello Road, c'est à dire Hawkwind. Hawkwind, groupe anarchiste et cosmique, qui cherchait l'infini dans sa musique et la puissance de ses guitares (Lemmy était leur bassiste avant de fonder Mötorhead). Hawkwind qui soutenait les grêves (notamment celle de Juillet/Août 75, dans le quartier ouvrier de Ladbroke Grove) et jouait gratuitement. Avec Robert Calvert, poète schizophrène, qui écrivait parfois dans la revue New Worlds, dont Moorcock était alors rédacteur en chef, ils mettent sur pied le Space Ritual de 1973, concept d'une tournée qui fait encore parler d'elle. C'est à partir de 1975, que la collaboration Moorcock/Hawkwind se fait sentir, avec la sortie de l'album Warrior On The Edge Of Time, qui reprend le thème tragique du champion éternel dans le multivers. Moorcock aura l'occasion de réciter deux poèmes sur cet album et de participer à la composition de deux morceaux. On le retrouve également au banjo sur l'album Lucky Leif and the Longsheep de Robert Calvert (qui sera en 1976 le frontman d'Hawkwind). Enfin, pour terminer 1975, aidé par les musiciens de Hawkwind, Michael Moorcock sort un album sous le nom "Michael Moorcock & The Deep Fix". Il a donné vie au "Deep Fix" de Jerry Cornelius.
Moorcock aura d'autres occasions de participer activement à la vie d'Hawkwind. Comme l'a dit Sylania, il les aide sur l'écriture de l'album Choose Your Masques en 1982, il chante sur un morceau de leur album en 1981, Sonic Attack (Sonic Attack est d'ailleurs un poème écrit par Moorcock au début des 70's), et 1985 verra l'épopée d'Elric transposée en album, et interprétée via une tournée. Au cours de cette tournée, Moorcock sera sur scène avec le groupe, introduira les morceaux, et chantera occasionnellement. Leur collaboration n'a jamais cessé, ce qui fait que Moorcock était présent dans un live qu'ils ont donné en 2001. Enfin, et après, promis, j'arrête avec la musique, Moorcock a participé à l'écriture de trois morceaux dans la discographie de Blue Öyster Cult (considérés dans les années 70 comme les Black Sabbath des Etats Unis), c'est à dire The Great Sun Jester (sur l'album Mirrors en 1979), sur The Black Blade (qui parle d'Elric, sur l'album Cültosaurus Erectus en 1980), et sur Veteran Of Psychic Wars (qui parle de Corum sur l'album Fire Of Unknown Origin en 1981. Je vous conseille d'ailleurs d'écouter une version live de ce morceau sur le Extraterrestrial Live sorti en 1982. Elle est ultime).
Voilà, je crois que j'aurais un peu contribué à faire connaître un autre pan de l'histoire de Moorcock. Il y aurait encore beaucoup à dire, car ce n'est pas quelqu'un qui se repose sur ses lauriers. Tout l'aspect New Worlds que je connais moins bien, serait à paufiner. J'aimerais juste rappeler que New Worlds a opéré une révolution, via Moorcock, dans le domaine de la Science Fiction. Jerry Cornelius y est, en ce sens, pour beaucoup. Moorcock prônait une Science Fiction beaucoup plus libre, déliée de ses normes un peu kitschs, posées depuis les années 30. Le caractère novateur, outrancier pour le gouvernement anglais, et parfois pornographique, ont fait couler la revue qui n'était plus soutenue par ses débiteurs. Dans ce sens, une anecdote me revient à l'esprit, et je me dois de vous en faire part: C'était lors d'une vente aux enchères. On avait mis en vente le premier numéro d'une très vieille revue de science fiction. Les prix commençaient à monter et Moorcock a lancé un prix imbattable. Pourtant, la majeure partie des personnes présentes dans la salle savaient qu'il était sur la paille. Il gagne l'enchère, s'empare de la revue, et, se tournant vers l'assemblée, déclare: "Voilà ce que je fais de votre science fiction". Et il déchire la revue. Voilà ce qu'est le Moorcock révolutionnaire, et qu'on a trop tendance à oublier maintenant.
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