Bonjour,
Voici mon message annuel
Alors voilà, je suis, entre autres, scénariste depuis une bonne vingtaine d'années, avec un gros coup sur l'accélérateur pour les dix dernières. Avec une dizaine d'univers différents créés et un minimum de 5000 personnages avec tous une psychologie différente que-si-on-m'interroge-sur-un-même-datant-d'il-y-a-vingt-ans-je-m'en-souviens, j'ai appris plusieurs choses essentiels à la réalisation d'une bonne campagne.
1 ) Ne pas dévoiler les méchants trop tôt.
Mais ça n'a aucun rapport dans le cas présent, le monde de WarCraft tient plutôt bon pour l'instant là-dessus.
2 ) Savoir improviser sur les choix des joueurs.
Aucun problème dans World Of Warcraft puisque les choix des joueurs n'ont de toutes façons aucun impact sur ceux des autres joueurs ni sur le monde à moyen terme.
3 ) Résister à l'envie de détruire son propre univers.
Il y a deux considérations.
La destruction scénaristique si on peut dire, celle qui détruit une partie de l’univers pour mieux le reconstruire, cela se fait en jouant. Une telle destruction fait évoluer le monde avec les joueurs, souvent par les actions des joueurs, ou par les réactions des méchants aux actions des joueurs.
On construit méticuleusement un monde (un peu comme les Titans), on réussit à le faire aimer. Et c’est précisément en le bouleversant qu’on saura jusqu’où on peut pousser ses joueurs sans les dégoûter du jeu. Le plus grand bouleversement est bien sûr la destruction.
C’est un peu comme un enfant à qui on aurait offert une fourmilière dans une cage de verre. Fier de son accomplissement, de voir la machinerie bien fonctionner, il faut résister à l’envie d’inonder les galeries « pour voir ce que ça fait », comment les créatures réagissent, si elles vont s’en remettre. On imagine que la reconstruction viendra et rendra la structure plus forte encore qu’avant.
Un scénario de campagne est un peu comme ça : le monde paisible engagé dans les ténèbres, les héros sauvent le monde qui en devient plus lumineux. Puis d’autres ténèbres arrivent, plus sombres encore, puis une plus grande lumière, et ainsi de suite.
C’est une chose difficile pour un auteur, puisque c’est réellement un pouvoir de création qu’on a entre nos mains. Parfois, que le joueur soit d’accord ou non devient secondaire. C’est notre monde, il peut partir avec nous. Il faut savoir mesurer ce genre de choses. Détruire, mais pas trop. Ne serait-ce que parce qu’on pourrait se retrouver dans l’impasse : « bon, précédemment, j’ai inventé un méchant capable de détruire la planète, il l’a fait. Maintenant, comment les joueurs vont bien pouvoir la sauver ? »
C’est une chose pénible pour le joueur, mais parfois nécessaire pour renouveler l’intérêt des joueurs pour le monde créé. Si l’auteur ressent une jubilation morbide à détruire l’Alliance pour mettre des Réprouvés à la place, il a su mettre de l’intérêt dans le reste. Finalement, brûler le monde permet de rebâtir sur ses cendres.
La destruction brute. On balance tout ce qu’on a fait avant sans en tenir compte.
C’est la modification pour l’histoire avec Sargeras il y a quelques semaines, c’est maintenant le bouleversement du concept des elfes.
Autant, la première destruction décrite peut parfois être une chose saine pour l’évolution du monde, autant celle-ci ne l’est jamais. C’est une erreur grossière. Ne jamais modifier le passé en profondeur, l’adapter au besoin.
Les modifications de carte, de noms, d’histoire même parfois m’ont ennuyé mais rien ne m’a plus ennuyé que celle-ci.
Ce qui suit (ce qui précède aussi peut-être) est très prétentieux mais…
Un bon scénariste aurait pu écrire :
« Parmi les elfes de sang, certains plus modérés quant à l’utilisation d’énergies de source inconnue, d’autres au contraire plus fanatiques à la limite de la Croisade Ecarlate, ou d’autres simplement opportunistes, se plongent encore plus qu’avant dans la Lumière, une philosophie qui s’accordait parfaitement et qui s’accorde encore partiellement à la vie des elfes. La Lumière, le soleil, les prêtres de guerre de l’Alliance, tout dans cet esprit reflète l’utilisation de puissances corrompues, certes, mais aussi la lutte contre cette puissance, ne pas céder (échouer parfois et céder). Devenir prêtre de l’ombre peut-être, mais toujours pour au moins une des vertus prônées par la Lumière.
Mais comme, Alonsus Faol et Uther quelques années plus tôt, les prêtres (fussent-ils de combat) n’étaient pas armés pour un combat si brutal. Il fut décidé de les armer pour le corps-à-corps, car c’est dans l’affrontement direct que les elfes péchaient les plus. Les archers elfes avaient toujours été les meilleurs à distance. Les sorcières elfes sont toujours les meilleures à distance. Les paladins elfes seraient la première ligne qui leur a fait cruellement défaut face au Fléau.
Seule ombre au tableau : quelques divergences sur des points d’interprétation de philosophie, une rancune, une rancœur (voire une haine) entre elfes et humains depuis l’épisode Garithos. Mais les hauts-dirigeants elfiques et dame Prestor de l’autre côté, n’ont que faire de ce qui pourraient les réunir. Les premiers pour leur corruption, autant face au pouvoir magique démoniaque que face au pouvoir politique octroyé par le prince vendu Kael’Thas. Comme pour les druides Taurens et Elfes de la nuit, les paladins elfes de sang et humains se retrouveront face à face sur le champ de bataille à cause d’une minorité dangereuse. »
Moi, en tout cas, je le jouerai comme ça.
Un scénariste mauvais ou ayant le couteau sous la gorge peut écrire :
« Les elfes de sang se disent « tiens, finalement, et si je reniais carrément qui je suis et que je me jetais dans la drogue et le trafic d’organes ? Ainsi, dans un grand élan de fraternité, à deux secondes de route de l’avatar du Puits Solaire (mais c’est caché par un arbre, on voit pas) les elfes de sang décidèrent sur un jet de dé (avec un double-six, ils auraient décidé de se faire murlocs) de se faire vampires. Thrall, dans sa grande compétence politique, se dit : « à fond les ballons ! Non non, mais en fait je les surveille, t’inquiète ! _ Avec autant de succès que le Conseil des Ombres à Orgrimmar ? _ Euh… non mais je les surveille, t’inquiète ! » Cairne, au courant de rien comme d’habitude, commanda quelques gaufres pour fêter l’événement qu’on lui avait dépeint comme « une omelette de l’amitié avec les extra-terrestres. »
Par contre, on en connaît trop peu sur les Draeneïs pour savoir si c’est aberrant ou pas.
Autre chose, quand on écrit un scénario de film, on le fait lire par plusieurs personnes pour voir s'ils accrochent. Même après la production du film, on le visionne devant de parfaits inconnus pour voir s'ils accrochent et si ça n'est pas le cas, on change. Qu'ils fassent des "serveurs-tests background" !
C'était le message (nécessaire ?) annuel.
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