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Funéraille d'un guerrier.
Il était tard, la nuit avançait lentement, cadencée par la marche funèbre des battements de coeurs de ceux qui veillaient le corps de Dànaidh en cette heure. Argyhll était à côté du corps étendu à même la pierre, face à l'autel. Les yeux du défunt étaient clos, il reposait là comme l'homme solitaire avant de s'endormir, qui adresse une secrète prière, en regardant le ciel. Le silence régnait, veillant ici, comme une entité à part entière. Argyhll retenait ses larmes, maîtrisant ses traits, le visage impassible. Regardant son ami, les yeux implorant une résurrection impossible. Ses yeux brillant étaient éclairés par un rayon de lune improbable, qui se reflétait dans la lame de l'épée, posée sur le défunt allongé. Dànaidh avait le visage détendu, comme si la chaleur l'ayant envahit lui offrait là un voyage agréable. Argyhll se rassurait de le savoir déjà au côté de l'Unique, veillant à présent aux côtés de ses pères à ce que le clan soit préservé de toute misère.
Un hululement lugubre et pourtant plein d'espoir, descendit de la gueule béante du cloché plongé dans le noir, où sommeillait la cloche qui résonna imperceptiblement, comme pour répondre au cri du hibou, saluant. Hibou accompagnateur, volatile familier d'une ancienne déité romaine de la guerre. C'était le cri déchirant qu'adresse à son enfant, une tendre mère. Il rendait là un hommage dernier, au guerrier qui était tombé dans l'honneur, celui qui avait fait l'acte de bravoure pour sa dernière heure. Argyhll tentait par moment, au son des hululements, de capter du regard, l'animal majestueux qui veillait depuis le cloché comme la lune dans les cieux.
Zahikell Luthias McAvoy, clerc du clan McAvoy et oncle d'Argyhll, se levait par intermittence de son banc, pour aller remplir les encensoirs avec de nouveaux encens. Dans l'église, les membres du clan du village de Hull et de ceux qui avaient fait le déplacement, rentraient et sortaient après avoir veillé le corps plus ou moins longtemps. Chacun venant saluer la dépouille du brave, le regard triste et grave. Les huit guerriers qui suivent Argyhll ou qu'il aille, ici et là dans ses voyages et ses campagnes, fixaient leur frère d'arme tombé... le neuvième, que la mort avait emporté. Saphyr, la promise d'Argyhll, avait veillée le défunt avec eux, durant de longues heures. Puis, exténuée, elle était repartie pour la forteresse de Caer Nova en la cité de Monkchester pour y attendre son aimée... lui laissant le temps de veiller, de se retrouver seul une dernière fois avec son ami et presque frère. Au petit matin, Argyhll avait reprit la route, laissant le père Zahikell et ses acolytes mettre le corps dans un cercueil et de préparer le voyage pour l'île de Mull. Exceptionnellement, Argyhll avait demandé à des mages de préparer un voyage magique afin de gagner du temps... il voulait rapidement placer dans son tertre, le corps de Dànaidh.
Lorsque Argyhll fut arrivé à la cité de Monkchester et rentra dans la forteresse, il se dirigea vers les remparts de celle-ci. Là, dominant le paysage depuis la haute muraille, il tentait de calmer son coeur qui remuait comme l'enfant à naître qui trésaille. Le vent caressant son visage lui apportait là, un murmure consolateur, un message venu d'ailleurs... un souffle transportant des mots imprononcés qui s'adressait à sa peine en passant par ses sens. Ses larmes fuyaient dans le vent avec ses pensées et ses regrets.
Le froid lui rappelait qu'il était bien vivant et son corps figé subissait le cruel engourdissement. Il n'avait pas envie de bouger, simplement de rester et de contempler l'horizon, dans l'espoir d'apercevoir au loin, qui reviendrait, son guerrier, son ami fidèle qui était parti à jamais... Il n'y avait plus là, l'ombre de la raison, mais celle d'une illusion, guidée par la passion. Il passa plusieurs heures debout sur les remparts, seul, priant l'Unique d'accueillir son ami et presque frère, avec l'honneur réservé au brave. Sa respiration était lente, ses poumons étreints par la poigne de la tristesse qui faisait entrave. Le vent soufflait un peu plus fort à présent, s'engouffrant dans sa chevelure, soulevant sa cape, et faisant danser dans une gestuelle minimaliste et incohérente, l'écharpe de soie accroché à son bras gauche. Argyhll la regarda, c'était un cadeau de Saphyr, celui d'une dame à son champion. Argyhll se rappela le jour où elle la lui offrit. Elle rougissait, timide et gêné, elle qui n'était pas une "Dame", en demandant à Argyhll de bien vouloir la porter. Ses yeux scintillaient de joie quand il avait accepté, comme un rêve qui se serait réalisé. Attachement du coeur et non pas à la convenance d'une étiquette... un serment sur l'honneur.
Argyhll se sentit un peu soulagé en pensant à son aimée et levant la tête vers le donjon de la forteresse, décida d'aller voir si Saphyr s'était réveillée. Il lui semblait que la montée des marches du donjon lui demandait un effort, à chaque pas, un peu plus grand, comme s'il faisait l'ascension du mont de son propre pardon... Accepter, malgré le coeur qui saigne, de dépasser sa peine. Il entra dans sa chambre et trouva Saphyr debout, prêt d'une meurtrière. Elle tremblait sur place, observant par l'étroite ouverture, le regard dans le vide. Elle n'avait pas remarqué sa présence. Argyhll s'approcha d'elle et l'entoura d'une cape de fourrure. Ils discutèrent longuement, la fatigue et la tension les firent céder quelques instants à l'emportement. Ils se réconcilièrent aussitôt, reconnaissant leur peine et leur tourment. Saphyr tremblait de plus en plus et la fièvre semblait se saisir d'elle. Argyhll s'occupa d'elle toute la journée et veilla la nuit suivante pour calmer sa fièvre comme il le pouvait. Il mit de côté sa fatigue, mais à l'aurore, finit par succomber au sommeil, exténué. Le lendemain matin profitant que la fièvre se soit calmée, il ordonna que les mages préparèrent leur départ pour l'île de Mull, terres des McAvoy.
Lorsqu'il furent arrivé la bas, lui et saphyr, ainsi que ses guerriers et d'autres membres du clan, il prit soin d'aller coucher son aimée lui même dans sa demeure de Saoirse. Après l'avoir veillé jusqu'au début de l'après midi, il partit avec son consentement pour se rendre aux funérailles de son défunt ami.
La procession débuta depuis Saoirse même, village où siège le chef du clan lorsqu'il se trouve sur l'île et où demeure son représentant. Argyhll habitant la baronnie de Northumbria, avait choisit avec l'approbation des chefs des dix villages d'en nommer un pour le représenter sur l'île de Mull. Cynan Argaïl McAvoy était l'homme en question. Un cousin d'Argyhll de la lignée de Ceard, père de krystenn Elenn McAvoy qui habitait, elle aussi, en Northumbria. Le corps de Dànaidh avait été posé sur une sorte de civière faite de lance et de targes, dont celle du clan McAvoy. Les huit guerriers, fidèles compagnons du Rik, en étaient les porteurs. Faisant à leur frère d'arme ce dernier honneur. Les clercs entamèrent des chants pour le repos de l'âme du défunt et des louanges à l'Unique. La précession funèbres chantaient avec eux... les larmes, pareilles à des notes de musiques lancinantes, coulaient sur les joues de ses proches. Argyhll avançait à la suite du défunt avec la famille de celui-ci. Les frères d'Argyll étaient venus ; Kahedinn, Ingwel, Eoghann et même Demecia leur toute jeune soeur. Sa cousine krystenn de même était présente. On rendait là l'hommage à un grand guerrier, mort pour le clan. Guerrier de talent... mais mort si jeune... il n'avait pas eu le temps de laisser derrière lui une descendance.
Après la courte traversée par voie de mer jusqu'à l'île de Bothan où le corps devait être mit au tertre, la procession marqua une pose sur la plage afin que tous soient présents. Puis, elle reprit sa route pour monter sur le plateau que formait l'île. Là haut, ayant déposé la civière à terre devant le tertre, la procession forma un cercle autour du monticule de terre. Les clercs donnèrent les bénédictions dernières. Ils laissèrent ensuite la famille rendre un dernier hommage à Dànaidh... ensuite vinrent ses huit frères d'armes. Ils s'agenouillèrent chacun à leur tour devant le corps, en présentant leur arme à ce dernier et en déposant une des leurs sur les bords de la civière. Argyhll fit de même, restant un moment à genou, le regard fier, les yeux rouges trahissant son émotion. Puis il se releva et alla déposer une hache à côté du défunt... arme qu'il possédait depuis plusieurs années et que Dànaidh avait manié une fois déjà au combat. Il posa sa main sur celles de ce dernier, jointes sur son ventre. Il se leva en inclinant la tête respectueusement. Dernier salut à son ami et presque frère...
Les clercs s'avancèrent et soulevèrent à leur tour la civière en entamant dans un murmure une prière qui fut couverte aussitôt, par un chant d'adieu que commencèrent ses frères... bientôt suivis de tous. L'émotion était grande, mais pour ce dernier salut, aucun ne pleura, pas une larme... ils chantaient pour son voyage, pour sa nouvelle vie. Les clercs étaient ressortis et une lourde pierre fut roulée pour en clore l'entrée. Le regard fièrement tourné vers le tertre, ils contemplaient la dernière demeure terrestre, d'un corps quitté de son âme qui ne serait pas en reste.
La procession repartît ensuite de manière bien moins cérémonieuse, la famille restant quelques instant encore, accompagnés de Argyhll, de ses frères de sa soeur et de ses huit guerriers. Plus tard, Argyhll se retrouva au chevet de Saphyr et veilla sur elle la nuit qui passa, priant pour que son aimée se rétablisse.
Ainsi se déroulèrent les funérailles de Dànaidh Gaellig McAvoy qui périt bravement dans la bataille.
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