[Carnac] L'Honneur et l'Humilité

 
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Rangeant précautionneusement la missive dans mon havresac, je descendis la large avenue dallée qui menait vers le portail nord de la capitale. Je songeais à la route qu'il me restait à parcourir avant la fin de la journée et n'entendit pas de suite l'appel, perdu dans mes pensées. Je me retournai lorsque mon nom fut répété. Trois elfes se tenaient près d'une échoppe et l'un d'eux me héla.

- Holà, mon bon firbolg ! Te voici flânant le nez au vent et les yeux au ciel en arborant cette fort splendide armure et cette cape flamboyante comme un oriflamme aux couleurs de ton illustre guilde et tu n'entends pas même l'appel de ton nom ?

Je reconnus Elros, un champion qui avait fait partie de mon bataillon. Il ne manquait certes pas de charisme et de verve, mais son arrogance n'avait d'égale que son orgueil démesuré. Je l'avais suffisamment entendu railler ses compagnons lors des missions pour ne pas lui accorder ma sympathie. Surtout depuis le jour au Val de Quartz où il m'avait longuement sermonné sur le courage exemplaire dont devait faire preuve les guerriers après m'avoir surpris en proie à l'angoisse de l'assaut imminent.

- A te voir resplendir ainsi, je présume que tu as fait quelques progrès depuis notre initiation aux armes ? J'ai moi-même obtenu un poste de gardien et j'expliquais à ces novices les qualités qui font un bon champion. Notre rencontre est une aubaine. Accepterais-tu un duel contre moi afin que je leur montre la différence flagrante entre les champions et les protecteurs ?

Elros afichait un sourire narquois et sûr de lui. Sa main s'était déjà portée sur la poignée de sa masse à deux mains.

- Je n'en ai ni le temps, ni le désir, répondis-je d'un ton neutre. Il me faut porter une missive à Connla avant la nuit.

- Pas de dérobade, voyons ! ricana l'elfe. As-tu toujours si peu confiance en toi ou ma réputation de fin combattant m'aurait-elle précédé ?

Je me moquais de ses provocations mais à son regard acéré, je sus qu'il n'abandonnerait pas. Une foule de curieux, interpelés par ses injonctions, approchait peu à peu. Le défi lancé devant tant de public, je ne pouvais plus m'y soustraire. Poussant un long soupir, je saisissais mon bouclier et ma lame courte.

- Voilà qui est mieux, protecteur ! Fais honneur à ton rang et à ta classe ! Tout demi-géant que tu es, je prouverai que ta force n'est en rien comparable à ma vitesse, mon habilité et mon art de la guerre !

Le champion s'élança droit sur moi en me précipitant sa magie affaiblissante. Il fit pleuvoir une série de coups divers sur moi sous les acclamations de la foule et les encouragements des novices. Mon bouclier ne me protégea pas bien longtemps et après quelques vaines ripostes de ma part, il me jeta rudement à terre. Entre deux souffles, il laissa éclater un rire tonitruant.

- Tu manques encore d'entraînement, firbolg ! me lança-t-il en me regardant me relever péniblement. Peut-être n'as-tu pas d'affinité avec la voie du guerrier. Songe à te reconvertir en druide, voire en barde !

Il s'éloigna en riant et la foule se dispersa. Un vieil homme se pencha vers moi pour m'aider. J'attendis que tous furent partis pour me remettre sur pieds tout seul et faire disparaitre mes grimaces de douleur. Après avoir écopé de tant de blessures au combat, ma capacité de récupération me permit facilement de regagner toute ma vigueur. En adressant un clin d'oeil au vieillard, je repartis d'un pas vif et réprima difficilement un large baîllement. J'avais affronté des paladins qui tapaient plus fort que ce triste sidhe.
L'Honneur et l'Humilité - Fin
J'atteignis Connla en début de soirée et après avoir livré mon courrier, je repris la route avec la ferme intention de rejoindre Dommnan et mes compagnons avant que la nuit ne soit totale. La pénombre et un fin brouillard nimbaient les alentours, mais l'obscurité n'était pas suffisante pour ne pas que je manque les trois silhouettes bloquant l'accès au pont. Je jurais entre mes dents en reconnaissant Elros et ses comparses. L'elfe paraissait furieux et il me foudroya du regard lorsque je m'avançai vers eux.

- Toi, vile canaille ! éructa-t-il, effectivement en proie à une colère noire. Tu es devenu aussi lâche que ces maudits albionnais et aussi dépourvu d'honneur que ces barbares nordiques ! Comment as-tu osé tenter de me tromper avec ce simulacre, cette comédie, de duel ! Tu m'as déshonoré en feignant la faiblesse ! L'un de mes acolytes t'a vu quitter Tir Na Nog, frais et vigourueux, sans plus aucune trace des blessures que je t'ai infligées !

- Les guérisseurs sont maîtres dans leur art, répondis-je. Mais j'ai eu bien mal si cela peut satisfaire à ta vanité.

- Maudit firbolg stupide ! cracha Elros, hors de lui. Tu te moques encore de moi ! Je vais laver mon honneur sali par ta couardise ici-même ! Tu ne passeras ce pont qu'en me combattant de toutes tes forces. Sinon, je te tuerai, je le jure sur la vertu de Brigit !

Le champion dégaina et m'invita à le suivre jusqu'au milieu du pont. Le combat était inévitable, mais je tentais encore sincérement à trouver une autre issue à ce conflit stérile.

- Je ne voulais pas t'insulter et si ce fut le cas, je te présente mes excuses. Je n'ai nulle envie de t'affronter et savoir qui de nous deux est le meilleur m'importe encore moins que ma propre réputation.

- Tu fuis encore ! Bats-toi donc comme le guerrier que tu prétends être ! Honnis soient les pleutres de ton genre qui cachent leur lâcheté derrière des mots ou des idéaux insensés !

Je fixai l'elfe d'un regard froid puis dégainai à mon tour. Elros se rua sur moi. Ma lame dévia sa masse et d'une rude bourrade, je le sonnai avec mon bouclier. Surpris, le champion recula et me jeta sa magie afin de me ralentir. J'en annulai aussitôt les effets en me purgeant tout en me débarrassant de mon écu et de mon glaive pour saisir ma lance enchantée à deux mains. Son marteau vola vers ma tête et j'esquivai d'un saut agile en arrière avant de riposter d'un violent coup sur le flanc. Le bout de ma pique s'enflamma et déchira son armure d'écailles sur toute la longueur du torse. Elros laissa tomber son arme, vaincu, tandis que je le soulevai du sol, les débris de sa protection métallique enchevetrée dans ma lance. Le feu ardent était à deux doigts de son visage devenu livide.

- Te voici fixé, dis-je d'un ton las en le suspendant en l'air. Es-tu pour autant davantage satisfait à présent ?

- Tu...Tu es plus fort que moi ! Je l'admets !

- Tais-toi donc, idiot ! Je ne suis qu'un simple soldat d'Hibernia et je n'ai cure de savoir qui est plus faible ou plus doué que moi. Je ne me bats que lorsque j'y suis obligé même si cela me répugne et même si mes adversaires sont aussi pathétiques et désagréables que toi. Je t'ai offert de sauver la face en faisant semblant de perdre ce matin afin d'épargner ton honneur si cher à tes yeux. Pourquoi ton affligeant orgueil n'a-t-il pu s'en contenter ? Maintenant que je t'ai embroché comme un vulgaire kobold, comment désires-tu achever notre différend ?

Elros n'écoutait qu'à moitié mes paroles, terrifié par le feu qui consumait son armure et se rapprochait de son visage.

- Je brûle ! Je brûle ! Par les Douze piliers Célestes, je brûle !

- Peut-être as-tu besoin d'un bain alors ? proposai-je en le passant par-dessus la rambarde.

Elros poussa un cri apeuré en voyant le fleuve sous ses pieds. Il ne se tut que lorsque je le reposai doucement sur le pont devant ses compagnons.

- Tu avais finalement raison. Notre rencontre aura été l'occasion d'apprendre à tes élèves une notion qui t'est parfaitement inconnue et qui peut s'avérer indispensable à un bon guerrier. Aujourd'hui, sidhes, nous avons tous appris la valeur de l'humilité.

Saluant les elfes bien bas, je fis volte-face et repris ma route. Tout en baîllant et me frottant les yeux de fatigue, je ne songeai plus qu'à la longue nuitée de repos qui m'attendait.
 

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