Deux personnes peuvent-elles se rencontrer et s’aimer en dépit de tout, des autres, des convenances, de l’ordre établi, de la distance, de leur royaume même ? La force d’un amour peut-elle suffire pour passer au-dessus de tout ? N’est ce pas juste dans les contes, les mythes et les légendes qu’un tel amour survit aux obstacles de la vie ?
J’avais beau le connaître à peine, un frisson parcourrait mon corps à chacun de ses gestes… n’était-ce pas cela l’amour ? Je me sentais prête à franchir des montagnes, à transgresser tous les interdits à un seul de ses regards. Mais ne serait-ce pas une passion éphémère, née de l’interdit qu’il symbolise ? Ce sentiment si fort perdurera-t-il une fois assouvi ? Et comment vivre heureux ensembles au milieu de cette guerre perpétuelle à laquelle je ne pouvais me soustraire ?
Ces interrogations me taraudaient, dès lors, je ne pensais plus à rien d’autre… Pourtant, aucune réponse ne me vint, ni en songe, ni par le fruit de ma réflexion. Devrais-je essayer de l’oublier pour retrouver la quiétude de ma vie ? Malgré tout, j’avais envie de croire en nous, en cet amour…. Ce n’était pas nous qui étions opposés, au contraire tout nous rapprochait, mais plutôt nos royaumes, cette société dans laquelle nous vivions et qui finalement nous avait fait nous rencontrer.
Mais transgresser tous les interdits me terrifiait. Je ne savais que faire… Les amours interdits se sont toujours mal finis dans les histoires que me contait ma mère. Et cette guerre me survivrait selon toute vraisemblance. Il s’agissait donc de choisir entre les règles de mon royaume et un amour vrai, qu’il faudrait peut-être cacher, du moins un temps. Notre existence ne pourrait-elle pas être aussi simple que celle des animaux sauvages ou juste paisible comme le cours d’un fleuve ?
Je ne le revis plus que de loin durant des jours qui me semblèrent une éternité. Il ne parvenait plus à s’isoler pour me rejoindre. Au fil du temps, cette situation me parut insurmontable. Peut-on toujours aimer sans voir la personne chérie ?Sans partager tous les moments qui sont de lumineux reflets du bonheur, je me retrouvais seule avec des sentiments mêlés d’amertume et de nostalgie.
Je n’avais plus goût à rien, j’errais désormais sans but bercée par ma mélancolie. Tous les charmes des paysages jadis tant aimés me semblaient révolus, vidés de leur poésie. Plus rien ne m’importait que le manque de celui qui remplissait mon cœur. Je m’imaginais souvent à ses côtés, sentant à nouveau son souffle sur ma peau, son odeur de bruyère entêtante, la douceur de sa peau. Tout me le rappelait et paradoxalement me le faisait paraître encore plus distant.
Je ne pouvais même plus contempler le coucher du soleil sans voir des larmes couler malgré moi. Entendrai-je une nouvelle fois le son de sa voix et les belles paroles qu’il m’adressait ? Ensembles, nous étions hors du temps, hors de tout. Mais seule, je me retrouvais écrasée par le poids de tous les obstacles de la vie que j’avais occultés à ses côtés.
Le temps passa, inexorablement, et les petits plaisirs de la vie n’avaient toujours pas retrouvé leur saveur. J’essayais encore, mais mon espoir s’amenuisait les jours passants, de le croiser, de retrouver cette flamme qui avait réveillé en moi des passions inconnues.
Un jour, je l’aperçus enfin au loin. Il me vit lui aussi et se sépara de ses compagnons pour venir à moi. J’appris ainsi que sa communauté avait appris notre aventure et l’avait ouvertement condamnée. Il était depuis tiraillé entre son monde et moi. Je ne pouvais parvenir à le convaincre, il était trop conscient des difficultés et était persuadé que son monde s’écroulerait s’il décidait de me rejoindre. Je ne pouvais pas lutter contre cette conviction et le laissais donc partir encore hésitant.
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