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La dernière chose que je vis fut ce bouclier. Enfin, voir est un bien grand mot dans ces circonstances. Disons plutôt, qu’il me semble que ce soit la dernière chose que je vis. Tant soit peu que je fut encore en état de discerner quoi que se soit à ce moment là. Tout s’était passé si vite, que je n’eu franchement pas le temps de détailler ce qui venait de me heurter.
Un choc si violent et si brutal. Un choc qui n’aurait d’égal que la puissance du ciel, qui dans les foudres de sa colère infinie, broie un arbre isolé, ou un imprudent, perdu dans la tempête. Un choc si puissant que je fut projeté bien loin en arrière à une vitesse effroyable. Un choc enfin, qui venait de me prendre, mêlé à l’air de mes pauvres poumons écrasés, mon souffle de vie. En un instant, une fraction de l’éternité, imperceptible, impalpable, je me retrouvais dans un monde entre la vie et la mort, un monde de transition, un passage.
Pourtant cette journée avait commencé comme une journée d’Automne bien ordinaire. Les oiseaux s’affairaient à terminer au plus vite une demeure solide et à l’abris des prédateurs, pour leur famille. Tissage de fils trouvés ça et la, de brins d’herbes et de paille, habilement mêlés, entrecroisés, pour que le frêle matériau devienne une muraille que le vent et la pluie, dans leur débordements, ne puissent briser. Les petits rongeurs, courant de-ci de-là. Cherchant à faire, pour leur survie, le stock de nourriture nécessaire pour affronter la plus mortelle des périodes de l année. Toute la nature semblait en ébullition, se préparant avec grand soin à ce moment privilégié, où le silence et la pureté de la neige et du froid, prend le pas sur la sombre couleur de la terre nourricière et son agitation permanente. L’hiver approchait à grand pas. Les jours étaient de plus en plus courts, sûrement rongés par le froid. L’eau des rivières de moins en moins accueillante, tant elle était fraîche. Glacée rien qu’a l’idée de ne plus être bientôt qu’un miroir sans vie, dans lequel se reflète les âmes gelés des grands arbres millénaires. L’air lui aussi devenait plus froid, chargé par la nature d’apporter dans ces volutes brumeuses et insondables, la rude fraîcheur de l’Hiver. Bref, la vie se ralentie au rythme de la nature. En apparence tout au moins.
C’est par cette fraîche journée, auréolé d’un magnifique ciel turquoise, trônant par dessus la cimes des hêtres majestueux, à peine voilé par de trop rares nuages d’un blanc de nacre, vaporeux, que Sydoine décida de rejoindre les frontières du pays. Elle avait décidé que ce jour serait consacré à la défense de cette terre qui l’avait accueillie dans son enfance. Une arrivée semblant si proche et si lointaine aujourd’hui. Que de chemin parcouru depuis se jour où la grève des plages de Camelot senti ses premiers pas. Que de chemin à travers le temps, les peines et les joies de la vie. Enfin, c’était décidé, elle irait rendre hommage à sa terre et à l’Académie qui depuis son arrivée l’avais prise sous son aile bienfaitrice. Elle se rendis alors sur le champ de bataille. Ho, ce n’était pas chose complexe que de trouver une troupe à aider, ou encore une muraille à protéger. Elles étaient légions. Et il ne fallu pas bien longtemps pour que les premiers affrontements eurent lieux. Quelques minutes à peine et la voilà plongée au cœur même de la bataille, entre sang et rage, fureur et cris de douleurs.
Qui aurait pu prévoir, prédire. Qui aurait pu sentir, lui dire à elle, que cette journée serait une stèle dans sa vie, un repère comme il en existe si peu. Une entaille dans le temps, un moment qui vaut pour une vie, comme sorti d’un écrin précieux. Comme elle le sait si bien au fond d’elle même depuis toujours, nul ne dicte sa volonté à la nature, et le destin, sans être une route sans détours ni choix, n’en est pas moins une évidence, figée, un lit dans lequel coule notre vie, un voyage, que nos actions rendent plus ou moins agréable. Qui aurait pu lui dire alors ce qui allait se produire. A part peut être …
-Grand-mère ? , est ce bien toi ? Mais que …
Elle regarde autour d’elle, étonnée, pas apeurée non, ni … surprise, juste … étonnée. Devant elle s’étendait d’immenses plaines couvertes de neige. Les reflets du soleil au travers des cristaux les faisaient flamboyer comme autant de soleils, des étincelles de feu, éternelles. Le sol couvert de ces étoiles, semblait n’être plus qu’un gigantesque arc en ciel, ornant de ces coloris chauds et pur, toute la surface de la terre. Un ballet magnifique, irréel, un océan de vagues des couleurs originelles. Et là, juste devant elle, se tenait une femme, une femme au teint blafard, tranchant à peine avec la blancheur immaculée des rares endroits où la neige, ombragée, donnait au blanc son existence légitime. Une femme aimée, adulée même, pour lui avoir donner jadis son amour si pur et si profond de la nature.
-Comment est ce possible grand-mère, je …
Ignorant l’aspect irréel de la situation, mue d’instinct par un amour jamais terni malgré les années, elle se jeta dans les bras de cette femme tant aimée. La serra si fort, aussi fort que sa peine de l’avoir perdue voila si longtemps déjà, si longtemps … Les larmes de joie vinrent alors décorer de leur éclat sincère, le visage de Sydoine, et celui austère de la vieille femme. Ce n’est que quelques minutes plus tard, l’amour éternel de ces deux femmes ravivé, qu’enfin celle-ci commença à parler.
-Sydoine, ma petite fille adorée …
Si ce n’était l’endroit, si étonnant, on aurait pu croire à de simples retrouvailles, de deux femmes liées par la force d’une foi inébranlable. Il fallu bien du temps, bien des souvenirs remémorés en silence, pour qu’enfin l’étreinte se relâche, et que l’amour vrai et pur se libère pour apparaître tel une nuée étrange enrobant les deux femmes d’un voile sans tache.
-Tu est toujours aussi impulsive ma petite.
La grand-mère regardait sa petite fille fixement. Comme pour graver une image dans une mémoire depuis longtemps disparue. Ces yeux, émouvants, remplis de choses que les mots seraient bien en mal de décrire, rempli des plus profond et des plus grand émois. Son visage dépeignait à la fois la tristesse, l’espoir, la joie, l’envie, la fierté, tant de sentiments dont son être depuis si longtemps revenu à la terre, semblait se nourrir à nouveau.
-Mais dis moi grand-mère, quel est donc cet endroit ? , et comment suis je arrivée ici ?
Naïve et sans prétentions, l’instant magique de la rencontre passée, Sydoine semblait enfin avoir quelques interrogations au sujet de ce lieu si inhabituel. Son regard, toujours aussi prompt à voir le cœur et l’âme des choses par delà leur apparence, ayant enfin quitter l’image de sa grand-mère, se promenait maintenant sur les plaines et les monts qui l’entouraient. Avide de la beauté et de la plénitude qui émanait de chaque chose ici.
-Tu ne changes pas ma fille, toujours aussi étourdie.
Si l’éternité existe, elle prend sa source dans ce qui émane des deux femmes à cet instant précis. Un lien sans pareil qui depuis la nuit des temps se devait d’exister. Une trame invisible, qui à jamais, et sans que ni dieux ni hommes ne puissent rien y faire, reliera ce deux êtres que la simple vie a séparés.
-Je suis morte ? C’est ça ? J’ai été rappelée ?
Un sourire amusé naît sur le visage de la grand-mère, avant qu’elle ne reprenne la parole.
-Tant de questions et pas de réponses.
Le sourire de la Grand-mère était devenu ineffable, à la façon de celui que Sydoine arbore elle-même à son habitude. Tant de choses les unissent. Certaines à la mesure de l’homme, d’autres bien au delà de sa perception. Mais une entre toutes scellait pour l’éternité leur attachement mutuel, la plus importante de toutes, la Mère Nature. Sydoine sourit aussi. A aucun moment la moindre peur ne l’avait habité. A aucun moment le doute ou l’incertitude ne l’avait envahie. Elle ne savait pas pourquoi mais, si elle était ici, devant sa grand-mère, il devait y avoir une raison. Une raison bien plus forte que toute la rage des hommes.
-Non tu n’es pas morte, enfin, pas encore. Tu es ici parce que tu dois recevoir enfin ce qui t’est due. Tu dois savoir pourquoi tu déteste par moment, autant que tu aime à d’autres. Tu dois savoir, pour que la fin de ta vie soit remplie d’amour et de compassion. Tu dois savoir parce que c’était écrit. Tu dois savoir enfin, parce que aimer ou détester, c’est de toi que je parle, et non de tes sentiments envers les autres.
-Mais … savoir quoi grand-mère, il y a tant de choses que j’ignore, tant de rêves non encore effleurés par les songes.
-N’y as t’il pas une question que tu te pose souvent ? Une interrogation qui seule te perturbe vraiment ?
Ne sent tu pas une question poindre à la commissure de tes lèvres, une question que tu ne t’ai jamais posée vraiment, par peur de la réponse.
Sydoine réfléchie intensément, bien sur elle savait, elle savait que cette question était présente en elle, présente depuis si longtemps. Mais comment … la dire, comment exprimer par de simples mots ce qui semble n’appartenir qu’à l’éther de l’esprit. Ainsi peut être, sa grand-mère voulait l’aider à répondre à cette question impossible à poser. Ou simplement la mettre sur la voie, la guider.
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