Le contrat est daté du 11 octobre 2018. Il est signé d’une seule main, d’une écriture tremblante, à l’encre bleue. Ce contrat à durée indéterminée (CDI) lie Alexandre Benalla et son employeur, l'homme d'affaires Philippe Hababou Solomon. Pour 40 heures par semaine, rémunérées 10 000 euros brut par mois, Benalla assure la fonction de « conseiller personnel » du businessman franco-israélien, peut-on lire sur ce document de quatre pages que Mediapart s'est procuré [...] Problème, et de taille : ce document est un faux et n'a jamais été signé par Philippe Hababou Solomon. Sollicité par Mediapart, l'homme d'affaires dit découvrir ce contrat, qu'il qualifie de « faux grossier », rempli de « fausses informations » : « Je ne suis pas né à Paris le 18/05/1955, je ne suis pas français mais israélien, le numéro de sécurité sociale est faux, mon adresse est fausse, ce n'est pas ma signature. » L'homme d'affaires confirme en revanche à Mediapart avoir versé 15 000 euros sur le compte d'Alexandre Benalla ouvert dans une banque en ligne, Revolut, mais qu'il s'agit d'un prêt et en aucun cas d'une quelconque rémunération.
Nous avons fait expertiser le « contrat » par Christine Jouishomme, graphologue et présidente de la compagnie des experts en écritures et documents, agréée par la Cour de cassation. Pour l’experte, qui a comparé ce document avec d’autres portant l’écriture et la signature de Philippe Solomon, celui-ci n'a ni rempli, ni signé ce contrat. Selon elle, la signature de l'homme d'affaires a été imitée à partir de sa véritable écriture (lire notre Boîte noire).
[...] Alexandre Benalla anime en sous-main la société France Close Protection qui a récupéré en octobre dernier le contrat de sécurité passé avec l’oligarque russe Iskander Makhmudov, d'un montant total de 980 000 euros. Sur le papier, la société a été créée par le demi-frère de Benalla, Kevin Piquet, 18 ans, et est présidée par l'un de ses amis, Yoann Petit, un ancien militaire de 44 ans. Mais les documents officiels de France Close Protection remis au tribunal de commerce interrogent : d'après la graphologue Christine Jouishomme, ils sont signés, pour les deux dirigeants, d'une seule et même écriture (avec l'application de signature électronique Docusign), au lieu de deux distinctes [...] les deux dirigeants ont-ils validé et signé eux-mêmes ces documents ? Sollicités, Kevin Piquet et Yoann Petit n'ont pas répondu.
« On est confronté à un monsieur qui visiblement utilise régulièrement des faux pour obtenir un certain nombre de titres officiels. » Cette confidence de Patrick Strzoda, le directeur de cabinet d'Emmanuel Macron, devant la commission d'enquête sénatoriale, le 16 janvier dernier. Pourquoi certaines personnes, à l'Élysée, ont-elles protégé pendant des mois un collaborateur qui aurait, selon leurs dires, multiplié les faux documents ? Patrick Strzoda a détaillé un exemple de possible « faux », pour permettre aux sénateurs « de cerner [sa] personnalité », a-t-il dit : une note dactylographiée, « non signée », « manuscrite », « à en-tête du chef de cabinet », qu'Alexandre Benalla avait adressée au ministère de l’intérieur pour obtenir un deuxième passeport de service, qui lui sera délivré le 28 juin 2018.
« Quand on a vu ce document, bien évidemment, on a demandé au chef de cabinet si c’est lui qui avait adressé ce document au ministère de l’intérieur, et il n’est pas l’auteur de cette note. Donc, soupçonnant une falsification faite par M. Benalla, nous avons signalé ce fait au procureur de la République par un article 40 [le 16 janvier 2019 – ndlr] », a déclaré, sous serment, le directeur de cabinet de l'Élysée.
L'Élysée a en tout cas tardé à alerter la justice sur ces éléments : s'il a eu connaissance de l’existence de « ce document » soupçonné d’être un faux « dans le courant de l’automne », il ne l'a signalé que le matin de l'audition de Patrick Strzoda devant la commission d'enquête, le 16 janvier suivant. Depuis ce signalement, l'enquête visant Alexandre Benalla pour l'usage de ses passeports diplomatiques à été élargie à des soupçons de « faux et usage de faux document administratif » et « obtention indue de document administratif » (qualifications pour lesquelles il a été placé sous le statut de témoin assisté).
[...] À l’époque déjà [2012, chauffeur du ministre du redressement productif Arnaud Montebourg pendant 5 semaines] Alexandre Benalla, âgé de 20 ans, se serait prévalu, d’après le cabinet d’Arnaud Montebourg, « d’un soutien du Ministre pour une demande de port d’arme auprès des services du ministère de l’intérieur, sans que le Ministre ait été informé préalablement de cette demande ». Ironie de l'histoire, l'attestation de formation au pistolet automatique qu'il avait fournie était signée de la main du gendarme…Vincent Crase.
Le futur conseiller élyséen avait aussi, un week-end, introduit l'ancien champion de boxe Jean-Marc Mormeck et son véhicule au sein du ministère, « sous le couvert d’un rendez-vous supposé avec le ministre, obligeant ce dernier à démentir le rendez-vous », précise la lettre de licenciement. Un ancien du cabinet de Montebourg se souvient de sa surprise en arrivant au ministère ce jour-là : « Une Porsche était garée dans la cour, à la place de la voiture du ministre [et non au parking des visiteurs – ndlr]. Je demande au douanier ce qui se passe, il me dit : “C’est quelqu’un qui a rendez-vous avec le ministre.” Moi je savais très bien ce jour-là où était le ministre et que cette personne n’avait pas rendez-vous avec lui. Benalla avait les jouets de la République et il voulait le montrer. »