"Faisons quelque chose" est une réflexion d'une stupidité affligeante : la question ne consiste pas à choisir entre défoncer des portes pour espérer y trouver des terroristes et ne rien faire.
On peut par exemple regarder un peu plus loin/haut et se demander pourquoi l'ensemble des terroristes identifiés depuis des années et leurs complices ayant fait l'objet de signalements n'ont jamais été inquiétés. Est-ce la faute du judiciaire ? Pourquoi attend-on un massacre pour la mettre sur la touche et supposer, puis décréter que tout va mieux désormais, plutôt que de songer à identifier les dysfonctionnements ? Les manques de moyens ?
Est-ce la faute du renseignement ? Pourquoi passe-t-on sous silence leurs manquements ? Est-ce un problème de moyens ? De priorités ? De liens avec d'autres services ?
Voila le genre de questions que des élus davantage préoccupés par leur mandat actuel que par le suivant auraient posé au lieu de voter la prolongation d'une démocratie entre parenthèses. Il est particulièrement tordu, d'un côté de nier l'ensemble des témoignages qui concordent dans leur grande majorité vers des perquisitions sans résultat* et conduites dans un irrespect complet des personnes et des biens, et de l'autre montrer une confiance totalement aveugle dans le choix des cibles de ces perquisitions. Si la plupart des perquisitions ne donne rien, c'est bien qu'il y a un problème dans la désignation de celles-ci.
Au passage il a été fait remarquer que, si des manifestations à visée écologique ont été interdites et leurs participants gardés à vue au motif de l'interdiction de rassemblement dans un lieu public qui présenterait des dangers, personne n'a semblé surpris que l'ensemble des grands magasins et des gares reste accessibles. Je veux bien qu'on pense qu'un terroriste islamique est con comme la lune, mais entre quelques centaines d’activistes écolo encadrés par des cohortes de CRS et des milliers et des milliers de gens lambda occupés à faire leurs courses ou à courir d'un train à l'autre, quelle est la cible la plus évidente ?
Ce que montre cette différence de traitement, c'est que d'une part si d'autres terroristes veulent faire un carton dans les semaines qui arrivent ils n'auront que l'embarras du choix malgré les gesticulations de Cazeneuve et Valls, et d'autres part cet "état d'urgence" est bien commode pour faire taire, intimider ou contraindre des opposants politiques du gouvernement. Je ne doute pas une seule seconde que cela ne vous émeuve pas, la simple idée de vous opposer à une politique semble vous avoir quitté (cf les nombreux messages qui dans le fond exprimaient la vacuité de tels modes opératoires : quand on est rendu à rationaliser sa propre apathie, il y a lieu de se poser des questions).
Il me parait clair que l'ensemble des personnes qui cautionnent et soutiennent ici les décisions et actions du gouvernement ne sont aucunement affectées par celles-ci (autrement, elles seraient venu se vanter d'avoir subi ces perquisitions ou maintiens à domicile et de trouver que ces mesures restent nécessaires). Or c'est un phénomène bien connu en psychologie : on est difficilement concerné par ce qui ne nous affecte pas. Cette forme d'apathie est particulièrement manifeste quand on justifie tout ce remue-ménage en brandissant le nombre de morts des attentats du 13 novembre en ignorant ou en feignant d'ignorer qu'entre le 13 novembre et aujourd’hui, selon le Monde qui ne recense certainement pas l'intégralité de ce qui s'y passe, le même nombre de personnes ont été tuées au Mali, au Tchad et au Nigeria par Boko Haram. Je vous laisse imaginer le nombre de morts à l'année.
Que les fans du "lol ta comparaison est foireuse" restent tranquilles, il ne s'agit pas d'une comparaison (comparer quoi ?) mais d'un parallèle : si l'on est aussi peu sensible à un nombre de mort identique à celui qui justifierait pourtant les mesures qu'on constate, pourquoi donc se soucier d'anonymes dont on ne sait rien (ha si, on sait qu'un d'entre eux a menti en déclarant à la presse que la perquisition n'avait rien donné, ce qui semble être suffisant pour démontrer que c'est potentiellement le cas de tous les autres... La démonstration ferait pleurer n'importe quel logicien mais passons). Il est bien plus confortable, encore une fois, de rationaliser son indifférence : ils ont forcément quelque chose à se reprocher, ils n'en mourront pas, ce ne sont que des dégâts matériels**, c'est un mal nécessaire, il faut bien faire quelque chose, c'est une mesure préventive***, etc...
Sur la question de la rapidité d'action permise par cette disposition et impossible sans, cela présuppose que le juge ralentit la procédure, et donc en est éjecté afin d'accélérer celle-ci. C'est doublement faux : si le dossier n'est pas "bien ficelé", il y aura vice de procédure, état d'urgence ou pas. Certaines étapes du processus sont accélérées (les premières si l'on considère que le processus débute avec l'interpellation), mais au bout du compte le processus global n'ira pas plus vite. Par contre on rend le système beaucoup plus énergivore, et on se retrouve avec un nombre de faux positifs (les perquisitions sans résultats) incroyablement élevé, qu'il faut malgré tout traiter. Bref on fait le contraire de ce qu'on prétend ou croit faire.
* Même en y incluant la saisie d'armes de chasse et de "stupéfiants" (dont on peut supposer que si les préfectures ne précisent rien de plus, les flics ont du trouver un joint qui traînait sur une table ou une barrette de shit au fond d'une poche histoire de rajouter un point dans le compteur des perquisitions avec résultat), le résultat global est pour le moins piteux.
** J'imagine mal que se faire braquer en plein sommeil chez soi par une patrouille du GIGN permette à une famille de dormir sereinement par la suite.
*** J'imagine aussi mal que l'assignation à résidence d'un-e salarié-e ou personne en recherche d'emploi ne lui porte pas préjudice sur le plan professionnel. On peut aussi évoquer les conséquences de la suspicion des voisins, famille et connaissances d'une complicité de terrorisme, et le temps passé à courir d'un pointage à un autre ; l'impossibilité de poursuivre un quelconque engagement (groupe de musique, association, etc...) ; l'annulation de vacances ; etc...
C'est pas les perquisitions qui justifient l'état d'urgence, c'est l'état d'urgence qui justifie les perquisitions.
Suivi de
L'état d'urgence c'est un moyen.
Je pense que c'est pour cette raison que te lire me fait mal à la tête : ton propos n'a aucune autre cohérence que celle de justifier des actions qui te font te sentir en sécurité. Ou alors tu tires les mots que tu emploies au d20.