[Poème - Nouvelle] Un Seul Jour

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Partie 1 :

-Un Prologue dicté par la ferveur et que l'on pourrait comprendre sans le lire-

Narrateur :


A chercher l'inspiration partout , dans tous les recoins même les plus obscurs d'un esprit désormais avachi par les ponts d'or qu'il bâtit sans relâche , par les tours qu'il érige , par les murailles et les dents-de-dragon dont il s'entoure , par la force de la fatigue , je n'ai rien trouvé d'autre que du sable , que de la poussière .

Le dernier absolu qu'il nous reste est la mort .

Comme le poète qui se prétend abandonné par ses muses , ses charmantes aimées qu'il caressait en songe , avachi dans les calmes nuits , au bord d'un lac improbable , dans les plus tendres moments de ses songes endormis , où je le regardais , semblable à un enfant , cherchant à embrasser la divinité et s'oublier dans l'ivresse , oublier qu'il était un homme , qu'il était constitué en majorité de viande et d'eau . Puis je l'ai vu mourir .

J'ai vu les terres changer mille fois , sans rien pourtant en comprendre , les saisons se succéder et les vies s'éteindre alors que d'autres balbutiaient à peine leurs premiers mots , entrecoupés de cris et de sanglots , ces derniers se mêlant aux derniers râles des mourants , à la solitude des soldats , oubliés par la guerre et par le prestige , qui mourraient désesperés au milieu de le Bête qui crie et ravage , qui pille et saccage , La guerre . Seul fils que les hommes ont su mener à travers l'histoire . Lui également , je l'ai vu mourir .

A regarder mélancoliquement le temps qui défile , à chercher à y voir là quelque chose de splendide , de mystique , on n'y décroche souvent que la révélation de sa propre illusion . Chercher à idéaliser , chercher à se sauver , et agrippant de toutes nos forces un rocher crée par nous de toutes pièces . Malheureusement il est nourri de nous-même , de notre chair et de notre sueur . Et contre les flots du temps , contre l'abîme qui nous engloutit au moindre regard , contre le vent et la colère , il y a mieux . Et nos illusions aussi , meurent .

.


Mais aujourd'hui est un jour différent , il le sait . Ne me demandez pas pourquoi , il le sait . Il parait que l'on voit la vie autrement lorsque l'on la regarde avec les yeux de la foi . Il ne sais pas si c'est avec ceux-là qu'on les regarde , il n'est pas croyant . En tout cas ces deux yeux là sont grands ouverts . Peut-être qu'il souhaite voir quelque chose de différent entre eux . Mais dans ce cas , c'est une aspiration naturelle de l'être humain qui le pousse à imaginer quelque chose de beau , puisque le monde ne le lui donne pas . La conscience est donc sauve , ouf .

La journée a commencé normalement . Un réveil laborieux , en colère , les yeux percés par la lumière du jour qui s'était insinuée dans la pièce en cascades bouillonantes et pures , les gestes , les vagissements de quelqu'un qui sort du sommeil . Aujourd'hui , il avait raté un des quatre barreaux de l'échelle qui lui permettent symboliquement de passer du monde des rêves au monde réel . En fait il s'agissait d'un moyen d'accès assez astucieux à son lit-bateau , une vieille construction branlante qui lui avait plu mais qui tombait chaque jour un peu plus en ruine . Il en allait de même pour sa vie entière , bien qu'elle fut parfaite au demeurant .
("Jolis mots , doux vers , chimères devant la réalité
Paradis , Enfer , je me fiche de tout , pourvu que mon âme
Lorsqu'elle brûle , éclaire !")

Et son coeur battait , et il l'entendait battre . Tout en lui palpitait d'une sorte d'attente intolérable . Tout lui paraissait paré de couleurs que jamais auparavant il n'avait pu voir , la poussière déposée en couche légère sur son bureau d'écriture déserté depuis longtemps lui inspira un respect infini . L'ambition , pour un être mortel fragile et rongé par les vicissitudes , cette ambition de vouloir construire quelque chose , malgré la conscience de sa faiblesse . Et construire encore n'est pas le bon mot car certains mènent une vie chaotique et désordonnée . De vouloir créer .
Il y avait un monde nouveau , la Terre entière avait changé et lui seul s'en apercevait . Chaque moment revêtait une singulière exaltation .

("A New world , a new day to see") Björk-New World .

L'aube l'enveloppait et il était bénit par elle .
L'éveil du soleil l'emportait sur d'aveuglantes ailes .
L'instant d'aimer était celui-là même
Qui a ses pieds , dès qu'il l'évoquait
Mourait .

Le crépuscule s'insinuait déjà
Et murmurait à son oreille son chaotique bavardage
Persifleur amusé
Figurait à l'homme le monde comme une immense cage
Dont il dorait les barreaux , dans un labeur sans trêve
Dans le seul but , madame , d'avoir droit à instant de rêve !


Il avait cherché dans l'opprobre , dans la souillure des hommes
Des raisons de détester la vie ,
Mais dans les longs rubans dorés
Dans ses reflets éclatés
Dans un sourire , même arraché
Et ce jour-là , j'allais oublié
Où il s'était nonchalamment adonné
Au sommeil
A la merveilleuse toile
Qui lui offrit au réveil
Ce lac mordoré , baigné de rouge
D'ocre , de feu et de larmes
Le jour était tombé
Et son sang coulait
Sans que rien ne bouge
Sans même le bruit d'une arme .
Où , je m'en rappelle , il se mit à gémir
A pleurer , pour ensuite s'enfuir .
.

Il chercha la beauté , et son coeur devint ouvrage
Aux autres hommes , évoquant l'Enfer
Les Anges , le Art , le Vulgaire .
Il leur apprit à se conduire , à tenir une cuillère
Mais le coeur vide , s'abandonna à la colère
Arracha tentures et tableaux ornés
Congédia maîtresses et élèves dévoués
S'en fut en larmes , pauvre dément
La mains tendue
Dans le vide , tendue
C'est terrible , évidemment .

.

Mais il avait perdu la raison , et le savait .
Qu'importe ce qu'il fallait ou non dire
Entre ses mains , c'était la lumière
Et les ouvrir , c'était s'aveugler
Mais c'est aujourd'hui qu'il fallait vivre
Hier est mort , et demain , sous notre nez
N'est une menace que si l'on veut bien
Remettre à demain l'éternité .
Merci beaucoup Eléldor ..


Partie 2 :
-R. and K.-



R. :

Je te connais depuis longtemps , depuis qu'entre mes murs commençait seulement à s'épanouir la mauvaise herbe de la folie .
Je ne peux pas trop te parler .. Elle est ici , tu ne la vois pas et moi-même je ne peux l'entendre que rarement , mais je sais qu'Elle rôde ici , qu'elle a choisi mon crâne pour y pondre ses oeufs , ma main pour réaliser ses veux , et tout entière , de milles feux , elle brille au coeur de mes yeux . Elle siffle , gronde et roule , ravage mon âme , et s'écoule doucement . Elle est partout et je ne peux rien contre elle . Je voulais te voir avant . Avant qu'elle ne m'emporte dans ses ailes . Revoir ton visage , souvenir qui me réjouit , plein d'ardeur , qui m'incite , qui attise mon coeur à me battre contre histoire moribonde , que j'écris d'une main aveugle et malheureuse , Fossoyeur creusant sa tombe, dans la nuit silencieuse .

Le temps presse , écoute-moi je t'en prie . Peut-être ne le vois-tu pas , peut-être n'est-ce là qu'un des milles replis de cette folie , mais tout se rapproche , l'espace se rétrécit . Ce monde même , qui est le mien , s'étiole et périt . Il faut me sauver . Et il faut te sauver aussi . Ton visage est encore vif alors que je mien dépérit , mais je ne suis pas mort et donnerai mon sang pour qu'enfin nous puissions , ô mon rêve de tant de nuits , vivre hors d'ici .

Non tu ne me crois sans doute pas , et de quelle combat pourrais-je parler ? C'est un été doux , bordé d'un soleil clair comme mes yeux fatigués n'en ont jamais vu . Partout , je ne vois que de la lumière , des blés blonds et tendres , des sourires naissants sur les rêves , l'hiver est en cendres , la fête et sa cadence ne connaissent pas de trêve , l'herbe douce , même , tend vers le ciel , dans un recueillement enivrant , c'est un salutaire élan qui agite le monde , et de ma tour d'ivoire , je ne puis que sourire . Et pleurer lorsque je vois la ronde , s'éloigner de moi , noyer dans un soupir mon envie d'encore y croire .

Mais j'ai à te parler , et dans mes yeux détruits , vois comme enfin , cette lueur perdue brille , comme pour damner mon âme , elle brille comme une amante , consumée par le désir de mettre fin à son attente , comme dans tous ces beaux livres qu'on lit en rêvant sans se l'avouer à des héros absolus , à ces nuits de tourmentes dans la fraîcheur ingénue d'un songe . A mon réveil ce matin , nerveux et tremblant , avec toute l'aurore dans mon lit , oublieux encore , mais transi . A tout l'or du monde je pourrais objecter , que pour toi , aujourd'hui , je vais tout tenter . Rendre à ma vie sa dignité , me battre pour toi et pour sauver ce qu'il reste de beau dans ce monde enchaîné , sale et solitaire , salace et pervers , aux prises avec la peur comme avec un cauchemar .
Je veux sortir d'ici , de cette prison . Retrouver l'espoir , allez , pressons-nous ! Il n'est pas trop tard .

Prends ta plume comme je le fais .

Il nous faudra marcher encore
Retrouver , aveugles comme dans l'ombre
Ces chemins pourtant cent fois parcourus
Enfants sauvages , au fond d'âmes sombres

Assis au bord d'un chemin
La lune au dessus de ma tête
Veille et me rappelle
Ce que j'aurais pu être
Si la folie n'avait pas ouvert sa main
Pour la replier sur mon corps
Je vois toutes ces lumières
Fumées aux cheminées
Il doit faire si bon , en ces chaumières
Elle me veille , et c'est si bon
Car sans elle je serais vide
Serrons-nous , et marchons
Ici , c'est le chemin qui nous guide
Essuyer quelques larmes
Qui perleront , demain
Comme la rosée lumineuse
Qui berce ici tous les matins .
Sauter de pierre en pierre
Sur des rochers , singulière route
Pour franchir une rivière
Attraper au passage quelques rires d'enfants
Passés là avant nous , peut-être hier
Et qui laissèrent , ici et là
Assez de magie pour dissiper nos doutes .
Nous sommes malheureusement des monstres
Des bêtes hideuses , en pleine errance
Saignant et voyant ce sang couler sur le pavé
Détrempé , frapper par la pluie et par nos poings
Serrés , écumant les combats , chevauchant en vain
Tombés à genoux devant le matin
Qui semble nous juger , comme si la lumière
Ne pouvait que nous brûler .
En avant , je t'en prie . Le temps est derrière nous
Si nous avons manqué notre chance
Si notre âge est passé
Il nous reste encore une danse
Encore une carte à jouer .
Personne ne le sait .. Elle ne peut pas le voir
Tapie comme Elle est , à l'ombre dans le noir
Fatiguée d'avoir tout le jour traqué nos espoirs
Fatalité impie , contre toi nous voilà ligués
Tu m'as frappé à mort , mais les dés
Même dans ta main sinistre
Ne sont pas jetés
Et même sous ta terreur , j'existe !
Partie 3.



-Tendre et acide-

K. :


C'est si beau et tant pis si le ciel
Evanoui dans sa propre beauté
Ne me voie pas , il semble m'ignorer
Mais sais bien qu'au fond , cet effronté
N'a d'yeux que pour moi ,
Ses arabesques et contours étranges
Douces courbes alambiquées
Me content ce voyage qui me dérange
Voyage auquel , mon ami , tu m'as convié .
Je me demande encore par quelles routes
Par quelles étoiles , sous quelle voûte
Nous allons cheminer .
Allons parle , et dis-moi si notre ami
Lumière au dessus de nos semblables
S'inquiète pour des futilités , ou si
Nous devons même faire attention
Au sable que nous foulons en ce moment .
"

R. :

Je n'en sais pas plus que toi
Et le ciel , ô monstre haï ,
Qui m'a déjà réduit en cendres
Semble aujourd'hui
Ne plus montrer le visage d'un ennemi.
Et semble même attendre
Avec une anxiété oppressante
Le prochain mot qui sortira
De ma bouche pleine de serpents
Ou bien nos prochains pas .
Sache , compagnon , que je me repens
De t'avoir maudit tant de fois
Et si je ne puis voir ta lumière céleste
Permets-moi au moins
De cheminer avec toi .


Le Ciel :

Je veille sur vous .

K :
Dans la ville où nous arrivons
Sèche et acide comme une enfant
Abandonnée par ses parents
J'ai vécu quelques années
Cherchant sans plus y croire
Derrière une fenêtre ternie
Qui avait été , tout d'abord un merveilleux échappatoire
Puis , le temps passé , la mer endormie
S'était changé et implacable mouroir .
J'avais cherché une présence , un souffle
D'anciennes forêts , de charmes mystiques
Dont je rêvais , jeune princesse
Romantique .
Les yeux enfouis dans un oreiller
Quand le rêve par mon corps
Exprimait ses plus impérieuses volontés
Ses avenirs pavés de pierres et d'or .
Je n'y ai rien trouvé que des larmes
Et un poignard imaginaire
Est pourtant rentré dans mon âme
J'ai pleuré à en mourir
Frappé les murs d'injuste rage
Pourquoi ces rêves devaient pâlir
Et disparaitre , rentrer au coeur
De ce que l'on appelle
Une fois adulte et accompli
Avec un léger souvenir
Et la mort dans l'âme
Des souvenirs .


R :

C'est ici , donc , que ce chemin nous dévoilera ses mystères .



Partie 3 :

-Krina-


R. :

Cette nouvelle journée est de bonne augure
Mon sang reprend sa course , à vive allure
Je me sens revivre , en ce jardin magnifique
Jamais je n'aurais cru que cette ville maudite
Pouvait cacher en son sein ravagé et détruit
Une telle féerie de fleurs et de parfums
Les senteurs oubliées d'une enfance écrite
Par nos mains , comme souvent , imaginée
Puisque le monde ne nous plaisait pas
A cette époque , nous l'avions réinventé .

K. :

Ton coeur est prompt à la douceur
Et chez chaque être que j'ai croisé
Même chez l'assassin qui meurt
Trahi par ceux qui jadis l'avaient aidé
Je vois cette ferveur , cette envie
De communier avec ses pairs
Ce dont il rêve
De bannir de son coeur , avec ces mêmes
Ce dont il a peur
Cette même peur qui rend son front
Blême .
Blanc .
Frêle .
Comme ce que nous étions .
Peut-être au fond n'as-tu jamais cessé de vivre
Simplement , tu vivais caché .

R. :

J'ai peine à te croire , mais , attendons un peu
Voici venir vers nous , toute enrubannée
Un être bien étrange , que pas même en songe
Je n'aurais cru pouvoir trouver
Dans ce noeud de vipères et de mensonges .

Krina. :

Bonjour , vous !

R. : Bonjour , ma fille ..
K. : Bonjour toi !
Krina : Vous voilà accoutres bien étrangement !
Le ciel sourit .
R. : Tu ne peux pas vraiment comprendre , nous sommes deux voyageurs .
Krina : Oui , sans doute . Vous voyagez loin ? Vous avez vu la mer déjà ?
R. : La grande mer .. assoiffée , avide , furieuse puis placide ..
Que de fois en tes eaux vermeilles , ai-je rêvé de m'endormir
Emporté loin de ce monde de fer , aux charmes acides
Enfin retourner jusqu'en ton coeur où naît déjà notre avenir .

Krina : Euh ....
R. : *réfléchit* Oui , ça nous est arrivé .
K. : Quel âge as-tu ?
Krina : D'où venez-vous ?
K. : Tu ne m'as pas répondu !
Krina : D'où venez-vous ?
R. : Nous sommes partis d'une ville voisine .
Krina : Et que cherchez-vous ?
K. : Des réponses , à nos questions .
Krina : Quelles sont vos questions ?
R. : ...
K. : ...
Krina : Oui , c'est bien ce qu'il me semblait . Somme toutes , du haut de votre expérience , plutôt fournie , de la vie , vous me ressemblez étrangement . C'en est même amusant .
R. : Quelle insolence ..
K. : Chut , écoutons-là .
Krina : Regardez .. j'ai grandi ici . C’est un très bel endroit , mais ennuyeux à en mourir . Je ne rêve que d’aventures , depuis que j’ai poussé mon premier cri , nouvellement arrivée , parvenue , dans un monde que la vie devait faire haïr , par la suite , à mes ainés . Pourtant , je ne peux rêver d’autre chose que de la vie ici . Vous avez vu le ciel se coucher , derrière ces collines et ces montagnes escarpées ? Tout appelle à l’aventure et au songe , par ici . Courir dans ce jardin rempli de plantes qui émerveillent la vue des gens ordinaires , et aussi les vôtres , car je vous observe depuis toute à l’heure et je n’ai pu m’empêcher de sourire lorsque j’ai vu une petite lumière briller avec l’intensité du soleil un jour de lumière dans vos yeux . Lorsque vous êtes entrés ici , je savais bien que j’allais devoir vous parler .
K. :Tu sais que j’ai grandi dans cette ville qu’à présent je maudis ?
Krina : Je ne savais pas . Pourquoi l’as-tu quittée ?
K. : L’envie d’aventures , peut-être . Mon sang bout lorsque je me trouve enfermée dans une pièce , dans un contexte , dans un cadre . Lorsque rien ne vient plus me mettre en danger , me faire sentir le vide sous mes pieds , la lueur de ma vie , même si elle est menue et éphémère . Tu sais …
Krina : Tu parles avec des yeux pleins de nostalgie .
K. : J’ai vu beaucoup de choses que j’aurais préféré ne jamais effleurer.
Krina : Comme ?
K. : Eh bien , j’ai vu la méchanceté de mes semblables .. *K. , emportée par ses pensées , ne voit pas que Krina est partie cueillir des fleurs , à quelques pas de là , portant néanmoins une oreille attentive à son discours .* J’ai vu des hommes se battre et se déchirer , qui partaient en guerre , en croisades parfois pour des motifs qu’ils ignoraient . J’ai vu la trahison des personnes sur lesquelles nous croyons pouvoir compter . J’ai cru un moment toucher la seule dimension encore sublime de la vie ici-bas , en l’amour . Mais loin d’ouvrir mes ailes et de me sauver du cynisme , il t’emporte , très haut , puis comme un démon invisible et fougueux , t’entraîne avec lui jusqu’au sol qu’il t’avait fait quitter . Il ne te reste plus alors que des larmes et du sang , au milieu de ses ruines , pour maudire ce petit bout d’éternité , d’absolu que tu avais voulu de tout ton cœur chérir . Egalement , il y a ce ballet morbide qui suit son cours , alors que les danseurs , inconscients , les yeux bandés , chancellent et tombent parfois sans que la danse ne s’interrompe . C’est la société . La meute des hommes . Elle se nourrit de gloriole , d’apparence et excommunie , damne ce qu’elle ne veut pas voir . Les hommes préfèrent se crever les yeux plutôt que de voir leur propre malheur.
Il y a la rage dans le cœur de certains . Le feu dans les yeux . Ceux qui cherchent à détruire ce qu’ils détestent , d’autres qui choisissent de l’aimer pour , peut-être , changer le monde grâce à ceux-là . Il y a ceux qui tuent et ceux qui meurent d’avoir voulu pacifier . Cette époque cynique ne nous laisse pas même les yeux pour pleurer tant ceux-ci ne nous appartiennent plus , dirigés , éduqués pour ne voir que ce qu’il faut voir . Bonne conscience , bienséance , ridicules apparences ! J’ai le cœur las et les griffes acérées . Et tout ce que je dis là , tout ce que j’écris , ne sont que des mots . Et les mots ne veulent rien dire .. Ce manège funèbre ne s’arrêtera pas avant que le sommeil ne me rattrape , finalement . Maudites apparences .

De rage , K. arracha à son doigt la bague qu’elle portait depuis ses plus tendres années et la lança au sol . Elle roula quelques secondes puis s’immobilisa . Tremblante , la jeune femme s’écroula en sanglots défoulatoires , frappant le sol de ses mains , criant au ciel , d’une voix irréelle , les pires blasphèmes dont elle pouvait se rappeler , maudissant en vrac la race humaine , la destinée , et , par dessus tout : elle même .

Krina réapparut , radieuse , auréolée par la douceur du matin à peine éveillé . Dans ses mains , elle tenait un modeste bouquet de fleurs diverses , de toutes les couleurs , épanouies , souvenirs des jours ensoleillées qui s’étaient succédés dans la région , permettant au monde de se parer des couleurs les plus folles .

Krina : Tiens , regarde .
R. : C’est un peu .. léger .. non ?
Krina : Pas du tout ! C’est au contraire bien suffisant !
Son visage s’empourprait
Elle tendit les fleurs , oubliant R. , à la jeune fille toujours suffocante de haine
K. : C’est .. c’est gentil à toi .. mais qui es-tu , et qu’est ce que tu veux , à la fin .. ?
Krina : Regarde les , elles sont belles , non ?
K. : Oui .
K. l’écoutant à présent comme une enfant , elle s’était assise par terre et contempla vraiment pour la première fois l’étrange personne avec qui elle s’entretenait . C’était une fillette d’une dizaine d’années , vêtue d’une longue robe blanche brodée de rouge et portant des souliers noirs vernis . Elle avait des yeux grands comme la mer et plus beaux encore qu’elle . Des yeux noirs .. d’un noir vertigineux , profond comme l’oubli . Ses cheveux tombaient en cascades blondes et ondulées sur ses épaules . Derrière des airs hautains elle dissimulait un sourire espiègle qu’elle lui offrait à présent .

Krina : Ce sont de petites fleurs très fragiles et je les aime terriblement , elles font mon bonheur et mon envie de vivre . Pourtant , lorsque vient l’hiver , elles meurent et je m’en trouve affligée . C’est insupportable . Ma vie tourne autour d’elles et plus tard , c’est assez prévisible , mais je voudrais être fleuriste . Pour beaucoup de gens , c’est futile , inintéressant , ça ne veut rien dire , ce sont des fleurs , un point c’est tout . Mais pour moi , ce sont des amies . J’ai d’autres amis de mon espèce , et je les aime beaucoup , mais il y a deux mondes qui luttent sans cesse dans mon âme . Alors , au centre de ce combat , je préfère danser . Cela accorde tout le monde , et j’en ressors avec le sourire . Le monde tourne , j’y prends part . Dans la fierté de toute cette beauté qui m’entoure . Pourtant nous vivons sur la même terre . Dans ton passé , tu as du me ressembler .
Tu cherches à changer le monde , mais par dessus tout , tu cherches à te changer . Tu l’entrevois déjà . Sèche tes larmes , prends ses fleurs et ne m’oublie pas . Lorsque tu déverse ta haine sur le monde , et tu es une adulte très impressionnante et ta voix va jusqu’au cœur , souvent , ce ne sont jamais que les cris d’une enfant triste qui voudrait pouvoir rêver encore . Toi qui te penses folle , au fond , tu n’es souvent que triste et rembrunie par la solitude . Au fond de toi , tu crées un monde , c’est assez merveilleux , alors regarde le avec amour . Ca serait dommage de te gâcher la vie jusqu’à ton dernier jour avec des mécanismes que tu as crée et qui t’auraient glissé des mains , trop bien huilés …
Tu vois ? Tu souris à présent . La mélancolie te suit toujours , et comment pourrait-il en être autrement ? elle est ton compagnon depuis des années et peut-être même que sans elle , tu aurais peur car ce serait l’inconnu devant toi ! Peut-être que tu ne sais plus vivre autrement ?
Pour avancer , il te faudra de la patience , de l’amour et un peu de folie .
Je vivrais à travers toi , à présent , beaucoup . Viens me voir quand tu auras achevé ton chemin .
N’oublie pas que le début du chemin va vers l’intérieur .

Puis , en quelques pas , elle franchit l’orée de ce jardin bariolé de couleurs , laissant derrière elle un parfum doux et rassurant . Tout exultait .

K. : J’ai très froid …

Alors R. ramassa la bague recouverte d’herbe tendre et la tendit à son amie , qui la saisit en tremblant , voulut la remettre à son doigt , mais finalement , la mit dans une des poches de son ample vêtement noir . Dans la rosée fraîche , gorgée de lumière , il s’assit à côté d’elle . Il ne dit rien car tout aurait été maladroit . Il devait être onze heures et ils étaient perdus comme des enfants . La colère s’en fut avec les dernières larmes , et ils restèrent silencieux , l’un contre l’autre , à réfléchir . Quelques oiseaux voletaient , et les rues , doucement , s’animaient , à l’appel du jour naissant . Il devait être onze heures .
Le ciel , au dessus d’eux , était content .
Partie 4 :
Autant de vérités .

C'était un autre jour , un jour de grand froid .
K. était assis au bord d'une route , sur un rocher qui la bordait. De gros nuages descendaient du ciel en même temps qu'ils investissaient ses idées . Autour de lui , simplement le blanc infini . Quelques bruits de pas , parfois .
Elle a les mains pleines de neige .

Salut à toi , habitant du XXIème siècle .


Qu'est-ce qu'il me reste à dire ?
J'ai seulement envie de me calmer .

Tout petit tu rêves de choses à faire
Tu dis que plus tard tu seras comme ça
Tu grandis sans t'en rendre compte
Les cours d'écoles , les amis ,
Un instant plus tard , te voilà déjà
Raisonnable ,
Avec des idées bien précises
Sur ce que c'est la vie .

Je ne peux pas te dire grand chose
J'aurais bien aimé , si je pouvais
Mais j'ai trop mangé de silence
Il prend toute la place
Dans ma gorge , il s'élance
Et si je te parle , tu verras
Bien vite que je n'y crois pas .

Mais ça n'a pas de valeur après tout .
Tu n'as pas oublié , hein ?
Ce qui compte , c'est de mourir debout
Laisser derrière toi le plus gros butin .
Mais la grimace , lorsque le miroir te voir
De l'autre côté , ils se foutent de toi
Et dans ta salle de bain , tu les vois
Te voilà de sale humeur , jusqu'au soir

Je voudrais bien t'aider ,
Je pourrais aussi t'embrasser
Te tirer les cheveux ,
Ou alors te regarder te réveiller
Les yeux en larmes , chaque matin
Pour que tu te regardes
Pour que tu réagisses enfin
Mais traîner dans tes pattes
Te parler de ça chaque matin
C'est pas comme ça qu'on s'éclate
Chez les gens civilisés .

Alors ne pleures pas , retiens toi
Moi je suis folle , alors j'ai le droit
Un jour , lorsque tu t'éteindras
Je te sourirai enfin, de l'Enfer
Tu sauras m'y retrouver
T'as déjà assez de repères
En attendant , laisse-moi te parler
Même si tu ne m'écoutes guère .

Tu vois je préfère rire de moi
Pleurer , ça va cinq minutes
Lorsque je tombe à genoux
Je ferme les yeux , j'écoute
Ce qui se passe autour
La jungle , c'est pour toi
L'argent , la réussite
La jalousie bien cachée
Tu la digères mal
Pas la peine de nier .
Où même la violence
Pour bien éduquer tes gosses
Excuse-moi mais ..
Moi j'écoute tout ça
Sans en avoir l'air
Et je me dis seulement
Que tu es tombé bien bas
Je préfère rire de moi
Quitte à tout foutre en l'air .


Elle se lève péniblement , sans pleurer . Elle reprend son sac , et elle s'en va .
Le monde peut tourner en rond , elle ne veut plus se cacher .
Partie 5

-"Mes parents n'entendent pas la douceur de son langage .."-

Krina semblait avoir raison

R. :


Oh , si tout mon corps ne devait être que célébration
Que ce soit aujourd'hui , certainement , et pas un autre jour
Jour pour embrasser tout , et dès l'aurore , battre les pavillons
Lancer aux cieux sur nos navires des "jamais" et des "toujours" !

Voir disparaitre le ciel d'orage , le voir s'évanouir comme les langueurs passées qui ratissent nos journées mornes , morts-nées , mornes et désastreuses pour notre joie .

Ces doux mots me rappellent ce temps où , jeune homme vert et soucieux , j'arpentais sur un cheval qui avait toute mon affection les vertes et tendres plaines de mon pays natal , cherchant sans vraiment y croire un signe des étoiles , un murmure de la forêt . Je revois mes premières escapades amoureuses , lançant nos montures au triple galop à travers les landes infinies , sous un soleil intolérable , irréel à force de lumière , je revois les longs rubans à tes cheveux se perdre en cascades et voler volûptueusement , cheveux qui ondoyaient et semblaient couler sur tes épaules dénudées ... Que de souvenirs aujourd'hui , alors que je pensé être né pour mourir cynique , oublié et sombre il y a peu encore !

Je ne sais pas si c'est l'amour que je dois fêter et honorer . Et l'amour de qui serait-ce , car il est en moi en mes veines , il est à tous , merveilleuse aubaine , de rendre à l'existence ce qu'elle m'a offert en me fourrant dans le ventre de cette mère que j'ai tant de fois maudite .

Frêle barque , sur un océan empourpré , n'oublie pas qu'il est ton maître , et que devant lui , la colère ne fera que précipiter ta chute , je te conseille , amie , d'aimer ton périple et d'y brûler toute ta ferveur , l'océan , content , te sourire et bercera tes nuits de repos .

Qui oserais-je blâmer pour des années de souffrance , pour des nuits d'errance , de débauche , de violence . Je me rappelle cette nuit , dans les rues de Tolsbra , où par haine j'ai provoqué les plus épaisses brutes du port , espérant secrètement que l'une d'elles allait me passer au fil de son épée , ainsi je n'aurais pas la culpabilité d'avoir attenté à ma vie , j'aurais été martyr et ma mort aurait été vengé , saluée . Au lieu d'y trouver le trépas , je me rappelle des coups . Je revois mon sang couler et fâcher le pavé qui ne voulait pas de telle souillure , je revois mon corps se tordant , au sol , regrettant tout , de la naissance à la folie , je revois mon visage écrasé contre un mur , au milieu des coups et des souillures , et le réveil dans un lit blanc , épais comme ma tristesse , veillé par un ange , qui avait redonné forme à mon corps balafré . Je m'étais secrètement lié d'amour avec la vie dès ce jour et chaque fois que je voulais renier ce serment , je sentais qu'au fond de moi il se faisait impérieux et , lorsque je voulais me détruire , au fond , lui , voulait chercher au fond , près de la lisière que garde jalousement la mort , caressant tous les cerbères possibles et imaginables , la racine du mal pour ensuite l'extraîre , la jeter en l'air , la piétiner de rage puis sourire au ciel , d'un air entendu .

Aujourd'hui j'ai longuement marché dans la campagne , communiant en silence avec les mûres des chemins , la vie qui s'élance jusqu'au ciel , puis ce fut le début de ma révélation . Que de fois dans mes écrits nocturnes où dans ces contes que nous faisions , lassé de la vie urbaine , nous évoquions les "herbes folles" . La vue de ces champs laissés à la natures et tellement fervents est si plaisante, qu'un être humain passant à proximité , s'il tend l'oreille aux tressaillements de la vie , ne peut s'empêcher d'avoir de grandes pensées métaphysique , puis de les jeter par dessus son épaule , avec un sourire de contentement . Ainsi , Krina , en me dirigeant vers l'intérieur , m'avait appris que les grands mots contiennent la vérité , mais qu'il faut la force de la ferveur et de l'espoir pour briser cette coquille et goûter enfin à leur lait sucré . Me voilà à célébrer la seconde qui passe et de couver de bienveillance celle qui s'apprête à venir , sans savoir si oui ou non elle servira mes desseins .

Mais vite , à présent , mon bâton ! Quelle folie ai-je fait !
Il faut que je retrouve mon amie . K. , dis-moi , où es-tu ?!

"Vents , amis , guidez-moi, si la vie n'est qu'un passage
Aidez-moi à voler de ces ailes empruntées
Je dois te retrouver et ensemble , enfants si peu sages
Nous irons marcher encore , et nous tendrons nos mains
Sous une fontaine de joie , et l'eau , coulera
Elle glissera , sur nos doigts et nos lèvres
Et s'en ira , ne laissant à nos lèvres qu'un sourire épanoui
En attendant , s'il faut prendre les armes , mon amie
Que les nuages qui te guettent me redoute également
Je me languis de toi et de notre quête
Que ne nous reste-t-il pas à connaître !
Que les serpents tremblent , en avant !
Je cours pour te rejoindre , dès à présent !"

Merci infiniment Sir Frolo Xeres . Vous avez toute ma gratitude .

Partie 6

-Un feu d’artifices-

Le Narrateur :


Je retrouve péniblement leurs traces .
Ce n’est pas tous les jours faciles de tenir la piste de deux cœurs orageux , lancés en pleine liberté dans notre monde . Dans notre double-monde , car il existe bel et bien deux réalités . L’un d’elles , organisée , laquée , plaquée , affichant un sourire mesuré et une folie cadrée . L’autre , dévastée et sans espoir , criblée par sa propre haine . Ces loups sont reconnaissable à une chose , on ne peut pas les apprivoiser . Et de nos jours , les connexions entre ces deux mondes sont de plus en plus fines .

Il y a quelques jours , j’ai appris les récentes retrouvailles de nos deux amis , et c’est donc avec impatience que je me suis rendu à Tolstran , en quêtes d’informations supplémentaires , gageant que leur passage avait du laisser des traces dans cette petite bourgade , engoncée entre les collines qui parsèment cette région, écrasée par le soleil et par l’odeur incomparable de la lande embrasée . Je marchai dans les rues comme un fantôme , lorsque je vis un groupe de jeunes gens , accompagnés parfois de leurs parents , de leurs frères , de leurs amis , amants et amantes , sous l’ombre des arbres qui s’étendaient , au milieu de cette place de village , offrant grâce à leurs larges feuilles une fraîcheur confortable et douillette . Ils regardaient tous dans la même direction , un peu en hauteur , vers les hautes montagnes que dévorait le ciel bleu . Tellement bleu et immaculé que les mots ne peuvent pas le décrire . Bleu comme une robe de princesse qui tourne et virevolte et brûle dans l’éclat du bal . Une explosion azurée de ciel . Certains se tenaient par la main , d’autres par la taille ou par les épaules , j’ai souvenance de cette bande de quarantenaires bon vivants , humbles mais arborant un beau sourire , en short et en tongs , si si (qui a dit qu’il fallait , pour la quête du bonheur , porter une armure) , se tenant par les épaules , semblant se soutenir , lançant des regards au ciel , mêlés d’amour et de défi , couvant parfois du regard , pendant quelques instants , leurs familles assises non loin de là . Où encore de ce petit garçon d’une dizaine d’années qui demandait à une vieille dame toute vêtue de blanc , visiblement sa grand mère , ce qu’ils faisaient tous ici à regarde en l’air . Elle lui répondit avec un sourire entendu , lançant son regard vieilli vers le ciel qui lui répondit en fortifiant sa voix qu’ils « contemplaient » , puis , ébouriffant les cheveux du marmot , elle lui conseilla d’aller jouer avec une bande d’enfant qui arrivait juste et venait se joindre au rassemblement .

Assez rapidement , je compris que mes deux diables devaient y être pour quelque chose . J’abordai le premier membre de cette étrange procession , et lui demanda en hâte :

«-Que faîtes vous ?
-Nous regardons le ciel
-J’avais remarqué .. mais , pourquoi ?
-Il y a quelque chose de beau dans l’air .. Nous le touchons , le sentons , l’entendons , c’est ce petit craquement de l’herbe lorsque l’on marche dessus , c’est aussi le sourire de nos fils ou les sourires qu’échangent tous les amants , qu’ils aient dix-huit ou quatre-vingt dix ans . Tous les jours nous nous retrouvons . Nous écoutons , regardons , sentons , puis nous allons choisir une direction . Puis nous marcherons . C’est , nous pensons , la meilleure chose à faire .
-Et depuis combien de temps êtes-vous là ?
-Bientôt un mois . Notre ferveur tient et ne faiblit pas . Même si elle devait flancher , ça serait un signe supplémentaire . Nous sommes partis pour nous arrêter partout et nulle part . Sans idée de l’arrivée mais avec la ferme intention de frapper le sol . Vous vous demandez sans doute ce qu’il s’est passé et je vois en vos yeux briller la curiosité et un curieux pressentiment . Voyez-vous , un mois plus tôt , justement , est arrivée en ville une fille bien étrange que nous avons tout d’abord traité comme une vagabonde , sans violence car nous sommes des gens plutôt hospitaliers , mais , je dois bien l’avouer , avec un certain dédain . Néanmoins , nous ne pouvions pas la laisser dehors , car son corps était secoué par un choc étrange et tout en elle semblé désordonné et livré au chaos . Sur ses bras d’ailleurs on pouvait voir d’étranges et affreuses cicatrices . Elle fut donc logée dans une de nos familles . Et ce furent les Lilea , d’honnêtes marchants qui prirent en charge pour quelques temps la jeune femme . Malheureusement , ces gens à la réputation pourtant dorée ont le malheur d’avoir une vie familiale mouvementée et remplie de cahots , de non-dits et de mensonges . Tout le monde le savait , mais il était très difficile de se prononcer sur ce sujet . Aussi , même si Tolstran est une ville qui , comme toutes les villes de campagnes , marchent sur le principe des petits racontars entre voisins et voisines , nous préférions ne pas aborder le sujet . »

Je remarquai que l’homme parlait en des mots qui n’étaient pas pour le flatter . Pourtant , sa confiance ne faiblissait pas . Tout en lui irradiait une sorte d’aura presque tangible , et je restai frappé quelques instants en constant qu’il en allait de même pour chacune des personnes ainsi réunies sur cette place douce et ombragée . Il poursuivit .

« Ainsi , le fils Lilea n’adresse plus un mot à ses parents depuis des mois , ils vivent dans un demi-silence oppressant ponctué seulement par les crises de nerfs et de violence du fils , Taro , qui part alors dans la campagne environnante , arracher à la terre tout ce qu’il peut trouver , frapper les murs et parfois hurler au ciel des phrases dans une langue impossible à identifier . Son père est un homme fier mais qui s’enlise chaque jour dans une attitude inamovible et anachronique tandis que sa mère , une femme très pieuse, se confond en pleurs et en prières , sans pouvoir toujours retenir le flux de colère qui parcourt cette maison maudite et devient parfois assez puissant pour briser les barrières qu’elle érige . Alors elle se mure et n’adresse plus que des reproches , les rares fois où elle parle . Dans cette famille , vivait également une jeune fille du nom de Kairo , qui fuyait chaque jour un peu plus ces sombres et mornes journées de silence . Elle passait ses journées dans les ruelles de la ville en côtoyant des gens assez étrange qui peuplent les arrières-rues de Tolstran , magiciens , paraît-il .. Sorciers , peut-être . Ils se font appeler les Silencieux , pourtant leur attitude débauchée était bien connue de tous (d’ailleurs , ils semblent plus ouverts en ce moment , certains d’entre eux viennent et se joignent à notre quête , tout en gardant leurs différences , si vous patientez un peu , vous les verrez arriver dès que le soleil aura quelque peu décliné .. ils ne sont pas encore assez habitués à la lumière ..) , et , petit à petit , Kairo avait fini par devenir une vraie furie . En ceci , elle ressemblait de manière amusante à la jeune fille qui allait élire domicile dans cette maison de fous . Kairo s’habillait toujours en noir , avec une longue robe sombre comme l’ébène , même au cours des étés les plus chauds et pouvait passer en quelques secondes du recueillement le plus mystique à des rages folles et incontrôlables qui se terminaient implacablement en larmes , les siennes et celles de ceux qu’elle aime malgré son tempérament enflammé .

La jeune Khirâ était donc tombée à l’endroit le moins adapté à son instabilité notoire . Au bout de quelques jours , elle éclata . Je m’en rappelle . Ce jour là , Kairo , qu’elle avait fini par aimer malgré son mauvais caractère n’était pas rentrée la veille et avait dormi dans les rues de Tolstran . Après les prises de bec rituelles , emportée par cette affection qu’elle même refusait de voir , Khirâ gifla la jeune fille qui le lui rendit avec force crachats et haine . Par la suite , croisant Taro , sans même lui adresser une parole , elle l’empoigna et le plaqua contre le mur de sa chambre . Puis , fermant la porte , elle s’élança vers lui et le saisit à la gorge lui criant de prendre soin de sa sœur et de toute sa famille . En retour , elle ne reçut que les larmes du jeune garçon , qui avoua ainsi son incapacité à donner ce qu’il gardait en lui . Elle comprit alors que la violence était facile , mais que la parole sage demandait autrement plus d’efforts et de courage . Elle le réconforta avec tendresse , prit les deux enfants par la main avec une vigueur incroyable , puis sortit de la pièce et de la maison des Lilea avec la vivacité du démon , passant à sa ceinture , au passage , le bâton de marche qui l’avait tant de fois soutenue , alors qu’elle parcourait les chemins du doute .

Rendue dans la rue , toujours traînant derrière elle les deux enfants à présent bien silencieux , elle courut ici , où nous tenons en ce moment . Puis , enflammant son bâton , elle mit le feu à une des vieilles carrioles qui stationnait sur la place . Au bout de quelques minutes , les flammes étaient devenues immense et dévoraient le bois avec une voracité effrayantes et , déjà , les habitants du village affluaient par dizaines , puis par centaines . Elle sema le feu à quelques autres endroits , puis toute l’assistance , à présent rassemblée retint son souffle lorsqu’elle sauta au milieu des flammes , sur les cendres de la carriole , entourée par des flammes qui semblaient vouloir attraper ses jambes et l’avaler toute entière . Puis , brandissant la longue branche noueuse qu’elle avait passé à sa ceinture , elle invita la population ainsi rassemblée à l’écouter . Au milieu des flammes , elle criait d’une voix tremblante . Taro et Kairo étaient à la lisière des flammes , silencieux .

« Vous ne voyez donc pas que nous nous condamnons chaque jours !
Il n’y a plus que l’amour qui puisse nous sauver !
Il n’y a plus que ça . Sans amour nous mourrons !
Regardez !
Il n’y a plus que l’amour qui puisse encore nous sauver !»

Elle répéta cette dernière phrase une dizaine de fois avant de s’arrêter , subjuguée . Au milieu de la foule , un des Silencieux avait retiré la longue capuche noire qui voile d’habitude le visage de ces singuliers personnages et les traits de ce visage , ou peut-être l’éclat de ces yeux , à la fois insoutenable et fragile , la plongea dans une profonde méditation , puis elle explosa à la lueur des flammes , descendit de son piédestal et courut à travers la foule . Le jeune homme en fit de même . Au milieu de cette place , ils se retrouvèrent et s’étreignirent comme de vieux amis qui se retrouvent , après des années d’absence . On apprit ensuite que ce jeune homme n’étais pas l’un des Silencieux , mais qu’il se prénommait Rainn et que , malgré leurs apparentes différences , ces deux personnages étranges se connaissaient bien .

L’épisode était clos . Mais pourtant , choqués , moins par la singularité de la scène que par l’orage qui soufflait à présent dans leurs têtes , l’orage de réflexions et de doutes , les habitants de ce beau village restèrent prostrés un moment et ce fut au tour de Khirâ de s’en étonner . Puis , Taro et Kairo s’écrièrent en chœur : « Il n’y a plus que l’amour pour nous sauver ! » et s’élancèrent vers les deux personnages qui avaient bouleversé l’histoire paisible de notre bourgade . Tout le monde en fit autant , célébrant le doute et l’espoir qui semblaient briser des chaînes confortables , dont , à présent , ils ne voulaient plus Khirâ et Rainn parlèrent alors du soleil , de la foi , du désespoir et de l’once de beauté que l’on trouve dans chaque émotion à condition de la teinter d’amour . Du libre-arbitre et de la différence . Rien ne changea vraiment dans la famille Lilea , mais les cœurs sont en ébullition , tout se bouscule depuis , dans l’esprit de chacun , et , élancés dans le même mouvement , la violence du réveil passée , nous nous retrouvons ici . Khirâ et Rainn sont partis depuis longtemps , et d’un côté c’est une bonne chose car nous n’avons pas besoin de guides mais de liberté et d’amour . Voulez-vous vous joindre à nous , ce soir ? »

J’acceptai avec enthousiasme . Le ciel me regardait . Mes deux diables avançaient vite et bien , il étaient content .
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Partie 7 :

-Tout m'afflige et me nuit et conspire à me nuire (Phèdre)-

Le Narrateur :

Tout s'accélère ... j'ai trouvé récemment ces inscriptions sur le mur d'une grotte près de Girènes. A mes pieds il y avait une flaque de sang ... Je dois me hâter :


Partout . Je l'ai entendue , partout . Cette rumeur . Dans tous les villages elle court . C'est affreux . Ils le disent tous , avec des voix tordues "Elle est morte , elle est morte !".
Certains s'en réjouissent , d'autres , non . Moi j'ai envie de cracher par terre , de cracher mon coeur par terre , de l'arracher d'une main et de le jeter au loin , dans une rivière , dans un feu , loin . Loin . Je n 'en peux plus , je pouvais vivre et endurer cent morts lorsque tu étais là , mais maintenant que tous se demandent déjà comment ils vont t'enterrer lorsqu'ils retrouveront ton corps enseveli , je n'ai plus aucune force ni envie de rien . Même pas envie de me laisser mourir de faim . Je voudrais être au moins à ton chevet pour te veiller , pour tes dernières heures , te promettre que jamais tu n'as été folle, et que tout ce que tu as fait restera longtemps après toi . Mais tu es partie trop vite , comme une étoile filante , et moi , tu sais , ça m'a percé le ventre . Tout coule de moi , le sang , le courage . Je suis enfermé ici depuis quelques jours , depuis que tout le pays semble à feu et à sang . Je n'ai pas mangé , je crois , depuis longtemps . Tout aurait pu être fini mais il a fallu que je reste vivant pour voir la décrépitude nous prendre tous . Il parait que tu es morte écrasée par des rochers , après une chute d'une vingtaine de mètres . Des voleurs t'ont surpris alors que tu te promenais , ils ont voulu te détrousser , tu as refusé , tu t'es battue et puisqu'ils ne pouvaient passer leurs lames à travers ton corps ils t'ont poussé . Et moi j'attends maintenant que ton fantôme vienne me hanter . Ou de mourir moi même . Je suis malade . Tu n'es plus là , je ne te verrai plus jamais , c'est horrible à dire , comme phrase . Il fait noir , tout autour .. J'entends encore ces voix qui traînent ta mort dans la poussière à travers les villes , même à présent , elles se sont tues , mais je les entends encore , elles refusent de quitter mes oreilles et mes bras frappent les murs mais c'est peine perdue , elles parlent plus fort . J'aurais eu beaucoup de choses à te dire . J'aurais pu t'amener en Inde , tiens , comme on s'était promis , j'aurais pu parler de l'instant où la mort nous séparera avec une petite larme dans la voix et tu m'aurais dit que c'est pas près d'arriver . J'aurais ri un peu . Mais je ne peux plus que te dire me regrets . Et que cette terre soit maudite , je n'y veux plus rien y voir ni y faire . Tout m'est ennemi , et m'afflige . Sans toi il n'y a plus de lumière , moi-même je ne suis plus qu'un songe et m'estompe chaque seconde un peu plus .

Je t'en prie .. par la foi qui me lie à toi .. Aide-moi !
Je ne peux pas admettre que tu meures . Ciel , viens m'aider . Plus rien ne bouge ici , tout est mort . Au moins , ça me rapproche de toi ...

Ce n'est pas possible . Je suis malade à en mourir et je peste contre la vie qui s'attarde .

Reviens je te promets que j'arrêterai de te parler de l'avenir , je te promets que je quitterai mes airs hautains et que je te parlerai comme à une soeur , je deviendrai transparent et nous serons inséparables . Si c'est un bouquet de fleurs que tu veux je peux te le cueillir , la lande en est pleine en ce moment , tu verras , en plus elles sont magnifiquent , toutes me rappellent ton parfum ..

Que cette nuit te rende à moi où soit la dernière que je passerai . Je suis malade !
Partie 8 :

-Le temps a du temps-


Krina :

Quelle rumeur gronde et me parviens ?
Destinée , mon amie , je sais qu’en tes desseins
Tu prépares , pour nos amis
La plus belle des fins

Mais alors pourquoi tout ce sang
Pourquoi les nouvelles de la mort
De cette jeune fille , de cette enfant
Venue me visiter , pleine d’espérance alors .

Le ciel gronda , le ciel allait bientôt se déchirer en éclair . Krina comprit que la nature s’affolait , qu’une brindille s’était glissée dans la machine si bien huilée de la vie . Un vent de panique soufflait sur tous les esprits .

Krina :

Aurais-tu choisi d’abuser de tes dons
Et de mettre fin à leurs aventures
Le jeune garçon en ce moment même se morfond
Il veut mourir , chaque seconde lui est trop dure.

Le Ciel :

Tu doutes de moi , chère enfant ?

Krina :

Du tout ! Comment pourrais-je en faire autant ?
Mais l’inquiétude me prend , à la vue de tes yeux
Remplis de lourds nuages noirs , bientôt de larmes
Que t’arrives-t-il , verrons nous le jour , demain ?

Le Ciel :

Khirâ respire et son souffle sur mon visage
Est plus fort que la clameur de l’orage
Elle choisit en ce moment même son chemin
Revenir parmi les hommes ou retourner en mon sein .

Elle ne le sait pas , mais en ce moment
Entre la vie et trépas , elle se repose
Dans une cavité sous les roches d’Ercoz
Evanouie , alors que le temps prend les devants .

Krina :

Tu aurais pu prévenir son ami , ce jeune garçon .

Le Ciel :

Je n’ai pas pour vocation de jouer les messagers
S’il meurt , c’est qu’il ne pouvait pas supporter
Le poids de sa destinée .

Krina :

Tu es bien sévère , et je m’oppose à ta fierté .

Le Ciel :

Comment feras-tu donc , pour me défier ?
Tu ne peux pas , et même si tu y parvenais
La destinée est la plus forte ,
Comment pourrais-tu le nier ?

Krina :

Je peux toujours essayer .
Tu n’existes que parce que je l’ai décidé !
Et de ce que tu dis , j’ai appris à ne retenir que la moitié
Tu es bien mystérieux , et je dois à présent me hâter .

J’ai entendu parler il n’y a pas longtemps d’un jeune garçon , tout de bleu vêtu , arrivé en ville , il se prénomme Taro et prêche la paix à qui veut bien l’écouter . Je me dois de le retrouver . Il n’est plus temps d’attendre un signe du destin .

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Partie 9
-Un Conseil-

Le Narrateur

Après bien des heures oppressantes , le souffle court , je suis descendu ce matin du bus qui relie les quelques villages de cette région la plus au sud de notre pays . J’avais entendu dire que Taro s’était éloigné de son village depuis quelques semaines , au vent des récents événements , de la triste mort de son amie Khirâ et abattu par la fugue , il y a quelques jours , de sa sœur Kairo , visiblement partie vers le nord , vers la région d’Ercoz . Après avoir déambulé sans aucun but précis dans les rues de la ville d’Orin , j’ai fini par me sentir terriblement las de cette quête sans but , sans début ni fin , et c’est finalement dans le Grand Jardin de la ville , où Krina , Khirâ et Rainn s’étaient déjà auparavant entretenus , que j’ai trouvé un peu d’ombre et de paix . Mais mon repos fut court car quelques instants après m’être installé , allongé au milieu d’un carré d’herbe , je surpris une discussion étouffée , et je ne pus m’empêcher de reconnaître une des voix , si douce mais à présent hésitante , c’était celle de Krina , impossible d’en douter . J’écartai quelques fourrés et , m’installant légèrement à l’écart afin de ne pas être vu , j’ai pu saisir les dernières quelques minutes de leur conversation .

« Krina :

Nous nous sommes bien entendus . J’ai eu très peur au début . Mais c’est une bonne chose . Il faut que tu ailles secourir ceux sur qui nous veillons . Mais tâche de garder le silence et l’anonymat le plus longtemps possible . Nous ne sommes pas là pour nous produire , mais pour orchestrer . Pour prendre part à ce chemin , il n’est pas nécessaire d’être à l’avant de la scène , d’ailleurs , pour le coup , il s’agit plus d’une tragédie que d’une comédie . Il s’agit donc de faire attention et de ne pas précipiter nos amis dans la fosse qui s’étend devant eux.

Taro :

Tu en as de bonnes , tout de même .. Tu me parles par énigmes depuis quelques heures et j’ai peine à décrypter une seule de tes phrases .. En gros , tu me demandes d’aller sauver tout le monde sans me faire remarquer , non ? C’est très pratique .. En passant , tu ne voudrais pas non plus que je te ramène le prince charmant et toute sa compagnie ? Au point où j’en suis ..

Krina :

Je te demande seulement de les aiguiller , si la situation devient trop périlleuse . Ecoute , je n’ai plus le temps de te faire un dessin . Il faut que tu improvises , mon petit .

Taro :

Je veux bien , mais .. donne moi au moins une piste !

Krina :

D’accord .. je ne peux pas trop t’en dire , Ses yeux et Ses oreilles sont braquées sur moi , sont braquées sur moi et chaque mot que je prononce est un indice pour Elle . Mais je consens tout de même à t’éclairer .

Jusqu’à présent , nous avons beaucoup estimés , espéré , analysé , fait confiance au destin , laissant aux forces qui gouvernent la marche du monde le soin de poser les faits qu’il faut au moment qu’il faut . Mais en arrivons à un point tel que chaque jour nous perdons un peu plus le contrôle de ce qui agite en ce moment notre pays entier . Une affaires des Hommes qui en vient à ne plus dépendre d’eux . Nous nous sommes fourvoyés . Dans la vie , nous passons comme des courants d’air , le temps de nous retourner , le temps nous a déjà fané , et le temps que nous avons pour apprendre est bien court . Il faut néanmoins que tu te rappelles , pour la suite de ton aventure , que le monde ne te donnera pas les réponses . Il te donnera celles que tu veux entendre . Tu dois donc agir avec le plus de libre-arbitre possible . Ecoute tout et laisse toi le choix de choisir . Le jour où tu seras engoncé dans tes croyances strictement rigides , tu seras perdu car où moindre éboulement , ton monde sentira se dérober sous ses pieds le sol . N’oublie pas ce que je vais te dire à présent . Il te faudra deux choses importantes .

De la stratégie , et un instinct .

En quantités égales .
Parfois l’un dominant l’autre , mais seulement lorsque tu le jugeras nécessaire . Si tu ne jures que par l’instinct , tu te perdras et il faut parfois le courage de choisir des chemins de traverse pour arriver à son but .
Si tu oublies cet instinct , ton cœur deviendra froid et , à la fin de ta vie il ne sortira plus aucun son de ta poitrine . Tu regretteras cette vie froide , tu la taxeras de cynisme , et il ne te restera plus que des années de larmes pour te distraire de la mort .

Prend tes peurs et chemine avec elles . Elles t’oppressent mais font partie de toi . Regarde-les et connais-les , la connaissance de toi sera ton premier et principal allié . Mais encore une fois , n’en fais pas une doctrine , il te faudra parfois la folie d’aller contre ce que le bon sens te prescrit , il faudra , à l’occasion que tu dépasses des terreurs que tu pensais ancrées jusqu’à ton âme . Il n’est plus temps de reculer , à présent . C’est une belle phrase , et l’appliquer dans la réalité sera infiniment plus dur , autant te prévenir , mais il faudra pourtant que y parviennes . Parle à la nuit et au jour sur un ton égal , avec le même sourire , mais adapte-toi à eux . Il te faudra peut-être mentir , blasphémer , fuir . N’oublie pas ce que tu cherches et ce que tu veux . Connais-toi et tâche d’aimer ce qui te viendra . Dans ton sourire , tu portes déjà tout ce dont nous avons besoin . Il s’agit de marcher sur le fil et de ne pas tomber . J’ai confiance en toi . Et tu reviendras me voir , nous parlerons de cet épisode comme s’il s’était agi d’un rêve . Maintenant , vas-t-en , et je t’en prie reviens moi bien vivant . En attendant , Taro , oublie-moi et ne pense plus qu’à ton chemin .

Taro :

J’ai l’impression que tu me mets le monde sur les épaules , mais soit . Quitte à être fous , autant l’être complètement . A bientôt j’espère , Krina . Que le ciel veille sur toi .

Krina : Non , à présent , nous seuls sommes nos propres gardiens . Le ciel n’a rien à voir .
Mais puisses-tu dire vrai , et , je l’espère , à bientôt !

Puis Taro se leva et s’en fut .

Pour ma part , je restai quelques instants , sonné par les mots que je venais d’entendre . Krina tourna doucement la tête et me fixe avec une intensité quasiment mystique . Elle savait que j’étais là ! Mais sa réaction acheva de me perdre : elle me sourit avant de se lever à son tour . Je sentais d’ici la chaleur de sa respiration . Elle me fit un signe de main et s’en alla retourner à sa contemplation des fleurs du jardin d’Orin . Je la suivis quelques instants sans la retrouver , puis je me remis en route , décidé à connaître le dernier mot de cette histoire .
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Partie 9

-Puis elle sourit-


Ses yeux captaient la réalité avec une attention toute particulière.
Elle était assise, repliée contre une longue paroi rocheuse qui encerclait la grande cave , et à peine quelques rayons de soleil venaient glisser sur son visage , le réchauffer un peu , rendre une touche de rose à ses joues fatiguées , maigries , mais .. fatiguées surtout .

Ses yeux captaient la réalité avec une distance toute particulière . Elle percevait le monde d'une manière nouvelle . Elle voyait la grande caverne qui retenait ses soupirs de milles façons . Parfois , lorsqu'au matin elle apercevait quelques rayons dorés venir à elle , elle s'imaginait l'endroit comme une vaste scène de théâtre , tentures et artifices en moins , et elle s'avançait dans la lumière en quête d'une réponse .
D'autres fois , le soir venu , elle prenait peur devant les reflets bleutés que prenaient les roches , des reflets qui glacent le sang et qui donnent à l'univers entier des notes mordantes de froid et de solitude . Un bleu de tristesse et de solitude .
Elle s'immergeait totalement dans chacune de ses dimensions . Ici elle réalisa que chacun perçoit son propre monde d'une seule de ses façons , puis s'y accroche et parfois pense qu'il s'agit de la seule manière de bien voir les choses . Mais pendant ces quelques jours , elle était tantôt une petite fille repliée dans sa candeur , tantôt grattant le sol rocailleux nerveusement , tantôt jouant avec ses cheveux , tantôt paisible et calme , puis en quelques minutes , elle devenait une harpie colérique , cynique et vieillie . Puis elle s'allongeait , et respirait très fort pour que son souffle se répercute à l'infini sur les murs et lui rappelle encore qu'elle vivait .

Ses yeux captaient la réalité , et elle les regardait faire . Elle pensait à ce qu'elle voulait devenir , à ce qu'elle avait été , mesurant chacun de ses choix , passant en revue ses convictions . Elle était persuadée de ce qu'elle voulait mais devant ses métamorphoses successives , elle ne pouvait plus affirmer qu'il s'agissait d'une bonne chose . Au bout de quelques jours , il ne lui restait plus , comme étendard , que celui de l'amour , de l'humour et du grain de folie qui sauve parfois d'une noyade le plus fatigué des naufragés . Il lui restait des mains à tendre vers la lumière qui pleuvait sur elle , il lui restait une voix pour la briser contre les roches , elle respirait et chaque fois que l'air entrait dans ses poumons , il empourprait ses joues . Toute incertaine , elle avait envie de sortir à présent , de revoir le soleil , de revoir des êtres , même imparfaits . Elle ne voulait surtout pas crier à la révélation car une fois dehors , elle savait que le chaos l'attendrait , drapé de toutes les incertitudes du monde . Elle avait simplement la volonté désordonnée de vivre à nouveau .

Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle allait devenir , mais elle avait envie de faire de son mieux . Elle voulait réentendre les airs qu'elle aimait puis en découvrir d'autre , apprendre à marcher à un enfant , se lever tôt lorsque le ciel rougit à peine , s'endormir dans un lit plein de douceur et sentir la chaleur des draps neufs . Oublier ce qui fait mal . Elle avait un peu peur .. de la solitude , mais le jeu en valait peut-être la chandelle . Et puis on ne brûle qu'une fois .

"Des îles maudites jusqu'à l'Ecosse" , ils entendirent tous cette jeune fille perdue dans sa folie , mais qui voulait vivre sa vie , si dérisoire fut-elle .

Ce jour-là , Khirâ retourna à la vie , et les yeux ouverts , assise , elle adressa au ciel le plus chaleureux des "merci" .
Et celui-ci , s'ouvrit .
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Partie 10 :

-La vérité sur les Silencieux-


"
J'ai vu , dehors .
J'ai vu , oui . Je me tenais debout , devant la lumière , et j'attendais qu'elle me parle . Puis elle m'a parlé . Je regardais au loin , les arbres et les dernières fleurs qui s'y balançaient encore , et elles m'ont parlé . Elles se balançaient toutes en cadence , aucune n'allait plus vite , ni plus lentement que l'autre . Ca a été le début , le premier signe . Une telle orchestration se produit partout , mais ici et maintenant , il fallait que ce soit un signe . J'ai regardé le soleil , avec insistance , puis lui aussi m'a parlé , il a brûlé ma vue et tout ce que j'ai vu ensuite , les herbes , les jardins , les maisons , étaient brûlés par le soleil incrusté dans ma vue . J'ai eu très peur de ce spectacle mystique , mon coeur s'est mis à battre , il battait à tout rompre . J'ai eu peux qu'il explose , alors je suis rentré . Dehors , il n'y avait plus que le vert pâle de la nature qui crie qu'elle ne veut pas mourir . Personne ne l'entend et de toutes manières , personne ne peut l'aider . Je l'entends crier à travers moi , et je dis que je ne veux pas mourir . Elle a tout aussi peur que nous . C'est peut-être pour ça qu'elle nous crée , parce qu'elle ne veut pas mourir et que nous , peut-être que nous sommes les seuls à pouvoir l'entendre . Elle m'a parlé avec un singulier empressement dans la voix . Peut-être qu'elle n'avait parlé à personne depuis longtemps . Même à l'intérieur , j'ai continuer à flotter dans une sorte de nuage de soie . Froid mais doux . J'étais le silence entre les mots , les soupirs entre les lignes . L'ennui du poète , la ferveur du prêtre , la démence de l'assassin . Autour de moi , c'était une large pièce , révélée à mes yeux blancs , brûlés , révulsés , par une tendre et suave lumière , tamisée , caressante . Elle était rouge , et filtrait à travers de longs rideaux . La poussière semblait pailleter pour rendre parfaite cette oeuvre . De nombreux meubles , je les aurais voulu plus vieux . Puis j'ai beaucoup parlé . Et les mots arrivaient dans ma gorge , puis sortaient par ma bouche sans que je m'en aperçoive . Je voyais encore les feuilles se balancer , l'herbe crier qu'elle ne voulait pas mourir , un long et triste gémissement qui se mêlait au vent , fauché en plein élan , emmené plus loin . J'étais un homme éternel car j'avais parlé au vent et le vent m'avait entendu . Il ne m'avait pas répondu . Quiconque parle au vent se grave dans la mémoire du temps et n'est plus jamais oublié . Il restera dans ses yeux le reflet silencieux des millions de voix qui se sont croisées en lui , alors qu'il était ouvert au monde .
Il est éternel , et cela ne veut pas dire qu'il ne mourra pas .
Mais qu'il n'en a plus peur . Essayez de tuer quelqu'un qui n'a pas peur de la mort . Vous n'y arriverez pas .
Alors nous écoutons et nous marchons . Nous ne sommes pas des produits d'une quelconque imagination et chacun de nous est différent de l'image que l'on pourrait se faire de nous communauté . Nous ne sommes pas tous les mêmes , mais tout le temps nous rapproche la voix qui nous rappelle vers son sein . L'Océan Primordial ainsi appelle car nous voulions l'appeler ainsi .
Tous issus de lui , nous y retournerons . Ce n'est pas une fatalité , mais la plus grande oeuvre du monde . Considérant qu'à travers nous s'agitent les voix qui ont peuplé le monde depuis des millions d'années , considérant que nous portons sa joie et sa souffrance , sa soif de délivrance , sa cruauté et sa clémence , considérant que nous vibrons et pleurons comme des enfants , et que nous pouvons aussi bâtir des cathédrales , considérant que nous pouvons avancer tout en sachant que nous ne sommes rien et que nous pouvons tendre vers le ciel à la seule condition d'imaginer dans le ciel quelques bras grands ouverts pour nous accueillir et nous réchauffer , considérant tout cela , nous ne pouvons pas ne pas être heureux .
"


Manifeste des "Silencieux".
Ramassé par Taro un jour pluvieux , dans les campagnes de Junistra .
L'histoire suit son cours et je brûle d'être là pour le dénouement de cette aventure .
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Partie 11 :

-Electricités-


Gorges d’Ercoz , quelques jours plus tard .

Le Narrateur :

Ce décor ressemble à l’idée que l’on se fait de la surface lunaire . Austère et inhospitalier . Semé de cratères profonds comme l’oublie et de pics impossibles à franchir , on ne s’y aventure guère que muni de solides cordages et d’une témérité frisant la folie . Néanmoins , une fois les premières difficultés franchies , on arrive au pic de Tera , qui surplombe la plaine , et offre un panorama merveilleux à qui sait apprécier ces curiosités de la nature .
Ce jour là , j’arrivai au pic de Tera , toujours sur la piste incertaine qui allait , je l’espérais , aboutir quelque part avant que mes nerfs ne cèdent .
Il faisait très beau ce jour là , un soleil de plomb . Quelques familles , logées dans de petites maisons abritées à l’ombre des caves de Tera , prenaient le soleil , au milieu des jeux de leurs quelques enfants , dans une ombre diffuse que les protégeait assez bien de la morsure du soleil . Il faisait bon dans ces alcôves rocheuses et les sourires qu’arboraient les enfants qui se baignaient reflétaient la douceur de la vie ici .

J’avais senti quelque chose d’anormal , en m’aventurant à travers les gorges , et , suivant le cours du ruisseau qui passe non sans mal à travers les principales artères du secteur , je sentais que l’air se rafraîchissait .

Au loin , je vis un homme , assis , sur le bord d’un pic qui surplombait la mer . L’eau furieuse venait ébranler les pieds d’argile de la falaise . Sans même m’approcher , je savais déjà de qui il s’agissait . Prostré , les mains posées avec lassitude sur ses jambes perchées au dessus du vide . Un seul jour avait suffit à renverser son existence d’extrêmes contrôlés . Car voilà le secret. On peut tout aimer du bonheur et du malheur , tant que le contrôle est dans nos mains . Dans les siennes , on ne voyait plus que l’enlacement des regrets , des remords , et des piques de rage lancés au destin qui , lui , avait bien autre chose à faire , avec une planète entière à faire tourner . L’enfant peut bien crier au plafond , le plafond ne lui répondra pas .

Et il psalmodiait , son corps entier entrant dans une oscillation qui me fit douter encore , l’espace d’un instant , de son intégrité mentale .

« Que ne t’ai-je encore pas reproché ! Nous avons tout fait , nous avons détruit la terre , puis , considérant que ce n’était certes pas assez pour notre appétit destructeur , nous avons érigé de hautes murailles entre nous et les autres , ainsi nous avons pu les égorger avec la conscience débarbouillée , les violer , les frapper , les réduire au silence , au néant , ou pire , les enfermer , les rendre prisonniers de leurs corps pour des vies et des vies . Je voudrais tuer les gens que j’aime pour leur éviter de vivre dans ce monde que je connais trop bien . Mais comme il n’y a pas d’ « après » , jamais ils ne pourraient comprendre . Puis nous avons même enfermé en nous la partie sentimentale , car « ça ne se fait pas » , laissant l’amour , au sens large du terme , doux , blanc et solitaire comme un champ de cotons jamais récolté . D’ailleurs , parlons-en des champs de coton , encore un brillant exemple de la haine crasse qui colle à nos os , à notre peau , suinte dans nos paroles et huile en nous le mécanisme inaltérable du vice . De notre pauvre et dérisoire vice , regardé de haut par des anges malsains qui rient en étalant sur leurs tables de banquet grasses le vin dont ils abreuvent leurs lèvres sales . Dans ce manège sans fin , que puis-je faire de bon ? Chercher la vie pour moi , la donner aux autres ? Que puis-je faire , quelle est la délimitation entre s’offrir aux autres et vivre par eux , et vivre loin de toute empathie . Car vous tu ne les vois peut-être pas , ô Ciel racorni , fatigué par tout ton poids , que tu traînes avec peine le long de l’univers , mais dans tes villes ,des métropoles aux cités et des cités aux villages , beaucoup d’eux vivent avec une force de caractère inouïe , mais sans la moindre sympathie pour leurs semblables . L’Homme sans miséricorde se profile , et paraît le seul adapté à la vie en société , et j’ai peur que jamais ils ne comprennent leur erreur . J’ai peur même qu’ils aient raison ! Et dans ce cas, misérable que je serai à avoir cherché , vivant parmi les larves et les hyènes , j’aurais voulu les couvrir de soie et n’aurait reçu de leur part que crachats et ignominies . Voilà bien l’ironie . Me voilà , mirobolant d’égotisme, devant toi , ô Ciel , moi qui voulait offrir ma vie et mon corps à l’amour de tes enfants pour qu’il donne un sens à ma vie et qui ne voulait plus qu’être utile à tes desseins , finalement , peut-être que je te servirais mieux avachi dans un canapé , meuglant et bramant des monstruosités sans issues devant une télé imbécile , méprisant mes semblables avec la force qu’ont ceux qui jugent . Les juges et leurs marteaux tout puissants qui martèlent la terre . Ceux-là ont un grand sourire et me regardent de haut , lorsque je me prétend rêveur . Alors je ne suis plus rien , et humble , près de la mer et des gorges qui ont englouti ma seule alliée , que dois-je faire ? Le mépris de ce qui est doux et calme , est-ce pour ça que tu nous a élevé . Ou plutôt , serait-il possible qu’un masque soit tombé sur mes yeux , et que je ne vois pas que le chemin que je prend n’est pas bon ? Peut-être qu’il faut ne pas être trop faible pour aimer . Je te maudis , ciel , jusqu’à la fin de mon temps , de mon époque , de mon ère , je garderai envers toi cette rancœur invisible et distillerai mon venin pour te brûler encore . Tu aurais du me tuer pendant que tu le pouvais . Regarde ces chiens qui sont mes frères . Regarde-les sourire , du hauts de leurs tours , regarde-les se plaindre alors qu’ils ont tout . Regarde-moi , les comprendre et me mettre à les plaindre aussi , et plaindre également ceux qui n’ont rien . Regarde cette force qui traverse le monde et qui m’utilise pour marche-pied ! Regarde la peur des êtres humains et leur lâcheté .
Tu me comprends à présent ? Non sans doute . Eh bien qu’il en soit ainsi ! »

A cet instant , la respiration nouvelle de Khirâ s’échappa de son corps en un souffle immense qui se répercuta à l’infini contre les parois d’Ercoz , et entra dans le corps de Rainn . Il la ressentit comme l’on ressent les vibration d’une cloche . Rien ne pouvait lui indiquer de quoi il s’agissait , mais il se redressa , rassembla à la hâte les quelques affaires qu’il avait déposé là , et , sous un ciel d’orage , lourd , qui faisait prendre à la mer des airs de vieille veuve fatiguée , habillée de bleu et de noir ,Sous le regard des quelques rares oiseaux qui regagnaient leurs abris , il se mit à courir , alors que le premier éclair s’élançait dans le ciel , tranchant l’azur dilué d’un coup de griffe électrique , oubliant d’un coup le ciel , ses frères et la misère humaine .
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Partie 12 :

-La merveilleuse vérité (où rien ne se passe)-

Krina :



Rainn . Khirâ . Et vous autres , que j'aime comme mes frères , écoutez moi . Vous voilà disseminés à travers ce monde hostile pour vos esprits fragiles . La force est à l'intérieur et la beauté alentoure . Ecoutez ceci .


Me voilà sur les quais d’Orin qui ont déjà vu naître tant et tant d’aventures , puis ses mêmes aventures courir comme des rumeurs de guerre sur les quais , jadis vivants , aujourd’hui délaissés , qui voyaient ensuite revenir ceux qui avaient « vaincu » la mer , les bras pleins de découvertes qui allaient émerveiller notre continent pour les siècles à venir et les lèvres , les lèvres chargées d’histoires . Seuls , en leur cœur , ils gardaient leurs secrets qu’ils ne diraient qu’à demi-mot . Je viens ici tous les matins , lorsque je me réveille .

Ce n’est pas très compliqué , il me suffit de traverser le boulevard , souvent désert à 8 heures , de couper par les petites rues (d’ailleurs , ce sont souvent celles-là les plus belles , au 6 rue de l’Orient , une vieille dame solitaire fait pousser dans des pots de terre des fleurs introuvables ailleurs , elles sont jaunes et bleues , et ces deux couleurs semblent s’embrasser et afficher leur amour en une grande frise multicolore qui se poursuit de pétale en pétale. Elle s’en occupe tous les matins , amoureusement) , de s’arrêter un instant , devant les devantures de magasins d’une époque elle aussi révolue , pour rêver de ce que l’on pouvait y trouver quelques décennies plus tôt . Des jouets en bois , pour la plupart , ou des poupées en porcelaine , celles qui portaient de grandes robes de satin toutes brodées de dentelles rouges et blanches , souvent portant des ombrelles et figées dans des sourires éternels , les joues rosies , semblant regarder la rue agité avec le même émerveillement que celui qui allumait les visages des enfants qui s’abritaient sous la tonnelle du magasin , sous le tambour battant de la pluie , pour admirer ces somptueuses fabrications artisanales .

On les aurait cru vivantes .

Aujourd’hui le magasin est vide et l’enseigne presque effacé , mais on m’avait beaucoup parlé de ces ambiances particulières. J’ai d’ailleurs noté qu’un vieux monsieur au visage exsangue mais aux yeux très vifs , noirs , profonds et pétillants comme un ciel de 14 juillet venait souvent regarder cette ancienne devanture , appuyé sur sa canne noueuse , un chapeau de feutre noir vissé sur la tête . Et cet anachronique visage s’éclairait d’un sourire qu’on n’aurait pas pensé pouvoir appartenir à un si vieux monsieur . Je crois , mais c’est simplement une supposition , que c’est l’ancien propriétaire de ce magasin qui vient s’y recueillir . Quand il me voit , il doit penser aux jeunes enfants pour qui il confectionnait jadis ces adorables bibelots . Alors je me sens rougir et je m’en vais .

Quelques mètres plus loin , l’odeur d’iode s’insinue dans vos narines et vous fait tout de suite penser aux navires venus d’ailleurs qui viennent , présentant haut leurs pavillons colorés , décharger quelques marchandises et reprendre le large , lorsque le soir tombe et que toute la mer s’embrase . Sur les bords de la plage , je cours souvent le plus vite possible , et les oiseaux marins tentent de me suivre , malgré leurs airs gauches , et je cours avec eux aussi longtemps que mon souffle nous porte . Puis je m’arrête net et je les sens alors , tout autour de moi , s’envoler et leurs ailes battantes me décoiffent. Au milieu de leurs cris affolés , on n’entend pas mon rire qui s’élève . Les quais ont vieilli . Même le pavé se racornit et devient triste . Les petits canaux qui le bordent sont remplis de végétations dont personne ne veut s’occuper , mais que personne non plus n’a le courage de couper . Alors toutes les mauvaises herbes du pays viennent ici et croissent en paix , au milieu des joncs qui semblent se trouver là pour rappeler la vieille splendeur de l’endroit .

Parfois , un cri , un murmure , dans l’eau où sur les rives . Le cœur bat toujours , puis hop , le silence . Un Rien qui fait prendre peur et reculer d’un ou deux pas devant le silence mystérieux de cet endroit où il pleut toujours . Je m’assois au bord du quai de pierres et là , je réfléchis à ce que je vais faire de la journée .

Certainement j’irai , dès que le soleil se sera imposé , faire un tour en ville , au marché d’Orin , voir ces visages que je connais par cœur mais qui m’étonnent encore , car ils changent chaque matin , et c’est un plaisir de noter le petit détail qui fait que le bonhomme en face de moi n’est plus tout à fait le même .

Un petit hématome sur le coin de la tête de Mr Bransard qui était instituteur au Collège d’Orin , et qui coule une retraite paisible et silencieuse au milieu de ses onze chats . Ce petit hématome qui signifie qu’il a du se cogner contre la porte de sa salle de bain , comme tous les lundis . Il s’en plaint sans discontinuer , à chaque fois qu’on lui demande d’où vient cette petite bosse qui , par la force du temps , à fini par bosseler son visage jadis si creux . Cette petite bosse le fait vivre en société .

Ca lui donne du relief , oserais-je dire , si je ne craignais pas de faire de mauvais jeux de mots .

Cet homme m’est très sympathique , car j’ai remarqué que , lorsque aucun des dignitaires de la ville ne le regarde , il aime accélérer son pas et sauter de manière à peine perceptible dans les flaques d’eau . Je crois qu’ainsi , il se rappelle son enfance et il oublie qu’il s’ennuie tant .

Il y a aussi un petit homme , rond comme une bille et au crâne dégarni qui s’installe souvent , lorsque la bruine le dérange , au bar des Horizons , qui borde la place du marché . Il ne dit jamais rien et commande un cappuccino , enfouit ses coudes dans la table et son menton entre ses deux paumes rejointes , puis il regarde la place où les gens affluent , au fur et à mesure .

Un jour , j’étais allée commander un café , et , à la vue de mes vêtements colorés , il m’a arrêté , et m’a demandé si je ne trouvais pas que le marché , comme ça ,un samedi matin , avec toutes ces étoffes bariolées , ces tringles suspendues , ces rondes infinies , je ne trouvais pas que ça ressemblait à un immense manège pour grande enfants . J’ai ri , alors il a semblé vexé . Il m’a dit qu’il était journaliste , et comme ça ne m’intéressait pas , il m’a proposé de m’asseoir . Il m’a raconté sa vie , son divorce , la monotonie des jours qui passent , le tout entrecoupé parfois de larmes . J’ai essayé d’en retenir le maximum et parfois il fallait que je l’arrête pour avoir le temps d’assimiler ses phrases . Il m’a tout raconté , en long et en large ,et à la fin ,j’ai été émue .

Depuis , j’essaye de le rendre plus présentable et plus élégant , de lui faire perdre ses vieillies manies défensives et arrogantes . S’il pouvait tomber amoureux je crois que ma vie entière changerait . D’ailleurs , il est bientôt midi et il doit m’attendre , la petite serveuse rousse des Horizons vient d’arriver il y a quelques minutes et quand il la regarde , il y a une sorte de feu qui se met à brusquer tous ses gestes , et les mots se bousculent dans sa bouche . C’est touchant .

Ensuite , vers deux heures , j’irai me réfugier au jardin d’Orin , cueillir quelques fleurs et m’asseoir dans l’herbe , écouter les musiciens qui font vibrer leurs cordes et les amants qui font vibrer mon cœur . J’emprunte leurs amours et , le soir , je me les raconte . C’est un peu indiscret , mais ils ne le savent pas , et j’écris de longues histoires , tous les soirs , sur ces petits bout de rien du tout qui s’embrassent et qui se promettent l’infini alors qu’ils ont déjà du mal de trouver le bout de leurs nez . Ensuite , j’irai travailler en jetant un dernier coup d’œil aux machines à barbe à papa , aux enfants qui crapahutent de découvertes incroyables en batailles épiques au milieu de tous les adultes de la ville . Sur eux , Mme Oliviera , qui tient la seule confiserie de la place , déclare qu’ils sont notre avenir , et que c’est un bon signe si notre avenir peut encore s’émerveiller devant une poignée de bombons , ces petits plaisirs de la vie, même si les prix ont augmentés de trois centimes , ce qui , elle insiste , n’est pas de sa faute .

En rentrant ce soir , j'allumerai quelques bougies dans ma chambre . Voir ces deux flamèches me rendra heureuse . On ne sait jamais , ces deux bougies peuvent être des feux-follets , ou bien , mieux encore ! C'est peut-être la flamme de l'amour de deux des amants des Jardins . Et je les regarde brûler en imaginant ce qui travers leurs yeux à cet instant précis . Mais .. peut-être qu'il n'y aura plus de bougies , alors je fermerai les yeux et j'imaginerai encore quelque chose . Ca sera une chimère , un rêve , une utopie , mais elle me consolera . Surtout , ne pas être malheureux si quelque chose que l'on attend ne se produit pas .

Aujourd’hui , en arrivant au marché , vers 11h , j’ai entendu que Mr Bransard avait perdu l’un de ses chats , celui qu’il préférait par dessus tout et qu’il était très attristé . Ducome , l’épicier , était bien embêté de voir cet homme déjà vieux à la soixantaine affublé d’une si mauvaise mine , alors il lui a offert ses commissions du jour , et , après avoir chassé les deux enfants qui rôdaient un peu trop près de ses marchandises , avec des sourires entendus , il promit aux quelques clients qui allaient passer après Bransard qu’il allait essayer de le sortir de son appartement solitaire . Je crois qu’il a raison . Pour ma part , je vais cueillir quelques fleurs , les plus belles que je trouverai , et que j’irai les lui apporter , au quatrième étage de son immeuble immobile , ou rien ne bouge et rien ne respire . J’ai encore la mer dans les yeux , et tout me donne envie de chanter .
Les nuages , eux aussi , prennent leurs quartiers au dessus de notre ville , et déjà les pavés claquent sous mes pas , il y a une odeur de sucre dans l’air , et je ne sais pas pourquoi je souris .

Si vous ne comprenez pas comment tout ça peut me rendre heureuse . Alors , vous n’aurez rien compris .

Ce ne sont pas les grandes théories qui fond l’histoires , ce sont des hommes comme Monsieur Bransard . Encore faut-il les aimer .
Partie 13

-Mise en place-


Le Narrateur

Taro avait retrouvé la trace de Rainn , qui poursuivait jusqu’alors son funeste destin . Je le sais car j’ai trouvé , en Ercoz où les choses se concentrent , une feuille papier roulée en boule , issue du journal de bord du jeune garçon . Il l’avait arrachée car une tâche , sûrement de l’eau , rendait une partie du texte illisible . Posant mon sac et mes affaires , j’entrepris de la lire , assis sur un rocher , sous le soleil déclinant .

«Sixième jour : Dans les villages nichés en Ercoz , il se produit de nombreux événements étranges .
Il faut que j’aille voir de quoi il s’agit .
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Je suis à Gireno , et l’on parle ici d’un homme vêtu de haillons qui se traînant dans les rues , le poing au ciel , en jurant dans une langue incompréhensible , agressant ceux qui lui tendaient la main et craignant , pleurs et gémissements à l’appuie , les coups des miliciens qui voulaient le sortir du village . Il s’est échappé et s’est terré dans une ruelle . S’engouffrant à travers les ombres , munis de torches, les guerriers n’ont trouvé qu’une tâche de sang et une prodigieuse trace de fumée qui noircissait les murs . J’ai ma petite idée ..

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Septième jour : Ma sœur me manque . Je me demande où elle est à cette heure-ci .
Et les habitants de Tolstran . Mr Fernand danse-t-il toujours aussi mal ? La fleuriste a-t-elle toujours de si jolis yeux ? Qu’est-ce qui aura changé ? Et mon père … N’en parlons pas .

Huitième jour : J’ai cru le reconnaître , mais ce n’était qu’un marchant ambulant qui traversait Ercoz . Je l’ai escorté jusqu’à la sortie des gorges et il m’a remercié . Un honnête homme , en somme . Je dois traquer mon étrange diable .

Huitième jour : Je marchais sur les rives du lac Melchior , dans la soirée . J’ai senti quelque chose d’étrange , comme un coup de vent qui passait dans mon coup quand une main a agrippé mon épaule . Rien que d’y penser , j’ai encore froid . Derrière moi , je sentais une présence insupportable . La colère faite homme . Et « homme » c’est beaucoup dire . Je voulais me retourner , mais ses phalanges broyaient un peu plus mon épaule à chaque tentative de mouvement . J’ai crié pour lui demander de me lâcher . Puis je suis tombé et il m’a suivi au sol , se plaçant derrière ma tête pour que je ne puisse pas voir son visage . C’était très étrange . Il tremblait . D’un geste il aurait sans doute pu me tuer , mais il semblait avoir peur de moi . A chaque fois que je m’apprêtais à parler , son étreinte se faisait plus évasive et je pouvais sentir ses traits se tendre , derrière ma nuque . J’ai réussi à lui demander qui il était (alors que je savais parfaitement à qui j’avais à faire), et , pendant un moment , j’ai cru que cette question l’avait rendu tellement furieux qu’en la prononcé , j’avais fait retentir ma voix pour la dernière fois dans ce monde . Il ne m’a pas répondu , mais m’a demande si j’avais une seule raison valable pour qu’il me laisse en vie . Je me rappelle avoir réfléchi quelques instants puis avoir dit que s’il me tuait , il allait le regretter toute sa vie . Son rire s’est élevé dans le ciel bas et la pluie s’est mise à tomber , comme si sa colère était retombée sur terre . Il m’a dit que j’allais mourir , et , sans prendre le temps d’évaluer la situation , j’ai senti sa frénésie tellement forte qu’il ne contrôlait plus ses gestes . Alors j’ai attrapé sa main , j’ai essaye de la tordre , de la griffer , de faire cesser son étreinte , mais lorsqu’il reprit le contrôle de lui-même , j’avais simplement réussi à me retourner , me retrouvant ainsi face à face avec lui avec une belle éraflure qui courait sur mon cou. Comme quoi … je ne suis pas né héros . Il avait enfoui sa tête dans le creux de son second bras , pour que je ne puisse pas voir son visage . Avec peine , je lui ai dit que Khirâ n’était pas morte , et que même si ça avait été le cas , il ne pouvait pas se laisser aller ainsi à la mort , car il détruisait ce qu’ils avaient bâti ensemble . Sa seule réponse fut de resserrer sa main autour de mon coup , m’autorisant à peine la parole , et , alors que mes yeux étaient rivés sur lui , il cessa de cacher sa figure et avec horreur , je m’aperçus qu’il semblait à deux doigts de quitter ce monde . Un sang mêlé de boue souillait son visage cerné par des cheveux qu’il avait longs et crasseux . Ses traits étaient ceux d’un fantôme . Il parlait avec précipitation et je ne pus saisir un de ces mots . Puis il fit un bond de côté , me libérant ainsi et m’incita à le suivre d’un geste de la main . Me menant dans les recoins d’une des caves d’Ercoz , il me mon… (ici , les inscriptions deviennent illisibles car l’encre a été diluée par l’eau , elles reprennent plus loin)

…ème jour : Ca y est , nous sommes enfin arrivés au pic de Tera . Je sens que nous aurons enfin nos réponses . Il semble reprendre un peu goût à la vie , car il mange avec appétit et sourit parfois lorsque j’essaye de le tirer de son marasme . Bien entendu , ce ne sont pas mes plaisanteries de mauvais goût , alliés à une cuisine médiocre , qui reverdissent ce pauvre Rainn , mais plutôt la vie retrouvée de Khirâ . Je me demande comment se seraient passé les choses si elle n’avait pas recouvré la vie …

---

On m’a dit qu’elle était tombée dans une de ces crevasses . Nous allons préparer une expédition , mais avant … quelque chose m’occupe l’esprit .. Il faut que je me renseigne … »

Je me rends dès à présent au pic de Tera . Le soleil est omniprésent et tout semble reprendre vie après un sommeil profond comme l’oubli . Il y a du dénouement dans l’air et , inquiet jusqu’à dans mes chairs , j’espère que mes jeunes amis trouveront la meilleure clé pour ouvrir la porte qui leur tend les planches . Après tout , rien n’est encore décidé , et ça , je crois qu’il l’ont bien compris .

Il faut que je me hâte .
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