Chapitre 2 : Parce que je suis ce que je suis.
-Encore ?!
Le chef de la milice frappa du poing sur la table, faisant bien sentir aux subalternes leur inefficacité :
-Cela fait des années que cela dure ! Encore trois victimes cette nuit, et demain ?!
-N’exagérez pas chef, cela ne fait que deux ans que…
-Tu te crois malin peut-être ?!
Il fusilla du regard l’impudent qui avait répondu de la sorte. Déjà une semaine qu’il ne dormait plus, son humeur n’en était devenue que plus massacrante :
-Je le dis et je le répète, nous n’avons plus droit à l’erreur ! Que penserait-on de l’autorité ?! Si les gens ne peuvent plus compter sur nous pour la sécurité, sur qui pourront-ils compter ?!
-Mais… chef, elle est vraiment trop dangereuse et…
-Justement !
Il se défoula encore une fois sur la table :
-Ce soir, encerclez le village, je veux voir des gardes à chaque coin de rue ! Et pas d’isolés, qu’ils soient tous en groupe ! J’en veux même sur les toits s’il le faut !
-Mais aurons nous assez d’effectifs pour cela ?
-La ville de Tara nous a envoyé gentiment des renforts… cette affaire pourrait la concerner de près alors elle compte sur nous. Hé bien alors ?! Ne restez pas plantés là ! Exécution immédiate !!!
Tout le monde sursauta. Malgré ses cinquante ans et ses nuits blanches, le chef milicien Girion gardait toute l’énergie de sa jeunesse. Mais jamais il n’avait été confronté à pareille crise depuis le temps où il officiait dans ce petit bourg perdu. Quarante meurtres atroces. Pas de suspect. Juste quelques témoins devenus à moitié fous ou totalement terrifiés :
-Chef, une personne étrange veut vous voir…
-Humm…
Il prit un instant de réflexion. Ses gardes avaient mentionnés l’arrivée d’une personne inconnue depuis hier :
-Faites le entrer…
-Bien !
Le soldat laissa entrer le mystérieux visiteur. Sa taille avoisinait les 1m66-67, enveloppé d’une cape d’ombre seulement retenue par un pendentif et on ne pouvait dire si c’était un homme ou une femme vu que le visage était complètement caché et le ton de la voix était neutre, sombre comme son maître :
-Bonsoir.
-Hem… bonsoir, de quoi voulez-vous m’entretenir ?
-Puis-je m’asseoir ?
-Je vous en prie.
L’instinct de l’homme lui dit immédiatement qu’il ne valait mieux pas brusquer l’individu froid qui se tenait devant lui. La silhouette prit place avant de reprendre, toujours d’une voix calme et posée, comme s’il mesurait bien chacune de ses paroles :
-J’ai entendu parler de vos problèmes…
-Et ?
On pouvait sentir un sourire amusé dans les ténèbres de sa capuche. Girion se sentit mal à l’aise, c’était l’inconnu qui menait la danse :
-Je pourrais vous aider…
-… Moyennement une certaine récompense je présume ?
-Si vous le proposez… mais j’aurai besoin de plus de précisions, je viens juste d’arriver et les quelques renseignements que j’ai pu soutirer ne m’ont pas plus éclairés…
-Hé bien…
Le chef toussa un peu et s’éclaircit la voix :
-Cela a commencé il y a deux ans. Cinq victimes en une nuit, dont une gravement blessée. Il n’y a eu aucun témoin et personne n’a entendu le moindre cri… pourtant, les blessures révèlent qu’elles sont mortes dans des conditions atroces, torturées… Ce qui n’a aucune logique. Puis, chaque nuit, elle recommence inlassablement, il lui faut son quota de victimes.
-« elle », cela signifie que c’est une femme ?
L’homme grommela un petit instant dans sa barbe, il n’aimait pas être interrompu :
-Hem… il se trouve qu’une mère, en allant voir si tout allait bien dans la chambre de son enfant, a « vu » le monstre… Elle poussa un hurlement et la créature s’est enfuie. Mot pour mot, elle l’a décrit ainsi « une silhouette grande, très grande et très élancée. Ses proportions n’étaient pas humaines et ses yeux brillaient d’une perversité digne d’un démon… la vitesse et l’agilité avec laquelle elle a bougée quand j’ai crié, elle aurait pu me tuer en une fraction de seconde ». L’enfant nous a même fait des dessins, assez surréalistes. Depuis, les habitants surnomment cette créature « l’araignée élancée ».
-l’araignée… élancée…
L’inconnu se leva alors et se dirigea vers la porte sans rien ajouter, puis sortit. Girion faillit presque pousser un soupir de soulagement, jamais il ne s’était senti aussi vulnérable devant quelqu’un.
Dehors, le soleil brillait de tous ses feux, l’après-midi avait bien avancé. Mais malgré ce temps radieux, une atmosphère de psychose régnait sur le petit bourg. Les marchés en étaient presque silencieux, les enfants restaient enfermés chez eux et les femmes parlaient à voix basses. On pourrait presque croire le village abandonné. Seul le mystérieux mercenaire allait de personne en personne, interrogeant subtilement les habitants.
La journée passa bien vite et la nuit s’instaura, lâchant ses démons de peur sur le village à demi endormi. Des groupes de gardes apeurés patrouillaient effectivement partout, et certains, même sur les toits.
On entendait sa respiration irrégulière dans l’ombre, Elle cherchait une victime… Elle avait vu ce qui s’était passé durant la journée et Elle comptait bien se jouer des soldats. Elle poussa un rire dans la nuit, car ce n’était pas eux qui La chassait… c’est Elle qui chassait, la nuit est Sienne et Elle compte bien en profiter. Elle a repéré un groupe isolé des autres et Elle les suit depuis quelques instants. Se faufilant dans son élément, Elle mène sa traque habilement, Elle a l’habitude. Ses pauvres rats ont déjà un pied dans la tombe. Ce fut alors l’attaque, leur mort fut rapide… et douloureuse mais Elle en garda un en vie. Elle s’apprêta à emporter sa proie quand Elle le vit. Il se tenait sur la place, immobile au clair de lune. Dès qu’elle l’avait aperçu, il tira un pan de sa cape, révélant une main noire et griffue. Il lui lançait le défi et Elle ne savait pas quoi en penser. C’était inattendu, Sa bouche se fendit en un large sourire, Elle n’allait pas tomber dans le piège. Elle fila entre les ombres, l’autre la talonna alors.
Elle siffla de surprise, jamais personne n’avait réussi à la repéré et encore moins à la suivre, et pourtant… il la suivait de près. Elle s’engouffra dans une maison et se jeta dans un passage secret menant aux égouts. La silhouette ne perdit pas un instant et roula sur le côté pour passer. Le temps qu’il se relève, Elle avait déjà disparue.
Chapitre 3 : L’araignée élancée
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