Yöve

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Dans la Cité du désert, les commerçants criaient leurs prix, alourdissant encore l'air brûlant sous le soleil d'Atys. Les ombres fuyaient sous les comptoirs, et une foule composée de toutes les races d'Atys marchait et marchandait bruyamment sous les arcades flamboyantes de la ville.

Au milieu de cette horde, Yöve se sentait minuscule. Il faut avouer qu'elle n'était pas bien grande, du haut de ses cinq cycles. Elle regarda autour d'elle et se dit que bientôt (peut-être un ou deux cycles, quand elle serait devenue une grande fille, comme disaient ses parents) elle les dépasserait tous, qu'elle serait la plus grande, et dans tous les sens du terme. Non seulement elle les regarderait de haut et leur frotterai les cheveux, mais en plus elle serait connue partout, peut-être comme la plus grande guerrière de tout Atys ou alors la meilleure artisane que la planète aie portée. Ses parents le lui disaient toujours en lui passant la main dans les cheveux, chose qu'elle détestait au plus haut point : ça la démangeait beaucoup après. En fait, elle voulait être la plus grande pour que personne ne lui passe plus la main dans les cheveux, et ce serait elle qui se vengerait, en trempant tous les jours sa main dans la chevelure de quelqu'un.

Quand elle sortit de ses pensées, elle se rendit compte que ses parents avaient disparu. Yöve regarda partout autour d'elle et ne les aperçut pas. Des larmes commencèrent à poindre au coin de ses yeux alors qu'elle paniquait, perdue au milieu d'une foule bigarrée. Elle fut repoussée contre le mur, et elle s'y abandonna, pleurant toutes les larmes de son corps, et ne songeant qu'à ses parents qui l'avaient abandonnée au milieu de la ville immense. Elle y habitait mais ne connaissait pas toute la cité, sa mère lui avait interdit de sortir et elle était encore obéissante, n'ayant pas atteint l'âge où sa volonté se rebellerait contre tout ordre.

Elle s'était enfouie la tête entre les mains et restait prostrée ainsi, contre un mur anonyme. Petite enfant qui pleure, au milieu de la Cité.

Yöve sentit une main posée sur sa tête. Elle décida de ne pas bouger, elle détestait encore plus qu'on vienne la réconforter en lui caressant les cheveux. Mais apparemment, celui qui lui caressait les cheveux ne se lassait pas. Un peu lassée, la petite fille jeta un coup d'œil et découvrit un magnifique visage qui la regardait en souriant. Yöve baissa les mains et renifla un peu. La jeune femme passa la main sur ses joues et lui sécha les larmes.

"Comment t'appelles-tu, petite fille ? Tes parents t'ont laissé ?" demanda la jeune Fyros.

L'enfant ne put que renifler, faisant couler de nouvelles larmes qui séchèrent rapidement sous la chaleur cuisante du midi. La jeune femme lui fit un grand sourire et prit Yöve dans ses bras en lui disant : "Nous allons retrouver tes parents... La chaleur de notre feu va attirer tous les Fyros d'Atys, ils croiront que le Grand Incendiaire est de retour !" et partit là dessus d'un rire éclatant alors que la petite fille se racornissait, connaissant la légende du Meurtrier, le Grand Incendiaire. Elle ne comprit que plus tard que la femme qui la portait contre sa poitrine plaisantait.


*


Elle est mignonne, endormie comme cela... Erenë pensa à son ventre tatoué, ce ventre maudit qui jamais ne donnerait d'enfants comme cette petite fille endormie... Quelque part au fond d'elle, elle maudit ses parents. Oui, si seulement je pouvais avoir une fille...


*


Une petite secousse réveilla Yöve. Toujours ce même visage souriant, parfait. L'enfant eu un petit sourire, elle ne pouvait faire autrement devant un si beau visage.

"Je m'appelle Erenë. Et toi ?
- Yöve.. Je.."

Soudain ses parents lui revinrent en tête et elle fondit en larmes en marmonnant des pleurs et des suppliques liées à la disparition de sa mère et de son père. Erenë prit Yöve par les épaules et lui fit ensuite relever la tête :

"Je vais retrouver tes parents ne t'en fais pas. En attendant regarde le spectacle que ma troupe et moi avons préparé. Le feu séchera bien vite tes larmes et éblouira tes yeux à t'en rendre aveugle."

La jeune Fyros la laissa plantée là et grimpa sur la scène devant laquelle était assise Yöve. Erenë se retourna et lui fit un petit clin d'œil, en entamant un pas de danse. Un vieux Fyros fit porter sa voix, déchirant l'air lourd comme un voile, conviant tous les passants à venir et à admirer la danse qu'allait accomplir la troupe d'Erenë. Les premiers pas de danse subjuguèrent les passants par leur grâce et les suivants par leur virtuosité, les autres les emmenèrent dans un rêve de feu.


*


Des mains s'agitent dans la nuit, clignotantes de flammes dures et belles. Illuminant la journée comme le soleil le fait, elles soulignent la chaleur des corps qui se rapprochent, dansent et tourbillonnent. Seize feux de joie éclairent les visages, les faisant s'épanouir dans la beauté, et une petite fille aux yeux embués de rêves suit ces pas, volutes de fumée au milieu du crépuscule.. Danse, et tourbillonne.. Et danse...


*


"C'est donc bien votre fille... Vous devriez la surveiller un peu plus, fit une voix mécontente dans les brumes du réveil.
_ Vous connaissez la ville le jour du marché, tout ce monde... Nous ne faisons que la chercher depuis que le soleil est haut !
_ Bon, d'accord... Allez-y, prenez la, mais je crois qu'elle dort."

Une voix qui murmure à l'oreille "Reviens me voir, petite fille, tu peux encore rêver au feu avec moi", et deux bras solides qui la porte jusqu'à la petite maison. Sa voie avait été tracée par deux mains enflammées, en ce jour qu'anciennement, avant la venue même du Grand Incendiaire, on appelait la Cérémonie de la Destinée.
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