Concernant Matrix, malgré des effets spéciaux novateurs qui ont su rendre le film "culte" (et au regard de la production de SF c'est presque mérité), j'ai trouvé Matrix 1 assez lourd; mais d'une part ce n'est que mon avis et d'autre part ce n'est pas le sujet du post. Un anti-matrix donc, cela pouvait être une surprise.
Et bien...raté.
Petits rapprochements entre amis: 1984 & Equilibrium:
Orwell doit se retourner dans sa tombe, car ce film est son chef d'oeuvre prophétique fait série B. J'ai bien entendu nommé 1984. Strictement TOUS les éléments posant le contexte sont directement tirés de 1984 (qui lui même était une transposition évidente mais menée avec autrement de talent, des méthodes du Stalinisme). Saupoudrez d'un peu de Matrix et le tour est joué.
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Le héros: Il travaille dans un organisme de controle de l'état, le veritas bureau dans 1984 et en tant que recteur dans Eq., le deuxième étant une version bourrine du premier. Dans les deux cas, une femme sert de déclencheur des émotions et provoque la prise de conscience, symbolisée par la découverte d'un phonogramme. Le cheminement du héros est similaire: rejoindre la résistance. Bien sur dans Eq. il s'agira de faire tout péter à la fin tandis que les tentatives de Winston Smith (1984) sont vouées à l'échec dès le départ, la raison est simple: le spectateur doit repartir bovinement jovial, convaincu que ce n'est que de la fiction (Eq.), alors que la fin de 1984 sonnait comme un macabre avertissement.
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Le fonctionnement de l'état: Le père de Eq. est le
Big Brother de 1984. Les deux ne sont potentiellement que des images fictives et emblématiques d'un parti(1984) ou comité(Eq.) censé polariser l'attention du peuple et véhiculer en permanence la propagande du parti, via des
telescreen (1984) ou par les écrans omniprésents dans Eq.
Globalement Eq. reprend le décor du régime de 1984: architecture et symboles staliniens (une vieille croix gammée pour 1984 VS un motto éternel "Big Brother is watching you"), les enfants comme dénonciateurs privilégié de leurs parents, l'opium du peuple (le gin dans 1984 et le prozium dans Eq.), l'interdiction des émotions et de tous les objets "anciens", la peine de mort comme outil de réinsertion, etc de chez etc...
Faute de temps, Eq. passe à la trappe les aspects les plus interessants de 1984: la manipulation d'informations, l'historiographie et la censure en continu, la guerre comme siphon des surplus de production pour occuper la plèbe, un peu de lutte des classes, et la théorie du
newspeak ou suppression des mots interdits dans le langage, pour ne garder qu'un fugace feu de joie d'oeuvres culturelles (d'ou l'évocation par certains du Fahrenheit de Bradbury). A Hollywood du moment qu'il y a des explosions et des flammes pour réveiller le spectateur...
* Entre le héros et le Big Brother, un intermédiaire qui fait partie de la caste autorisée à avoir des émotions.
Au final cet intermédiaire sera la perte du héros. (sauf dans Eq. où pour les besoins d'un retournement final le méchant se prend une balle dans la truffe afin ne pas troubler la quiétude du spectateur qui en profite pour finir son popcorn après autant d'émotions).
Je m'arrête là, car Eq. est épuisé tandis qu'on pourrait continuer des siècles sur 1984. Passons maintenant aux matrixeries.
Equilibrium = Matrix ou pas Matrix ?
* Christian Bale, le psychopathe interprète à l'écran de l'American Psycho d'Easton Ellis, ressemble dans d'innombrables plans à Keanu Reeves. Cheveux tirés en arrière, teint blafard, grand trench coat en cuir noir, même sourire tiré, il ne manque plus que les lunettes noires, mais elles sont dans l'affiche heureusement...
MATRIX
* Le gun-kata, LA trouvaille du film, est effectivement assez joli à regarder. Là ou Néo semblait ralentir le temps à l'écran, Preston lui l'accélere, et pour une production n'ayant pas les moyens de se louer une caméra
time-slice c'était un peu le seul choix.
ANTI-MATRIX mais avec un peu d'argent ça aurait pu être MATRIX. Bénéfice du doute donc...
* Dans Matrix, le monde du début où on s'amuse avec des potes et travaille au bureau, n'est pas le vrai (tadaaa, un des éléments clés du film de rebelle). En fait le vrai il est tout pourri, y'a de la suie partout et c'est tellement sale que des araignées métalliques exophtalmiques ont poussé un peu partout. Le ciel il est noir et c'est tout triste, mais au moins on est libre dans le vrai monde alors c'est bien.
Dans Eq., le monde du début il est pas tres drôle, les gens n'ont pas d'émotions, se font japper dessus par leurs enfants qui les regardent en chien de faience, et il n'y a plus qu'un seul modèle d'appartement; tandis que le monde réel c'est la résistance, c'est fun et coloré et des femmes avec des bandanas et des paniers de fruits dévisagent le héros avec des yeux de braise. Passage clé (et lourd) du film: Preston déchire le voile et regarde le soleil comme il ne l'avait jamais vu. Là, clairement,
ANTI-MATRIX. (mais au final est ce que ça ne revient pas au même ?)
* Comme dans Matrix les acteurs ont des réflexes cablés aux dépens du répertoire d'émotions disponible, réduit pour le coup à 2 expressions: la surprise ("comment ça je vis dans un monde fictif et je suis l'élu ?") et la fureur ("je vais vous arracher velu pour m'avoir berné").
* Comme dans Matrix, à la fin le héros ("tu es l'élu Néo"
) il défonce tout le monde. Poing-Barre-dans ta machoire.
MATRIX
Conclusion
Equilibrium ne vaut que pour les scènes de Gun-Kata, soit approximativement 3 minutes de pur bonheur dans un tatouillis cinématographique de 1h50. Pour l'image on se contentera -pour se mettre en accord avec son temps- de Matrix, duquel il a été évidemment visuellement inspiré, et surtout du roman 1984 qui offre une vision bien plus cohérente, complète et prophétique d'une utopie négative telle que le 20eme siècle aurait pu en produire.