Me voici donc dans ma troisième année d'études, avec l'envie de retrouver les terres d'Hibernia au plus vite.
Il faut pour cela que je vous explique un peu plus le fonctionnement de l'école de magie.
Les deux premières années sont dévouées à l'étude et à l'apprentissage des premiers sorts (protection de soi, dégâts mineurs...). Environ 3/4 des apprentis abandonnent avant l'examen de fin d'année de ce cycle, souvent par manque de réelle motivation (et il en faut lorsqu'on relit pour la 10ème fois son recueil de sortilèges sous la clarté pâlissante de sa bougie), quelques cas par dépit.
Certains attendent de l'école de magie une puissance mystique hors du commun en quelques semaines. Ils ne conçoivent pas que la magie est à la fois un art (et donc certaines personnes possèdent un don, d'autres non) et un métier (ce qui nécessitent beaucoup de travail et d'acharnement).
Beaucoup de familles aisées d'Hibernia envoient leur progéniture à cette école, espérant ainsi en faire des Enseignants de la Magie, ou des mages destinés à l'administration de leur conté.
Fort heureusement, l'école de Magie n'a jamais cédé sous la pression de l'argent facile, et les tests de fin d'années étaient un bon moyen d'empêcher la fraude. Un des tests consistaient à tuer seul une créature désignée par notre chef instructeur. Si le combat tournait mal, un des Maîtres Mages s'occupaient de finir le monstre et l'étudiant pouvait chercher ses bagages et rentrer chez lui.
Excusez mes méandres verbaux, je m'égares quelque peu, mon esprit à tendance à vouloir ramener à moi tous ces souvenirs en même temps.
J'en arrive donc à cette fameuse troisième année. C'est à partir de cette année que la théorie commence à laisser la place à la pratique. Une fois les bases acquises, nous allions passer une semaine sur deux sur le terrain, en compagnie de Patrouilles Mages locales afin de surveiller et protéger les petits villages.
Je garde un bon souvenir de ces patrouilles, quelques petits incidents, palpitants sur le coup, me font sourire à présent. Cette année aurait pu être merveilleuse si un incident tragique n'était pas intervenu en fin d'Hiver.
Je ne vous ai pas parler des amis que je m'étais fait, car sous la discipline sévère des Maîtres Mages, la complicité entre étudiants n'en était que plus forte. J'ai fait ainsi connaissance de nombreux Elfes (il semble qu'ils soient nettement plus enclin aux arts magiques que les Lurikeens ou les Celtes), quelques Celtes et un autre Luri, Haedan.
De part notre race commune, nous avons tissé tout naturellement des liens plus étroits. Haedan était issu d'un petit village situé non loin du mien, mais nous ne nous étions pas connu avant (il faut dire que les Lurikeens vivent quelque peu en autarcie, regroupés en familles composant le village et ne faisant que le peu de négoce nécessaire avec les cités voisines). C'était un esprit habile et doué, et ses capacités magiques étaient, je dois le reconnaître, meilleures que les miennes. Il possédait une facilité de compréhension et une soif de connaissance que je lui enviais en secret.
Durant une semaine de cours théoriques à l'école de Tir Na Nog (cours de plus en plus agités car les élèves commençaient à saturer et les sorties en patrouille et toutes les péripéties qui s'y étaient déroulées étaient au coeur de nos discussions sur les bancs), Haedan vint m'accoster en me murmurant de le rejoindre à sa chambre une fois les cours de la journée terminés.
Tout d'abord intrigué par le ton de cette conversation, Haedan n'étant d'habitude pas une personne timide et discrète, j'oubliais tout au long de la journée ce fait. La soirée tombait déjà lorsque je me souvins de sa requête et le rejoignais aussitôt dans l'aile Ouest des dortoirs.
Un des privilèges pour un étudiant à l'école de Magie, une fois les 2 premières années passées, est de disposer d'une chambre personnelle. Un privilège que je regrette un peu, les longues nuits passées à discuter entre compagnons de chambrée sont des moments appréciables: des fous rires étouffés lorsque le surveillant débarque à l'improviste, de longues dissertations sur la vie, nos études, notre avenir (ainsi que sur les jeunes femmes que nous croisions dans Tir Na Nog)...
Ainsi donc, je retrouvais Haedan dans sa chambre et le trouvait en pleine lecture d'un vieux grimoire. La bibliothèque était pleine de ces vieux livres poussiéreux, mais je reconnaissais rapidement la fine étiquette jaune signifiant qu'il traitait des charmes et invocations de créatures.
Il me semblait tout excité, ses yeux pétillaient et un large sourire lui montait jusqu'aux oreilles.
_ "J'ai trouvé un passage très intéressant concernant l'invocation de créatures !" me dit-il.
Je savais que certaines spécialités de mages permettaient de charmer une créature au prix d'une dépense d'énergie considérable, mais personne ne m'avait parlé d'invocation directe, mis à part celle des serviteurs du Voile que nos collègues enchanteurs affectionnent tout particulièrement.
"Viens, j'ai déjà réuni les ingrédients, mais seul le pentacle de la salle des enchanteurs permet d'accomplir dans de bonnes conditions le sortilège".
Je lui demandais alors de quel sortilège parlait-il, mais il me pria de me taire, sous prétexte d'une surprise. Je ne vous cache pas que l'interdiction de l'accès aux salles hors cours me faisait un peu peur, mais Haedan ne tenait pas en place et ses supplications eurent raison de mes craintes.
Arrivés discrètement dans la salle du pentacle, je n'en avais pas beaucoup plus appris sur ce fameux sortilège. Tout ce que je pu lui arracher fût que c'était une invocation (je m'en doutais un peu), mais que les frontières de l'appel de la créature était étendues.
_ "Que fait-on si la créature que tu désires invoquer nous attaque ?" lui demandais-je.
_ "Nous ne risquons rien, ce pentacle permet de bloquer la créature, elle ne pourra pas franchir les runes et une simple parole - "Va t'en" - la congédiera automatiquement."
Haedan n'avait pas tort, de puissantes runes protégeaient ce pentacle, et nous ne risquions absolument rien.
Après avoir réunis tous les ingrédients magiques dans une petite calebasse, Haedan commença à psalmodier les premières phrases du sortilège. Je restais bouche bée devant cette maîtrise du langage des arcanes, les sons sortant de sa bouche étant plein d'accents incompréhensibles pour quelqu'un ne possédant pas de bonnes bases arcaniques.
Ceci dura une petite minute, qui, sur le moment, me parut durer des heures. Je jetais de petits coups d'oeil vers la porte entre-ouverte donnant sur le couloir, l'oreille à l'affût au cas où nous devions déguerpir si un surveillant passait par là.
C'est alors qu'un petit panache de fumée s'éleva du centre du pentacle, suivi d'un petit sifflement d'air. Une ombre commença à se matérialiser devant nous, puis pris forme petit à petit.
D'une taille à peine plus grande que nous, un humanoïde à la peau bleu et au visage rude nous regarda. Il ne sembla pas autant décontenancé que nous, que moi devrais-je dire. En effet, Haedan semblait aux anges...
_ "C'est un Kobold" me dit-il, "un Kobold de Midgard !"
Impossible me dis-je, ces contrées sont presque inaccessibles et les seuls Kobolds dont j'avais entendu parler appartenaient aux contes pour enfant que me racontait ma mère (ils étaient dépeints comme de vil voleurs, prêts à kidnapper les enfants qui n'étaient pas sages).
Soudain, le Kobold se recula un peu, se cogna contre le mur invisible que formait les runes du pentacle, et poussa un énorme cri avant de disparaître devant nous.
"Mais que c'est-il passé ?" s'écria Haedan.
Il semblait très abattu par la disparition soudaine du Kobold.
"J'ai pourtant respecté à la lettre les instructions du manuel. Le sort aurait dû se prolonger beaucoup plus longtemps que ça".
Tremblant encore de ce cri perçant, le coeur battant la chamade, je tentais de reprendre mes esprits.
_ "Partons." dis-je. "Partons vite avant que quelqu'un alerté par son cri n'arrive et ne nous passe un savon".
Haedan ne semblait pas vouloir bouger, fixant le pentacle et murmurant quelque chose.
_ "Regarde Vyv ! Il a laissé une petite pierre brune couverte de gel".
Effectivement, un petit éclat de lumière dû à notre bougie brillait au centre du cercle magique.
"Prenons le vite comme souvenir, et partons d'ici".
Haedan ramassa la pierre, mais se releva doucement.
"Je sens son souffle Vyv, un souffle froid et lent..."
Et c'est alors que tout s'enchaîna à une vitesse folle.
Je vis apparaître le Kobold devant Haedan, à quelques centimètres à peine de lui, une hachette dans chaque main, le regardant avec un sourire dément tandis qu'il transperçait la gorge et le ventre de mon ami.
Le surveillant arriva au même instant, et comprenant rapidement ce qui avait été commis, cria "Va t-en".
Le Kobold disparu sans un bruit alors qu'Haedan s'effondrait sur le sol dans une flaque de son propre sang.
Les deux semaines suivantes furent un calvaire, je devais répéter chaque jour ce qu'il s'était passé, et j'attendais avec résignation mon expulsion de l'école.
Je pleurai chaque nuit la mort d'Haedan, culpabilisant terriblement et mes rêves furent très agités. Je revoyais sans cesse ce court instant, la lente chute, comme en apesanteur, de mon ami, et surtout ce regard assassin du Kobold. Il me souriait lorsque le surveillant l'avait congédié.
Mais l'école ne m'expulsa pas, me condamnant à divers travaux afin de me servir de leçon. Je leur en voulu à l'époque, mais je me suis accroché et décidait de mener à bien mes études en sa mémoire.
Aujourd'hui j'en rêve encore parfois, des larmes amères perlent à mes yeux et ma gorge se noue.
Voilà la raison de mon choix de spécialité... J'ai décidé de vouer mes talents aux autres, à les aider, et j'ai mis de côté définitivement tout ce qui avait trait aux charmes et aux invocations.
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