|
Des nouvelles de la science...
Le kangourou, descendant de carnivores géants
LE MONDE | 23.06.03 | 13h09
Aristote ignora le kangourou, tout comme Pline l'Ancien. Au VIIIe siècle, le philosophe et poète arabe Al-Jâhiz en avait en revanche entendu parler : son Livre des animaux (Kitâb al-Hayawan) comprend une description très convaincante de ce mammifère à poche - ce qui laisse supposer qu'une chaîne d'informations relativement fiable fonctionnait à l'époque, via l'océan Indien, du continent austral jusqu'au monde byzantin.
Mais les Européens, des siècles plus tard, continuaient de ne rien savoir de ce marsupial.
Et pour cause : sur les soixante et une espèces de kangourous recensées (parmi lesquelles plusieurs semblent s'être éteintes ces dernières décennies), aucune ne vit ailleurs qu'en Australie, en Tasmanie ou en Nouvelle-Guinée.
En 1629, le navigateur hollandais François Pelsaert, qui s'était arrêté non loin des îles Wallaby, aperçut sans doute l'un de ses cousins : un tammar, petit marsupial qu'il décrivit comme une sorte de chat de la taille d'un lièvre, à pattes très courtes et doté d'une tête de civette. Mais personne, à l'époque, ne prêta véritablement attention à ces extravagances.
Il fallut attendre 1770, et la fracassante arrivée du capitaine Cook sur le continent australien (son navire percuta un récif corallien, contraignant l'équipage à rester trois mois sur place), pour que l'existence des kangourous parvienne enfin jusqu'aux naturalistes des Lumières.
Sensationnelle découverte ! On s'empressa d'importer quelques spécimens en Europe, puis de les encourager à se reproduire. "Ces marsupiaux sont encore de ces espèces exceptionnelles qui se développent rapidement, atteignent une très grande taille, et produisent en abondance d'excellente viande. Très utiles comme alimentaires, ils donneront en même temps un poil laineux, susceptible d'usages variés", écrivait Isidore Geoffroy Saint-Hilaire (1805-1861) dans son Acclimatation et domestication des animaux utiles (éd. La Maison rustique, réédition en fac-similé, 1986).
"Ils se sont reproduits souvent, et sans exiger aucun soin particulier, à Paris, à Londres, à Berlin, à Schönbrunn, et surtout à Naples, où l'on avait obtenu, en quelques années, un troupeau considérable", ajoutait-il. Qu'aurait-il écrit, le fils d'Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, s'il avait eu à faire aux ancêtres des kangourous ? Quels usages leur aurait-il attribués ou quels moyens de s'en défendre lui aurait-il fallu inventer ? Car les marsupiaux d'autrefois n'étaient pas d'inoffensifs herbivores - pas tous, du moins. Il y avait parmi eux des carnivores purs et durs, à l'appétit féroce et aux mâchoires redoutables.
"Pendant une grande partie du miocène (il y a vingt-cinq à cinq millions d'années), les forêts couvraient entièrement l'Australie. Elles abritaient une faune très variée, avec, notamment, des rats-kangourous géants, armés de dents puissantes", explique Stephen Wroe, paléontologue à l'université de Sydney (Pour la Science, n° 260, juin 1999).
Depuis une vingtaine d'années, les découvertes de fossiles de mammifères datant de cette époque se sont succédé à bon rythme sur le sol australien. Et la préhistoire qu'ils nous livrent est d'autant plus détaillée que les os de la plupart d'entre eux semblent avoir été piégés dans des grottes calcaires, où l'eau, riche en carbonate de calcium, les a rapidement et parfaitement conservés.
UN SPÉCIMEN ÉTRANGE
"Les rats-kangourous géants sont apparentés au rat-kangourou musqué actuel, qui ressemble à un rat et se nourrit de plantes et de petits animaux", précise Stephen Wroe. Pouvant peser de 20 à 60 kg, ils ne se déplaçaient pas par sauts, mais à quatre pattes. Un comble ! Mais les chercheurs, en matière de marsupiaux préhistoriques, ne sont sans doute pas au bout de leurs surprises.
Si tous n'appartiennent pas à des individus aussi sanguinaires que les rats-kangourous, la plupart des fossiles actuellement mis au jour laissent en effet entrevoir de belles singularités. C'est notamment le cas de nouveaux animaux géants, dont les squelettes presque complets ont été découverts, en 2002, au sud-ouest de l'Australie, dans les failles de la plaine de Nullarbor ("Pas d'arbres"). Une immense région plate et désertique devenue familière aux inconditionnels de l'inspecteur de police Napoléon Bonaparte, le héros des "éthnopolars" d'Arthur Upfield.
Parmi ces vestiges, approximativement datés de cinq cent mille à deux cent mille ans : des ossements de wombat - un marsupial herbivore ressemblant à un cochon, mais de la taille d'une petite voiture -, ainsi que les restes d'un kangourou géant long de plus de 4,80 m, Procoptodon goliath, considéré comme le plus grand représentant connu de la famille. A quoi s'ajoute un spécimen étrange : un kangourou "à cornes", dont le crâne présente juste au-dessus des yeux, sur les côtés extérieurs, deux excroissances osseuses sur lesquelles les paléontologues se perdent en conjectures.
Pourquoi ces espèces, comme du reste tous les grands marsupiaux carnivores australiens, ont-elles disparu ? L'arrivée des Aborigènes, il y a cinquante mille ans ou plus, a-t-elle précipité leur déclin, déjà bien amorcé par les glaciations successives que connaissait depuis deux millions d'années le continent australien ? Toujours est-il que les rats-kangourous, après avoir terrorisé la faune environnante pendant plus de vingt-cinq millions d'années, s'éteignirent il y a environ quarante mille ans. Leurs descendants pouvaient commencer à s'épanouir en toute liberté.
Catherine Vincent
Plus que les ancêtres et cousins disparu des kangourous, ce qui m'a le plus surpris dans cette histoire, c'est l'évidence donnée au fait que l'Australie a été découverte et connu plus tôt qu'on ne le croit par les marins de l'Océan Indien. Sachant qu'au 8e siècle les arabes ne s'étaient pas encore beaucoup mis à la navigation, la question est qui, quel peuple connaissait alors l'Australie ? Indiens ? Indonésiens , Chinois ? Quelqu'un qui connait un peu l'histoire des civilisations des océans indien et pacifique dans le 1e millénaire après JC ?
|