[TEXTE] Jazz in Marciac ; blues in Auch.

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Petit texte dont je suis l'auteur et dont je voulais vous faire profiter, extrait qu'il vient d'être des profondeurs insoupçonnées de mon disque dur.
Ecrit fin aout 2002.

Jazz in Marciac ; Blues in Auch

Alors que je me réveille encore d'un sommeil brumeux entaché de rêves de rentrées catastrophiques, je ne puis que considérer d'un oeil morne les quelques jours qui me séparent à nouveau d'une vie sociale riche en évènements. Ah lointaine rentrée où je retrouverais le piaillement des élèves, le bruissement des cahiers que l'on couvre ou que l'on ouvre pour la première fois, le craquement des crayons qui grattent sur le papier, les chamaillements bon enfant des gamins se disputant le droit d'avoir telle ou telle place dans cette classe que j'aime tant. Tout cela me semble encore loin, mais les jours passent et il n'en reste finalement plus beaucoup avant que cette description ne devienne réalité.

Mais pour l'heure, la nostalgie m'envahit et mes pensées se tournent inlassablement vers le passé proche. Et tout en gratouillant Enzo sur le ventre (Enzo c'est mon chat), glissant ma main dans ses poils noirs et touffus, les brumeux sursauts de mémoire s'étiolent filandreusement à bord de la frêle embarcation contenant mes souvenirs, qui glisse tranquillement sur le fleuve paresseux de l'oubli.

Le festival de Marciac ayant jeté par delà ces vacances pluvieuses ses quinze jours de fêtes, d'alcool et de jazz, il ne pouvait s'agir que d'un rêve.
Te rappelles-tu, mon ami, de ces journées de farniente où nous nous primes à avoir pour activité principale le reluquage en règle des douces créatures féminines arpentant d'un air nonchalent les rues de ce village à la saveur aigre douce ?
Sans doute posées là exprès pour aiguiser nos appétits de mâles, elles nous mataient aussi, nous, jeunes hommes vêtus de nos plus beaux atours, resplendissant parmi la foule bigarrée d'amateurs de Marsalis ou d'Emile Parisien. Nous prenions alors des airs coquets rivalisant sans mal avec les meilleurs partis. Et notre popularité n'en était que plus ostentatoire lorsque toutes les deux minutes un musicien venait nous saluer, nous parler, puis nous offrir l'ultime verre que nous ne pouvions refuser malgré notre état avancé d'ébriété. Tous les regards nous vrillaient alors, malades de jalousie, et ce n'est qu'avec une volonté d'airain que nous parvenions à cacher ce sentiment d'indéflectible contentement de soi que nous mourrions pourtant d'envie d'asséner à la face du peuple.
Tout cela nous aidait à attirer vers nous les regards purpurins des jeunes filles. Mais le contact visuel étant pris, nous fondions comme du foie gras au soleil et baigayions des insanités propres à révéler au grand jour notre totale absence de poésie, que les verres sus cités avaient largement contribué à faire disparaitre. Nos blagues tournées au coin du bon sens n'avaient pas l'effet escompé puisque nous oubliions à chaque fois que ces créatures dont nous sommes tant friand ne possèdent pas le même sens de l'à propos que nous ; surtout quand les dites blagues ont pour ressort principal ce qui pousse les femmes et les hommes à se rencontrer...
Ah, combien de rencontres déliceuses et de confidences sur l'oreiller avons nous ratées ainsi ? Je ne sais, mais moultes. Car après ces quelques déboires, nous replongions le nez dans nos verres, préférant l'alcool à toutes compagnies féminines incapables de deviner les trésors que nous dissimulions sous nos carapaces blindées de jeunes éphèbes timides, maladroits et saouls.
Qu'elles s'en aillent, les sottes ! Tant de superficialité affichée dans ces robes aux froufrous aguicheurs ne pouvait évidemment retenir notre attention, nous qui élevions le débat à coup de coprolalies bien senties, même si parfois l'horizon d'un simple sein qu'on devinait sous une étoffe un peu trop pâle réveillait des instincts que l'on qualifiait ensuite de bas et méprisables.

Le réveil de ce qui semblait être un doux coma n'en est que plus rude aujourd'hui alors que le festival est bel et bien fini et que ne subsiste à Marciac pour rappeller ces quinze jours grandioses que les quelques déchets que laissèrent là les touristes et autres amateurs.
Je repense alors aux visions enchanteresses de ces magnifiques toiles rouge et bleue qui couvraient la scène, au coeur du village, et celles-ci m'emportent en même temps qu'elles tanguent vers les limbes des souvenirs. En laissant vagabonder mes pensées et en retirant ma main du ventre d'Enzo qui ne cherche à exprimer sa joie qu'en me mordant, je pousse un soupir confus.
Auch quant à elle étale sa beauté architecturale au vu et au sus de tous ; notamment des moines et autres prêtes admirant béatement la cathédrale du centre ville, dressée ici à la gloire d'un être que personne ne verra jamais.
Alors que tout paraissait tellement facile, beau et gentil à Marciac, je constate que revenu à Auch, il n'en est foutrement rien. Des purs canons rencontrés là bas à tous les coins de rues, il ne reste ici que de vieilles mégères steatopyges ou de jeunes femmes voués aux ordres, happées par la beauté de cette construction moyen-âgeuse, entourées de leur duègne acariatre. Du haut de mon balcon je contemple, tel soeur Anne, mais je ne vois rien venir. Suis-je trop exigeant quand j'imagine quelqu'un du sexe féminin, d'une beauté fatale, venant sonner à ma porte, et qui me demanderait, avec une voix suave à faire fondre l'antarctique, si éventuellement elle peut rester dormir chez moi, même si, et elle s'en excuserait bien volontier évidemment, elle a oublié toutes ses affaires dans son propre appartement, y compris son pyjama, et qu'elle espère qu'elle ne me dérangera pas, étant bien entendu qu'elle serait prête à beaucoup de chose pour me récompenser ? Honnêtement, si on ne peut espérer que de tels contes de fée survinssent encore en notre époque où la consommation est reine et l'argent prince, je me dis qu'il va encore falloir attendre quelques années pour que la dépression qui me guette ne s'estompe.

Mais foin de ces pensées stéréotypées de maniaco dépressif.
Alors que l'orfèvre Joe distille sur ma chaine hifi ses morceaux divins, et que je me laisse envouter par "Mind Storm", je me dis que c'est exactement l'ambiance qu'il me faut pour reprendre en main quelques projets que j'ai momentanément balancé dans les lymbes de l'oubli.
Aussi vais-je me jeter corps et âmes dans ce que j'aurais dû faire il y a déjà bien des années : passer la serpillère dans mon appartement afin de laver définitivement sous les litres d'eau de javel parfumé les quelques vestiges de terre ramenés de Marciac sous des chaussures qui plongèrent, un soir où je n'avais plus toute ma tête, dans un fossé rempli d'eau...

FMP thE mAd
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