J’ai peur. J’ai peur de ce que je vois, j’ai peur de ce que j’entends. Peur de ce que je devine et de ce que j'imagine.
Je dois fuir. J’ai peur de la haine des foules hurlantes. J’ai peur du mépris gras qui suinte de toutes ces paroles.
Plus vite. J’ai peur de la résignation sur toutes ces faces. J’ai peur de la bêtise et de l’ignorance qui ripaillent.
Plus vite. J’ai peur de cette laideur de l'âme qui s'exhibe, peur de cette richesse qui dégouline de misère.
Plus vite. J’ai peur de cette Machine qui broie le monde, peur de me dissoudre dans cette soupe.
Plus vite. J’ai peur de mon ombre maléfique, lovée en moi et qui bouillonne de rage.
Plus vite. J'ai peur d’avoir peur, peur d’être lâche et faible.
Plus vite. Peur de moi.
Stop.
J’ai fuit. J’ai couru jusqu'au bout de mes forces. J’ai grimpé, j’ai volé aussi haut que possible. Le souffle court, j’ai craché la crasse écœurante de mes poumons. Le ventre vide, j’ai vomi mon angoisse bileuse. Et tremblant de froid dans le vent et l'averse, j’ai sué jusqu’à la dernière goutte de mon acide solitude. Lavé par la pluie, j’ai laissé mes peurs derrière, mais elles me suivent, je les entends crier de colère. Je suis tombé, entre ciel et terre, sur ce carré d’herbe verte. Les murs de pierre, les branches des arbres se sont penchés doucement sur moi alors que je rampais, pour me cacher à la meute furieuse. J’ai rejoint au sommet cette étrange tour de pierre, sans âge, sans raisons autre que d’être là, mince et modeste pilier isolé sous les nuages sombres. A son pied est une niche, un berceau de pierre où l’on peut se recroqueviller, à l’abri. J’ai sourit, hors d’atteinte, protégé par la roche paisible de tous les tourments du monde.
Sauf un. Cette peur familière, la plus vieille, la plus intime, celle qui jamais ne m’a laissé de répit. Je la vois s’approcher, narquoise, sûre d’elle, sûre de sa victoire. Je veux l’agonir d’injures pour la faire reculer, mais j’ai perdu ces mots là dans ma fuite. Elle m’a suivi sans peine car elle est en moi, chevillée à chacun de mes os, nouée à chacune de mes veines. Elle sait que je ne peux la rejeter sans disparaître avec elle, et elle triomphe, impitoyable.
Pour peu de temps. Je la regarde en souriant, elle hésite soudain. Je l’embrasse de toutes mes forces, je l’accepte sereinement en mon sein. Elle se dissipe, non, se transforme, se change. De celle qui me tourmentait sans relâche, je me suis fait une alliée. De ma faiblesse, j’ai fait une force. J’ai fait la paix avec ma conscience, et peux redescendre sans plus de craintes dans le monde.
Jusqu’à la prochaine fois.