Provient du message de Corwin Elentári
Ou plutôt, si c'était dû à vos choix ou à ses thèmes : la mort, l'amour, l'alcool - qui restent, ma foi, de grands thèmes classiques.
Alors je vais tenter une réponse pour assurer un minimum de service après vente. Que Felomes, n’hésite pas à me reprendre si jamais il estime que je m’égare, je lui reconnais le statut de spécialiste ne serait-ce que parce qu’il faut en être un sincère pour se permettre de s’en défendre et de se revendiquer simple amateur. Loin des rodomontades que l’on lit habituellement sur ces quelques forums, et rien que pour cela sa défense en est appréciable.
Pour Voyage… , oui, la mort, l’amour et les autres thèmes sur lesquels chaque auteur se voit contraint d’apporter son point de vue sont présents.
Mais il y a un peu plus qu’une lecture lyrique ou pire, romantique, de ces thèmes.
(
Attention, spoilers inside !)
Il y a une vraie dimension introspective sans concession : Bardamu se heurte et découvre certaines des forces qui le dirigent, l’agitent et l’agissent.
Il découvre sa propre lâcheté en s’engageant dans l’armée suite à une emportement passager au son d’une musique militaire qui lui donne une soudaine envie d’héroïsme. Puis il est confronté à l’ambiguïté du lien amoureux (
" L'amour, c'est l'infini à la portée des caniches") ou charnel lorsqu’il se fait irrémédiablement abandonné.
Qu’à cela ne tienne, Bardamu continue sa vie, en homme libre car de plus en plus conscient de ces forces agissantes, part en Afrique, là où "
Dans l’hébétude des longues siestes paludéennes, il fait si chaud que les mouches aussi se reposent." et découvre l’horreur du colonialisme.
Et oui, c’est con mais Voyage… est un livre anti-colonialiste aussi, si l’on cherche à tout prix à lui coller une étiquette. Rien à voir avec un texte disant que les noirs puent et invitant à une rédaction où l’insulte serait permise, summum de l’intérêt pédagogique, j’imagine.
Puis vient sa découverte de cette Amérique où il est confronté intimement à la pauvreté, la prostitution, et la solitude (
"Dans la fatigue et la solitude le divin ça sort de l'homme"). Son voyage se fait éprouvant, sa foutue liberté a un prix et il passe près d’en crever.
Et voilà le Bardamu devenu médecin et découvrant les mesquineries quotidiennes. Jusqu’où doit-il ou a-t-il envie d’aider des gens ? … l’histoire s’emmêle, et il quitte la médecine pour s’offrir un interlude où amour et mort s’étreignent à nouveau mais sans grandes effusions : juste du glauque car
"A mesure qu'on reste dans un endroit, les choses et les gens se débraillent, pourrissent et se mettent à puer tout exprès pour vous". Rien que pour le côté démystifiant, pour la dénonciation des foutaises romantiques, cela vaut le détour.
Et hop revoilà Bardamu toubib et les fantômes qu’il croyait avoir laissés sur le bas côté ressurgissent. Et merde. Quand est-ce que tout cela finira-t-il ? Quand est-ce que Bardamu sera enfin tranquille ? Où va-t-il, putain, ça commence à devenir angoissant cette vie qui ne mène nulle part. Mais ouf. Le livre s’achève.
Et cela se termine sur un remorqueur, qui pourrait emporter avec lui toute cette histoire :
" De loin, le remorqueur a sifflé ; son appel a passé le pont, encore une arche, une autre, l'écluse, un autre pont, loin, plus loin... Il appelait vers lui toutes les péniches du fleuve toutes, et la ville entière, et le ciel et la campagne, et nous, tout qu'il emmenait, la Seine aussi, tout, qu'on n'en parle plus. "
Oui, de grâce, qu’on n’en parle plus, ça devient pénible cette plongée intime au sein d’un monde aussi absurde.
Bref, Bardamu s’essaie à vivre libre, au plus près de lui, de tout ce barda mu par on ne sait trop quoi : lâcheté, amour, emportement héroïque, amitié, intérêt immédiat, aversion profonde, lassitude… ?
Mais cet essai rappelle qu’il n’y a pas de liberté sans cette confrontation, sans ce face à face certes pénible mais nécessaire pour s’essayer à autre chose qu’à la survie béate et irréfléchie.
J’ai comme idée que j’ai hors-sujeté dans les coins. Dieu me pardonne. Alors je m'arrête là, j'ai presque épuisé mon stock de citations et il y en a quelques unes que je tiens à garder pour moi. Tout contre.