Chapitre 23: encore de la violence !

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Je commence à m'inquiéter. Moi qui voulais écrire une histoire mignonne et charmante comme tout, voilà que le sang coule dans tous les sens.

O rage, ô désespoir, ô bourrinage ennemi



Introduction
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
Chapitre VIII
Chapitre IX
Chapitre X
Chapitre XI
Chapitre XII
Chapitre XIII
Chapitre XIV
Chapitre XV
Chapitre XVI
Chapitre XVII
Chapitre XVII
Chapitre XVIII
Chapitre XIX
Chapitre XX
Chapitre XXI
Chapitre XXII


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Laath s'arrêta net. La lance était étrange, la hampe plus souple, la pointe plus large que celles qu'il connaissait. Mais cela ne changeait rien au problème. Si jamais il respirait trop profondément, il avait l'impression que le sang jaillirait, tant la lame d'acier était proche de son ventre.
"Laath ? Tout va bien" s'enquit Shareen, la voix anxieuse, derrière lui.
Le cambrioleur avala sa salive, puis détourna finalement ses yeux de la lance pour observer qui la tenait. De nouveau, il faillit défaillir.

C'était un monstre venu des pires légendes de son enfance. Un démon. Un cauchemar. Une aberration.
L'homme avait la peau noire comme de l'ébène. Deux yeux profonds et terrifiants brillaient dans un visage aussi sombre que le puits des enfers. Il était habillé à la manière des nobles de l'Empire, un pourpoint de soie bleu pâle collant à sa peau, rehaussant la noirceur de ses bras nus. Il avait des cheveux crêpus, qu'il portait longs, ce qui lui donnait l'air d'un lion majestueux.
"Fuyez !" cria Laath, tentant de se jeter de côté. Mais l'homme suivit le mouvement avec sa lance sans même ciller, et le jeune cambrioleur se retrouva au sol. La pointe de la sagaie ne visait plus son ventre, mais sa gorge, désormais.
"Pas de bruit, oui ?" murmura l'homme. Il ne cillait toujours pas, au point que c'en était déconcertant. "J'enlève mon arme, et tu ne cries pas. Si tu cries, je tue, oui ?"
Il avait un accent épouvantable, au point que Laath mit un peu de temps pour réaliser ce qu'on lui disait. Lorsqu'il comprit, il hocha frénétiquement la tête. La pointe s'enleva doucement de son cou.

"Laath !" s'exclama Malek, débouchant brutalement dans le couloir, une dague à la main. "Qu'est-ce qu'il se passe ?" Shareen suivait sur ses talons, le visage fermé, agitant un poignard de manière menaçante.
"Qu'est-ce que…" balbutia-t-elle en embrassant la scène du regard.
Elle ne put en dire plus. L'homme se releva brutalement et envoya sa sagaie, hampe en avant, dans l'estomac de la jeune fille. Elle se plia en deux et tomba sur le sol sans dire un mot, suffoquant. Malek se mit en garde, mais le bois de la lance vint frapper ses deux poignets avec force et le jeune homme recula, lâchant son arme pour étreindre sa main.
"Mes doigts.." gémit-il.
"Si toi, et toi, et toi, tu te tais, je ne tue pas, oui ?" fit l'homme, s'appuyant sur sa lance, pointe vers le sol. "Je ne tue pas enfants, non ? Toi et toi, tu comprends ?"
"Un Koushite ?" murmura Malek. Il cilla lorsque la lance s'approcha de lui avec une vitesse vipérine. "Je ne crie pas, je ne crie pas"
"Bien" fit l'homme. "Bien, bien. Que vous faites dans la tour dans la nuit, oui ?"
Son accent était décidément épouvantable, mais il restait tout à fait compréhensible. Il était tout aussi évident qu'il attendait une réponse, et une réponse qui le satisfasse.
"Qui êtes-vous ?" demanda Laath, se relevant péniblement.
"Je pose la question, oui ?"
"Je…" Laath se lécha les lèvres. "Nous…" Il y eut un instant de silence alors qu'il cherchait désespérément un mensonge crédible. Déstabilisé par la pointe de la lance oscillant devant lui, il dit la première chose qui lui passait par l'esprit. "Nous voulions voir si nous parviendrions à rentrer dans le palais. Les gens du quartier, ils disent qu'on n'est pas courageux, parce qu'on ne fait pas les mêmes bêtises qu'eux. Alors on voulait leur montrer. On voulait leur prouver qu'on était braves, nous aussi, et que rien ne nous faisait peur. On…"
"K'laa ? C'est toi ?"

L'exclamation incrédule de Malek interrompit le pitoyable mensonge de Laath, alors que celui-ci commençait à s'embrouiller désespérément. Le grand noir se tourna instantanément vers le licornéen. Pour la première fois, des émotions apparaissaient sur ce visage de pierre; il avait clairement l'air surpris.
"Tu me connais, oui ?" fit K'laa, avant de repousser d'une main bourrue le capuchon du manteau du jeune homme. Il resta un instant à l'observer, à regarder le maquillage que la pluie avait fait couler, la pilosité exagérée de plusieurs traits de cendre. Finalement, il sourit. C'était étrange, un tel sourire sur un tel visage. On avait l'impression d'un véritable tremblement de terre, de rochers glissant les uns contre les autres, alors que l'expression sévère disparaissait, et qu'une parfaite rangée de dents blanches brillait à la lumière des torches. "Drôle. Tu es comme une fille, oui, mais tu n'es pas une fille, non. Tu es le cheval à la corne, oui ?"
"Tu le connais, Malek ?" fit Laath d'un air incrédule.
"Oui, c'est le garde de l'ambassadeur Koushite. Il traînait souvent à l'académie, pour voir comment l'on se battait par ici"
"Mah'lk, oui, je me souviens" murmura l'homme. Son sourire disparut aussi rapidement qu'il était apparu. "Et que fait le cheval cornu ici, dans ces couloirs ? Il est recherché, j'ai entendu. Le petit empereur le veut mort, oui ?"

Malek poussa un grand soupir. Il jeta un œil à Shareen et Laath, mais ses deux compagnons se contentèrent de lui rendre son regard en haussant les épaules. S'il voulait parler, la décision lui revenait. Il n'avait pas vraiment le choix. K'laa se souvenait peut-être de lui, mais il avait le même regard impitoyable que le Banni. C'était un homme qui ne s'embarassait probablement pas de sentiments. Plus le jeune homme y réfléchissait, plus il était convaincu que K'laa était dans ce couloir aussi clandestinement qu'eux. Cela voulait certainement dire que, si la réponse ne lui plaisait pas, il s'arrangerait pour ne pas laisser de témoins derrière lui. Il frissonna. Ca ne pouvait être que sa satanée imagination. Les gens ne se tuaient pas pour si peu. Mais il se rappella Rekk, et changea d'avis. Pour si peu, quelqu'un comme le Banni pouvait parfaitement tuer.
D'un autre côté, K'laa savait que Malek était recherché par l'empereur, pourtant cela ne semblait lui poser aucun problème. C'était un point important.

"Je… Nous sommes ici pour essayer d'aider un ami, qui s'est fait emprisonner par l'empereur. Nous essayons de trouver les geôles, l'en libérer, et nous enfuir avec lui"
Dit comme cela, ç'avait l'air complètement stupide. Il n'y avait aucune raison que K'laa y croit plus qu'à la tentative de Laath de tout expliquer par une volonté de relever un défi. C'était même moins crédible, quand on y réfléchissait.
K'laa émit un son étranglé, puis un second. Ses épaules s'agitaient doucement. Il fallut un moment aux jeunes gens pour comprendre ce qui se passait: le Koushite riait ! Il riait même de bon cœur, et tentait désespérément d'étouffer les sons qu'il produisait en baissant la tête et portant les mains à sa bouche.
"Tu es sûr que c'était une bonne idée de tout lui dire ?" murmura Shareen, attrapant le bras de Malek et le serrant avec force.
"On pourrait peut-être en profiter pour fuir, non ?" chuchota Laath à son autre oreille. "Il ne fait plus attention à n…trop tard"
K'laa se releva, essuyant les larmes qui lui coulaient dans les yeux. Au grand soulagement des trois jeunes gens, il n'avait plus l'air menaçant du tout, et sa sagaie restait pointée vers le sol.
"Trois louveteaux petits. Pas grands, mais déjà des crocs, oui ?" Il rit de nouveau. "Et vous voulez trouver la prison tous seuls et aider votre ami, oui ?"
"C'est le plan, je suppose" murmura Malek, déconcerté.
"Il doit être important, cet ami, pour que trois louveteaux marchent dans un palais. Oui ? Il l'est ? Important ?"
"C'est…" commença Malek, mais Laath lui coupa la parole: "C'est le père de la fille que j'aime"
Le Koushite lui lança un regard perçant.
"Je vois, je vois. L'amour, ça fait des choses, oui ? Et c'est la fille, là ?" Il désigna Shareen.
"Non" grogna Malek, alors que Shareen répondait: "Oui"
Elle s'engouffra avec bonheur dans le silence qui suivit.
"C'est mon père, qui est emprisonné en bas. C'est pour ça que c'est important de le retrouver, sinon l'empereur va le tuer, vous comprenez ? Il ne faut pas que vous nous empêchiez de descendre. Ca sera déjà difficile comme ça… oui ?"
Elle battait des cils avec un air tellement innocent que Malek aurait éclaté de rire, si la situation n'était pas aussi ennuyeuse.
"Vous empêcher ?" K'laa avait l'air sincèrement surpris. "Moi aussi, je descends en prison, oui"
"Comment ça ?"
"C'est à cause de G'kaa ?" fit Malek, comprenant soudain la situation.
Le Koushite hocha la tête.
"G'kaa, il a été arrêté hier soir. Il a dit que le prince avait tué son père, oui ? Le petit empereur, il n'a pas aimé. Il veut le faire pendre aussi, mais il n'y arrivera pas, non. Maintenant, je suis là, et je vais le sauver"

Malek hocha la tête. Le nouvel empereur commettait bévue sur bévue, il semblait. Séquestrer un ambassadeur, voilà quelque chose qui ne s'était pas produit depuis des dizaines d'années, s'il se rappelait bien ses leçons d'histoire. On ne pouvait pas les jeter en prison, sauf en cas de haute trahison. Et, même ainsi, les ambassadeurs bénéficiaient d'un traitement de faveur jusqu'à leur jugement. Mais en jeter ainsi un dans un cul de basse-fosse… Le jeune homme frémit.
"Nous devrions descendre ensemble, alors. Nous avons le même objectif. A quatre, nous sommes plus forts que séparés !"
Le regard du koushite, teinté d'amusement, lui fit comprendre qu'il était le seul à penser ainsi. Pourtant, K'laa finit par hocher la tête.
"Une fille ne doit pas être séparée de son père, non ? Je vais vous aider. Je vais au même endroit, après tout"
"Ce n'était pas prévu" murmura Laath.
"Ce n'est pas toi qui voulait improviser sur place ? Eh bien voilà, on a improvisé" répondit Malek. "Qu'est-ce qu'il te faut de plus ?"
"Est-ce qu'on peut lui faire confiance ?"
"Je ne sais même pas si je peux te faire confiance… Mais il n'a pas appelé de gardes ni sonné l'alarme, donc je suppose pour l'instant qu'il est effectivement là pour la même raison que nous: essayer de tirer quelqu'un de la prison impériale"
"Et toi qui disais que nous étions les seuls assez stupides pour nous lancer dans une expédition pareille…" sourit Shareen. "Tu vois, il y a d'autres personnes qui pensent à la vie de leurs amis avant la leur"
"Oui, oui. Les Koushites sont vraiment bizarres" grommela Malek.

Il se sentait bien mieux, cependant, alors qu'il ramassait sa dague sur le sol. Son cœur avait manqué s'arrêter lorsqu'il était tombé nez à nez avec le koushite cependant, maintenant qu'il y pensait, sa présence était une véritable bénédiction. L'homme était logé au palais et devait donc bien connaître la topographie des lieux. Par ailleurs, ç'avait l'air d'être un habile combattant. Si jamais les choses en venaient là, ce serait un avantage indéniable de pouvoir compter sur lui. Pour la première fois, Malek se sentait un peu plus optimiste. Leur entreprise était toujours stupide, mais au moins entrevoyait-il enfin des aspects positifs. Après tout, si ils croisaient encore des amis de personnes emprisonnées, peut-être finiraient-ils par être une véritable armée en arrivant aux geôles ? Il sourit tout seul à cette idée.

K'laa prit autoritairement la tête du petit groupe. Il avançait à moitié courbé, sa sagaie dans la main, et ses pieds ne faisaient pas le moindre bruit en touchant le parquet. Laath le suivait de près, aussi silencieux qu'une ombre. On ne pouvait en dire autant de Malek et de Shareen. Malgré tous leurs efforts, le plancher grinçait dangereusement à chacun de leurs pas, et le Koushite leur lançait épisodiquement des regards courroucés. Il doit regretter de nous avoir pris avec lui, désormais, pensa le jeune homme avec fatalisme. Il n'avait jamais eu l'intention d'être un poids pour personne, mais il lui semblait que, depuis un mois, il n'avait fait que gêner des gens plus habiles, plus forts, plus expérimentés que lui. C'était une pensée déprimante, et il la repoussa bien vite de côté.

Les couloirs paraissaient interminables, surtout à cette allure d'escargot. Parfois, des tapis épais leur permettaient de ne plus avoir à se soucier du bruit mais, autrement, Malek ne cessait de gémir en écho des grincements du bois. Il se sentait nerveux à l'extrême. Il faillit pousser un cri alors que plusieurs formes sombres se profilaient dans la pénombre. Mais ce n'étaient que de vieilles armures. Juchées sur leurs piédestals, des heaumes vides depuis plusieurs centaines d'années les regardaient avec une expression austère. Des gants sans main serraient de longs glaives tous simples, des armes qui avaient connu la violence et la guerre. Des armes grâce auxquelles l'Empire avait réussi à s'étendre au long des siècles.

"Je vais prendre une de ces armes" murmura Malek, s'approchant d'une armure. "Si jamais il nous faut combattre, je préfère avoir autre chose qu'une dague"
"Attention au bruit" siffla Shareen. "Il ne faut pas qu'on perde de temps !"
"Ne t'inquiète pas" répondit le jeune homme, desserrant doucement l'étreinte de gantelets de plate sur la lame qu'il convoitait. Il procédait avec d'infinies précaution, tentant de ne pas déséquilibrer l'armure. Il sentait le regard impatient de K'laa sur son dos, mais l'opération ne prit finalement que quelques secondes. Avec fierté, il exhiba sa nouvelle acquisition.
"Je l'ai !"
"Le louveteau est content, oui ? On peut y aller, oui ?"

Sans un regard en arrière, le koushite reprit sa progression. Malek haussa les épaules, et suivit les autres. Furtivement, il jeta un regard à sa nouvelle arme. C'était une épée de bon acier, mais bien plus lourde que ce à quoi il se serait attendu. L'arme paraissait vieille dans ses mains, mais la lame en étant toujours mortellement tranchante. Un espace vide dans le pommeau laissait croire que l'arme avait été richement incrustée autrefois mais, quelle que fût la pierre précieuse qui reposait là des années auparavant, une main cupide s'en était emparée. Il y avait aussi des marques plus sombres vers la pointe de la lame. Il avait pris cela au début pour de la rouille, mais un examen plus approfondi ne laissait aucun doute: c'étaient des traces de sang. Il ne savait pas à quel ancien guerrier il avait pris son arme, mais elle avait en tout cas déjà servi. La pensée était troublante. Quels faits d'armes avait-elle pu aider à accomplir ?
"Tu as probablement contribué à forger des légendes" murmura-t-il doucement à la lame. "Maintenant, c'est moi qu'il faut aider"
Shareen se tourna vers lui, inquiète, mais il se contenta de lui sourire. Parler à une épée. Je suis complètement fou. C'est cette angoisse omniprésente…

Devant eux, K'laa s'interrompit soudain, tous les sens aux aguets.
"Des gardes" murmura-t-il. "Ils arrivent, oui"
"On va les combattre ?" Malek leva avec enthousiasme sa nouvelle épée. Enfin, de l'action, quelque chose. L'indécision le rendait fou.
"Par là"
Le Koushite ne prit pas même la peine de lui répondre. Sans hésiter, il ouvrit une porte sur la gauche, et tous s'engouffrèrent dans la pièce. Il referma la porte avec douceur et colla son oreille à la cloison.

Malek jeta un œil à la pièce, et son cœur s'arrêta de battre. Ils étaient dans une chambre à coucher. Un grand lit à baldaquin occupait près d'un tiers de la pièce et un couple ronflait tranquillement dedans, enlacés. La femme était à moitié cachée par les couvertures, mais l'homme avait la tête sortie et la bouche ouverte. Malek le connaissait de vue. C'était le frère du Duc de Lion. Où était-ce le cousin ? En tous les cas, un noble d'une Maison importante, qui avait dû venir spécialement pour les funérailles de l'empereur et le couronnement du nouveau.
La fenêtre était ouverte sur la nuit et l'orage. La pluie crépitait contre le rebord, et l'orage grondait de temps en temps en contrepoint. Malek était reconnaissant de ces bruits parasites. Avec un peu de chance, le couple ne se réveillerait pas. Il reporta son attention sur la porte.

K'laa avait les yeux collés sur la serrure, et ce qu'il voyait semblait lui plaire. Il attendit une bonne minute ainsi, avant de rouvrir délicatement la porte.
"Les gardes, ils sont passés. On peut repartir, oui"
Ce fut avec soulagement que Malek déboucha de nouveau dans le couloir. Il avait les jointures blanches à force de serrer son épée.
"Détends-toi" murmura Shareen, caressant doucement son bras. "Tu es tout crispé"
"Ca va, ça va" Il prit une grande inspiration. "Continuons. K'laa va partir sans nous, si nous traînons"
De fait, le Koushite était déjà loin, Laath sur ses talons. Il leur fallut accélérer pour les rattraper, alors que le plancher grinçait de nouveau.
Enfin, ils arrivèrent aux escaliers. Si ses souvenirs étaient bons, ceux-ci descendaient jusqu'au rez-de-chaussée, puis s'enfonçaient dans les sous-sols du palais. Il n'avait jamais imaginé qu'il puisse y avoir des geôles alors qu'il jouait dans la citadelle, enfant. Mais si geôle il y avait, alors elles ne pouvaient que se trouver au bas de ce sombre escalier en colimaçon. K'laa les emprunta sans hésiter une seule seconde. Ce ne fut qu'arrivé au rez-de-chaussée qu'il attendit patiemment que les autres le rejoignent.
"C'est maintenant que les choses vont se compliquer" murmura Laath.
"Je ne sais pas pourquoi, j'étais sûr que tu dirais ça" répondit Malek avec fatalisme. Shareen pouffa et se colla de nouveau contre lui. Ses petits seins se pressaient contre son côté.

Il avait bien besoin de ce changement d'idées. La descente était plus angoissante qu'il avait pu l'imaginer. Avancer dans un palais désert, au milieu d'une forêt de patrouilles de gardes, accompagné d'un sauvage avec une lance, n'était pas la meilleure chose à faire si l'on voulait vivre vieux.
Les murs ici étaient suintants d'humidité et couverts de moisissure. Plus ils s'enfonçaient profondément dans la terre, plus les escaliers se changeaient en un boyau raide, éclairé par quelques maigres torches. K'laa ne ralentissait pas son allure, posant le pied sur les marches ébréchées et recouvertes de spores comme s'il avançait sur un tapis moelleux. L'escalier tournait et tournait, s'enroulant sur lui-même comme un escargot à la coquille pleine de boue. Malek sentait progressivement la confiance revenir en lui. Ce n'était que ça, après tout ?
"…trop tôt !"
"…plaindre ! … trois heures ! …. Gagne…"
K'laa se figea brusquement alors que les bribes de dialogue montaient vers lui. Il inclina la tête de côté, comme pour mieux écouter.
"Les voix, c'est la salle de garde. Ils sont nombreux, peut-être, oui ? Il faut descendre, pour voir. Mais vous ne faites pas de bruit, non."
A pas de loups, le Koushite descendit les quelques marches qui restaient, les autres sur ses talons. Malek essuya la sueur qui lui coulait dans les yeux. Il avait l'impression que son cœur allait exploser dans sa poitrine. Les soldats ne pourraient éviter de l'entendre, s'il continuait à battre à ce rythme. Ou alors, ils entendraient sa respiration saccadée. Ou bien encore le cliquetis de l'épée alors qu'il ne pouvait empêcher ses mains de trembler. C'était un petit réconfort de voir que Shareen avait l'air plus effrayée que lui encore. Elle semblait avoir du mal à trouver de l'air. Il la prit dans ses bras en souriant. C'était étonnant, ce que trouver quelqu'un à réconforter pouvait aider contre sa propre peur. Avec précaution, il glissa un œil au-delà de l'escalier.
Au premier regard, il put constater qu'ils ne s'étaient pas trompés d'endroit. De l'autre côté de la pièce, on pouvait voir une épaisse herse en fer forgé, visiblement très épaisse, qui donnait directement sur un couloir parsemé de cachots. Malek pouvait sentir d'ici l'odeur pestilentielle de paille souillée qui se dégageait de l'endroit, et entendre les cris déchirants qui rythmaient la nuit.
Les gardes ne paraissaient pas particulièrement intimidés ni incommodés par la proximité de ces pauvres diables. Ils étaient bien une quinzaine à occuper la pièce. Celle-ci n'était visiblement pas conçue pour héberger autant de mondes, et la majeure partie d'entre eux étaient assis en tailleur sur le sol à jouer aux dés ou aux cartes. Il n'y avait que trois chaises, et toutes étaient occupées par des sergents à moitié somnolents. Huit pichets de vin trônaient sur la table, entièrement vides. Certains avaient une bonne descente.
Les conversations étaient maintenant beaucoup plus distinctes.

"Encore une heure ? Je n'arriverais jamais à tenir aussi longtemps ! Ca fait combien de temps qu'on est là, je m'engourdis complètement !"
"Dis plutôt que tu veux retrouver la petite servante, là, comment elle s'appelait ? Celle qui n'a pas arrêté de te regarder pendant le couronnement"
"Arrête, elle est vraiment moche ! Je ne suis pas désespéré à ce point !"
"Comment ça, moche ? Elle est bien ronde, là où il faut ! Qu'est-ce que tu lui demandes de plus ?"
Il y eut un concert de rires gras alors que les dés roulaient sur le sol, puis des exclamations lorsque le score fut révélé.
"Triple cinq ! La déesse de la chance est avec moi, ce soir !"
"La déesse des cocus, oui ! Foutu salaud, ça fait vingt pièces de cuivre que tu me prends en une heure ! Comment je vais me payer à boire, demain ? Tu peux me dire ?"
"Tu demandras à ta servante !"
"Je t'ai dit qu'elle n'était pas à mon goût ! Non, moi, il y en a une qui me plaisait bien, c'est la petite que le prince recherche, là. Tu sais, elle était là, au bal. Je t'en avais parlé. Un beau morceau, je te dis. Pas assez de seins, mais une bouche faite pour l'amour !"
"Oublie la, elle n'est pas pour toi, mon vieux. Tu n'as pas intérêt à chasser le même gibier que l'empereur, ça m'étonnerait qu'il apprécie"
"Tu as raison. Non, moi, ce qu'il me faudrait, c'est une Koushite. On dit qu'elle sont farouches, mais que quand on les dresse…"

De nouveau, il y eut plusieurs éclats de rire, suivis par des suggestions sur la manière d'amener à l'obéissance les plus sauvages des filles. Malek écoutait avec intérêt, jusqu'à ce que Shareen lui lance une bourrade furieuse dans les côtes.
"Tous les hommes sont des porcs, ma parole !" cracha-t-elle, avant d'ajouter, un ton plus bas: "Tu crois que c'est de moi dont il parlait ?"
"Je pense. Je ne connais pas beaucoup de filles à la poitrine plate" ironisa-t-il, pour se venger du regard noir qu'elle lui lançait. "Bon, on fait quoi, maintenant ? Ils sont très nombreux !"
Laath haussa les épaules.
"J'avais un plan, mais je ne sais pas si c'est possible, maintenant…" Il fouilla dans ses poches, et produisit une petite fiole. "Là-dedans, il y a assez pour endormir une petite armée. Enfin, une dizaine de personnes, quoi. Si jamais on parvenait à capturer un des gardes et revêtir son uniforme, après, on pourrait venir les voir en leur offrant à boire. Et le tour serait joué…"
"Où est-ce que tu t'es procuré ça ?" fit Malek, incrédule. "Tu ne nous en as pas parlé avant !"
"C'était un cadeau de Dame Dani. Elle appelait ça sa "petite contribution à notre aventure". Mais je ne sais pas vraiment comment on va pouvoir s'en servir, maintenant. Ils sont trop nombreux pour que tous succombent à l'effet, de toute façon. Il faut qu'on trouve autre chose"
"Les plans, ils sont mieux quand ils sont simples, oui ?" intervint K'laa, coupant la répartie de Malek. "G'kaa, il est derrière cette porte, et ton père aussi, oui ?"
"Je ne vois pas vraiment où tu veux en venir" fit lentement Laath, rangeant la fiole de poison dans ses vêtements. "Tu as une autre idée ?"
Le grand noir sourit de toutes ses dents.
"Non…" murmura Malek, incrédule.

K'laa bondit des escaliers, la lance au poing. Il fonça vers les hommes assis sur le sol tel un tigre dans la savane. Rapidement, silencieusement, mortellement. Les soldats étaient encore en train de plaisanter lorsque la mort vint les cueillir.
La mort, pour le premier, avait ce soir la forme d'une sagaie aiguisée, qui vint le cueillir sous le poumon gauche alors qu'il se penchait pour ramasser ses gains. Il ouvrit des yeux incrédules alors que la douleur remontait à son cerveau. Il lâcha une poignée de pièces de cuivres sur le sol. Il pensa à sa femme, qui n'avait jamais su qu'il la trompait. Puis il ne pensa plus, et ne bougea plus.
"Qu'est-ce que…"
La mort, pour le second, fut douloureuse et lente, alors que la lance lui tranchait négligemment la gorge. Il porta la main à son cou, incrédule, et le flot de sang qui teinta ses doigts le fit gargouiller. Désespérément, futilement, il tenta de stopper l'hémorragie, mais sa vision était déjà floue, de plus en plus floue. Il s'affaissa lentement. Ses mains étaient rouges.
Le troisième se leva d'un bond en réalisant ce qu'il se passait, et la sagaie se planta dans son bas-ventre alors qu'il arborait encore une grimace amusée. Son sourire se fondit en un rictus de douleur. Il attrappa la hampe de l'arme avec ses deux mains mais K'laa tourna vicieusement l'arme, et il hurla avant de tomber.

Le koushite recula d'un pas. Sa lance dégouttait de sang. L'effet de surprise était en train de passer, et les soldats se levaient avec hâte, tirant leurs épées avec des gestes hébétés.
"Un noir ! Il est seul, bande d'abrutis ! Tuez-le, et faites-le souffrir !" hurla le sergent d'une voix avinée, ramassant sa propre lance d'une main maladroite. "Je veux le voir crier !"
K'laa envoya un vicieux coup de la pointe de sa sagaie au premier homme qui cherchait à l'atteindre. Le soldat tenta de parer, mais ses réflexes étaient engourdis par l'alcool. Le maître d'armes qui l'avait formé lui avait toujours dit que cela causerait sa perte. Golhnak, il s'appelait. Un bon entraîneur, qui avait apprécié le potentiel du jeune soldat et l'avait incité à rejoindre la garde. La seule promesse que Golhnak avait exigé, c'était que le garde nouvellement promu ne force pas trop sur l'alcool de poire, son péché mignon.
La pointe de la sagaie dans le cœur, le garde se prit à regretter de ne pas avoir obéi. Mais la mort effaça doucement ses regrets.
Le koushite se remit en position, récupérant sa lance d'un mouvement de poignet. Les choses s'étaient bien passées jusqu'à maintenant, et l'effet de surprise avait pleinement joué en sa faveur. Mais maintenant, il devait faire face à onze hommes qui, même s'ils étaient ralentis par l'alcool et usés par l'inactivité, n'en restaient pas moins des guerriers entraînés et bien armés. Il recula pour se mettre à l'entrée de l'escalier, mais deux gardes l'avaient déjà encerclé par un mouvement tournant, lui coupant toute possibilité de fuir.

"Tu es venu aidé ton maitre, hein, sale chien ?" cracha le sergent, avançant d'un pas titubant. "Il était pas beau à voir, je te dis, avec les coups qu'il s'est pris ! Mais il était pas beau avant, alors ça changeait rien !" Il éclata d'un rire aviné. "Toi aussi, t'as une sale gueule. Et attends qu'on ait fini de s'occuper de toi… Qu'est-ce que c'est encore que ça ?"
K'laa détourna les yeux pour suivre la direction du regard du sergent. Malek venait de se ruer dans la salle, prenant à revers les gardes qui lui bloquaient les chemins de l'escalier. Il tenait dans son poing l'épée qu'il avait dérobée aux anciens empereurs, et il l'abattit de toutes ses forces sur le premier homme qui lui tournait le dos. Le lourd glaive écrasa la maille, trancha la chair, et ressortit de l'autre côté tant le coup était puissant. Avec un cri horrible, l'homme amputé recula de quelques pas et trébucha sur la table retournée, le sang giclant de son moignon d'épaule.
Shareen et Laath étaient sur ses talons. Alors qu'il tentait encore de contrôler le poids supérieur de son nouveau glaive, les deux jeunes gens frappaient avec leurs longues dagues, transperçant de concert le deuxième homme qui ne les avait pas vu venir. Les lames d'acier s'insinuèrent avec force dans les jointures de l'armure. Il n'y eut pas un son alors que le soldat s'effondrait. Son casque s'échappa de sa tête, libérant une cascade de cheveux. L'homme avait été blond et plutôt beau garçon. C'était lui qui avait attiré l'œil de la servante dont ils parlaient quelques minutes auparavant. Maintenant, il était mort.

"Des gamins, maintenant ?" piailla le sergent, soudain effrayé que d'autres ennemis n'arrivent. "Tuez-les tous, par les enfers ! "
Suivant son propre conseil, il se jeta en avant, agitant sa hache. Malek avança d'un pas, et rencontra l'acier avec celui de son épée.
"Déesse du Destin, mais tu es vraiment une outre à vin" grogna le jeune homme alors que l'haleine du sergent lui parvenait, chargée d'alcool.
Il dégagea sa lame et frappa de nouveau de taille, mais la hache vint s'interposer, avant de tenter de lui trancher le poignet. Si le sergent avait été sobre, la manœuvre aurait réussi, mais Malek parvint de justesse à esquiver d'une feinte de corps. Tout le monde se battait autour de lui, et il n'avait pas une seconde pour regarder comment la bataille tournait. L'homme avait beau être ivre, il était redoutablement habile. Ses coups étaient puissants et précis, et l'épée pesait de plus en plus lourd dans les mains moites du jeune homme. Il serra les dents alors que l'impact lui engourdissait le bras, et recula d'un pas. Si jamais un autre garde venait aider leur sergent, il ne parviendrait jamais à tenir.
Mais personne ne venait. Les gardes semblaient tous également occupés, ce qui était plutôt bon signe. Il fallait espérer que K'laa soit aussi habile qu'il en avait l'air. Mais, habile ou non, parviendrait-il à survivre contre autant d'assaillants ? Comment aurait réagi Rekk dans une telle situation ?

Malek para une nouvelle fois une botte vicieuse. Sa propre riposte fut écartée d'un revers de hache négligent. Le sergent se dessoulait vite dans l'action, et ses coups devenaient de plus en plus dangereux. Malek était plus jeune, plus fort, plus rapide. Mais l'homme était plus expérimenté et plus habile, et semblait se jouer de lui. De plus, le glaive que maniait le jeune homme n'était pas du tout adapté à l'escrime subtile que tentait le jeune homme.
Bloquant un contre à un pouce de son visage, il prit sa décision. Ahanant comme un bûcheron, il s'empara de l'arme à deux mains, et asséna un terrible coup de taille de toutes ses forces. Le sergent para, mais la violence du choc le fit reculer d'un pas pour retrouver son équilibre. Il eut à peine le temps de se rétablir que le second coup arrivait, aussi violent, puis un troisième. Le sergent aurait pu transpercer le jeune homme à tout moment, mais cela aurait voulu dire ne pas se protéger, et avoir le crâne fracassé. Patiemment, le vieux briscard attendait que le gamin se fatigue, reculant lorsque le coup était trop puissant.
Il ne comprit ce que le jeune homme cherchait à faire que lorsque ses talons butèrent contre une des chaises renversées sur le sol. Avec un cri étranglé, il trébucha, et étendit les bras pour retrouver son équilibre, abandonnant sa garde. L'épée s'abattit avec un vrombissement sourd, et lui brisa le crâne.
Malek essuya d'un geste las la sueur qui lui coulait dans les yeux. Il ne sentait plus ses bras. Son épée semblait peser plusieurs fois son poids.

K'laa était grièvement blessé; son bras gauche pendait sur le côté, comme brisé. Il avait du sang sur ses bras noirs. Sa sagaie, il l'avait abandonnée dans le corps d'un de ses adversaires. Il tenait maintenant maladroitement une épée, et tentait de repousser avec lassitude deux hommes qui le harcelaient de leurs lances. Shareen et Laath se battaient de concert contre un troisième homme, dansant de côté pour essayer de l'inciter à montrer son flanc. Il ne tombait pas dans le piège, cependant, ses yeux allant constamment de l'un à l'autre pour ne pas les perdre de vue. Quand Malek le frappa par derrière, sa bouche s'arrondit de surprise.
A quatre contre deux, le combat n'en était plus un. C'était une boucherie. Le premier soldat mourut poignardé par Laath. Le second se retourna pour les affronter, les yeux fous, et l'épée de K'laa trouva ses omoplates.
Le silence revint.
En fait, je suis en train de complètement réécrire ce chapitre, qui ne colle pas du tout avec la trame de l'histoire.

Je pense qu'il vaut mieux que je le refasse, plutôt que de continuer en modifiant ce que j'avais prévu.

Donc le véritable chapitre 23 modifié ne devrait pas tarder
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