[Bibliothèque] Temps d'être

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Temps d’Etre










A l’aube d’une création,
L’art se veut l’ange d’un esprit,
Et si l’imagination n’a pas de limite finie
La vie n’a que le temps pour finition.







L'art est une abstraction, c'est le moyen de monter vers Dieu en faisant comme notre divin Maître, créer.
Paul Gauguin.









A Aurélien



Aussitôt ouverts mes yeux se referment. Je suis aveuglé, par une blanche lueur venue me tirer de ma torpeur. Depuis combien de temps suis je-endormi ? Dans le coma ? Qu’en sais-je ? Mais là n’est pas le problème pour le moment. Je cache mes iris et pupilles de mes mains, la lumière est intense, il me faut me réhabituer. Quelques minutes passent ainsi, puis je commence à entrevoir quelque chose, ou plutôt, rien. Encore cette agressive blancheur, mais d’où vient la lumière ? Aucune source si ce n’est l’immaculée étendue qui se présente à moi. Devant, derrière, au dessus et au dessous, je suis enfermé dans l’immensité. Elle semble infinie, que fais je ici ? Je ne me souviens de rien. Tout autour de moi, l’apparence a elle aussi oublier de se montrer. Le vide est oppressant, je me sens confiné. Je me relève doucement, cela faisait bien longtemps que je n’avais pas fait quelconque mouvement. C’est étrange. Où suis je donc ? Je n’ose pas faire un pas, je reste droit, tournant sur moi même pour distinguer un horizon ou un lointain phénomène qui diverge de cette monochromie. Le près me semble si loin, et si il l’était moins ? Les murs ont l’air tantôt de se resserrer sur moi, tantôt de s’éloigner. J’ai peur de me perdre, et pourtant si je me déplaçais, j’aurais plus de chances de trouver quelque chose. Mais si j’étais à un endroit clef ? Mieux vaut ne pas s’éloigner, je ne suis sans doute pas ici pour rien.

Après avoir longuement examiné les environs de ma position, je me décide à laisser là mes recherches infructueuses. Je remarque enfin, que je suis nu. Pourquoi ? Qui peut le savoir ? Dieu ? En est il seulement un là où je me trouve ? Qu’importe pour l’instant. J’ai l’impression de soulever trop de questions, trop pour mes frêles épaules intellectuelles… Je suis donc nu, un corps d’homme visiblement, tout ce qu’il y a de plus normal. Curieusement je n’ai pas froid, ni chaud, je suis juste bien, en bonne condition physique. Je n’ai plus sommeil, je me sens revigoré. Mais étais je fatigué auparavant ? Si j’ai dormi, sans nul doute. Nul … Non, pas si sûre. Tant de dédales qui se creusent en mon âme. Je ne sais plus quoi penser, je me calme, je respire. Tiens de l’air, ce « paradis » semble donc propice à ma survie. Pourtant dans cette immensité, il manque tant : de l’eau, à manger, de la vie… Je suis le seul semblant d’existence, mais est ce qu’ici exister fait de moi quelqu’un ? Il me faudrait une épopée pour le savoir, une tâche, une aventure. Je suis un héros à la retraite, je serais mort dans les mains d’enfants. Un enfant, je n’en suis pas un apparemment. Je me touche et me caresse en diverses parties de mon corps, je suis rasé, épilé, un vrai lutteur grecque. Quel intérêt? Je n’ai pour l’instant ni faim ni soif, mais cela va-t-il durer. Je me décide à cesser de penser pour le vérifier. Les heures passent, toujours rien, aucune sensation de fatigue ou de manque, à aucun niveau. Je me questionne à nouveau. Pourquoi diable suis-je ici ? Est-ce lui qui m’a mis ici ? Toujours rien autour de moi, et ce silence que viennent briser mes soupirs et faibles mouvements… Il est si pesant et arrogant, quasi sournois et bruyant. Je commence à m’ennuyer de ma réflexion. Dormir m’occuperait peut être, une journée vient sans doute de s’écouler… Qui sait… ? Je n’ai aucun repère, en ai-je jamais eu ? Mais Morphée ne vient me cueillir, je ne suis sûrement pas mûr pour les songes. Je n’ai plus le droit de rêver, juste d’imaginer. Pour l’instant ma « vie » me semble un état naturel privé de besoins. Je peux perdurer dans le temps et l’espace qui me sont offerts sans aucun souci. La pureté m’accable…La perfection qui me définit ne me donne aucune satisfaction, aucune fierté. Je n’ai personne à prendre de haut, à railler, à analyser. Plus d’échanges ou d’apprentissage, plus de communication ou de plaisirs partagés… Le basique, juste le primaire privé de ses nuances si attractives.

Je suis resté assis pendant des heures, peut être des jours, à contempler ce qui m’entourait, ce vide digne du blanc de mes yeux. Puis j’ai pris une grande décision. Si je restais immobile je donnais une chance à l’ennui de mettre la main sur mon bien être, plongé dans ma monotonie. Alors je me suis levé, j’ai pris une profonde inspiration, je ne saurais d’ailleurs jamais comment, puis j’ai marché. J’avais l’impression d’avoir découvert un phénomène extraordinaire, j’étais un génie ! Mais mon enthousiasme bien vite retomba, lorsque je me heurtais à ce qui semblait être un mur. L’infini espace qui s’étendait ici serait donc une illusion bâtie par un esprit malin ? J’ai apposé mes mains sur l’édifice, majestueux dans son minimalisme anodin. Quel bonheur de toucher autre chose qu’un plancher ou de la chair, qui se voulait d’ailleurs de la même composition mais cela je m’en fichais, j’avais explorer une nouvelle dimension de ma solitude, j’avais découvert. J’aurais pu crier Eurêka, mais de qui était ce mot incompréhensible ? Diantre, encore une question… Je ne voulais cependant pas m’approprier le bien d’autrui, je me taisais donc et savourer ma joie, dissimulée par mon manque d’expansionnisme. Puis une nouvelle idée se fit jour ! Et si je ne m’arrêtais pas là ? Y-avait il une autre pièce derrière ? Ce serait le bon sens même, je pris mon élan, et couru contre le mur, l’épaule en avant, le choc fut violent et ma défaite cuisante se reconnut dans ma chute lamentable. Je m’étais fait mal à l’épaule, mais rien de plus, le mur était plutôt mou, comme si l’on avait voulu me protéger de mes pulsions agressives envers ce décor sans ambition. Je frappais ensuite l’obstacle, fou de colère d’avoir été humilié, moi le génie qui avait découvert cette merveille au milieu de nulle part. Et je ne cesserai que lorsque je la briserais pour aller au delà. Mes coups pleuvaient, contrairement à la pluie qui semblait elle aussi absente. Je prenais plaisir à me dépenser, à me fatiguer, dans mon défouloir je piochais un peu de bonheur. Mais le mur tenait bon, aussi je me résignais, l’embrassant pour le féliciter. Je me mis dos à lui, et me mis à le longer, inlassablement, tâtant tout ce qui se présentait à mes mains si géniales. J’en fis sûrement le tour plusieurs fois, mais sans repère, sans début ni fin, comment le savoir ? J’avais encore inventé !! Le mouvement perpétuel sans aucun doute ! Je finis par m’éloigner du mur, réduisant mon invention à l’oubli, puisque moi même je l’avais effacé du réel.

Je revins à ce qui me semblais le centre, le point de mon apparition, et celui qui marquerait ma chute si elle était prononcée par un incertain destin. D’autres interminables heures passèrent, du moins je le pense, peut être n’était ce que des minutes. Je n’avais toujours pas faim, ni envie de dormir ou de boire… Mon regard se porta avec une certaine attention vers mes mains, plus particulièrement vers le bout de mes doigts, mes ongles les ornaient, et je me disais qu’ils pouvait me servir. Je m’attelai à la tâche, les rongeant, pour les rendre aiguisés, pointus… De parfaits outils, maniables, solides et à l’ergonomie inégalable puisqu’ils faisaient partie de mon être, ou du moins de mon paraître. Doigt après doigt, morsure après morsure, mon intellect avait fait encore des siennes, me montrant débrouillard et inventif. Mais voilà, une fois mes ongles taillés, qu’en faire ? En manger les rognures ? Pas très appétissant. J’étais en train de me concerter, lorsque l’exaspération m’envahit, me poussant à me pincer les épaules. Mes nouveaux instruments montrèrent leur utilité, ils étaient coupant. Pris d’un rare sentiment d’expérimentation, je me coupais légèrement, m’entailler de ci de là. La douleur était agréable, bizarrement. Je prenais plaisir à me faire souffrir, me délectant de mon propre sang. J’avais trouver comment me nourrir. Je dessinais diverses formes sur mon corps, il me plaisait de créer, d’être l’artiste et l’œuvre. Mais suis je bête ? Ma luminescence spirituelle avait encore frappé !! J’avais inventé l’art ! Sans doute la plus belle de mes inventions. Pourtant les noms de scarification, dessin, art corporel me semblaient familiers… Curieux, au fond de moi gisait ce que je dévoilais comme de nouveaux préceptes et principes. Bref, par hasard je trouvai une autre utilisation à mon saint sang, lorsqu’une goutte de celui ci vint s’écraser au sol, dans un son doux et sensuel. De l’encre, de la peinture ! J’étais un grand ! Je changeai de support et de mon fluide vermillon, je parai la pièce. J’y dessinais des animaux de toutes sortes, déjà vus, ou pas. Puis vinrent les rivières, des arbres et montagnes, de superbes natures clairsemées d’une vie en liesse, des astres, planètes, étendues spatiales… de toutes formes. Tout ceci me semblait familier, et pourtant si nouveau. Je ne savais pas une fois de plus.

Je me trouvais bien piètre philosophe, bien piètre sauveur de mon îlot capitonné. Je pouvais à l’aide de ma seule personne réinventer le monde, sans pouvoir répondre aux questions qui traversaient mon esprit dans un sens comme dans l’autre. D’ailleurs mon esprit avait il un sens ? Qui étais je pour me juger ? Moi LE Créateur, seul dans un univers complètement différent de ce que les hommes en ont représenté. Mon esprit se surpassait lui même, et j’avais du mal à me suivre, peut être la fatigue commençait elle à venir ? Enfin ? J’étais trop fin pour moi même, il me fallait trouver des personnes à impressionner, à cultiver même. Mes talents furent à nouveau mis à contribution, je m’ouvrais un pot de peinture en me lacérant, et je réalisai dans un premier temps mon autoportrait, par pure mégalomanie. Mon ego s’était fait l’auteur de ce chef d’œuvre, au moins, cette personne ne me contesterait pas, et ferait un parfait réceptacle pour mon abondante connaissance. Je ne sais pas si ce que j’avais fait été très ressemblant, ne me distinguant pas. Il semblait beau et assuré, sûr de lui mais pas trop, plein de bon sens, parfait en résumé, tout comme moi. Mais je me lassais de ce brouillon assez rapidement, plus je l’étudiais, plus il me semblais cacher mensonges et péchés derrière ses sourires bien polis. Alors je décidai de créer un autre être, je plaçais en lui, ou plutôt en elle, mes fantasmes, mes envies, ce qui me manquait depuis que j’avais vu la blancheur de cette prison. Elle était belle, douce, délicate, muette mais parfaite, encore plus que le mâle précédemment sculpté sur le moelleux du plancher. Je l’aimais jusqu’aux os, elle me plaisait à un point inimaginable par mes sujets de traits et de lignes. Mais mon amour fut vite la proie de la rivalité… L’homme, que sans raison apparente j’avais prénommé Adam, la courtisa et la séduit, ma douce Eve, alors que MOI son maître, je lui avais donné la vie ! Je les châtiai pour leur trahison, les vils essais s’étaient retournés contre moi, en échange, je les griffai, les défigurai violemment, hurlant ma rage et crachant ma vengeance. Il ne restait bientôt plus que quelques lambeaux de beauté physique, mais j’avais volé leurs âmes, ils se pavanaient, mutilés mais fiers de m’avoir fait souffrir… Mes aspirations de libertés artistiques et novatrices, je les mis de côté, je n’avais plus qu’à admirer et admirer encore l’univers que j’avais façonné. Je m’applaudis à tout rompre, et là… mon génie se fit jour, une dernière fois, peut être… Le son et le rythme me plurent, la musique venait de me faire sourire. Aussi je battis des mains, claquant diverses parties de mon corps et la texture qui m’entourais. Je riais, je dansais et chantais, fredonnant au hasard ce que je croyais des notes. J’inventais sans cesse, faisant plus ou moins n’importe quoi, mais j’y trouvais intérêt et amusement. Ma naïveté et mon ignorance avaient donné forme à quelque chose de nouveau pour m’occuper. Une fois mon corps rougeoyant et douloureux, mon bon sens me dit de ne pas en faire plus.

J’avais le sentiment d’avoir exploré toutes mes possibilités, et même si certaines restaient obscures, je m’en fichais, j’étais las… Je commençais à m’ennuyer. Alors je me rassis et je repris la réflexion du début de mon séjour. Elle ne me menait à rien quand soudain un flash me traversa pour m’illuminer. Si tout s’était déroulé ainsi, c’est que j’étais Dieu ! Lorsque j’eus ouvert les yeux, la lumière fût, pardi ! Devant moi était le vide, cette longue hésitation précédant la création, attendant de naître, d’être… Et plus que tout, ce silence, profond jusqu’à l’inimaginable. Plus qu’une absence de son : avant le son. Et moi, j’étais seul, et qui voudrait être seul tout le temps ? Surtout que le temps n’était même pas inventé. Et même si j’étais, je ne pouvais être, car il n’existait pas d’endroit où être. Alors je l’ai crée parce que j’étais seul, et que je le pouvais, et que ça passait le temps que j’avais inventé. J’ai entrechoqué les molécules et elles ont explosé dans le vide. Les protons dansèrent et les ondes se répandirent, j’ai allumé des soleils… Le temps passa et je m’améliorai. Dommage que je le fis en détruisant tous mes échecs, quand bien même ils étaient innocents, car tout ce que je crée meurt. Car je ne suis pas parfait, si je l’avais été je n’aurais pas fait tout ça juste pour repousser ma solitude, pour oublier ma sainte horreur du vide, juste pour passer agréablement le temps et combattre l’ennui. J’ai crée des êtres semblables à moi, mais moins puissants par soucis de sécurité. Je leur ai dit que je voulais créer un monde meilleur… Mais je suis Dieu, je devrais être parfait ! Pourquoi je ne l’ai pas réussi du premier coup ? Leurs yeux me posaient cette question, mais je n’aime que l’obéissance, mais les questions ont continué, alors ce fut la guerre. Ma seule échappatoire à l’ennui était la création du monde, je l’ai fait pour le spectacle ! L’art naît du conflit, alors j’ai introduit le malheur dans l’équation tournant autour de la proposition « Demain sera meilleur qu’aujourd’hui ». Je n’ai pas tenu ma promesse, les choses ne sont pas devenues meilleures, j’ai menti. Ma création était un mensonge ? Je n’étais plus digne de mon rang divin… Je ne valais pas mieux que les aberrations que j’avais engendré.
Comme elles je devais disparaître.
Aussi je me dis que la vie commençait après la mort…
Et je m’ennuyais à mourir… A mourir...














déjà posté mais je le remets pour la bibliothèque, vu aussi que je vais l'allonger et la reprendre dans peu de temps
Ben rien je souris comme j'ai souris devant mon écran à la fin de ta nouvelle. C'est pas mal du tout
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