Un supporter est souvent difficile à supporter pour les autres. Une difficulté qu’il partage avec les amoureux. Il y a quelque chose de répugnant pour le regard extérieur dans cet amour inconditionnel pour un club stupide, ou un homme ou une femme quelconque.
L’amour rend aveugle, dit-on. L’amour rend con, c’est certain.
Dans son roman La lenteur, Milan Kundera écrit :
« Si une femme me dit : je t’aime parce que tu es intelligent, parce que tu es honnête, parce que tu m’achètes des cadeaux, parce que tu ne dragues pas, parce que tu fais la vaisselle, je suis déçu ; cet amour a l’air de quelque chose d’intéressé. Combien il est plus beau d’entendre : je suis folle de toi bien que tu ne sois ni intelligent ni honnête, bien que tu sois menteur, égoïste, salaud. »
Pourquoi aimons-nous Arsenal depuis quelque temps ? Une équipe qui perd beaucoup, classée cinquième du championnat, dont le jeu n’est plus du tout ce jeu de passes sublime qu’elle avait en 2004 ou 2006 ? Pourquoi aimons-nous Arsenal, une équipe écrasée 8-2 par Manchester United, il y a dix-huit mois, et dans laquelle Ramsey est souvent titulaire ?
Dans le même roman, Kundera précise :
« Car l’amour, par définition, est un cadeau non mérité ; être aimé sans mérite c’est même la preuve d’un vrai amour. »
Nous aimons Arsenal comme nous aimons une femme, même si elle est parfois laide. La femme que nous aimons nous semble belle, et puis, à trois heures du matin, l’un des deux se lève, et un court instant, dans un petit de rai de lumière qui passe à travers les rideaux, nous la voyons démaquillée, ridée, fatiguée. Soudain nous voyons son visage dans trente ans, déserté par la beauté et dévasté par le temps. C’est à ce moment là que nous l’aimons le plus. Parce qu’elle nous touche et que son absence de beauté nous révèle la part de vrai amour qui est en nous, celle qui par définition, comme le dit Kundera, est un « cadeau non mérité ».
Parce que nous sommes amoureux, et que nous sommes donc un peu cons.
Le vrai supporter est un amoureux très con, lui aussi. Il supporte les verts depuis quarante ans, et il est rempli de joie lorsque son équipe termine sixième du championnat, un peu comme une femme amoureuse est fière de son mari qui est promu sous-chef de bureau dans une administration reculée.
Aimer une équipe qui gagne tout, ce n’est pas vraiment aimer. Aimer les invincibles d’Arsenal en 2004, c’est à la portée de tout le monde. Les soi-disant supporters de l’équipe de France en 1998 et 2000 n’étaient pas de vrais supporters, ils n’étaient pas assez cons. Les rares cons qui ont supporté la France lors de l’Euro 2008 et de la coupe du monde 2010, une équipe tellement mauvaise qu’elle faisait honte, sont, eux, de vrais supporters. Ils ont un vrai amour pour l’équipe de France. Un « amour non mérité ». Il y a d’ailleurs peu de vrais supporters de l’équipe de France. Peut-être les français ne sont-ils pas assez cons ?
En Angleterre, en revanche, on trouve suffisamment de cons. Nick Hornby a raconté dans son roman « Carton jaune » comment il est tombé fou amoureux d’Arsenal en 1971, alors que les gunners pratiquaient un football terriblement ennuyeux, et ne gagnaient rien. Il a lutté contre cette passion, mais il n’y pouvait rien. Il aurait pu dire, si Racine ne l’avait pas écrit avant lui :
« Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps, et transir et brûler. »
Supporters de Barcelone, de l’équipe d’Espagne et de Manchester United, vous êtes dans la facilité. Vous n’êtes pas de vrais supporters. Vous ne connaissez pas le vrai amour.
Nous, supporters d’Arsenal et de l’équipe de France, sommes prêts à tout subir, à tout accepter. Nous donnons aux gunners et à la France, un amour qu’ils ne méritent absolument pas, nous sommes de vrais cons, de vrais supporters. Nous n’y pouvons rien, c’est une tragédie.