Mémoire de l'inutilité.

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Il fut un temps où les terres explorées de Tyrie se réduisaient à Ascalon. Certes, on entendait parler de la verdure accueillante, de l’autre côté des montagnes, mais très peu étaient prêts à s’aventurer dans les Cimesfroides. Très peu ne signifie pas personne, mais je ne fus pas du voyage. Je devais rester et attendre la journée que je demande depuis si longtemps.

Ascalon était depuis longtemps ravagée, les Charrs gagnaient du terrain et détruisaient petit à petit le grand rempart, seul vestige et monument encore debout de l’attaque ennemi. En s’approchant de celui-ci, on pouvait voir des inscriptions Elémentalistes, apposées pour contenir les forces de l’extérieur. Hélas, il était trop tard lorsqu’on découvrit leur inefficacité. Les envoûteurs avaient eux aussi mis ce genre de sceau, censés protéger et renforcer le grand rempart. Ils n’avaient pas suffis. Les archers, postés au sommet de notre muraille étaient tombés sous le feu des flèches Charrs. Les maîtres nécromants avaient tentés de les repousser grâce à leurs sombres arcanes, mais rien n’y faisait. Et les moines, symboles de sagesse et de calme, étaient dépassés par le sur nombre dans leurs hôpitaux de fortune, simples tentes sales. Et moi, sœur de la hache, avec mes autres compagnons maîtres d’armes, nous avions menés la charge.

Tu devines peut-être combien il est choquant pour un enfant de transpercer la chair. Mais ici, les petites âmes enfantines devenaient le simple prolongement de leur hampe, tailladant la chair et brisant les os. La furie nous habitait lorsque les portes furent ouvertes : là était déjà un grand risque, il ne fallait pas avoir peur, auquel cas les Charrs se seraient introduits dans Ascalon. Druss Jade, écuyère de naissance, chevalier de sang, je menais l’assaut.

Un cri retentit, suivis du grognement de mes compagnons. Un « Pour Ascalon » siffle dans nos oreilles. Ma main tremble, mon regard tressaute, mes jambes flageolent. Tout se joue dans la tête : les ennemis l’ayant vide, nous étions désavantagés. Ca y est, le bois craque, les gonds tournent, la porte nous laisse voir par son embrasure l’armée qui nous attend, une centaine de mètres plus bas. Un homme a ma droite vomi. Un autre, devenu fou, hurle et menace ses amis. Il est dangereux, et va soulever une mutinerie dans nos rangs.

Je lui tranche la gorge. Son sang coule sur mes mains. C’était mon frère, mais je ne le connaissais pas. Tous les hommes ici sont mes frères, mais je ne les connais pas. Les portes sont assez écartées pour laisser passer trois hommes de faces, soit deux Charrs. Eux, ils ne bougent pas. Ils lèvent les yeux, prient leurs dieux inconnus. Balthazar soit avec moi, soit il avec tous mes compagnons, que sa force envahisse mon bras, qu’il envahisse le tien. Marchons sur l’ennemi, comme nous le fîmes plus d’une centaine de fois dans le passé.

La race humaine n’est pas faites pour s’éteindre. Elle est faite pour relever le défi de la mort, à chaque instant, et vaincre la peur, abattre ses limites pour se reconstruire plus fort. Je lève ma hache, mon armure grince légèrement. Je cri, ferme les yeux, et saute en avant. Que la bataille commence, que je puisse danser avec la mort, et l’accueillir en mes bras pour l’offrir à la vermine Charr.

Les autres me suivent ? Je ne sais pas, j’espère. Regarder derrière moi signifierait ma mort. Mes jambes courent, mais je ne leur demande pas. Je suis à présent une bête, un animal. Je dois voir le sang couler, et l’image du rouge sera ma nourriture. La vermine me regarde, fixement. L’un d’entre eux, plus velu et moche que ses semblables, trace des cercles avec sa lame dans le vent. On m’a dit que c’était une de leurs rites. Je lui crache à la gueule, et coupe son bras.

Je n’avais jamais entendu un Charr gémir. J’imagine que toi non plus. Cela fait le plus grand bien. Ses amis me regardent, et commencent à se mouvoir, lourdement. Ils grognent, et le combat débute réellement. Les humains, mes frères, arrivent à porter d’épée de nos ennemis, et commencent à amputer, cisailler, dessiner dans la chair de ces pourritures.

Eux, ils nous soulèvent de terre, nous broient le cou avant de nous balancer en arrière. A côté de moi, un cadavre n’a plus de face, il s’est fais bouffé par un de ces monstres. Nous tombons plus vite qu’eux. Nous nous heurtons, nous nous fonçons dessus. Ces bleus ne sont pas assez entraînés, et les plus expérimentés sont gênés par les recrues.

L’agitation autour de moi est folle. Je ne distingue plus les formes, la vitesse a pris le dessus et mes yeux ne sont plus capables de rien voir. Ci et là, des corps tombent. La danse de la mort poursuit un rythme effréné, je n’avais jamais vécu telle célérité. Je balance mon bras d’un côté, de l’autre. Ma hache taille, éviscère. Je ne comprend plus rien. Tout ralentit d’un coup. J’ai du mal à percevoir les formes. Quelque chose touche mon dos. Un de mes frères. Il sue, il tremble. Il s’enfonce sa lame dans le ventre, et je suis douché de son sang. Mes yeux pleurent.

Je suis encerclée, seule survivante au carnage. Les Charrs rient, mais restent féroces. L’un d’eux beugle quelque chose dans leur langage bizarre. Un autre lui répond. Je ressens une vive douleur dans la jambes, au mollet. Je le regarde pour la première fois depuis le début du combat. Une lance est venue se ficher à l’intérieur. Je n’ai pas mal, je souris à la mort.

L’un d’eux lance sa hache, je la reçois dans l’épaule. Je pleure, soulagée de voir la fin de cette guerre. Toute ma vie, j’ai vécu dans la peur. Toute ma vie, je l’ai passée à m’entraîner pour ce jour où les Charrs attaquerait. Et là, je me sens inutile. Pire, je ne sens plus rien du tout. L’humanité m’a abandonné. Nos chefs nous ont envoyés à l’abattoir. Toute ma vie n’aura servi à rien.

Je retire la lance de mon mollet. Je retire la hache de mon épaule. Ma jambe blessée bouge. Mes bras se préparent. Je me met en garde.

« Je vous attend. »

Ils rient. Leur chef s’avance, je lui crache à la gueule. Je lui dis toutes les plus grosses insultes que je peux, je débite sans m’arrêter des jurons tous plus sales et horribles les uns que les autres. Vu sa tête, il doit comprendre ma langue. Les autres se mettent à chanter sinistrement, et le cercle qu’ils forment autour de moi se met à tourner. Seul le chef et moi, au centre, ne bougeons pas.

Bravo, me dit il.

Le cercle s’arrête. Il lève sa hache, et me tranche la tête. La danse de la mort est fini. Adieux.


Druss Jade, mémoires de l’inutilité. [Participation au concours RP (si il n’est pas fini)]
La fin est vraiment bien ! Je trouve le texte très bien écrit et les émotions de ton personnage bien retranscrites
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La fleur de cerisier,
Emportée par le vent
Atteint une contrée
Souillée par le sang.

Sa blancheur immaculée
Est perdue à jamais.



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