Positivisme/naturalisme...

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Bonjour, alors voilà, il y a une question qui me perturbe pas mal...
Je voudrai connaitre vos positions par rapport au positivisme ou au naturalisme, pour quel courant vous penchez et pourquoi, et aussi de savoir comment ca se passe dans les diverses disciplines, scientifiques ou de sciences sociales.

En droit, à la fac, pendant des années on nous apprend, par un système de formatage bien établi, à être de gentils positivistes, c'est à dire ne raisonner qu'en termes de droit, considérer que c'est une discipline totalement indépendante, cloisonnée des autres, qui doit le rester, et surtout que c'est une science à part entière, donc qui ne doit avoir aucun lien avec le reste (politique, économie, sociologie...) et que c'est pas le boulot du juriste de s'occuper de ça.

A partir de là, on nous apprend à ne surtout pas raisonner en termes de valeurs, parce que sinon on est un vilain naturaliste, et qu'on doit juste étudier le droit, c'est à dire ce qui se proclame en tant que tel: donc élaboré selon une procédure particulière, par des organes particuliers (critères formels et organiques).

Ca conduit donc les positivistes à considérer, par exemple, qu'il existait un droit nazi, parce qu'il était adopté par des organes compétents, selon des procédures définies. Peu importe donc le contenu de ces "lois", c'en est la question est réglée...

Pesonnellement, c'est quelque chose qui m'a toujours scandalisé, et je peux difficilement étudier une loi, un arrêt ou une décision, sans me demander avant tout: est ce que ça rentre dans mon ordre de valeur, est ce que j'adhère à cette conception là.

Donc je vous demande vos opinions la dessus.
Je n'ai pas de connaissance réelle en droit, mais pour moi le choix n'est pas exclusivement entre positivisme et jus-naturalisme. Je considère le premier comme un aveuglement et une mutilation de la réflexion, le second comme une fiction...

En philo en tout cas, enfin dans la vraie philo qui se fait en ce moment, la tendance est assez foucaldienne je pense (enfin, on commence enfin à découvrir foucault après 20 ans d'oubli). Donc: études pragmatique des mécanismes et des techniques de pouvoir, des pouvoir-savoir, etc... ça prend à la fois le contrepied du positivisme juridique et du jus-naturalisme.

Schmitt aussi est à la mode (même s'il reste ultra sulfureux). Et puis après tu as des mixs: Agamben qui est à la fois foucaldien et schmittien par exemple... (un nazi et un gauchiste qui copulent, le mélange est explosif )
C'est vrai qu'en théorie, il vaudrait mieux tenter de trouver une combinaison des deux courants, et ne pas autant les opposer...

Pourtant le courant jus-naturaliste est d'abord sous représenté, ensuite tres mal vu... C'est visiblement des querelles qui durent depuis pas mal de temps, et qui resurgissent assez régulièrement...

Il y a eu un élan de jus-naturalisme après la seconde guerre mondiale avec l'essor des Déclarations de Droits où on a redécouvert les Droits de l'Homme (Déclaration Universelle, Convention européenne...), et puis ca rejaillit régulièrement, avec la multiplication des droits de l'homme (de 3ème voire de 4ème génération...)...

Maintenant ce qui me dérange c'est les extrémismes des deux courants: les ultra positivistes qui cultivent l'obscurantisme et qui sont complètement à côté de la réalité sociale et politique, et puis des naturalistes réactionnaires du style Villey qui eux expliquent les droits naturels par le divin...

alors il vaudrait mieux surement raisonner en terme de droits naturels (vision aristotélicienne), et faire en sorte que le droit positif consacre et protège ces droits naturels, non?
Citation :
Publié par Klem
alors il vaudrait mieux surement raisonner en terme de droits naturels (vision aristotélicienne), et faire en sorte que le droit positif consacre et protège ces droits naturels, non?
Mais alors se pose les problème de définition de ces droits naturels : le canibalisme est il un droit naturel ? Après tout, c'est un système d'auto régulation dans un milieu et une culture donnée qui fonctionne.
Les "droits naturels" n'étant jamais que des droits construits par un culture à un moment de l'histoire, vouloir en fait des droits universels conduirait à un risque d'ethnocentrisme certain, non ?


[edit en fait on retomberait dans les travers de l'extrêmisme : soit en considérant que les droits naturels de la société "occidentale" doivent s'imposer à tout prix, soit en considérant que toute société à ses propres droits naturels, ce qui conduit à légitimer le sacrifice humain, les sociétés de castes et d'ordre, etc...]
ce qu'il y a de certain c'est que les droits naturels ou les valeurs évoluent évidemment selon les sociétés et les époques, mais la plupart sont universels, on les retrouve partout et on en a en tout cas la même conception. d'ailleurs une valeur par définition c'est quelque chose que l'on aurait pas besoin de définir, la notion renvoie à une conscience collective, une conception commune,comme si tout le monde savait de quoi on parle.

mais les droits naturels existent bien, et ce parce que l'homme est homme, par cette qualité il a conscience de certains droits, et devoirs. c'est après bien sur toute la philosophie des Lumières, que l'on a redécouverte par le biais des grandes déclarations de droits.
Citation :
Publié par Klem
ce qu'il y a de certain c'est que les droits naturels ou les valeurs évoluent évidemment selon les sociétés et les époques, mais la plupart sont universels, on les retrouve partout et on en a en tout cas la même conception.
Oula, ce serait être bien prétentieux que d'oser dire une telle chose ! Penser que la plupart des droits/valeurs sont universelles, j'aimerai bien que tu me dises ce que tu en sais, et quelles sources tu as. Tu réduis à néant des centaines d'années et des centaines d'études d'anthropologues en quelques lignes !
Et tu dis toi même que ces droits naturels évoluent avec le temps, et selon les sociétés. Ce qui est contraire à la définition 'd'universel' tel qu'on l'entend habituellement en epistémologie, il me semble. Un droit ou une valeur ne serait universel qu'à la condition qu'il/elle soit un invariant sociologique, quelque chose que l'on retrouve dans toute culture, dans toute société, et à tout époque. Je doute qu'il y ait beaucoup de droits (qui sont plutôt des construits sociaux) ou de valeurs qui correspondent à cette définition.

Citation :
D'ailleurs une valeur par définition c'est quelque chose que l'on aurait pas besoin de définir, la notion renvoie à une conscience collective, une conception commune,comme si tout le monde savait de quoi on parle.
Et ce coup ci, c'est les travaux des sociologues qu'on assassine. Des années de travaux et des miliers de pages sur la définition des valeurs !
Mais bon, soit, prenons ta définition de la valeur, nous sommes bien d'accord que cela s'applique à l'intérieur d'une société donnée, d'une culture, d'une époque. Où est l'universalité, l'état 'naturel' là dedans ?

Citation :
mais les droits naturels existent bien, et ce parce que l'homme est homme, par cette qualité il a conscience de certains droits, et devoirs. c'est après bien sur toute la philosophie des Lumières, que l'on a redécouverte par le biais des grandes déclarations de droits.
Oui mais depuis les Lumières, on a évolué hein, heureusement. On ne considère plus le 'primitif' comme un être auquel il faut apporter les lumières de la civilisation, perçue comme une trajectoire linéraire et unique, allant du bon sauvage à l'homme moderne et civilisé.
Tu ne démontres nullement qu'il existe des droits naturels en disant que l'homme est homme. Prends un homme français de 2006, il a conscience de certains droits et devoir, on est d'accord. Mais ces droits et devoirs ne préexistent pas à cet homme, puisque c'est bien la société français de 2006 qui les lui a fait découvrir.
Le même homme en 1848 en Inde aurait sans conscience de droits et de devoirs nettement différents, et je doute qu'il y en ait beaucoup qui se recoupent entre les deux.
Honnetement j'ai du mal à comprendre ce que tu avances...

Si tu nies l'universalité de certains droits et de certaines valeurs, est ce que ce n'est pas non plus prétentieux...Ca signifierait que certaines sociétés, aprce qu'elles ont certains droits ou adhèrent à certiaines valeurs et que d'autres non, seraient supérieures aux autres, celles qui ne les partagent pas???

Tu ne peux pas contester le fait que les droits naturels existent, par eux mêmes, c'est bien la le problème et qui fait que tu ne les reconnais pas, et il se trouve que la plupart sont universels, parce que personne ne les conteste et personne n'envisage de les contester. apres on peut selon les lieux et les époques, les faire évoluer et en discuter, mais sur le principe, tout le monde y adhère!

Si tu prends le principe la légalité des délits et des peines, ou de la proportionnalité de la loi pénale, ca a été dégagé par Beccaria, repris par les philosophes des Lumières, et aujourd'hui, personne, sur le principe, n'entend le contester!!! Nulle part...

Il y a des valeurs qui sont partagées, ou qui sont en voie de l'être. Je prends l'exemple de la laïcité, et bien c'est loin d'être l'apanage de la France. D'accord en france on en a une conception particulière, mais beaucoup d'autres Etats, européens ou non, partagent cette valeur, la font évoluer, et la conception française aussi évolue.

relis les grandes Déclarations de Droits, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, la Déclaration Universelle, la Convention européenne, et tu ne peux pas nier que les droits énoncés, les valeurs dégagées, sont partagées par tous aujourd'hui. Apres le propre de ces droits et valeurs c'est d'évoluer, mais je maintiens que sur le fond, le principe, tout le monde est d'accord.
Citation :
Publié par Klem
Honnetement j'ai du mal à comprendre ce que tu avances...

Si tu nies l'universalité de certains droits et de certaines valeurs, est ce que ce n'est pas non plus prétentieux...
Citation :
Je ne nie pas leur existence, j'attends que tu me démontres que ça existe, c'est différent. Moi je t'ai démontré que certains droits et valeurs ne le sont pas, c'est tout ce que j'ai fais.
Ca signifierait que certaines sociétés, aprce qu'elles ont certains droits ou adhèrent à certiaines valeurs et que d'autres non, seraient supérieures aux autres, celles qui ne les partagent pas???
Ah mais non, le propre des travaux des ethnologues à été de démonter justement ce que tu dis. Il y a différentes cultures, avec différents systèmes de droits, différentes valeurs, différentes conceptions du monde, mais aucune hiérarchie n'est possible. Ce sont au contraire les Lumières, qui par leur principe d'universalité, crée une hierarchie entre les Civilisés qui ont conscience de ces droits, et les primitifs, inférieurs, qu'il faut développer, pacifier et civiliser en imposant ces droits et valeurs modernes (aujourd'hui, on ne dit plus moderne, on dit occidentaux, ce qui montre bien qu'on relativise cette notion d'universalité). Pour les Lumières, ces peuples barbares, sauvages, primitifs, étaient inférieurs.

Citation :
Tu ne peux pas contester le fait que les droits naturels existent, par eux mêmes, c'est bien la le problème et qui fait que tu ne les reconnais pas, et il se trouve que la plupart sont universels, parce que personne ne les conteste et personne n'envisage de les contester. apres on peut selon les lieux et les époques, les faire évoluer et en discuter, mais sur le principe, tout le monde y adhère!
Tu te répètes, mais tu ne fais qu'affirmer des choses sans les démontrer. Donne moi une liste de droits et de valeurs qui ont été considérées comme naturelles et universelles en tout temps et en tout lieu, et je te croierai.

Citation :
Si tu prends le principe la légalité des délits et des peines, ou de la proportionnalité de la loi pénale, ca a été dégagé par Beccaria, repris par les philosophes des Lumières, et aujourd'hui, personne, sur le principe, n'entend le contester!!! Nulle part...
Ah ? Donc tu es persuadé qu'il n'existe pas quelque part une tribu africaine qui n'a pas adopté ce principe ? Je ne suis pas juriste, je ne sais pas ce que c'est que ce principe, mais démontre qu'il est naturel (et donc devrait être universel). C'est à dire démontre moi qu'il s'impose aux hommes que ceux ci le veuillent ou non, et qu'il préexiste aux hommes, que ce n'est pas un construit d'une société/culture et qu'il n'existe pas de meilleur principe.

Citation :
Il y a des valeurs qui sont partagées, ou qui sont en voie de l'être. Je prends l'exemple de la laïcité, et bien c'est loin d'être l'apanage de la France. D'accord en france on en a une conception particulière, mais beaucoup d'autres Etats, européens ou non, partagent cette valeur, la font évoluer, et la conception française aussi évolue.
Dans nombre de peuplades, le système économique et social est organisé autour d'une croyance, qu'elle soit en un Dieu ou en des esprits, ou tout autre chose. Le ou les "chef(s)" légitime leur pouvoir en s'appuyant sur ces croyances, et ce droit et cette valeur sont accepté par les membres de la peuplade, qui vivent ainsi depuis des millénaires, et continueront sans doute jusqu'à ce d'autres hommes (les "occidentaux") viennent les voir pour leur expliquer qu'il n'est pas juste que ça se passe ainsi, qu'il faut que le chef soit élu, que le pouvoir politique soit scindé, et qu'il devienne "laïc".
Forcément, à force, la culture de la peuplade va disparaitre et se fondre dans la culture "occidentale".
Est-ce que ça prouve que la laïcité est une valeur (avec les droits associés) naturelle ? Peut être qu'à terme, elle sera devenue une valeur universelle, oui, quand toutes les cultures se seront fondues dans une grande culture mondiale. Mais est-ce que ça signifie que ce droit/valeur sont naturels ? Absolument pas, ça signifie jusque qu'une culture donnée, à une époque donnée, aura imposé sa conception du monde à l'ensemble des peuples. C'est ni plus ni moins que de la domination, de l'impérialisme, et, dit en des termes moins polémiques, de l'ethnocentrisme : c'est à dire le fait de considérer certaines valeurs et certains droits de sa culture propre comme étant plus légitimes que les autres et devant s'imposer.

Citation :
relis les grandes Déclarations de Droits, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, la Déclaration Universelle, la Convention européenne, et tu ne peux pas nier que les droits énoncés, les valeurs dégagées, sont partagées par tous aujourd'hui. Apres le propre de ces droits et valeurs c'est d'évoluer, mais je maintiens que sur le fond, le principe, tout le monde est d'accord.
D'une part : tu assimiles le monde développé à l'ensemble de l'humanité (les valeurs sont partagées par tous) alors qu'on est loin de représenter 6 milliards d'être humains, d'autre part ça rejoint ce que j'ai dis avant : ce n'est pas parcequ'une culture s'impose aux autres et qu'elle devient unique qu'elle est "naturelle" pour autant : par définition elle ne peut pas pré exister aux hommes puisque ce sont eux qui la construisent.
Cette distanciation avec la morale est nécessaire pour le fonctionnement correct de l'institution "Justice". Si le juge fait entrer la morale dans ses décisions, ou dans l'application de la loi, il entre alors en contradiction avec la loi, qui est normalement l'expression du gouvernement. Ce qui te dérange aux entournures, c'est lorsque le gouvernement n'est pas légitime. Dans ce cas, le devoir du juge n'est pas de se soustraire à son devoir d'application de la loi, il est, comme pour tout autre citoyen, de dénoncer un gouvernement illégitime. C'est le sens du 2nd couplet de la marseillaise

J'ai dans l'idée qu'on inculque cette valeur de positivisme en considérant qu'on forme des juges censés exercer dans un pays dont le gouvernement est bel et bien légitime. C'est effectivement une position qui peut devenir dangereuse si l'on considère que de tels juges se retrouvent suite à des évènements historiques à devoir exercer dans un système qui n'est plus légitime.
Citation :
Publié par Mothra
Cette distanciation avec la morale est nécessaire pour le fonctionnement correct de l'institution "Justice". Si le juge fait entrer la morale dans ses décisions, ou dans l'application de la loi, il entre alors en contradiction avec la loi, qui est normalement l'expression du gouvernement. Ce qui te dérange aux entournures, c'est lorsque le gouvernement n'est pas légitime. Dans ce cas, le devoir du juge n'est pas de se soustraire à son devoir d'application de la loi, il est, comme pour tout autre citoyen, de dénoncer un gouvernement illégitime. C'est le sens du 2nd couplet de la marseillaise

J'ai dans l'idée qu'on inculque cette valeur de positivisme en considérant qu'on forme des juges censés exercer dans un pays dont le gouvernement est bel et bien légitime. C'est effectivement une position qui peut devenir dangereuse si l'on considère que de tels juges se retrouvent suite à des évènements historiques à devoir exercer dans un système qui n'est plus légitime.
Ké?
Pas tout compris....
Euh...la loi n'est pas censée être l'expression du gouvernement, mais plutot de la volonté nationale non?
après concernant les positions des juges, il me semble qu'effectivement ils sont censés n'appliquer que la loi. Pourtant quand celle ci n'est pas claire, ils ont bien un pouvoir normatif, qui peut d'ailleurs être considérable, il n'y a qu'à voir l'importance de la jurisprudence en droit administratif... Et quand les juges appliquent la loi ou l'interprètent, ils le font aussi selon leurs propres convictions mais sans le dire, ou du moins en essayant de le dissimuler...
Pourtant quand un juge pénal trait de l'état de nécessité, il le fait en fonction de ses valeurs... J'ai du mal à croire que les juges quels qu'ils soient, statuent toujours en dehors de toute conviction et de toute morale....
Citation :
Publié par Klem
Ké?
Pas tout compris....
Euh...la loi n'est pas censée être l'expression du gouvernement, mais plutot de la volonté nationale non?
Le gouvernement est censé être la représentation de la volonté nationale, du moins dans nos systèmes démocratiques. Dans ce cas, le juge n'a pas à se soucier de morale vis-à-vis de la loi et doit appliquer la loi telle qu'elle est, parce que légitimement elle est la volonté du peuple, par transitivité, disons.

Si le gouvernement n'est plus légitime, alors forcement la construction s'effondre. Le juge à qui l'on a appris à ne pas se poser de questions de morales sur l'application de la loi (parce qu'elle était l'expression de la volonté souveraine de la nation) se retrouve à appliquer la loi qui est la volonté souveraine du dictateur. C'est ce qui te choque. Je disais simplement que le positivisme suppose dans son essence que la loi est légitime.

Citation :
après concernant les positions des juges, il me semble qu'effectivement ils sont censés n'appliquer que la loi. Pourtant quand celle ci n'est pas claire, ils ont bien un pouvoir normatif, qui peut d'ailleurs être considérable, il n'y a qu'à voir l'importance de la jurisprudence en droit administratif... Et quand les juges appliquent la loi ou l'interprètent, ils le font aussi selon leurs propres convictions mais sans le dire, ou du moins en essayant de le dissimuler...
Pourtant quand un juge pénal trait de l'état de nécessité, il le fait en fonction de ses valeurs... J'ai du mal à croire que les juges quels qu'ils soient, statuent toujours en dehors de toute conviction et de toute morale....
C'est une évidence. Le juge ne peut pas s'abstraire complètement des considérations morales. Lorsque la loi n'est pas claire, ou que le cas n'entre pas bien dans les cases prévues par la loi, le juge est alors amené à décider lui même. La loi elle même prévoit plusieurs exeptions, comme les circonstances attenuantes. Mais il n'empêche, un juge qui s'occupe de traiter un cas de vol doit juger coupable un voleur si les preuves sont la, même si le vol est fait pour nourrir ses enfants en bas age, et se justifie "moralement". J'aurais d'autres choses à dire, mais je ne suis pas juriste et je ne voudrais pas m'exposer à dire des bétises
En théorie la loi s'impose au juge. Maintenant il existe des atténuations, premièrement quand la loi prévoit elle-même qu'il en sera fait appel à un jugement en conscience. En droit pénal, le juge évalue la valeur probante des preuves en "son intime conviction", de même, il jouit d'une certaine liberté sur l'étendue de la peine. Deuxièmement parce que la loi étant ce qu'elle est, des questions sont en permanence débattues sur son interprétation, le juge (ça se limite à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat en fait) est amené à trancher ces questions, il les tranche sur le droit, mais ces solutions s'expliquent aussi par des motifs d'opportunité.

D'ailleurs si tu lis la doctrine, après une explication en droit, les arrêts sont toujours évalués selon des aspects moraux, économiques etc.

Le droit tient également compte de plus en plus ce que tu nommes un droit naturel, il suffit de voir l'importance de la vérité biologique dans le droit de la famille, ou l'influence sur le droit national de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Pour ma part, ni positivisme, ni jusnaturalisme. Les deux me semblent d'ailleurs moins des doctrines viables, que des caricatures qu'on oppose deux à deux, de manière à ce que le débat ne puisse jamais être tranché.

En matière de philosophie du droit, l'approche la plus pertinente me semble être celle de Chaïm Perelman. Curieusement, il est assez peu connu en France.
Pour ceux qui souhaitent une introduction à son oeuvre, je conseille cet excellent ouvrage, intéressant même pour des non-juristes :
http://www.puf.com/Book.aspx?book_id=009680

Citation :
Publié par Mothra
C'est une évidence. Le juge ne peut pas s'abstraire complètement des considérations morales. Lorsque la loi n'est pas claire, ou que le cas n'entre pas bien dans les cases prévues par la loi, le juge est alors amené à décider lui même. La loi elle même prévoit plusieurs exeptions, comme les circonstances attenuantes. Mais il n'empêche, un juge qui s'occupe de traiter un cas de vol doit juger coupable un voleur si les preuves sont la, même si le vol est fait pour nourrir ses enfants en bas age, et se justifie "moralement". J'aurais d'autres choses à dire, mais je ne suis pas juriste et je ne voudrais pas m'exposer à dire des bétises
En droit français, la jurisprudence française a développé la notion d'état de nécessité pour ne pas punir la personne pénalement dans des cas similaires à celui que tu décris. La première décision fut rendue par le juge Magnaud, connu et célèbre pour ses décisions à la motivation particulière, à la fin du XIXème siècle. Les faits de l'espèce étaient, de mémoire pratiquement ceux de ton exemple.
Et pourtant la loi était claire et ne nécessitait aucune interprétation : le vol aurait dû être puni. Et la décision a depuis fait jurisprudence puisque l'exception d'état de nécessité est de droit positif.

Cet exemple est célèbre. Mais la pratique du droit t'apprend que cet exemple est moins l'exception que la norme.
Citation :
Publié par Klem
En droit, à la fac, pendant des années on nous apprend, par un système de formatage bien établi, à être de gentils positivistes, c'est à dire ne raisonner qu'en termes de droit, considérer que c'est une discipline totalement indépendante, cloisonnée des autres, qui doit le rester, et surtout que c'est une science à part entière, donc qui ne doit avoir aucun lien avec le reste (politique, économie, sociologie...) et que c'est pas le boulot du juriste de s'occuper de ça.
Heuuu pour ma part, mes profs ont toujours développé à part égale les deux conceptions du droit...

Pour ma part, je suis un positiviste, les "valeurs" sont totalement subjectives d'un individu à l'autre, donc à partir de là, comment créer un droit regroupant les valeurs de tous ? A mes yeux c'est totalement impossible.
Il y a tant de nuances au sein du positivisme que chacun peut adopter sa propre notion qui s'apparenterait au positivisme hartien, souvent lui aussi méconnu du droit francophone ou encore au positivisme kelsenien... ou d'autre, que sais-je...

Je crois que le débat positivisme / jusnaturalisme apporte du bon à l'évolution de la science juridique car cette opposition constante entretient un remue-ménage permanent des théories, ce qui a permit, je crois, l'essor d'une multitude de théories qui se chevauchent continuellement depuis quelques décennies, comme le Law & Litterature, Law and Economics ou les différentes théories postmodernes et critiques du droit, comme la théorie féministe.

Je crois que ça a du bon pour le droit.
Il y a un truc qui me surprend, moi, scientifique, et pas juriste. Cette notion de la science du droit. On s'accorde généralement à définir la science comme étant une démarche visant à étudier des phénomènes, pour en proposer des modèles qui prédisent leur fonctionnement. Dans ma définition, je ne fais pas rentrer les mathématiques. Pour moi il ne s'agit pas d'une science à proprement parler, mais d'un outil. La recherche mathématique c'est alors observer l'outil pour lui trouver de nouvelles propriétés qui aideront peut-être plus tard lorsque l'on souhaitera s'en servir. Par contre, ca définit parfaitement toutes les autres sciences, les évidentes comme la physique, la chimie, la biologie, mais aussi les sciences humaines comme l'anthropologie, la sociologie ou la psychologie.

Par contre, j'ai du mal à voir ce qu'est une science du droit. Je conçois bien qu'il y a des aspects techniques du droit, qui peuvent être compliqués et requérir une réflexion. Mais je ne vois pas en quoi il peut s'agir d'une science, dans le sens ou le droit est une construction humaine. Il à été construit de telle façon qu'il fonctionne d'une certaine façon, c'était son but, sa fonction, et on sait comment on à fait pour y parvenir. Vous pouvez m'éclairer ?
Citation :
Publié par Mothra
Il y a un truc qui me surprend, moi, scientifique, et pas juriste. Cette notion de la science du droit. On s'accorde généralement à définir la science comme étant une démarche visant à étudier des phénomènes, pour en proposer des modèles qui prédisent leur fonctionnement. C'est ici que ton raisonnement accroche. Dans ma définition, je ne fais pas rentrer les mathématiques. Pour moi il ne s'agit pas d'une science à proprement parler, mais d'un outil. La recherche mathématique c'est alors observer l'outil pour lui trouver de nouvelles propriétés qui aideront peut-être plus tard lorsque l'on souhaitera s'en servir. Par contre, ca définit parfaitement toutes les autres sciences, les évidentes comme la physique, la chimie, la biologie, mais aussi les sciences humaines comme l'anthropologie, la sociologie ou la psychologie.

Par contre, j'ai du mal à voir ce qu'est une science du droit. Je conçois bien qu'il y a des aspects techniques du droit, qui peuvent être compliqués et requérir une réflexion. Mais je ne vois pas en quoi il peut s'agir d'une science, dans le sens ou le droit est une construction humaine. Il à été construit de telle façon qu'il fonctionne d'une certaine façon, c'était son but, sa fonction, et on sait comment on à fait pour y parvenir. Vous pouvez m'éclairer ?
Fonder une science du droit, qui aurait les mêmes principes que les sciences dites naturelles, voilà le but de Kelsen.

Je cite Michel Troper, dans l'exposé de 1991 Un système pur du droit: le positivisme de Kelsen:

« Voilà toute la difficulté de l'objectif que se fixe Kelsen: créer une science, qu'il appelle une sciences normative, qui ne serait pas une science qui crée des normes, qui pose des normes, mais une science qui décrit des normes, c-a-d qui décrit ce devoir-être objectif. Elle devrait présenter quelques caractéristiques empruntées au modèle fondamental des sciences de la nature. »

Cette épistémologie positiviste implique donc plusieurs caractéristiques, soit la distinction de la science et de son objet (donc le rejet de toutes les doctrines de droit naturel...), l'abstention de porter des jugements de valeur (idéal de pureté de Weber, emprunté à la sociologie), le choix d'un objet donc le droit positif (car la science juridique ne doit porter que sur la réalité que l'on peut mesurer et connaitre).

Il s'agit en fait d'une métathéorie du droit qui voit le droit comme une science descriptive et analytique. Comment peut-elle être ainsi alors que selon toi le droit décrit une réalité humaine ? C'est l'étude objective qui transcende cette notion humaine donc subjective et qui permet donc une démarche scientifique, assez scientifique pour que l'on puisse l'élever au rang de science.

Quant au jusnaturalisme et au néojusnaturalisme, c'est une autre histoire, bien que certains ont tentés de concilier l'aspect scientifique que tentait de conférer Kelsen au droit tout en adoptant des thèses jusnaturalistes.


J'espère que j'ai été compréhensible ?
quel débat!!!!
allons pour commencer reprenons ce grand débat sur le droit nazi, quelle belle question, et quelle tristesse aussi. Moi je poserais une question, pourquoi s'opposer à l'idée de l'existence d'un droit nazi? rejeter l'idée du droit nazi permet de rejeter en même temps l'idée que l'homme est capable de créer de telles horreur et surtout que ces horreurs s'inscrivent "dans un cadre légal".
Mais d'un point de vue naturaliste si je me trompe pas les lois nazis partaient d'un principe, celui selon lequel les juifs étaient naturellement inferieurs à la race arienne et donc le droit naturel peut justifier le droit nazi, ainsi 2 théories, 2 mêmes solutions.
Mais bien sur on me dira que le droit naturel c'est un ensemble de valeur, croire en des valeurs, c'est beau les valeurs, magnifiques mais pourquoi tout le monde devrait avoir les mêmes valeurs dans la tête?, pourquoi tout le monde devrait être horrifié devant les mêmes actes, devant les mêmes situations?
pourquoi moi le débat de la condition des prisonniers me touche pas (3 personnes sur 9m²) alors que certaines personnes se battent contre ça? Pourquoi de voir des sans abris m'horrifient me met hors de moi alors que certaines personnes les écraseraient presque? quelle est la bonne valeur ici? Comment peut on dire qu'une valeur est supèrieur à l'autre?
j'ai plus d'idée pour l'instant mais ça ne saurait tarder
Citation :
Publié par Peco
Heuuu pour ma part, mes profs ont toujours développé à part égale les deux conceptions du droit...
Et bien pour être actuellement en première année de Droit ,c'est aussi ce qu'on m'enseigne ,et je suis d'accord avec ce qui est dit plus haut ,ce débat de toute évidence sans issue a du bon pour la matière elle même et de je pense que de toute façon,seul une conception hybride est viable mais que l'on peut certes, penchés,a degrés divers pour l'une ou l'autre des deux visions ,qui dans mon cas est celle du jus naturalisme.
Oui, technique mais compréhensible. Si je comprend bien, justement la science du droit se poserait donc comme les mathématiques. Un outil logique qui permet de décrire des propriétés et des relations reliant ces propriétés. C'est quelque chose de très proche de la logique des prédicats si j'ai bien tout saisi (mais visiblement Keslen ne connaissait pas). C'est effectivement un outil technique qui peut être très utile pour concevoir des systèmes de droit arborant des propriétés mathématiques et logiques intéressantes comme par exemple la "consistance", ou pour les vérifier par des mécanismes classiques d'inférence. C'est assez exaltant quand on y pense
C'est surtout la conception positiviste qui veut cela. À chacun sa vision, certains ne perçoivent pas le droit comme un science et ne croient pas que ça devrait en être une.

Enfin, tout cela est bien intéressant, mais je retourne à ce cher Dworkin et son herméneutique juridique beuhh.
Citation :
Publié par Mothra
Oui, technique mais compréhensible. Si je comprend bien, justement la science du droit se poserait donc comme les mathématiques.
Disons plutôt que Kelsen aurait voulu que le droit soit ainsi. Je pense, pour ma part, que le droit ne suit aucune logique mathématique.
D'ailleurs, pour te corriger, la logique juridique de Kelsen n'a rien d'une logique de prédicats, car sa logique ne porte pas sur les énoncés des normes. C'est une logique qui s'applique uniquement à déterminer si une norme est ou non valide dans un système juridique donné. Mais même sur ce plan, si le modèle (les modèles devrais-je dire, car la pensée de Kelsen a évolué au long de sa vie) est intellectuellement intéressant, il ne correspond pas vraiment à la pratique quotidienne du droit. La volonté de faire une science du droit, avec des normes prédiquées à partir d'autres normes cela correspond en France surtout à ce qu'on appelle l'Ecole de l'Exégèse (aujourd'hui abandonnée et fort critiquée). Et c'est notamment contre ce genre de conception de la science juridique que Kelsen élabore sa propre théorie (outre son opposition au jusnaturalisme).

Je donne l'exemple croustillant suivant, qui a d'ailleurs vraiment donné lieu à un procès.
Une personne tombe gravement malade. Selon l'avis des médecins locaux, la personne est mourante et rien ne peut être fait pour la sauver. Comme souvent dans ces moments de désespoir, tout ce qui est imaginable est tenté. C'est ainsi qu'il est fait appel au guérisseur local. Cette intervention est heureuse, car, à la grande surprise des médecins, la personne malade se rétablit alors très vite et passe hors de danger.

Il n'en reste pas moins que le "guérisseur" n'a aucun diplôme médical. Il est alors poursuivi en justice pour exercice illégal de la médecine. Et l'infraction ne fait aucun doute.
L'avocat du guérisseur objecte quand même habilement. Même en supposant que le "guérisseur" n'avait aucun pouvoir, et que la guérison résultait entièrement d'un effet placebo, personne ne niait que son intervention avait permis un dénouement heureux. D'où l'argument de l'avocat : si le "guérisseur" n'était pas intervenu, alors qu'il se savait capable de provoquer (effet placebo ou pas, peu importe) un dénouement heureux, il aurait pu être poursuivi pour non-assistance à personne en danger.
Et son argumentation a porté, puisque le tribunal a considéré la contradiction des normes pour son cas, entre une loi qui lui ordonnait de ne rien faire, et une autre qui aurait puni son inaction. En d'autres termes, alors que l'accusation ne voyait aucune difficulté et demandait l'application d'une loi pourtant parfaitement claire, les juges se sont laissés convaincre par la défense qui a réussi à les persuader que la loi n'était finalement pas si claire et cohérente que cela.

Il n'y a aucune logique mathématique dans le raisonnement. On est au contraire seulement et entièrement dans le domaine de la rhétorique. Et tout le quotidien du droit implique en permanence ce type de raisonnement non mathématique.
C'est parce que l'application du droit n'a rien de scientifique qu'on la confie rarement à un homme seul, mais en principe à un collège de juges (le juge unique étant en France l'exception).
Pourtant je vois justement un point de logique très intéressant : le droit tel qu'il existe est non consistant (au sens de la logique), c'est à dire qu'il existe certains cas ou l'on peut décider une chose et son contraire en inférant deux raisonnement exacts à partir de deux faits exacts.

Un système plus ou moins mathématique permettant de garantir que l'ensemble de la construction "droit juridique" est consistante serait utile. Reste à savoir si il existe un droit qui soit consistant et non trivial (autrement dit qui exprime des lois utiles pour la société). C'est la que je rejoins les gens dont tu parles qui semblent ne pas y croire un instant.

Finalement, je n'ai probablement pas compris ce que c'était que cette vision normative, mais tout cela semble passionnant. Dommage que je n'ai pas 4 ou 5 vies pour étudier le droit, l'art, la philosophie, et tout ça
Citation :
Publié par pescaloca
allons pour commencer reprenons ce grand débat sur le droit nazi, quelle belle question, et quelle tristesse aussi. Moi je poserais une question, pourquoi s'opposer à l'idée de l'existence d'un droit nazi? rejeter l'idée du droit nazi permet de rejeter en même temps l'idée que l'homme est capable de créer de telles horreur et surtout que ces horreurs s'inscrivent "dans un cadre légal".
Mais d'un point de vue naturaliste si je me trompe pas les lois nazis partaient d'un principe, celui selon lequel les juifs étaient naturellement inferieurs à la race arienne et donc le droit naturel peut justifier le droit nazi, ainsi 2 théories, 2 mêmes solutions.
Bin en réalité, si le "droit" nazi était du droit, alors les nazis au procès de Nuremberg auraient du etre relachés, apres tout ils ne faisaient qu'appliquer le droit et donc avaient raison et n'auraient pas du etre condamnés pour ça!
On a pourtant considéré que ce type d'actes n'était pas du droit, parce qu'il ne correspondait pas à ce qu'on attend du droit, c'est à dire de tendre vers un "mieux", pour tous, et répondre à des valeurs et des droits naturels, dont le droit à la vie...
Il y a de très belles études la dessus, Denys de Béchillon, lui ça lui pose pas de problème, et Troper bin lui il sait pas trop...

Maintenant oui croire en des valeurs c'est beau, c'est peut etre meme essentiel non? saleté de nihilistes! si on croit en ces valeurs, meme si on en a pas nécessairement la même conception, sur le fond on est d'accord et on ya adhère. C'est deja pas mal, on peut les faire évoluer, elles doivent d'ailleurs évoluer...

Mais il y a toujours un socle commun de valeurs, un patrimoine commun qui existe, un éthos commun.
Je ne suis pas sur que tu aies besoin de droit naturel pour justifier Nuremberg. Le simple droit international devrait suffire. Surtout qu'il existait déjà à l'époque ou les faits ont été commis des organismes comme la convention de genève pour les prisonniers de guerre, l'interdiction des armes chimiques, la société des nations, etc... Autant de cadres juridiques internationaux qui ont été violés par le régime nazi.
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