Etait-il tôt ou tard, début ou fin de nuit ? La jeune Satyre n’aurait su le dire en fait.
Elle ne savait plus depuis combien de jours, deux, trois peut être, elle était partit de Dryart. Nul messager n’était venu et pourtant elle avait préparé son havresac pour un long voyage, presque inconsciemment, guidé par une petite voix intérieure qui lui en intimait l’ordre, qui lui disait que la route serait longue et qu’il fallait faire vite.
Quelques vivres, fruits et légumes séchés, des pains de voyages à la croûte dure et sèche, une outre d’eau fraîche et … sa plus belle Hache de bataille solidement ancrée dans sa gaine de cuir.
La nuit avait commencé a tirer son voile d’ombre, elle s’était assise sur la plage et avait manger un peu, sans appétit vraiment, tournant et retournant dans sa tête les phrases éthérées qui lui avait trotté dans la tête toute la soirée …
« Il approche du grand voyage sans retour … »
« Bientôt … très bientôt son esprit prendra son dernier envol vers d’autres lieux inconnus … »
« Il reste peu de temps pour l’au revoir … »
Elle croquait dans la pomme et mâchonnait la chair juteuse les sourcils froncés.
Qui ? … où et pourquoi ? …
Puis, enfin, ne trouvant aucune réponse, elle s’était décidé a suivre l’appel. « Que la Grande Mère et Bachannatus guide mes pas ! » avait elle murmuré.
La nuit avait passée sans qu’elle ne s’arrête de marcher. Le soleil s’était levé e,t à l’approche du désert de Tazoon, l’avait forcé à faire une pause à l’ombre d’un palmier. « se reposer un peu, dormir peut être », mais le sommeil l’avait fuit et le repos s’était changé en fourmillement dans les jambes et dans un retour lancinant de la petite voix plus pressante encore, plus impérieuse. Elle avait repris la route sous les puissants rayons qui lui brûlaient les épaules.
« Trois bonnes heures de marche encore et Tazoon sera en vue, je me trouverais une petite auberge et je repartirais demain … oui demain matin avec la fraîcheur … »
‘Tazoon la Grande’, ‘Tazoon la Libre’ … Elle fut soulagée en voyant approcher les hautes murailles de la cité et pressa encore le pas. A la porte Ouest elle fila vers la grande fontaine de marbre et plongea la tête jusqu’au épaules dans l’eau fraîche. Le ruissellement sur ses épaules, l’eau glissant et se frayant un chemin dans le pelage de son ventre, sa chemise de lin lui collant à la peau lui rafraîchirent autant le corps que l’esprit. Elle remplit l’outre de peau avant de replonger une nouvelle fois la tête sous l’eau, y restant quelques secondes pour s’enivrer de cette sensation de fraîcheur et de vie puis ressortit la tête d’un mouvement sec avec le sourire.
« Pourquoi attendre demain … » répétait la petite voix.
« La route t’attend, « il » t’attend … va … »
Cybèle traversa la grande place, avisa un herboriste et lui acheta une bourse pleine de feuilles d’Eleuther. Une petite fortune ! L’herboriste avait du voir à sa tête qu’elle ne prêterait pas attention au prix … Elle haussa les épaules, pris deux petites feuilles dans la bourse et se mit en devoir de les mâcher consciencieusement pour en extraire tous les sucs. La sève un peu poivrée lui coula dans la gorge comme un caramel trop liquide, elle fronça le nez essayant d’oublier l’arrière goût un peu amer qui se faisait plus fort et repris sa marche vers la Porte Est.
Le jour faiblissait et lentement une nouvelle nuit s’annonçait, la fraîcheur des prairies avait cédée le pas aux sables brûlants, par deux fois déjà elle avait remplis son outre mais ne s’était pas arrêter plus pour autant. L’Eleuther faisait effet, toute fatigue avait disparue, les élancement des muscles de ses cuisses s’étaient tuent et elle se sentait enveloppée d’une légère euphorie qui lui laissait sur le visage un sourire épanouie.
A Aughundell elle se força à faire une pause et à manger un peu de pain et quelques fruits secs, une demi heure peut être. Elle n’avait pas entendu la petite voix mais savait que si elle faisait mine de s’arrêter elle reviendrait plus forte, elle en était convaincue et n’avait aucune envie de la voir revenir au galop …
Les collines succédaient aux prairies, les sous-bois, les chemins et la rocaille s’intercalaient sans cesse sous ses sabots, la nuit avait tendue son grand drap piqueté d’étoiles et la lune la regardait passer de son sourire d’argent.
« Qui ? Où et pourquoi ? » Ces questions lui trottaient inlassablement dans la tête et plus elle cherchait plus il lui semblait que la réponse s’approchait a mesure que ses sabots la menait plus loin. Elle força encore le pas, s’empêchant presque de courir comme une folle, comme malgré tout l’envie la taraudait. Elle savait que les herbes des caravaniers ne maintenaient qu’une illusion de bien être et masquaient la fatigue et les douleurs de ses muscles. Elle savait pertinemment que quand elle cesserait de mâcher ces feuilles elles tomberait comme une souche pour dormir plusieurs jours durant sans éveil, une longue nuit sans rêve ni cauchemar qui ne serait peuplée que par la torture de ses muscles déshydratés et inflammés ; une catalepsie réparatrice qui demanderait son due sans faire cas de l’envie ou du besoin.
Deuxième ? Troisième ? Quatrième jours de marche sans repos ? Elle ne cherchait même plus à savoir à présent.
Elle avait laissé derrière elle les sombres forêts de Selen. A part quelques loups affamés qui jalonnaient son parcours, les différentes bêtes de ces contrées l’avaient laissés passer sans approcher, étrange. Elle ne s’en souciait même pas. Toute son attention était focalisée a présent sur les tours et détours qu’elle pouvait faire pour traverser les Marches Corrompus ou erraient ces infectes Marrows. Elle n’avait ni l’envie ni le temps de s’essayer à les combattre, elle avait juste besoin de passer.
Elle plongea la main dans la petite bourse et s’arrêta un instant, les yeux rivés loin vers l’horizon, l’esprit tout à écouter ses doigts. Un voile noir passa devant ses yeux et, furieuse contre elle-même elle arracha la bourse de sa ceinture pour l’ouvrir en grand et vérifier par le regard ce que ses doigts lui disaient. Trois, quatre, quelques miettes … presque plus de feuilles d’Eleuther et elle ne savait pas encore combien de chemin il lui restait a parcourir. Elle resserra les cordons d’un geste brusque et nerveux et lia la bourse presque vide à sa ceinture. Tant pis, l’heure était venu de courir un peu se dit elle. Sa main glissa instinctivement de nouveau vers la bourse mais elle l’arrêta, sortit sa hache de son étui et s’engagea sur le chemin le plus direct pour franchir la passe.
Les cieux de verts sombres ne laissaient plus rien filtrer, empêchant d’avoir quelques notions qu’il fut de jour ou de nuit. Le temps s’égrena par à-coups, entre deux courses folles pour échapper aux monstres hideux …
Une dernière muraille, un passage étroit et le pied des Montagnes des Marches s’étalaient devant elle.
Une feuille … Ses muscles se calmèrent un peu et cessèrent de tressauter, les « coups de poignards et les milliers de dards » de ses jambes s’évanouirent encore une fois, et la jeune Satyre grimpa.
Son esprit était en flamme, ses poumons semblaient vouloir s’arracher d’eux même de sa poitrine et il lui semblait que son c½ur allait exploser quand elle arriva sur la crête la plus haute. Elle s’accroupit un instant pour reprendre un peu de souffle et calmer tout son corps qui était au bord de l’ultime révolte. La vue a demi brouillée, les mains prisent de tremblement qu’elle n’arrivait plus a contenir elle vida les restes de plante dans le creux de sa main et jeta le tout dans sa bouche.
Si la fatigue accumulée ne l’avait contrainte au calme sans doute aurait elle fait une crise de nerf et se serrait elle mise a hurler quand une légère bourrasque de vent arracha de sa main, juste avant qu’elle ne la porte a sa bouche, une des deux feuilles restante. A quatre pattes elle suivit le vol désordonné de la petite feuille puis profitant d’une pause de la brise la plaqua d’une main hésitante au sol.
Elle se releva enfin avec peine, regarda la feuille du buisson de « sans-fatigue » et avec un mince sourire se mit à la macher avec sa consoeur, attendit quelques secondes les yeux fermés que l’envahisse de nouveau la sensation de paix et de bien être, puis jeta un regard circulaire sur la plaine herbeuse qui s’étalait devant elle …
« Il » était là.
Couché dans l’herbe grasse qui ondulait sous la brise fraîche et légère.
« il » lui tournait le dos a quelques dizaines de mètres d’elle, le regard visiblement plongé par delà la prairie …
Elle sourit, effet des feuilles d’Eleuther sans doute mais surtout de le revoir, lui, se persuada-t-elle, sa fatigue, sa tension nerveuse et l’irrépressible envie de dormir s’envolèrent comme fumées aux vents.
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