Le retour du printemps

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Le soleil brillait, un léger vent agitait les branches des arbres proches, sur lequelles étaient visibles les premiers bourgeons. Les deux gardes étaient appuyés contre le mur de la cour intérieure, profitant des premiers moments de douceur de l'année. Les yeux fermés, Karl avait posé sa lance et son casque quelques instants, et laissait la chaleur baigner son visage.

Ainsi, il ne vit pas venir le coup. Il reçut le poing du Demi-Troll en plein visage, perdant connaissance en s'effondrant, avant même d'avoir touché le sol.
Le bruit fit sursauter Ailel, qui comprit qu'il était en mauvaise posture dès qu'il vit son pauvre camarade tomber lourdement sur le sol, le visage en sang.

Sans même prendre la peine de remettre son propre casque, il bondit au garde à vous en fermant les yeux, anticipant un coup qui ne vint pas.
A la place, ce fut le rugissement du demi-Troll qui s'abattit sur le garde :
« Bons à rien ! Miséreux ! Rejetons de bâtards !!! » furent les premières paroles d'un flot ininterrompu d'insultes qui inondèrent ses oreilles et ses narines pendant d'interminables secondes.
Puis vint un simple mot, « Suffit ! », qui fit courir un long frisson dans le dos d'Ailel. Et s'il était encore possible, il se raidit encore plus. Cette voix, qui faisait trembler l'ensemble de la garnison de la forteresse, ne pouvait signifier qu'une chose pour lui : encore de longues semaines au cachot...

Le Demi Troll se tût immédiatement, et laissa le passage au baron De Mirken. Celui-ci fit un pas en avant, son visage impassible, comme toujours. Seul le murmure dans lequel il donna son ordre à son intendant disait sa fureur : « Disposez d'eux ». Le Demi Troll se mit immédiatement en mouvement soulevant le garde évanoui d'une main, et ratant de peu la tempe d'Ailel, qui avait eu l'inspiration géniale de se baisser pour ramasser son casque. Il n'attendit pas de voir comment réagirait le Troll et partit en courant en direction de la tour abritant la prison, suivi de près par les grandes enjambées de l'intendant, qui avait rouvert les vannes du torrent d'insultes qui faisait sa fierté et sa réputation dans toute la région.

Le baron attendit quelques instants que le silence revienne, puis désigna du doigt les deux gardes qui traversaient la cour. Ils s'arrêtèrent immédiatement dans un garde à vous impeccable. De Mirken pointa ensuite vers la brèche dans le mur Nord, puis repartit dans un grand bruissement de cape et de robes de soie, furieux, mais confiant que pendant quelques heures au moins, les travaux de reconstruction du mur seraient surveillés et menés par deux gardes motivés par la peur de leur seigneur.
Il prit la direction de la forge de la forteresse, sans attendre le retour du Troll. Il savait que son intendant serait à ses côtés à temps, dès qu'il aurait besoin de lui, comme toujours. Il était de loin le meilleur intendant qu'il ait jamais eu, probablement pas le plus diplomate ou le plus fin planificateur, mais sans conteste le plus efficace pour « motiver » ses hommes...

L'arrivée du printemps était une très mauvaise nouvelle. Sans aucun doute les ouvriers travailleraient plus vite à reconstruire le mur Nord, mais cela signifiait aussi que le col du Tenkir, des montagnes de l'Est, serait praticable presque un mois plus tôt que l'année précédente. Ces satanés nains Darks ne tarderaient pas s'aventurer à nouveau dans les plaines alentours. L'année dernière, pour la première fois, les nains étaient descendus des montagnes non pas en bandes de pillards désorganisées, mais réunis en une armée puissante, sous la coupe d'un jeune chef. Ils avaient progressé rapidement, directement vers la forteresse, cherchant sans aucun doute possible la conquête, et non les pillages des années précédentes.
De Mirken avait gagné la bataille de justesse, le hasard ayant fait coïncidé le début de la bataille avec la présence dans les murs de la forteresse d'une délégation diplomatique de fées. Pour sa plus grande joie, parmi elles se trouvaient trois puissantes sorcières qui avaient dévasté à elles seules le principal assaut des nains, alors qu'ils perçaient le mur d'enceinte et commençaient à se répandre dans la cour de la citadelle. Les fées avaient noyé les nains sous un déluge de glace qui avait certes stoppé l'assaut, mais avait malheureusement ébranlé le mur jusque dans ses fondations. Il avait fallu depuis détruire la quasi-totalité du mur pour commencer à le rebâtir aussi solide qu'avant, et faire venir à prix d'or plusieurs architectes d'Al Drifa.
Et voila que revenait le printemps et que ses gardes se doraient au soleil, fous inconscients du danger imminent !

Sa forteresse était vulnérable, ses coffres étaient vides, et ces stupides oiseaux gazouillaient !!!

Il entra en trombe dans la chaleur de la forge, et fut soulagé de constater qu'ici au moins, les hommes suaient à grosses gouttes et que les lames fraîchement coulées s'alignaient contre le mur du fond. Il ressortit immédiatement, laissant à peine le temps aux artisans d'esquisser un salut digne de son rang. Il aurait dû se douter que son passage ici était inutile : son intendant ne l'y avait pas rejoint !

A grand pas, il reprit la direction du donjon, ses pensées s'égarant de nouveau vers l'Est et les montagnes toutes proches.

Dans sa jeunesse, il avait lui-même traqué les bandes de pillards nains. Il avait fini par perdre le décompte du nombre de nains tombés sous ses flèches. Il avait aimé les courses sous les lunes, les embuscades tendues autour d'un gué ou les attaques surprises sur les campements nains endormis. Et puis un jour, le fier demi-Elfe qui menait la patrouille était tombé sous la hache d'un nain. Et le piège tendu par les nains s'était refermé sur eux. Seuls trois rangers s'en étaient tiré, sauvés par leur bravoure disait la rumeur. Lui savait qu'il ne devait sa vie qu'à sa bonne étoile. Il avait eu la chance d'avoir ce jour là un cheval dont l'un des fers ne tenait pas très bien. Et quand sa patrouille commençait à préparer l'embuscade, il était resté en arrière avec deux camarades pour l'aider à refixer le fer capricieux. Ils avaient été les seuls à pouvoir fuir quand les nains avaient attaqué et massacré le reste de leur patrouille.

Mais la rumeur disait qu'il s'était battu héroïquement, qu'il n'avait tourné le dos au combat que lorsque son carquois fût vide, lorsque sa lame s'était brisée sur le crâne du centième ennemi tué cette nuit là.
Et sa réputation avait enflé avec le temps. Le peuple en avait fait un héros de métal, alors même qu'il n'avait jamais porté d'armure au combat, insensible à la douleur, dénué de sentiments, mais au courage et à la loyauté sans faille. Le peuple avait besoin d'un chef, il s'en était fabriqué un. Le roi en personne lui avait accordé le titre de baron et lui avait offert le territoire qu'il dirigeait désormais. Et sa principale forteresse était bientôt devenu un haut lieu de commerce, les curieux affluant de tout le royaume pour tenter d'apercevoir le Baron de Métal. La Baronnie avait prospéré, et les nains s'étaient réfugié plus haut dans les montagnes.

Le donjon se dressait devant lui, défiant les morsures du temps. De Mirken passa sans ralentir sous la haute voûte qu'aucun ennemi n'avait jamais pu franchir, et tourna vers la gauche en direction de la salle d'audience. Il aperçut son fidèle intendant passant la porte à cet instant, ce qui confirma que c'est là que l'on aurait besoin de lui.

C'était cet instinct qui l'avait toujours guidé depuis qu'il avait accédé aux hautes responsabilités. Il avait toujours su être au bon moment au bon endroit. Et aujourd'hui plus que jamais il sentait que ses terres étaient en danger. C'était ce sentiment d'urgence qui le faisait arpenter chaque couloir de sa forteresse, surveiller chaque artisan, inspecter chaque ouvrage. Il était le ciment de ce lieu. Sans lui, il le sentait, tout s'écroulerait bientôt.

Car les années de prospérité étaient derrière lui. Avec le temps la légende avait vacillé et les curieux étaient partis. Les rudes hivers et la violence renouvelée des raids nains avaient eu raison de l'économie florissante de la Baronnie.

Et aujourd'hui, avant tout, il avait besoin d'or. La reconstruction du mur coûtait cher, l'assaut de l'année passée avait prélevé un lourd tribut parmi les hommes de la région, et il lui faudrait sans doute faire appel à des mercenaires pour défendre sa forteresse si les nains revenaient en nombre. C'est pourquoi il avait désespérément besoin de l'aide de la Baronnie voisine, les vaillants soldats de Chanelak. Ils devaient être arrivés. Nulle autre raison ne pouvait les pousser irrésistiblement lui et son intendant vers la salle d'audience.

Et effectivement lorsqu'il franchit le seuil, un groupe de six personnes, tous vêtus de longues capes blanches frappés de la goutte mauve, emblème de Chanelak, attendait debout, l'un d'eux tentant visiblement de se présenter au Troll. Celui-ci, fidèle à lui-même, se contentait de l'ignorer. A l'entrée de De Mirken, il se tourna vers lui et se présenta :
« Salutations Monseigneur, Je suis Frojur, ambassadeur du Seigneur Chanelak, et je me présente en votre demeure à votre demande ».

De Mirken s'avança, tendant la main à son interlocuteur, remerciant Zéphyr d'avoir escorté aussi vite ces hommes qui portaient avec eux son salut.
Et c'est lorsqu'il fut arrivé à la hauteur de l'émissaire, que la lame lui transperça le coeur. Le coup avait été porté à une vitesse effrayante par l'homme situé immédiatement derrière le dénommé Frojur. Dans la seconde qui suivit, les hommes en blanc avaient tous sortis leurs armes et se ruaient vers la porte, leur mission accomplie.

Le Demi-Troll hurla de rage et se précipita lui aussi vers la porte, bien décidé à stopper les assassins. S'en suivit une mêlée furieuse, où tombèrent tous les hommes en blanc, ainsi que trois gardes de la citadelle.
De Mirken était déjà mort. L'intendant le sentait avant même de se pencher sur son corps. Le visage tordu par la rage, il se tourna vers le cadavre de l'un des hommes. Dans sa bourse, il découvrit avec horreur des pièces d'or frappées d'un casque à corne.

Ces hommes étaient-ils vraiment des émissaires de Chanelak ? Il n'en savait rien. Mais il savait désormais que la mort de son seigneur avait été achetée par l'or des nains. Cette nuit il quitterait la forteresse : sans le Baron de Métal, cette citadelle serait perdue avant l'été.
lecture en cours

edit: Pas mal
J'admire aussi ceux qui ont le courage de faire des textes aussi longs . Ce n'est pas le plus long que j'ai lu mais dès que cela dépasse dix lignes pour moi cela devient un livre
En tout cas c'est un bon texte qui va vite se retrouver dans la bibliothèque de Circéliane.
Très joli style, excellente mise en condition, le décor, la pression croissante sur les épaules du baron... par contre je trouve que tu as baclé la scène du meurtre, trop rapide, pas assez détaillée. Il est là bien vivant, pis pouf mort, fin.

En tout cas c'était un plaisir de te lire
Citation :
Provient du message de Creenshaw
par contre je trouve que tu as baclé la scène du meurtre, trop rapide, pas assez détaillée. Il est là bien vivant, pis pouf mort, fin.
La fin brutale, comme pour les 2 autres saisons, est voulue.

Je voulais suggérer le retournement de situation : il croit au renfort, au fait que tout va se régler, et finalement non il est mort.

Le peu de descriptions de la scène du meurtre permet également d'accélérer le rythme. Je ne voulais pas que le lecteur ait l'image du baron tombant lentement, d'une lame qui frappe au ralenti ; mais au contraire d'un éclair violent.

J'avais également décidé d'axer mon récit sur les aspects sociaux (artisanat, gestion d'une forteresse, diplomatie), et le meurtre, dans cette perspective, n'est pas l'élément central.

Enfin bon, tout ça ce sont de bonnes excuses pour ne pas dire que j'avais la flemme de décrire plus le meurtre...
Je me permets de remonter les 3 posts de nouvelles que j'avais écrites il y a un certain temps.
Maintenant vous avez les 4, qui forment le Cycle des Saisons , par Centaure.
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