Rohana Ardais Moorwood

Répondre
Partager Rechercher
Jehanna, royaume de Haute-Roche, fin de la seconde ère.

"Rohana, Rohana!!! Mais où est passée cette sale mioche encore?"

Mme Moorwood criait, égale à elle-même. Excepté en présence de son mari, envers qui elle était tout sucre et tout miel, elle passait son temps à hurler. Elle criait sur sa servante, agonissait d'injures le garçon d'écuries, maudissait l'apprenti du magasin, et cinglait des mots les plus durs l'employé. Mais sa cible préférée était sa belle-fille, une gamine de douze ans.
L'histoire était classique : un marchand aisé, veuf depuis peu, et affublé d'une gamine dont il ne savait comment s'occuper et là l'idée de génie : se remarier avec une femme comme il faut. La première arriviste venue a bien entendu reniflé la bonne affaire. La gamine? ça n'était guère un obstacle, il suffirait de la dresser et de la marier au plus vite. Mais même dans le monde merveilleux des manipulatrices, tout ne se passait pas toujours comme prévu. La gamine s'avérait insaisissable comme l'eau des torrents de la Crevasse, et aussi sauvage que ses habitants. Elle ne savait aps se comporter comme une jeune fille, ignorait tout de la politesse la plus élémentaire, courait partout et grimpait aux arbres comme un garçon et préférait lire des romans plutôt que de filer et de coudre. Si elle n'arrivait pas à la mater au plus vite, elle serait impossible à marier.


"Rohana! Ramène-toi immédiatement ici ou tu vas goûter la cravache de Danseur!"

Qu'elle beugle donc... pensait l'enfant, cachée dans les branches du chêne dans l'arrière cour. Hors de question de troquer "Le dernier roi des Ayleides" contre des heures de tricot ou de couture à s'en faire des noeuds aux doigts! Elle se replongea donc dans son étude des anciens Elfes et ignora les cris de harfreuse de sa belle-mère. Seule l'arrivée de son père revenant de son voyage d'affaire à Refuge la tira de sa cachette et même la punition pour avoir déchiré sa robe sur une branche n'enleva rien au plaisir d'avoir pu finir un bon bouquin.

enfant10.jpg



Jehanna, royaume de Haute-Roche, huit ans plus tard, peu avant l'Eruption.

"Rohanaaaaaaaaaaaaaa!"

"Oui Mère?"

"Les invités arrivent dans moins d'une heure, au nom de Sainte Alessia, que fais-tu? Tu dois encore mettre la table et surveiller que cette gourde d'argonienne ne laisse pas brûler le pain."

"Oui Mère"

La fille lâche un soupir, pas trop fort, ce serait idiot de prendre une punition pénible un jour de fête. C'est l'anniversaire de sa belle-mère et elle a invité la totalité des gens qui comptent dans la cité, enfin, sauf les nobles, cela va de soi, chacun reste à sa place. Elle file aux cuisines et sort par l'arrière de la maison, essayant tant bien que mal de rabibocher son chignon en bataille et pestant après ses cheveux rebelles. Il y a encore du travail, forcément, cueillir des baies de givre pour décorer le gâteau, nourrir les poules, sortir les déchets de cuisine aux cochons. Elle est néanmoins contente d'avoir encore des corvées : cela recule d'autant le moment de se changer et de devoir enfiler cette horreur jaune moutarde et vert vif que sa belle-mère qualifie de robe de fête. Rien qu'à l'idée de porter ce monument de rubans et de dentelles pendant toute une journée elle sent une nausée monter. Pire que tout, elle devra danser avec. La poisse...

"Mazelle Rohana? Vous pourriez s'il vous plaît me chercher quelques brins de lavande pour la sauce du dessert?"

"Oui, bien entendu Ecaille-Brillante, je t'apporte ça tout de suite!"

"Y a pas urgence hein, je veux pas vous presser. Mais la meilleure lavande elle est près de la colline du Barde, vous risquez de devoir marcher un peu."

Oh la fine mouche! Rohana sourit et envoie un baiser à la servante argonienne.

"Rien n'est trop beau pour ma très chère maman que j'aime et que j'adore! La lavande de la colline du Barde! C'est parti mon kiki."

Elle vient de gagner une heure de tranquillité, au moins, le temps de faire l'aller-retour. Et l'excuse est parfaite : sa belle-mère se sentira bien trop flattée qu'on soit autant aux petits oignons pour soupçonner une quelconque duplicité!


jeune_10.jpg


Un peu plus tard, dans les rues de Jehanna

"Rohana?"

"Oooooooooh, Maître Shaldor! Bonjour, comment allez-vous? Pas trop de rhumatismes?"

"Non, non, très chère, il fait bon et chaud, et il n'a pas plu depuis au moins deux jours. Que fais-tu donc si loin de la maison alors que les préparatifs de l'anniversaire de ta belle-mère battent leur plein?"

"Je vais cueillir de la lavande pour la cuisine. Et soyons honnêtes j'en profite pour m'échapper un peu de cet asile de fous."

Le vieux magicien ricane, et se tapote le ventre. Il porte la robe traditionnelle à capuchon, bordée des broderies de son rang, lequel est indiqué aussi par la fibule qui ferme son manteau. Il est voûté par les ans, et de cheveux blancs entourent son visage ridé comme une vieille pomme, mais Rohana et les autres habitants de Jehanna ne s'y laisseront pas prendre : le bâton sur lequel il s'appuie pour marcher, tout tordu, sans ornement particulier, est le réceptacle de puissants enchantements, et même sans cet artefact, Shaldor serait à même de terrasser d'un seul geste le plus valeureux des guerriers, en le faisant frire dans son armure. Il est le Maître de la Destruction du collège des mages de Jehanna, à peine un rang en dessous du Maître local de la Guilde.


"Tu rentreras avant le dîner alors! Ca tombe bien. Maître Stormhawk veut parler à ton père. Et ça te concerne."

"Moi? J'ai fait quoi encore?"

Cette fois le vieux éclate d'un rire joyeux.

"Mais rien voyons, rien du tout. Ethan m'a entendu parler de... ton potentiel et il souhaite faire savoir à ton père qu'une place s'est libérée au Collegium pour que tu viennes étudier avec moi."

"Potentiel... Peuh... j'ai réussi à allumer une bougie, tu parles d'un potentiel."

"C'est mieux que rien! Et tout potentiel se doit d'être entraîné, aussi faible qu'il paraisse : comment veux-tu sinon être sûre que tu ne fera rien brûler par erreur?"

"Mouais. de toute façon, Belle-Maman chérie ne sera jamais d'accord. Elle n'a qu'une envie, c'est me voir déguerpir de Jehanna, pour le plus loin possible et sans revenir de préférence. Elle complote encore pour me marier, j'imagine. Que j'aille étudier au Collegium des Mages au moins un an ne va pas lui plaire du tout. Et évidemment, Père se rangera à son avis comme d'habitude."

"Tu sous-estimes les talents de persuasion d'Ethan. Mais nous verrons bien. L'avenir est une chose mouvante, et il n'est pas dans mes attributions de le prévoir. Laissons cela aux Parchemins des Anciens. Va cueillir ta lavande, et reviens vite à la maison, ta présence sera requise ce soir."


repas10.jpg

Jehanna, maison du marchand Moorwood, une heure plus tard.

"Rohanaaaaaaa! Ma chérie!"

"Papa, bonjour! Tu as fermé la boutique?"

"Oui, ta mère voulait impérativement que je rentre plus tôt pour me pomponner pour la petite fête."

"Belle-mère."

"Hein?"

"Ma belle-mère"

"Oui, oui, tu es bien tatillonne sur les détails, ma puce."

"Oui, sans doute."

"Tu devrais aller t'habiller aussi : les premiers invités ne vont pas tarder, et tu sais comment cela chagrine... euh...ma femme, quand on est en retard."

"Oui Père. Mais d'abord je dois aller nourrir les cochons et chercher des oeufs, les poules les cachent, mais moi je sais où!"

La table est mise dans la grande salle... Oups... Mamounette d'amour va être en rogne qu'elle n'aie pas participé à la tâche... Elle se faufile dehors et se dirige vers la petite étable au fond de l'arrière-cour. En passant devant la fenêtre, elle entend la voix haut-perchée de sa belle-mère accueillir son premier invité.

"Maître Stormhawk! C'est un honneur, je ne vous attendais pas si tôt! ... Pour parler à Stienne? Mais bien sûr qu'il voudra vous parler... Il...se change, et il vous recevra dans un instant. Est-ce une affaire grave? ... La gamine? Ah non! Hors de question, j'ai enfin réussi à lui dégoter un mari potable! Personne de raisonnable n'en voudra plus si elle passe son temps à étudier la magie! ... Le troisième fils d'un marchand de drap de Chutedague, une bonne famille, très à l'aise. Bon, il est bossu et un peu plus âgé qu'elle déjà mais... Combien? Euh... il va sur ses cinquante ans, c'est raisonnable, n'est-ce pas? Un bel âge! .... oui, oui, elle en a de la chance... Il vient la chercher aujourd'hui même vous pensez bien, il était de passage pour mon anniversaire et... Voilà, je crains que pour les cours au Collegium ça ne soit pas possible. Navrée... Vous ne restez pas? C'est fort dommage. Bonne soirée encore, Maître Stormhawk."

Elle enrage... Quelle espèce de vipère!!! Un mari de Chutedague hein? Bossu et vieux avec ça? Tu vas voir ce que tu vas voir...





Jehanna, maison du marchand Moorwood, environ une demie-heure plus tard, à l'arrivée des invités.

"ROHANAAAAAAAAAAAAAAAAAAA!"

La douce voix de Madame Moorwood transperce les murs comme un projectile de baliste. La cible de son impatience cependant n'est toujours pas présente.

"Elle va arriver, elle se fait belle, c'est un grand jour aujourd'hui n'est-ce pas? Un anniversaire, des fiançailles, ça n'est pas tous les jours qu'on a autant de choses à fêter."

L'invité d'honneur, qu'on reconnaît sans peine à sa posture voutée et tordue, hoche la tête et sourit, affable :


"Je n'ai jamais vu une femme digne de ce nom arriver à l'heure!"

On entend couiner les gonds de la porte des communs, et Madame Mère lâche un soupir de soulagement.

"Enfin, on t'attends depuis arglgn..........."

sa phrase se perd dans un gargouillis à la limite du vomissement, avant qu'elle ne lâche un hurlement?

Rohana est entrée, vêtue encore de sa tunique de travail ordinaire, pleine de poussière et imprégnée de saleté tout au long de l'ourlet. Elle a coupé ses cheveux, qui forment autour de sa tête une imitation assez réussie de nid d'oiseau, et une marque boueuse traverse son visage. Elle affiche un air niais au possible et salue d'un geste désinvolte les belles gens de la bonne société de Jehanna et ses alentours :


"Salut la compagnie, ça gaze?"

rebell10.jpg
Merci Dev. Mon premier commentaire, je suis aux anges!!!!




La suite, pour la peine.








"Rohana!! Comment as-tu pu faire ça à ta mère?"

"Ma belle-mère, Père, ma belle-mère! Tu sais, la femme qui ma traitée comme une servante pendant plus de dix ans, qui a refusé que j'entre à la guilde des mages pour étudier et qui veut me marier à un homme de ton âge, bossu, et qui vit à l'autre bout du monde, tout ça pour garder la haute main sur mon héritage, la seule chose de ma mère qu'elle n'ait pas jeté, son or. J'en ai fini de fermer les yeux et de la laisser faire : tu as envie d'être le dindon de la farce et son pantin, libre à toi, mais moi je ne jouerai pas le jeu une seconde de plus!"

"Comment oses-tu me parler sur ce ton jeune fille? Tu va te laver, te changer et faire tes excuses à nos invités et à ta MERE tout de suite!"

"Même pas en rêve."

Elle monte dans sa chambre, claque la porte et attrape le baluchon qu'elle a préparé avant de jouer sa petite scène tragi-comique dans la grande salle. Tout ce qui lui importe réellement est dedans : le petit pendentif hérité de sa mère qu'elle a sauvé des griffes de belle-maman d'amour, son livre préféré, de quoi manger, on ne sait jamais et un peu d'or, économisé de haute lutte sur la monnaie des courses depuis plusieurs mois. Elle ne se change pas : mieux vaut avoir l'air d'être pauvre, pour ne pas attiser les convoitises. Elle n'a de toute façon que le temps de frotter son visage pour se débarbouiller que déjà des pas résonnent dans l'escalier. Il est temps de filer! Elle enjambe le rebord de la fenêtre, commodément mitoyen d'une grosse branche du chêne planté dans l'arrière-cour, et se hâte de descendre le long du tronc, pour se fondre dans l'ombre du soir.

Dernière modification par Rohana ; 11/04/2014 à 07h06.
Pas tout de suite! Pourtant j'adore mon Shéogorathinou d'amour, mais non.





"Rohana?"

Le vieux sorcier l'attend de l'autre côté du mur de la propriété. Son visage est dissimulé sous son capuchon et la seule lumière qui l'éclaire est celle qui provient du bout de ses doigts.


"Je t'attends depuis une bonne demi-heure, tu as pris ton temps jeune fille!"

"Maître Shaldor? Mais...comment..."

"Ethan m'a prévenu de la tournure de la conversation entre lui et ta belle-mère, et aussi que tu avais tout entendu. Tu sais, on ne peut pas se cacher d'un mage comme lui derrière un simple mur. Il m'a donc demandé de venir voir si tout allait bien, et j'ai suivi de loin la suite de tes... aventures."

"Oh... vous avez tout vu alors?"

"Plus oui moins."

Il se frotte la barbe de sa main libre


"Où vas-tu aller?"

"Je pensais monter vers les collines, trouver du travail dans une ferme, ou une scierie, dans un premier temps, vivre au grand air... Et j'espère qu'une sorcière des collines me prendra comme apprentie. Je ne peux pas aller à la guilde des mages, on m'y retrouverait à coup sûr."

"Pas mauvais comme plan. Mais j'ai moyen de t'éviter l'étape fille de ferme. J'ai une...euh...amie, qui pratique de menus enchantements et est une des meilleures herboristes de la région. Elle vit en recluse dans les montagnes près de la frontière avec Bordeciel, sur la route de Markarth, elle pourra t'héberger et t'apprendre les bases. Elle ne pratique ni la conjuration ni la magie de destruction, mais je la soupçonne de jouer parfois avec le temps pour provoquer la pluie au moment des semailles. Elle a un sale caractère, mais tu sauras l'amadouer j'en suis sûre."

Il sort de sa poche une petit bourse dodue, et la fourre dans la main de la fille avant d'ajouter

"Cherche la vieille Hepsibah, dans le village de Fort Morgenstern, juste avant Markarth. File à présent avant que la meute ne rapplique! Et écris-moi dès que possible, tu croiseras sûrement des courriers impériaux sur la route."

"Merci! Merci Shaldor."

Elle se détourne, fait un pas, se ravise et le serre dans ses bras avant de filer dans le noir

"Bonne chance gamine... tu vas en avoir besoin."
"Rohana, je m'appelle Rohana. Je vais à Markharth. C'est gentil de proposer de me prendre avec vous pour quelques lieues je vous remercie."


La route est longue, de Jehanna à Markharth. Elle voyage de jour, en restant le plus près possible des caravanes de marchands, des khajiits, le plus souvent, mais aussi quelques rougegardes, parfois. Elle dit être orpheline depuis peu, elle prétend rejoindre sa tante à Markharth, et elle cache soigneusement son or dans l'ourlet de sa veste. La grand-route est plutôt sûre, néanmoins : on croise parfois quelques légionnaires, débraillés et pas très règlementaires, mais aussi et surtout les gardes du roi, qui semblent inspirer bien mieux la peur de la Loi. Parfois, comme aujourd'hui, on lui propose une petite place dans une carriole. Les premières nuits elle n'a presque pas réussi à dormir, par peur, de se faire voler, ou pire. Puis finalement, elle n'a plus pu résister au sommeil, et la nature a eu le dessus.

La route grimpe. Jehanna n'est déjà pas à proprement parler un plat pays. Mais la route vers les cols enneigés de Bordeciel est de plus en plus pentue à mesure que les jours passent et que les lieues s'accumulent. Il faut aussi plus froid, et plus venteux. C'est là qu'elle est contente de faire appel au petit peu de magie que Shaldor a pu lui enseigner : elle se force à respirer profondément et puise dans sa mana pour se réchauffer. Les premières fois, elle y est allée un peu fort, faisant fumer les semelles de ses chaussures au lieu de juste réchauffer ses orteils, ou épuisant si vite son maigre réservoir magique qu'elle a passé des heures ensuite à grelotter. Mais avec la pratique elle est devenue meilleure à ce petit jeu et le froid d'un coup n'était plus vraiment un problème.

Il est assez tard le soir ce jour là quand elle passe un somment escarpé, se disant qu'elle va faire une pause juste après. Elle espère atteindre Markharth le lendemain, d'après les indications que lui ont donné les derniers voyageurs qu'elle a croisés, un couple de pèlerins en route vers le sanctuaire de Kynareth de Refuge. Mais elle a dû marcher plus vite que ce qu'elle pensait : devant elle la route descend, droit vers une falaise abrupte fendue de haut en bas. La faille de Markharth. Elle est arrivée en Bordeciel.
Un petit village aux abords de Markharth

"Rohana hein?"

La vieille femme a beau être voûtée, ridée et s'appuyer sur un bâton noueux, elle a un regard vif, clair et perçant.

"Je ne sais pas pourquoi ce vieux schnock est allé penser que je recueillais tous les chatons perdus de Tamriel... Qu'est-ce que je vais faire de toi, hum? Je n'ai rien à t'apprendre, petite, malgré tout ce que Shaldor a bien pu te raconter. Je pratique un peu la magie des éléments, et tu n'es guère pourvue en ce domaine, il suffit de te regarder pour s'en rendre compte."

"Il a dit que j'avais du potentiel! J'arrive bien à faire du feu pourtant."

"Oui oui, du potentiel tu en as. Mais pas pour le contrôle des éléments, petit chat. Regarde-toi : allumer une chandelle t'épuise, tu ne pourras guère faire plus que servir de bouillotte même avec des années d'entraînement."

La jeune femme se décompose. Elle est arrivée il y a quelques heures, la vieille Hepsibah l'a bien reçue, l'a faite manger, dormir, puis a commencé à lui poser des questions, avant de la soumettre à quelques tests. En voyant son expression changer, la vieille secoue la tête.

"Taratata, gamine! Je n'ai jamais dit que tu n'arriverais à rien, juste que les éléments ne sont...ma foi... pas ton élément. Tu as de la magie en toi, mais pas pour faire du feu. Pas pour contrôler les nuages, ou pour soulever des rochers. Il va falloir creuser la question c'est tout. Et je crois connaître la personne idéale pour ça. Vois-tu : ma magie est celle de l'eau et de l'air. Je ne pourrais pas faire pousser un radis si je le voulais, et pour allumer une chandelle avec autre chose qu'un briquet je suis à peu près aussi douée que toi. C'est là l'erreur de la guilde de mages, ils pensent que n'importe qui avec un peu de pouvoir magique devrait être capable de faire la même chose. Pire encore, le feu étant le pouvoir le plus répandu, c'est pas cela qu'ils commencent toute formation... Mais c'est une erreur! Il faut chercher le véritable potentiel des gens, pour qu'ils réalisent leur plein potentiel. Ton pouvoir est naturel, fort, mais guère pratiqué par la guilde des mages, ces vieux croûtons... Tu comprends, il ne fait pas bon à la guilde des mages de pratiquer une magie considérée comme trop proche des Daedras."

"Des Daedras? Je ne sers pas les Daedras! Je suis fidèle aux Huit!"

"Mais oui chaton. Comme nous tous. Mais les Daedras existent, et leur magie aussi. Et certaines personnes l'ont dans leur sang."

La fille s'est assise, a pris sa tête dans ses mains. La vieille renifle et se sert une nouvelle tasse de thé à la bouilloire cabossée près de l'âtre.

"Quelle...quelle magie est-ce là? Mon... potentiel?"

"Je ne saurais pas te dire en détail, chaton. J'ai perçu de l'ombre, beaucoup. Pas de mort, je ne crois pas."

"Chic alors, je ne serai pas nécromancienne..."

La gosse retient ses larmes. Rien ne va comme prévu. Elle avait placé tant d'espoirs dans ce plan insensé et tout s'écroule.

"Tatatata voyons, la nécromancie n'est pas ce qu'on croit qu'elle est. Certes, beaucoup en usent et en abusent, dans leur intérêt, et pour nuire. Mais nombre de nécromanciens s'en servent uniquement pour aider nos défunts à trouver la paix, pour combattre les esprits agités. Seulement comme la nécromancie a mauvaise réputation, forcément, on la tait et on la cache. Mais non, tu ne seras pas nécromancienne. Tes pouvoirs sont les cadeaux de Nocturne, Sithis et la Mère de la Nuit. A toi de décider vers lequel d'entre eux tu te tourneras pour apprendre..."

"L'Ombre... Je venais apprendre à contrôler le temps et faire pleuvoir, à devenir guérisseuse, ou sorcière de village et vous m'annoncez que j'ai tout pour faire un assassin ou un voleur."

Hepsibah pouffe, puis éclate de rire

"Quelle idiote tu fais, pauvre enfant, et quelles idées stupides on vous met en tête dans la grande ville. Ici, l'Ombre est une spécialité autant appréciée que toutes les autres! Pas mal de gens ici maîtrisent quelques tours de base, et les plus doués sont aussi les plus utiles des membres de la communauté. Comment crois-tu que nos chasseurs soient devenus les meilleurs de la région?"

"Chasseurs?"

"Mais oui, bien sûr! Nocturne est certes la sainte patronne des voleurs, mais elle protège également le chasseur tapis dans l'ombre à l'affût de sa proie, autant que Kyne. Et la chasse est vitale pour une région aussi peu fertile que la nôtre, rocailleuse et aride. Peu de choses poussent ici. Et l'hiver est si long... La chasse fournit plus de la moitié de notre subsistance. Certains de nos jeunes partent dans l'armée du Haut-Roi Emeric, et deviennent éclaireurs, ou espions. Tu vois, l'Ombre est utile."

La vieille s'assoit dans son fauteuil en rotin et hoche lentement la tête pendant qu'elle parle :

"Aucune magie n'est nuisible en soi. La magie est, c'est tout. C'est l'usage qui en est fait qui est bon ou mauvais. Sors-toi du crâne toutes ces fadaises qu'on t'a apprises dans des bouquins écrits par des vieillards poussiéreux qui ne sortent jamais de leur tour de magicien. Je vais te présenter à Therbend, notre meilleur chasseur. Il saura t'apprendre ce que tu dois savoir pour maîtriser ton pouvoir. C'est un nordique, issu d'une de ces tribus de sorcières sauvages, il parle peu, mais il est compétent. En attendant qu'il revienne, ce qui peut prendre quelques jours, nous allons t'installer un lit, il faut bien que tu aies un toit sur la tête."

"Je...j'ai un peu d'or pour vous payer un loyer! Et je peux cuisiner et faire le linge. Je sais coudre aussi."

"J'apprécierai ton aide, pour la cuisine le linge et le jardin. Mais garde ton or gamine, tu pourrais en avoir besoin un jour. Allons, sortons de la maison, il fait beau, et tu dois te familiariser avec les plantes d'ici si tu veux préparer le thé correctement!"
"Rrrrohana... C'est prrresque norrd comme nom ça!"

Therbend a beau avoir l'accent, il n'a pas une tête de nordique. Il est plutôt petit, râblé, et ses cheveux sont noir corbeau. A côté d'un nordique pur jus, grand et blond, il passerait pour un nain. Mais Therbend fait partie des descendants de Saarthal, qui se sont cachés dans les montagnes pour échapper à l'esclavage par les elfes, Falmers puis Ayléides. Depuis lors ils vivent reclus dans les vallées des montagnes de la marche, entre les ours, les trolls des neiges et les sorcières harfreuses.
Farouchement indépendants, ils ne reconnaissent ni l'autorité des hauts-rois nordiques ou bretons, ni l'empire, leur allégeance va à leurs Dieux, leurs Daedras et leur tribu. La plupart de ces clans sont pacifiques, vivant de chasse, de pêche, de cueillette, et de troc. Mais certains parmi les plus reculés ont une réputation à faire frémir : nécromancie, vampirisme, cannibalisme, sorcellerie daedrique... On murmure même que leurs hommes s'accouplent avec des harfreuses pour transmettre à leurs descendants des pouvoirs qu'un humain n'aurait pas.

Therbend ne raconte jamais rien sur son enfance passée dans une de ces tribus, juste qu'il est parti parce que sa mère est morte et que son père est un homme mauvais. Depuis, il a rejoint Markharth et les chasseurs locaux, et très vite s'est imposé comme le meilleur d'entre eux.


"Le secrrret, c'est Nocturrrne : elle te guiderra, t'aiderrra, sa chance serrra de ton côté tant que tu accepterrrras son prrrésent d'Ombrrre. Elle rrrenforrcerrra ton brrras d'arrc et cacherrra la lueurrr de ta lame dans l'ombrrre. Mais attention, elle peut trrrrès vite se détourrner de toi, et si sa Chance t'abandonne... Garrrrre à toi."

Difficile parfois, de faire coïncider une saine croyance en les Huit avec l'acceptation que les Daedras peuvent influer sur notre vie... Mais il faut se rendre à l'évidence : l'enseignement de Therbend est brillant : elle progresse vite, apprend à se fondre dans l'obscurité, à se déplacer en silence, à glisser d'une ombre à l'autre comme si son corps perdait sa substance, les résultats sont là : elle maîtrise mieux sa magie qu'elle ne l'a jamais fait auparavant, elle se sent devenir plus forte, plus efficace, plus précise. Il l'entraîne aussi au combat à la dague, au tir à l'arc, et même si les débuts sont difficiles, là aussi elle fait de gros progrès en peu de temps. Quelques mois ont passé, et l'hiver approchant elle accompagne les chasseurs pour une de leurs dernières grandes expédition avant que les chemins ne soient impraticables.

Ce qu'elle ignore, c'est ce qui l'attend au bout de ce périple. Le campement de chasse est situé loin au nord du village, trois jours de marche sont nécessaires pour y accéder. La chasse s'étend sur plusieurs jours, ils chassent le matin, des daims, des élans, mais aussi des smilodons, dont la peau se vend une fortune, ou des loups. L'après-midi et jusque tard le soir, ils écorchent les bêtes, salent la viande, préparent les peaux pour le transport, un travail dur, ingrat, dans une odeur de charogne tenace. De plus, ils sont obligés de se dépêcher : le temps se rafraîchit et les premières neiges menacent de leur couper l'accès à la vallée en quelques jours.


"Nous allons devoirrr rrrentrrrer plus tôt que prrévu..."

"On aura assez à manger?"

"Je ne sais pas... Ca dépendrrra de Borrrwald et Nisha, s'ils ont trrrouvé des ourrs dans la caverrrne qu'ils ont rrrepérrée, ça ferra de bonnes porrtions de viande et de belles peaux. Sinon..."

Nisha et Borwald ne rentrent pas, ni le lendemain, ni le surlendemain. La neige recouvre les chemins, sur un pied d'épaisseur, et des congères se forment, depuis que le vent s'est levé, un vent du nord glacé.

"Il va falloirrr aller les cherrrcher... J'ai un mauvais prrressentiment."

Therbend ordonne aux chasseurs restants d'emballer les produits de la chasse et de préparer les mules pour le retour. Hors de question de risquer la vie de tous les hommes dans une mission de sauvetage peut-être vaine. Il ira seul. Ou peut-être pas... La fille risque un regard apeuré vers la neige qui tombe de plus en plus dru, serre les dents et dit :

"Je viens avec toi Therbend. Ma magie est peut-être faiblarde, quand il s'agit de faire du feu, mais au moins je pourrai nous garder au chaud."
"Rrrrohanaaaaaa! Attention! Parrr la corrne à boirrre d'Ysgrrramorr!"

Elle a tout juste le temps de se jeter sur le côté avant que la montagne ne lui tombe sur la tête. Enfin, pas toute la montagne, mais une bonne coulée de neige et de rochers dévalant la pente au dessus de la caverne où sont allés chasser Nisha et Borwald. Leurs traces ont été effacées par la neige, et seul un petit feu de camp à une demie-lieue de la caverne prouve qu'ils sont venus... Nulle trace d'eux, ni sang, ni traces de lutte, ni corps, rien... Therbend a semblé de plus en plus inquiet tout du long du trajet, et à l'approche de la grotte, il a sorti son arme, une lance en bois d'if. Ils ont contourné l'entrée pour y accéder par le flanc gauche, évitant la zone dégagée devant l'ouverture, scrutant les ténèbres du trou dans la paroi avec attention, aux aguets. C'est Therbend qui a le premier saisi le fugace mouvement en hauteur, au sommet de la montagne :

"Trrrroll! Ils lancent des Rrrrochers!!! Garrre!!"

L'enfer s'est déchaîné, pour échapper aux blocs de roche et à l'avalanche, elle a dévalé plus que couru pour trouver un abri derrière un bouquet d'arbres. Therbend a disparu. Elle le cherche du regard et finit par le repérer, de l'autre côté de l'entrée, son arc visant bien haut, elle entend la flèche siffler et un grognement, suivi d'un bruit de chute massif. Le corps d'un énorme troll des glaces gît au milieu des tas de neige et de rochers quand Therbend la hèle, et lui fait signe d'approcher.


"Ca ce ne sont pas des ourrrs, pourrr sûrrr... Borwald et Nisha sont sans doute de la nourrriturre pour ces bêtes à prrrésent."

"On va voir quand même? Je veux dire, on peut pas juste les laisser là."

Pourtant ça n'est pas l'envie qui lui manque de tourner les talons pour fuir à toutes jambes.

"On rrentrrre, on rrressorrrt au moindrrre signe de danger, c'est trrrrop risqué et nous avons déjà perrrdu deux chasseurrrs. Moi en prrremier, tu couvrrres mes arrièrrres! Tes dagues, pas d'arrrc, la grrrotte est trrrrop étrrroite. Nocturrrne nous assiste... J'espèrrre qu'ils sont morrrts vite... Des fois les trrrolls les mangent vivants."

Elle déglutit, et le suit dans la caverne, en se fondant du mieux possible dans l'obscurité glaciale. Du givre recouvre les roches, et par-ci, par là, des flaques de glace brillent au sol, diffusant une très maigre lueur reflétée de l'extérieur. Les trolls n'ont pas besoin de lumière, ils voient très bien dans le noir, eux... La grotte pue, une odeur de mort et de bête fauve, de gras aussi...Ils avancent lentement et Therbend se retourne souvent pour scruter le chemin tortueux qui les éloigne de l'entrée, toujours plus loin dans l'antre. Il n'a pas l'air sûr de lui du tout. Le chemin s'élargit un peu, doublé d'une sorte de corniche étroite, sur laquelle elle s'engage, tandis que Therbend reste en bas, pour suivre le couloir qui débouche sur une salle aux dimensions indéfinissables, tant l'obscurité s'est faite épaisse. Elle entend Therbend murmurer, alors qu'une toute petite boule de lumière se met à danser devant lui. Juste au dessus d'un tas de fourrure... Qui s'agite, et s'avère être un tas de troll! Therbend hoquète et recule, sa lance en avant, tandis que le gros troll se précipite sur lui, s'embrochant dans un rugissement. Comme si une lance allait l'arrêter. Ses bras s'agitent dans tous les sens, toutes griffes dehors, Therbend a beau échapper à sa vue par la grâce de Nocturne, il ne peut masquer son odeur ou sa chaleur corporelle, que le troll repère toutes deux encore mieux que s'il voyait son opposant. Ses coups deviennent plus précis, véritables moulinets massacreurs, et Therbend se retrouve projeté au sol par un coup violent à la tête. Le troll grogne et se précipite sur sa proie à demi inconsciente. Elle a profité du chaos pour longer la corniche aussi loin que possible, se retrouvant derrière la bête. Elle inspire à fond et saute, toutes lames dehors, son corps se fond dans l'Ombre... L'atrollissage lui coupe le souffle : la bête est dure comme du rocher et ses lames vibrent quand elle les plante de part et d'autre du cou massif. Le troll mugit, se redresse, ses bras l'agrippent, la projettent vers la paroi, contre laquelle elle vient s'écraser, mais il est trop tard : il saigne à blanc, et aussi petit que soit un cerveau de troll, il lui faut du sang pour vivre. Le monstre s'affaisse dans un gémissement et s'immobilise.

"Therbend? T'es là?"

Il est encore en vie, il bouge. Il roule sur le côté pour vomir, et lâche une plainte:

"Ma tête me fait mal comme aprrrès une beuverrrie. Saleté de trrroll. Tu l'as eu petite?"

"Je crois, il ne bouge plus. Oooh, j'ai mal au dos, il m'a écrasée contre le mur"

Une nouvelle vois se joint à eux :

"Therbend? Rohana? Vous êtes là? C'est Nisha! Je suis là, dans la glace! Par Kyne, ils... Ils ont mangé Borwald..."
"Rrrohana Moorrrwood, nous te nommerrons désorrrmais Arrrdais, celle qui est née sous la terrrrre."

Le retour de la chasse a été douloureux et peu glorieux. Rien ne reste de Borwald que des ossements rongés, difficiles à discerner des os de bêtes épars qui jonchaient le sol dur. Nisha ne pourra plus jamais chasser : elle a eu les os rompus, aux bras et à une jambe, et les trolls l'ont jetée dans une mare gelée au fond de leur trou, et l'y ont littéralement congelée, pour mieux conserver la viande sans doute : plusieurs de ses orteils et deux de ses doigts en ont fait les frais. Ils sont rentrés cahin-caha en tirant la pauvre femme sur un brancard de fortune, sous une neige drue et un vent impitoyable.

Mais ils sont rentrés. Pendant quelques jours, ils se sont reposés puis ont repris une activité presque normale, qui consiste pour elle à travailler dans la maison d'Hepsibah, et à apprendre les simples pour en faire des remèdes de bonne femme. Elle tanne des cuirs, provenant de leur chasse, et coud. Quelque chose a changé néanmoins dans la façon qu'ont les gens de la traiter : ils la regardent, plus qu'avant, et lui apportent parfois un gâteau, un reste de poisson, des baies de givre fraichement cueillies... Elle reçoit ces cadeaux sans trop savoir comment y réagir. Puis Nisha la fait convoquer près d'elle dans sa maison où elle se remet tant bien que mal.


"J'ai quelque chose pour toi."

Elle lui remet un paquet de lin huilé, renfermant une tunique de chasse et des braies en cuir de smilodon.

"Je voulais la mettre pour la nouvelle saison mais à présent elle ne me sert plus. Alors elle est pour toi."

"Mais... Elle est toute neuve et..."

"Discute pas la môme. Prends ça et fais moi honneur en la portant."

Pas moyen de discuter avec Nisha, de toute façon elle joue tout de suite la carte "je suis fatiguée, laisse moi dormir"

Elle compred pourquoi la tunique le lendemain quand Therbend lui intime l'ordre de s'habiller bien et de venir à sa hutte. Et à présent ils sont là, tout le village réuni, dans la fumée des herbes cérémonielles, et elle a peur comme jamais. Aujourd'hui elle reçoit son nom et devient une chasseresse de la Crevasse.

Le nom, Therbend l'a bien choisi. Elle aime comme il sonne à ses oreilles. Mais les tatouages, ça... elle en a peur. C'est un rite obligé, une vieille tradition, qui lie les chasseurs à leur Déesse Nocturne, et fais d'eux les réceptacles de son pouvoir et de sa Chance. Sauf que ça fait mal... Elle endure les deux heures durant lesquelles Therbend et les autres chasseurs vont tracer les fines volutes sur la peau de ses bras avec force couinements, sous les rires de ses camarades qui lui content comment Therbend a juré comme un charretier pendant tout le temps de l'opération et comment Borwald a vomi son hydromel une fois relevé. Tout sauf rassurant quoi...


"Tu es des nôtres, petite. J'aurais cru que tu partirais aux premières neiges mais tu es restée."

Hepsibah hoche la tête en essuyant les gouttelettes de sang qui perlent du tatouage encore frais, avant d'appliquer dessus un baume calmant, à base sans doute de graisse de troll... sales bêtes.

"Ta maison ne te manque pas trop?"

"Ma maison c'est ici. Ici on me laisse être qui je veux être."
Répondre

Connectés sur ce fil

 
1 connecté (0 membre et 1 invité) Afficher la liste détaillée des connectés