- Allez, sors le grand jeu soeurette, fais-moi danser cette bestiole et ne me déçois pas, l'encourage Gaeth bien à l'abri dans son buisson.
Les dimensions de l'Ogracine qui se tient face à la "soeurette" sont bien supérieures aux normes enregistrées par l'Académie concernant cette espèce. Une créature de trois mètres de haut, reposant sur de nombreux tentacules chacun deux fois plus grands que la jeune Aurin. En termes d'allonge, on relèvera donc un léger avantage du côté du monstre. En outre, le corps de ce dernier, en forme de ravissant chapeau de bolet, est suffisamment volumineux pour la contenir entièrement. Finir dans l'estomac d'un champignon constituerait une fin bien ironique pour une gourmande comme Eléa.
- Il est énorme... et il sent très mauvais, parvient à dire Eléa.
- Reste concentrée soeurette, reste concentrée, s'il te plaît ! Bon, je t'explique ce que tu vas faire. Pour commencer, tu...
Bien que plusieurs études (dont le sérieux et l'exhaustivité ne sauraient être remis en question) aient été menées par les scientifiques de l'Académie sur l'Ogracine, aucune ne mentionne la patience et la courtoisie chez cette créature. Ainsi, au mépris de toutes les règles de bienséance, le monstre n'attend nullement la fin des explications de Gaeth et débute le combat par un crochet de l'avant-dernier tentacule gauche et un direct de l'antépénultième droit. Eléa a juste le temps de placer ses griffes devant son visage pour bloquer ces deux attaques ; mais la puissance des coups est telle, qu'elle est projetée en arrière quelques mètres plus loin.
- Cette puissance ! s'enthousiasme Gaeth. Il est superbe : quelle bête fantastique. Je le savais !
L'Ogracine rebondit sur ses tentacules et se déplace en direction d'Eléa allongée sur le sol. Une fois arrivé à sa hauteur, il lance tour à tour chacun de ses tentacules avec l'intention manifeste d'embrocher sa proie. Eléa se contorsionne, bouge le bassin vers la gauche, puis vers la droite, roule sur le sol, s'appuie sur un tentacule, exerce une pression de ses deux mains et pousse dessus pour revenir à son emplacement initial : elle parvient ainsi à éviter les coups de son agresseur. Pendant ce temps, Gaeth active son Mechascan et entame son protocole d'analyse.
- Au secours, s'écrie Eléa en panique... j'crois que j'vais mourir !
- Mais non, mais non soeurette, la rassure son frère, distrais-le encore deux ou trois petites minutes et j'aurai ce qu'il me faut.
-Il est trop fort et très rapide, s'exclame Eléa en ramenant ses genoux près de son visage afin d'éviter qu'une de ses jambes ne soit transpercée.
- Oui, c'est un Alpha, une créature supérieure... et... Gaeth s'interrompt. Il vient de relever une singularité. Ses yeux s'arrondissent pendant qu'il semble compter quelque chose. Il écarte les feuilles de l'arbuste dans lequel il est toujours dissimulé afin d'améliorer sa visibilité. C'est impossible...
Eléa pose ses mains à plat sur le sol, concentre toutes ses forces dans ses poignets et pousse très fort vers l'arrière. Elle glisse d'un bon mètre et évite alors une nouvelle pluie de coups. Mue par des décharges continues d'adrénaline, elle se relève, constate qu'il manque un bouton à sa tunique, passe une main dans ses cheveux pour rabattre une mèche mutine, se demande pourquoi elle obéit constamment à son frère, aperçoit sous l'Ogracine le bouton manquant de sa tunique, ressent une légère faim, associe la notion de coupe-faim avec des champignons, associe les champignons à l'Ogracine, conclut qu'elle n'a plus faim, réalise qu'elle est essoufflée, observe sa taille, pense qu'elle a effectivement grossi, se dit qu'elle préférerait être actuellement en train de faire du shopping avec Jeene sa meilleure amie dans un marché de Thayd, jette un nouveau coup d'oeil vers le bouton, essaye d'imaginer ce que Jeene est en train de faire et se réfugie derrière un arbre ; tout cela en moins d'une seconde !
- Eléa... reprend le combat, ordonne son frère. Il faut que tu retournes l'Ogracine vers moi. Je dois vérifier quelque chose.
En effet, Gaeth est certain d'avoir dénombré sept tentacules sous l'Ogracine. Or, selon le bestiaire officiel de l'Académie sur le Septentrion sauvage : "L'Ogracine est doté de trois à six tentacules, qui lui servent également de racines lorsqu'il s'enterre..." Il serait donc le premier scientifique à avoir observé un Ogracine à sept tentacules ! Cela pourrait constituer la découverte scientifique de l'année. Une découverte qui consacrerait son auteur. La gloire et les honneurs à l'horizon... Telles sont les pensées de Gaeth.
"Avec une telle découverte, je vais sortir de l'ombre ! s'imagine-t-il. On va m'interviewer. Peut être même que les journalistes de la gazette Deradune vont solliciter une interview exclusive !"...
- Eléa... sois mignonne soeurette, reprend Gaeth, un sourire aux lèvres et avec le ton légèrement blasé de celui qui se croit bientôt célèbre, place cet Ogracine en face de moi... veux-tu ?
- J't'emmerde !
- Pardon ! Quoi ! Non mais qu'est-ce... oh... c'est pas possible, balbutie Gaeth surpris par une telle incongruité dans la bouche de sa soeur et, surtout, choqué par cette irrévérence envers sa future notoriété. T'as dit quoi là... répète un peu pour voir !
- J't'emmerde !
- Non... tu l'as répété ! Mais tu ne sais pas qui je suis. Tu sais qui je suis ?
- Faut vraiment que je réponde, ironise Eléa. Non mais je demande ça car je ne pense pas que ma réponse va te plaire... frérot.
- Frérot ! J'vais venir te montrer si je suis un frérot... avec une leçon de bonnes manières en prime...
- C'est ça... viens... faut déjà que tu sortes de ta planque.
L'Ogracine reste sur place. Il est désorienté par cet échange de mots et de sons qu'il ne comprend pas. En revanche, il réalise rapidement que ce n'est pas un, mais deux casse-croûte qui s'agitent autour de lui. L'un derrière un arbre et l'autre dans un buisson. Il espère que le second, celui caché dans l'arbuste, sera aussi appétissant que le premier : avec autant de chair molle autour de son centre et des petits membres inférieurs aussi potelés. Cette promesse de festin et l'impatience de découvrir à quoi ressemble le second plat rompt la stupéfaction dans laquelle il demeurait plongé. Il reprend le combat et déploie brusquement ses tentacules vers le tronc derrière lequel l'entrée de son copieux menu tente de se dissimuler. C'est un coup magistral, d'anthologie : rapide, précis et violent. Un coup digne de figurer dans l'almanach des sports Ogracine si ce dernier existait. Les tentacules traversent le tronc et atteignent Eléa en plein visage.
- Celle-là, ma p'tite grosse, tu ne l'as pas volée s'écrie Gaeth. Mais Eléa ne l'entend plus... elle n'entend, ni ne voit plus rien. Elle s'est... évanouie.
A suivre...
Dernière modification par Et alors ; 04/06/2013 à 21h48.
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