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Provient du Monde
Patrice Alègre est soupçonné d'avoir été le pivot d'un système criminel
LE MONDE | 10.05.03 | 13h50
Le tueur en série, condamné en février 2002 à la réclusion criminelle à perpétuité pour cinq meurtres et une tentative, est aujourd'hui suspecté d'avoir commis une trentaine de crimes. Il aurait, selon des témoignages concordants, été couvert par des policiers et des magistrats de Toulouse
Toulouse de notre correspondant régional
Le mystère Patrice Alègre va-t-il commencer à s'éclaircir et révéler un énorme scandale ? Lundi 12 mai, le doyen des juges d'instruction, Serge Lemoine, devrait confronter le criminel, condamné en février 2002 à la prison à perpétuité pour cinq meurtres, une tentative et six viols, à deux anciennes prostituées toulousaines. Celles-ci l'accusent en effet d'avoir froidement assassiné sous leurs yeux une autre prostituée, Line Galbardi.
Les circonstances de ce crime, commis dans la nuit du 2 au 3 janvier 1992, donnent à penser aux enquêteurs qu'il ne s'agit pas d'un acte isolé du tueur en série mais d'un épisode d'une longue série de crimes similaires, perpétrés "sous commande" par Patrice Alègre. Ils le soupçonnent d'avoir été "protégé" par des pans entiers des institutions policières et judiciaires de la ville, ainsi que par des personnalités toulousaines de premier plan.
Patrice Alègre ne serait pas seulement un psychopathe en proie à une pulsion criminelle solitaire, ni même un gros bras du proxénétisme. Il serait la figure centrale d'un réseau mis en place dans les années 1990 à Toulouse et dont l'argent, le sexe, la drogue et la violence seraient les clés.
Les défenseurs de Patrice Alègre eux-mêmes n'excluent pas une telle hypothèse : "Si les témoignages devaient se vérifier, il apparaîtrait que les institutions policières, judiciaires et politiques qui ont vocation à réprimer le crime l'ont au contraire favorisé. Ce serait un gigantesque scandale républicain", reconnaît Me Laurent Boguet, avocat du condamné avec Me Pierre Alfort.
Même sentiment du côté des parties civiles : "Nous sommes en présence d'une possible déflagration sociale", estime Me Georges Catala, conseil de la famille Galbardi et d'une des témoins. Le parquet a en tout cas pris ce nouvel éclairage au sérieux en ouvrant le 15 avril une information judiciaire pour "proxénétisme en bande organisée, viols, viols en réunions, viols par majeurs ayant autorité sur mineures et actes de barbarie" visant Patrice Alègre "et tous autres" (Le Monde du 17 avril).
Cette orientation correspond aux investigations menées par les gendarmes de la cellule Homicide 31, dirigée par le chef Michel Roussel. Depuis juin 2000, ce groupe épluche les 191 dossiers des meurtres, suicides et disparitions non élucidés dans la région entre 1990 et 1997, et s'est particulièrement intéressé au profil de Patrice Alègre. La cellule a permis de révéler de nouveaux crimes, grossièrement maquillés en suicide. Patrice Alègre est déjà mis en examen pour certains d'entre eux, il pourrait au total avoir commis une trentaine de crimes, ce qui ferait de lui un assassin hors normes, qui croyait bénéficier d'une totale impunité. "A-t-on fait de notre client une machine à tuer ?" s'interrogent ses défenseurs.
PYRAMIDE DU CRIME
Les gendarmes ont retrouvé des prostituées qui ont fui Toulouse depuis dix ans – et qui, terrorisées, se cachent encore aujourd'hui. Les témoignages de ces femmes dessinent une incroyable pyramide du crime sur la ville. Les témoins apparaissent fort crédibles : ils sont nombreux, apportent des éléments concordants sans s'être concertés, et leurs révélations sont recoupées par des éléments de l'enquête.
A la base, il y a un quartier, celui de la prostitution autour de la gare de Toulouse, et une bande qui maraude de bar en bar. Autour de Patrice Alègre, qui change sans cesse de voiture ou de moto, tourne Lakhdar M., dissimulant un fusil sous son imperméable kaki et se pavanant dans son Alfa Romeo rouge ; Moustique, le Chinois et quelques autres qui règnent sur un groupe d'une douzaine de prostituées dont plusieurs mineures. Selon de multiples témoignages, pour chaque prostituée et en échange de leur tranquillité, ils remettaient chaque semaine une enveloppe contenant 900 francs en liquide à trois inspecteurs de la brigade de répression du proxénétisme, ainsi qu'à un inspecteur de la brigade des stupéfiants. Au passage, les policiers exerçaient un droit de cuissage sur les filles. "On savait toutes que, les proxos de Toulouse, c'étaient les flics des mœurs", a confié au Monde une ancienne prostituée du quartier.
Ce pacte de corruption entre quelques policiers véreux et des proxénètes n'a jamais été dénoncé ou combattu. La bande en tout cas, qui trafiquait aussi dans la drogue, faisait régner une loi terrifiante dont Patrice Alègre semblait être l'exécuteur, selon les enquêteurs. Il "essayait" les nouvelles filles et les "punissait" violemment. En cas de dérives, il tuait. A mains nues. Plusieurs crimes lui sont désormais imputés : celui de "la Puce", engloutie dans un étang, celui de Line Galbardi, exécutée dans une chambre d'hôtel pour avoir "parlé", celui de Claude Martinez, un travesti prostitué, et les viols de Françoise D. et de Josette Poiroux. Des témoins affirment que les policiers corrompus conseillaient aux filles de se taire et informaient Patrice Alègre.
SOIRÉES SADOMASOCHISTES
Ces meurtres de prostituées ont tous été, à l'époque, non élucidés, classés comme suicides ou orientés vers de fausses pistes. Jamais Patrice Alègre ou l'une des figures bien connues de sa bande n'ont été interrogés. Ils étaient pourtant omniprésents dans ce milieu. Le gardien de l'hôtel où Line Galbardi a été tuée n'a pas été inquiété – il est aujourd'hui incarcéré pour complicité d'assassinat. "La méthodologie policière est consternante et amène à s'interroger", estime Me Catala. D'autant que, chaque fois, les mêmes policiers menaient les enquêtes ; la même hiérarchie était informée en la personne, au moins, d'un commissaire.
La justice, de son côté, a avalisé sans broncher les thèses policières, "considérant des assassinats évidents comme des suicides", note Me Catala. Les enquêteurs s'interrogent en particulier sur le rôle d'un ancien substitut du procureur dont le lien avec Patrice Alègre a été établi. Selon le témoignage de l'ex-compagne du tueur, ce magistrat recevait Patrice Alègre chez lui. Les enquêteurs auraient aussi établi qu'il était souvent sur les lieux après les meurtres, en particulier dans la chambre d'hôtel où Line Galbardi a été tuée.
Pourquoi, si l'hypothèse d'une conspiration se vérifie, Patrice Alègre a-t-il fait l'objet de tant de sollicitude ? On touche au sommet de la pyramide. Contre rémunération – qu'il dépensait pour sa consommation de drogue –, Patrice Alègre aurait, selon les enquêteurs, "fourni" en filles et en cocaïne des soirées sadomasochistes organisées dans la bonne société toulousaine. Des filles, souvent mineures à cette époque, ont été forcées d'y participer et témoignent de la violence extrême de certaines séances.
Elles donnent des noms, ont reconnu des participants sur photos : il s'agirait d'hommes politiques, de magistrats, de personnalités de la bourgeoisie locale. "Tout ce monde aurait-il trouvé de l'intérêt dans la protection d'un criminel ?" s'interroge Me Catala, même si aucune de ces personnalités n'a pour l'heure été entendue. Témoin actif de ces soirées, qu'il a en partie enregistrées en vidéo, Claude Martinez, le travesti, ne pourra pas en témoigner : l'homme est mort étranglé, son corps a été retrouvé le 25 février 1992. Muré dans son silence, Patrice Alègre nie toute implication. "Pour le moment", a-t-il déclaré au juge Lemoine la dernière fois qu'ils se sont vus.
Jean-Paul Besset
C'est pas la première fois qu'on entend ce genre d'histoire, le même genre de chose. Et jusqu'à présent, ces affaires ont toujours été étouffées ; parfois de manière sanglante (un bon paquet de témoin de l'affaire Dutroux en Belgique sont morts assassinés). J'espère que ces ordures là ne s'en sortiront pas à si bon compte, cette fois, mais j'en doute.
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