J'ai écrit une réponse à Hoogan sur le thread "
Le rock a tous les stades, un retour?". Mais ma réponse était passablement HS. Le sujet est censé être le retour supposé du rock depuis 3 ans, tandis qu'Hoogan et moi nous interrogions sur la portée du rock dans les années 70 et 80. Et puis c'est très long, et l'occasion de recentrer sur le thème explicite de la nostalgie pour une époque non vécue, qui sous la forme du "c'était mieux avant, maintenant tout est commercial", s'exprime avec régularité sur ce forum (même Atlas n'est plus "comme avant"
), presque autant que sa corollaire : "Les gens sont des moutons, ils suivent la mode, c'est pour ça".
Je rebondis donc sur la discussion avec Hoogan pour créer un nouveau sujet.
Provient du message de
Hoogan
Tu conviendras tout de même (ou alors je suis complètement à la masse ) que à cet époque, le rock avait un impact et une influence tout autre, l'emblème de toute une génération, quoi.
Non, tu n'es pas à la masse.
Simplement trompé par le recul sur une période où l'on mélange maintenant allègrement 50's, 60's et 70's, France et USA, bouleversements économiques, culturels et sociétaux.
Pour faire court, très très court, sur un sujet qui demanderait probablement un livre entier : non, le rock en France n'a jamais (je répète : jamais) eu d'autre fonction qu'être consommé par des ados puis devenir objet de nostalgie par ces mêmes ados devenus adultes, puis "légende" par les générations suivantes. D'abord et avant tout parce que la seule période où le rock (pris au sens très très large) ait pu jouer un rôle dans son époque et pas seulement en être le miroir, ce furent les 60's. Et uniquement aux USA, du fait de la guerre du Vietnam et de la lutte pour les droits civiques.
En France, le rock est arrivé après la bagarre, a pointé son nez de manière un peu insistante au début des années 70. Après Woodstock, après Altamont, après la mort des petits labels régionaux. On est passé directement de la variété française et ses adaptations de hits anglo-saxons au rock progressif, aux rock de stade, au rock FM, au jazz-rock, au rock planant, à tout ce que les punks appelèrent "les dinosaures" et tentèrent de déboulonner en 75/76. Pink Floyd, Genesis, Yes, Tangerine Dream, Led Zep, Jethro Tull etc.
En termes sociologiques, la France est passée directement à l'époque bab', ce succédané du mouvement hippie. Qui plus est, la chanson anglo-saxonne n'a jamais été écoutée autrement que comme... de la musique.
Barrière du langage, frontières culturelles, la France n'a jamais compris grand chose au rock. C'est une musique importée, sur laquelle nous avons plaqué des fantasmes, de rébellion principalement (alors que le rock est bien plus riche que cela), puis de pseudo-intellectualisme péteux typiquement français (Leonard Cohen ou Jim Morrison dans la collection "Poètes d'aujourd'hui" de Seghers, au secours !).
Concrètement, comment le rock était vécu en France quand il a commencé à se répandre très lentement, vers 73/74 ? A vrai dire, pas différemment d'aujourd'hui, c'est-à-dire avec affectation, en suivant les modes, noyé au milieu d'autres genres comme la variété française, déjà institutionnalisé même si non reconnu encore par la radio et la télé. Si ce n'est bien sûr pour une poignée de passionnés qui allaient se partager dans les boutiques d'import parisiennes les 12 exemplaires fraichement arrivés de la réédition du premier Velvet. Mais des passionnés, il y en a toujours, à toutes les époques, Dieu merci.
Les autres écoutaient du blues blanc poussif et fadasse (Rory Gallagher, mon premier concert, Eric Clapton...), du progressif prétentieux et creux (Soft Machine, Yes...), du jazz-rock répétitif (Gong 2ème mouture, Brand X...), du rock de stade pour minettes avec guitar-hero sexy (Peter Frampton and co), du country-rock FM (Eagles, America...), des rescapés des 60's (Dylan, Lennon etc.) et ainsi de suite. En exceptant la bouffée d'air frais qu'a été le reggae vers 78/79 et le salutaire coup de pied dans les roustons des punks à la même époque (car même dans les 70's, on avait encore un décalage avec les anglo-saxons, et même avec les anglais pourtant pas bien loin), le paysage était finalement aussi flou, polymorphe et globalement aussi morne qu'aujourd'hui. Bien sûr, il y avait quelques outsiders, un Springsteen ou un Neil Young, par exemple. Mais globalement ? Il suffit de relire des critiques de Rock & Folk de l'époque : le leitmotiv était le même que sur tous ces posts : "C'était mieux avant" ou "Enfin un artiste qui ne fait pas du commercial"
Personne ne se privait d'ailleurs de ouinouiner à longueur de temps, critiques rock compris, sur "la mort du rock", "l'époque de m****", et d'affecter une nostalgie désespérée pour les 60's, hélas enterrées avec ses martyrs (Jones, Morrison, Joplin, Redding, Hendrix, Barrett...). On se plaignait des majors qui avaient tué la créativité, du prix scandaleux des disques, des rock-stars bedonnantes qui faisaient un disque tous les 4 ans quand leur dealer cessait de leur faire crédit...
Au final, la musique de cette époque a rempli une seule fonction, celle que la musique populaire a au minimum toujours rempli, à toutes les époques, y compris la nôtre : être la bande-son de sa jeunesse, de toutes ces "premières fois", premier baiser, premier concert, premier découchage, premières vacances sans les parents, première bande de potes, premier amour, première cuite/défonce, premier appart'... Puis devenir la plus belle de toutes les madeleines proustiennes quand on grandit. Et après tout, ce n'est déjà pas si mal, non ? Si vous voulez mon avis, c'est même fichtrement excellent.
Annexes
Ben oui, c'est pas le tout de blablater, mais rien ne vaut quelques faits bien têtus, même quand on a acquis une réputation de patriarche chenu.
J'ai donc cherché les Hit-Parades français de 75 et 76. Sauf que plouf. Italiens, allemands, anglais, US, j'ai trouvé. Mais les français sont amnésiques (rien que ça semble indiquer que... mais bon). Adoncques, en lieu et place des Hit-parades français, je vous livre les charts US, ou plus exactement la liste de tous les titres qui ont été n°1 en 75 et 76, par ordre décroissant de succès. Les français auraient été pires, mais la liste suivante a déjà de quoi rendre perplexe ou vaguement nauséeux le plus bercé d'illusions sur les "mythiques" années 70.
1975
1. Mandy - Barry Manilow
2. Love Will Keep Us Together - Captain & Tennille
3. I'm Not In Love - Ten CC
4. Have You Never Been Mellow - Olivia Newton-John
5. Lying Eyes - Eagles
6. Lovin' You - Minnie Riperton
7. That's The Way I Like It - K.C. & The Sunshine Band
8. Only Yesterday - Carpenters
9. The Way I Want To Touch You - Captain & Tennille
10. I Only Have Eyes For You - Art Garfunkel
11. Fame - David Bowie
12. Jive Talkin' - Bee Gees
13. Dance With Me - Orleans
14. He Don't Love You - Tony Orlando & Dawn
15. Lady Marmalade - Labelle
16. Best Of My Love - Eagles
17. You're No Good - Linda Ronstadt
18. Midnight Blue - Melissa Manchester
19. How Sweet It Is (To Be Loved By You) - James Taylor
20. Fallin' In Love - Hamilton, Joe Frank & Reynolds
21. Why Can't We Be Friends - War
22. One Of These Nights - Eagles
23. Emma - Hot Chocolate
24. Get Down Tonight - K.C. & The Sunshine Band
25. Who Loves You - Four Seasons
26. Something Better To Do - Olivia Newton-John
1976
1. If You Leave Me Now - Chicago
2. Right Back Where We Started From - Maxine Nightingale
3. Don't Go Breaking My Heart - Elton John & Kiki Dee
4. Silly Love Songs - Paul McCartney & Wings
5. Rhiannon - Fleetwood Mac
6. Tracks Of My Tears - Linda Ronstadt
7. Tonight's The Night - Rod Stewart
8. Fanny (Be Tender With My Love) - Bee Gees
9. Theme from 'Mahagony' - Diana Ross
10. 50 Ways To Leave Your Lover - Paul Simon
11. Afternoon Delight - Starland Vocal Band
12. Love So Right - Bee Gees
13. December 1963 (Oh What A Night) - 4 Seasons
14. Takin' It To The Street - Doobie Brothers
15. More, More, More - Andrea True Connection
16. Let 'Em In - Paul McCartney & Wings
17. Misty Blue - Dorothy Moore
18. Get Closer - Seals & Crofts
19. Love Hangover - Diana Ross
20. I'll Be Good To You - Brothers Johnson
21. Fly Away - John Denver
De ces 47 mega-tubes qui ont marqué le milieu des 70's et se sont vendus par cargos entiers, il en est 4 qu'il m'arrive encore très rarement d'écouter (surtout pour la fonction madeleine précitée), et un seul qui figure toujours régulièrement dans mes compilations (je vous laisse deviner lequel. Indice : le nom du groupe est un sujet brûlant en ce moment).