Je suis sur le point de vous raconter un plan foireux comme on n'en a plus vu depuis 2019.
Hier, la peau encore pain d'épice après des vacances passées au Grau d'Agde, dont je recommande la visite pour la qualité des plages et l'exotisme diasporique de la classe moyenne française, je me rends à une soirée théâtre. Dans le sud de Londres. Bon, c'est Elephant & Castle, on me dira que c'est à peine au sud, mais personnellement il n'existe qu'un Londres, celui au nord de la Tamise. On passe London Bridge et c'est la zone, Brexit, la précarité et les poubelles qui brûlent.
Le spectacle est fantastique, un florilège de scènes prudentes et d'interprétations gigotantes, en somme, un délice à critiquer par la suite, car le seul plaisir que j'ai à aller voir les pièces des autres, c'est à pontifier sur chaque faiblesse de leur production. Je ne juge pas, j'observe. Je rencontre les acteurs, les metteurs en scène, dont un grand ténébreux aux lunettes anguleuses. On va l'appeler Giancarlo. Les anglais, c'est pas nouveau, sont difficiles à lire. Ils sont criblés de manières policées, pour se transformer en bêtes de sexe sans crier gare, pour ensuite se reprendre une fois l'orgasme passé et vous gratifier d'un "It was lovely, cheerio". Et Giancarlo, ayant grandi à Londres, ne fait pas exception.
Les heures passent, le dernier métro aussi, et le groupe le plus intrépide dont je fais partie décide de butiner de bar en bar pour finalement se retrouver sur le tarmac, devant le dernier bar ayant fermé, à une heure du mat'. Là, Giancarlo, après m'avoir fait comprendre par le truchement d'un baiser timide sur la joue, qu'il m'inviterait bien à découvrir la bête en lui, propose à notre groupe d'aller chez lui. A Peckham. C'est pratiquement Sussex, je suis terrifiée, je n'y suis jamais allée, la destination étant aussi attrayante que Kaboul en ce moment. Je commande un uber malgré tout, perdre la face n'étant pas une option, et on se rend chez lui. Un trajet interminable, pendant lequel je me demande s'il embrasse mieux qu'il ne met en scène.
Une fois devant sa porte, chose curieuse, il nous dit de ne pas faire de bruit. Avouer être surprise relève de l'euphémisme. Pourquoi nous aurait-il invités chez lui si c'était pour chuchoter ? Rapidement, il nous soulage en affirmant que c'était une plaisanterie.
Il ouvre la porte. Je pénètre dans un appartement de réalisateur, je me vois déjà imposer ma touche personnelle une fois qu'il sera tombé amoureux de moi. Des fleurs séchées par ci, une peinture de Klimt par là. On retire les bibelots vulgaires d'adolescent attardé, la guitare à la poubelle, on fait le vide, mais tout cela prendra son temps. Il ne faut pas trop brusquer, seulement s'infiltrer progressivement, comme la pourriture prend confortablement de l'ampleur derrière une armoire bien calée contre un mur humide. Tout en visionnant mon futur, en passant à la cuisine, je remarque un détail étrange. Il n'y a pas de portes. Que des encadrures faisant la liaison d'une salle à l'autre.
On met de la musique, l'ambiance est cotonneuse. Je le dévisage, il me trouve belle, je le vois à ses yeux injectés de sperme.
Et soudain, des pas venant de l'étage. Un être hirsute descend des ténèbres. Un cambrioleur, un manant, non; un colocataire en pyjama. Un ange passe, et s'enfuie en hurlant. On est tous en carafe, on attend que Giancarlo prenne le contrôle de la situation. Il s'éloigne avec l'énergumène, et revient, nous disant, la queue entre les jambes, qu'il va falloir qu'on parte. On est arrivé il y a dix minutes.
On tente tout. Et si on allait dans la cuisine ? Dans le jardin ? Dans les toilettes ? J'offre même des boules Quies à son colocataires, rien n'y fait, Giancarlo nous somme de partir.
Je suis hors de moi, le vin me monte à la tête. Je n'en reviens pas qu'il nous ait fait tous venir pour nous virer de la sorte. Sérieusement, comment me suis-je retrouvée dans une situation pareille. Je me dirige vers son frigo alors que les autres réunissent leurs affaires, bien décidée à emporter une bouteille de vin pour la finir avec classe et dignité sur le trottoir. Giancarlo se rend compte de mon manège - merci l'absence de portes, mais où va-t-on si les propriétaires n'ont même plus les moyens d'investir dans des portes ? Il me toise, me demande si j'allais lui voler une bouteille. Je suis outrée, j'ai envie de dire quelque chose de cinglant, du style "Après le fiasco de ce soir, la moindre des choses serait que tu nous offres une bouteille pour nous mettre sur le départ", mais rien ne sort. Je suis prise la main dans le sac, je vois son expression changer. "Get out of my house", il me dit.
Franchement, ça doit être l'absence totale de socialisation depuis deux ans, mais je suis en PLS depuis cet incident. Que dois-je lui dire pour lui faire prendre conscience de sa faute ? J'ai trouvé son numéro de téléphone après une recherche acharnée sur Internet. Toute suggestion sera la bienvenue.
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