Le twit de Le Pen, qui, il faut le rappeler, est quand même bien dans la merde pour arriver au second tour cette fois, est une pur récupération politique qui cherche à faire le buzz. C'est pas parce qu'elle dit que c'est la réalité que c'est effectivement le cas. Enfin je sais pas ça me paraît évident.
La question n'est pas de savoir si Marine Le Pen a raison en affirmant que le film décrit la réalité, mais si la manière dont le film présente la réalité est conforme à la vision politique de Marine Le Pen.
Et vu que j'ai pris sur moi de voir le film histoire de rendre caduque l'argument du "si tu ne l'as pas vu tout ce que tu peux dire sur le film n'a aucune valeur", la réponse est : oui. C'est même, honnêtement, pire que ce que je pensais.
Je savais via les critiques et retours qu'il était reproché au film une certaine partialité en ne présentant que le point de vue des policiers, mais c'est bien plus que ça : les habitants des cités nord présents à l'écran ne sont presque tous que des gangsters (il aurait été possible de présenter des habitants "normaux", ça aurait même pu servir le propos du film en montrant comme ils subissent la loi des gangs, mais non. Ah si : à un moment lors de l'assaut un policier se réfugie dans un appartement, et les deux habitantes qui y vivent l'invectivent et l'une d'elle lui plante même un couteau dans le bide
). Ils sont déshumanisés au maximum : aucun d'eux n'a de prénom, et à l'exception de deux ou trois, ils n'ont pas de visage (ils ont tous des cagoules, des foulards dissimulant le visage, des lunettes réfléchissantes), pas d'identité ou de singularité, et sont presque toujours montrés en meutes menaçantes ou hurlantes (aucun d'eux n'est montré autrement qu'exprimant de la violence), ils sont filmés comme des Uruk-hai. Évidemment il n'y a pas un seul blanc parmi eux mais j'imagine qu'on n'en est plus là.
A contrario les policiers sont entièrement humanisés, ils sont montrés dans leur vie quotidienne en dehors de leur travail : ils font un barbecue, regardent un match de foot, l'un d'eux joue avec son chien, l'autre raconte la première échographie de son futur bébé, etc. Ils sont également présentés dans le cadre de leur travail quotidien, et le film tente de montrer qu'ils ont un comportement parfois borderline au niveau de la loi (histoire de paraître "nuancé" et "réaliste" j'imagine), sauf que c'est d'une partialité crasse : 1/ les infractions qu'ils commettent sont globalement mineures, bien loin d'être suffisantes pour qu'ils puissent passer pour de réels "ripoux", et 2/ leurs infractions sont pour la plupart excusées par des facteurs externes (ordres impossibles de la hiérarchie, pression intolérable, etc). Le film est d'ailleurs passablement problématique dans sa manière de réhabiliter entièrement des policiers qui avaient été condamnés par la justice.
Tout ça pour dire que ça va bien au-delà du simple biais que de ne présenter "qu'un seul point de vue". D'autres aspects dans divers choix de mise en scène participent là encore à donner au film une vision politique particulière (la féministe Valérie Rey-Robert a fait une
analyse intéressante de la présentation des corps racisés dans le film), mais ce qui m'a le plus marqué, au point que j'ai éclaté de rire IRL sur une des scènes concernées, c'est à quel point le film recrache tel quel, mais vraiment littéralement (et c'est ce qui m'a fait rire : ça en devient totalement artificiel, ça brise la suspension d'incrédulité) par la bouche de ces personnages, le discours de l'extrême-droite sur les problématiques policières et sécuritaires. Vraiment avec la subtilité d'un bulldozer. Autant la portée politique de certains films peut être parfois sujette à débat car nécessitant diverses profondeurs d'analyse pour être clarifiée, autant ici il n'y a aucune analyse ou interprétation à fournir, le message est fourni brut. Et il n'est donc pas étonnant que Marine Le Pen ait fait la promotion du film et l'ait décrit comme représentant "sa" réalité : ce n'est pas juste de la récupération politique de sa part, c'est littéralement un film qui sert et porte son discours politique.
Bref, comme le faisceau de nombreux indices pouvait le laisser deviner
a priori, Bac Nord est bien
a posteriori un tract du syndicat Alliance qui dure 1h40.