Des gens qui sont suffisamment débrouillards pour quitter leur famille et leur pays, et venir trouver un travail en France ... Mais pas assez débrouillards pour trouver un moyen d'apprendre la langue gratuitement ... Mouais, j'y crois moyen, surtout qu'il doit y avoir des assos, des cours du soir gratos exprès pour eux, ou même moyen d'apprendre avant de partir. Et quand t'es là depuis X années, t'as plus trop d'excuses.
Tu m'excuseras de le supposer d'après ton message (enfin si je me trompe), mais j'ai l'impression que tu ne connais pas le contexte de l'apprentissage du français pour les allophones immigré-e-s (personnes dont le français n'est pas la langue maternelle).
Il y a massivement trois formes d'apprentissage du FLE (français enseigné comme une langue étrangère) en France pour les adultes. L'une est fléchée sur l'insertion professionnelle et elle va être intégrée à des formations à objectif d'employabilité. Il va s'agir d'apprendre le français au travers du contexte d'emploi auquel ces personnes sont destinées. La forme passive est voulue, personne ne leur a demandé leur avis. Je me suis retrouvé face à des personnes avec dix ans de pratique comme opticien, avec une licence de géographie, avec une formation de métallurgie, une pratique de dressage des chevaux et j'en passe... Envoyés nettoyer des chiottes de bureaux à 4h du matin. Mais bref jusque là c'est mon avis.
Ces formations ont plusieurs défauts qui freinent l'apprentissage :
1) Elles s'adressent à des personnes qui ont déjà une certaine culture administrative, ou plus souvent l'assistance d'une personne qui dispose de cette culture. Il faut rentrer dans des dispositifs institutionnels, remplir des formulaires, assister à des rdv, s'engager à des trucs qu'on ne t'explique pas forcément d'une façon compréhensible, etc.
2) Chose intelligente, les personnes qui entrent dans ces dispositifs sont payées. Ceci afin qu'elles ne désertent pas le dispositif pour travailler et gagner de quoi manger et payer leurs loyers. L'effet pervers, c'est que vu le contexte (racisme à l'embauche+état du marché du travail) entrer dans ce dispositif constitue une bien meilleure chance de manger à sa faim que de trouver un emploi (surtout qu'on met ensuite les personnes en contact avec des entreprises qui embauchent). Et que donc l'indemnité constitue le principal facteur de motivation. Détail au cas où ce point ferait hurler quelqu'un : dans tous les contextes où j'ai du accompagner des chomeurs et chomeuses, s'ils ou elles exprimaient l'envie de créer une activité (et donc potentiellement de l'emploi si ça fonctionne bien) on les a pris pour des cons en leur rappelant bien que leur place c'était larbin et quémandeur de contrat de travail. Alors même que pole emploi a des tas de dispositifs d'accompagnement pour la création d'entreprise. Détail croustillant bis, créer une auto entreprise pour vendre ses services à un client unique (au hasard, uber, des agences immobilières, deliveroo...) est considéré par PE comme une recherche d'emploi et pas une création d'entreprise. Mais je m'égare.
3) On ne cesse de répéter aux personnes qui y entrent qu'elles ont de la chance, qu'elles doivent accepter les contrôles, la suspicion permanente de fraude et d'abus, l'infantilisation. C'est un climat globalement anxiogène, dévalorisant et pas du tout propice aux apprentissages.
4) Les personnes qui encadrent ces formations, en dépit de la réforme récente de la formation professionnelle, ne sont généralement pas du tout formées au FLE. Quand elles le sont, elles sont minoritaires dans les équipes de travail. Le financement public se fait sur du temps court rendant difficile la pérennité des emplois, la formation continue des équipes, les tâches administratives, la coordination pédagogique. Les appels d'offre nivellent les budgets par le bas, puisque c'est généralement sur le prix que l'appel d'offre est remporté (quoi qu'en disent les critères).
5) Les contrôles a priori et a posteriori des organismes de formation se font généralement sur la base de déclarations administratives où il est beaucoup plus important de savoir dire qu'on a fait tout bien comme il faut que d'avoir effectivement fait correctement les choses. Rendre compte d'une activité dans un langage administratif et conduire efficacement la dite activité font appel à des compétences très différentes, et c'est la première qui est sur-valorisée dans ce contexte.
6) L'objectif de ces formations ne consiste pas à rendre les personnes autonomes en langue française mais à leur permettre de comprendre les consignes de travail de leurs supérieurs et des entreprises qui font appel à elles en qualité de sous-traitantes. Le niveau attendu est donc relativement bas, et ne concerne pas la vie quotidienne.
Je ne pense pas qu'un de ses facteurs soit plus important qu'un autre. Mais le cocktail fait tout dérailler.
La seconde forme ce sont les cours dispensés par des structures comme certains centres sociaux. Ici l'entrée est libre et sans engagement (en tout cas pour celles que je connais) et les séances sont prises en charge par des bénévoles. Inutile de dire que le contexte est beaucoup plus détendu. Mais les préfectures, qui financent ces activités, exigent que les bénévoles fassent le boulot de la PAF (par exemple en demandant les titres de séjours des personnes et en transmettant leurs absences). Autant dire que si l'équipe bénévole n'a pas les reins solides elle se retrouve vite à faire un boulot de flics plus que d'enseignante. Cela se sent... Et les gens cessent de venir. Même quand ils ont un titre de séjour en règle. Autre problème : les lieux qui organisent ce genre de cours sont rarement en contact avec les allophones, et le bouche à oreille peut mettre du temps, ne circuler que dans une communauté, être contre-productif (si l'info des controles d'identité est connue, ça fera fuir les gens). Et il n'y en a pas partout, loin de là. Autre problème : généralement c'est en journée, parce que les bénévoles, le soir ils sont en famille (ou plus probablement : parce que la structure qui accueille les cours est fermée). Donc c'est surtout pour les chomeurs qui assument et les parents affectés au foyer (pour ne pas dire les mères de famille).
La dernière forme ce sont les cours de l'éducation nationale à but de permettre aux parents de suivre la scolarité de leurs enfants. Ici le seul défaut que je leur connais, mais il est de taille, c'est l'ambition du dispositif : A2. Soit la capacité à balbutier une conversation de la vie quotidienne et à déchiffrer des phrases simples. Ce n'est absolument pas suffisant pour devenir autonome. Sinon, au crédit de ce dispositif les personnes sont correctement formées et ont les coudées franches pour organiser des cours qui tiennent debout. Mais cela ne se fait pas partout, et là aussi la coordination est en berne. Ici aussi, ce n'est pas organisé dans tous les établissements. Par contre la communication va être plus simple puisque ce sont les enfants qui en parlent directement à leurs parents.
En-dehors de ces trois dispositifs, il y a une vague initiation proposée à l'accueil des migrants "légaux", parce qu'on leur demande de valider le niveau A1.1 (qui permet de dire bonjour, éventuellement de l'écrire). Et dans les centres d'accueils des demandeurs d'asile. Mais c'est vraiment pas ambitieux.
De tous ces dispositifs, le seul qui soit sans danger, voire accessible, pour les personnes ne disposant pas de titre de séjour dont la prolongation ou la naturalisation leur est garantie, c'est celui de l'éducation nationale.
Après je vais sûrement enfoncer une porte ouverte, mais le français est une langue compliquée à apprendre en tant que langue étrangère. Compliquée pas dans l'absolu, par-rapport à d'autres. Parce que l'oral et l'écrit sont quasiment deux langues différentes (grammaire, tournures de phrases, vocabulaire, lettres muettes, sons codés par des combinaisons de lettres pas du tout intuitives et j'en passe), parce qu'on a une conjugaison à s'arracher les cheveux, parce que les personnes au contact des allophones font rarement des efforts pour se faire comprendre (articuler, utiliser le présent de l'indicatif, éviter les conjonctions de coordination etc) et raisonnent beaucoup en terme de politesse et de lenteur d'esprit (plutôt qu'en terme de règles sociales tacites et de capital culturel).
Tous ces facteurs combinés font que, quand tu connais quelqu'un qui sait se démerder en français et en administrations, tu vas lui demander plutôt que de t'épuiser et risquer une radiation parce que t'auras mal compris un intitulé de formulaire. Comme à l'arrivée tu peux compter sur un réseau de solidarités (et encore heureux), ça facilite la vie mais ne rend pas l'apprentissage aussi indispensable et prioritaire que ce que les français le pensent.