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Comme vous le savez, Salman Rushdie et Noam Chomsky ont signé, en compagnie de JK Rowling et peut-être d'Astronogeek, une lettre ouverte dénonçant la "cancel culture". (On y trouve aussi Kamel Daoud par exemple)
Avec pour résultat attendu que les cancelators ont aussitôt appelé à canceler Rushdie et Chomsky, ces affreux fascistes. Rowling est déjà multicancelée, pour appropriation culturelle et transphobie entre autres. Posons les bases du débat : la cancel culture, qu'est-ce ? Premier pilier d'une tentative de définition : il s'agit d'un mode de militantisme viral d'origine anglo-saxonne frappant de plus en plus régulièrement des personnalités en tout genre. Il s'agit de dénoncer les propos, les actes, réels ou supposés, d'une personne sur les réseaux sociaux. L'objectif étant d'utiliser la "tempête médiatique" (aussi appelée shitstorm) ainsi soulevée pour inciter les médias à censurer la cible, ses éditeurs à rompre leurs contrats, les universités à annuler les conférences et les employeurs à licencier l'individu. On ciblera aussi ses sponsors, sa famille, ses amis etc : il s'agit de détruire socialement l'individu, avec pour but de le faire disparaître. Ce n'est pas la peine de mort, c'est un ostracisme moderne, en plus violent. La cancel culture s'accommode très bien d'autres pratiques telles que le harcèlement, les menaces diverses, le doxing... Des phénomènes plus ou moins voisins, plus ou moins violents ont existé dans le passé : inquisition, chasse aux sorcières, puritanisme victorien, lynchages, purges staliniennes, macarthysme, révolution culturelle... Mais la particularité de la cancel culture est qu'elle l'oeuvre d'une minorité privée de pouvoir, alors que les autres que j'ai mentionné étaient impulsées par les pouvoirs de l'époque. La cancel culture, ce sont les Lilliputiens qui auraient pris le contrôle de Gulliver pour écraser leurs adversaires. Par voie de conséquence, il ne surprendra pas grand monde qu'il s'agit essentiellement d'un mouvement gauchiste : la droite n'a usuellement pas besoin d'un mouvement partant de la base puisqu'elle contrôle le sommet. Et lorsqu'elle ne le contrôle pas, elle le vise. C'est la raison pour laquelle les Tea Party ont cherché à provoquer la défaite des démocrates américains aux élections alors que la Social Justice cherche plutôt à abattre J.K. Rowling Cela, c'est pour le premier pilier. Mais il en manque un, le revers de la pièce. La cancel culture, c'est aussi un concept, une création linguistique récente utilisée par usuellement par des journalistes, des éditorialistes, des politiciens, des influenceurs et des universitaires pour dénoncer des critiques virulentes venus de "no-names" les ciblant sur les réseaux sociaux. La cancel culture ne désigne pas les barrières s'opposant à l'expression des pauvres et des minorités réprouvées dans les médias. Ce terme, et le concept qu'il désigne permettent assez aisément d'assimiler "aux pages les plus sombres de notre histoire" toute dénonciation d'une expression ou d'une pratique contestable. Il transforme en martyrs certains des individus les plus privilégiés de l'humanité. Pauvre JK Rowling, elle n'aura peut-être que 90 millions de dollars à la fin de l'année ! Usuellement, la cancel culture est invoquée pour défendre des personnes accusées de l'un des trois actes suivants : - encourager ou défendre le racisme - encourager ou défendre le sexisme - encourager ou défendre la transphobie ou l'homophobie On observera que le racisme, le sexisme et l'homophobie sont justement trois phénomènes qui heurtent les plus brutalement la liberté d'expression. Combien de lesbienne noire avaient vous vu dans un débat géopolitique sur Arte ? Ou commenter les résultats des élections sur BFM ? Peu. Ce qui n'a pas grand chose d'étonnant d'un point de vue statistique du reste. Si vous en connaissez une qui soit aussi en fauteuil roulant, je suis certain que les remplisseurs de quota seraient ravis de lui proposer un taff. Cela nous amène donc à une série de questions : 1) La cancel culture, mythe ou réalité ? 2) Un phénomène à combattre ou un concept à récuser, mais : comment ? 3) Peut-on ignorer la chose en ignorant twitter ? 4) Quelles sont ses causes profondes, si tant est qu'elle existe ? 5) Quelles évolutions futures sont à prévoir ? En ce qui me concerne, je ne suis pas certain d'avoir une réponse tranchée. J'ai toujours eu une méfiance instinctive contre les mouvements de foule, les autodafés, les mises à l'index, les tabous et autres mise au pilori. Mais j'ai bien conscience aussi du fait que présenter ainsi ces phénomènes est particulièrement pratique pour celles et ceux disposant du monopole du discours médiatique. Quand Pascal Praud insulte à longueur de temps sur les ondes les profs ou les postiers, qui est canceled ? Quand Tucker Carson explique que les migrants rendent l'Amérique "plus pauvre et plus sale", qui est canceled ? Sur leurs plateaux, personne ne les contredit. Et personne ne défend donc ceux qui sont calomniés. Mais en même temps, l'aspect aléatoire du phénomène intrigue, surprend. Car usuellement, ceux qui sont ciblés par le phénomène ne sont pas les héros du racisme ou du sexisme. Zemmour en France, Carson aux USA vont très bien, merci pour eux. Ce seront des cibles plus fragiles, moins évidentes, telles qu'un rédac-chef du NYTimes ou un prof d'université avec une longue carrière d'engagement à gauche qui seront ciblés. Et au fond, je me demande s'il ne s'agit pas d'une simple manifestation de "crise mimétique". Je m'explique : personne à gauche ne veut être Zemmour, ou Carson, ou ne l'envie. Moches et méchants. Ce sont des ennemis, mais ils ne suscitent pas la jalousie. En revanche, quel fan de J.K. Rowling ne rêve-t-il pas secrètement d'être l'auteur de la saga ? En particulier chez les auteurs de fanfic... Quel militant gauchiste ne s'imagine-t-il pas meilleur, quelque part, que Chomsky ? Quel youtoubeur sceptique à 26 300 abonnées, ou même 331 000 abonnés, n'envie-t-il pas les 631 000 abonnés d'un autre youtoubeur sceptique ? Cette approche me permet de réunir les deux aspects : par définition, la victime d'une crise mimétique est plus haut placée, au moins symboliquement, que la masse qui la déchire. Ce seront donc des privilégiés authentiques qui seront ciblés. Sinon, si la colère tombe sur un lambda, elle ne sera que passagère, superficielle et le déchaînement ne sera pas satisfaisant pour les participants. Il faut du gros, il faut de la viande. Et que cette viande soit comestible. Dernière modification par Episkey ; 20/07/2020 à 09h47. |
16/07/2020, 03h37 |
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[POGNAX][débats variés] La culture de l'annulation
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#393901
Invité
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Message supprimé par son auteur.
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16/07/2020, 08h56 |
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#393901 |
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Je pense qu'il faut distinguer la critique, même virulente (je ne parle pas des menaces), à la volonté de cancel. Déclencher une tempête de critique directe sur Twitter, en soit c'est pas de la cancel culture. Par contre, dans les cas extrêmes, ça peut être du harcèlement si les mêmes personnes critiquent de façon répétées ou appellent leur communauté à aller s'en prendre à la personne.
La cancel culture, c'est vraiment le fait de s'en prendre indirectement à la personne, viser son employeur, ses sponsors, pousser Youtube, Twitch, Twitter à supprimer ses vidéos voire son compte, viser les organisateurs de ses conférences ou de ses spectacles, etc. Un bon exemple, c'est pour JK Rowling, quand les acteurs des films Harry Potter, l'éditeur des jeux Harry Potter, ou les collègues de la maison d'édition de JKR ont été poussés à prendre leur distance avec elle. Un bon moyen de se rendre compte de ce qu'est la cancel culture, c'est de s'intéresser au collectif Sleeping Giants, qui a fait de la cancellation son mode d'action parfaitement assumée https://fr.wikipedia.org/wiki/Sleeping_Giants Mon avis globalement, je ne vois pas du tout ça d'un bon oeil, en tout cas sur ce que c'est devenu. Autant je ne suis pas contre le fait de canceller (on aurait dit ostraciser à une époque) des personnes ou des entreprises en fonction de leurs actes. Quand c'est par contre pour s'en prendre à la liberté d'opinion c'est autre chose. Et même pour la liberté d'opinion, y a toujours des limites, les universités n'organisent pas des conférences avec négationnistes, et pour une bonne raison, si elles le faisaient ça déclencherait forcément une levée de bouclier. La question, c'est où est la limite, et je ne pense pas que la réponse soit si simple. Dernière modification par Borh ; 16/07/2020 à 09h13. |
16/07/2020, 09h07 |
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Citation :
D'ailleurs je pense qu'il y a certainement beaucoup moins de gens s'imaginant comme étant à l'origine de la saga que: - De gens qui s'imaginent la vivre - De gens qui auraient aimer avoir l'argent du succès mais n'en ont rien à faire du reste Donc c'est pas vraiment une question très intéressante je pense. ------------------------ Un article que j'aime beaucoup sur le sujet, tente de poser les différences entre cancel harcèlement etc. ------------------------ https://youtu.be/OjMPJVmXxV8 |
16/07/2020, 09h13 |
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Dernière modification par Siuan ; 16/07/2020 à 22h43. |
16/07/2020, 09h47 |
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Est-ce que parler de l'utilisation à outrance des fonctionnalités de blocage et d'ignore list rentre dans le sujet de la cancel culture ?
Je trouve que le principal souci là dedans c'est son aspect définitif, de considérer que la personne "cancelée" est forcément assez stupide et idiote au point de ne jamais se remettre en question et à ne jamais reconnaître ses erreurs - tant et si bien qu'il y en ait. Je veux dire, parfois une personne peut être blindée de certitudes et d'a priori qui ne peuvent pas être remis en question sans un électrochoc, et parfois pour certains il faut passer par là. Et ça peut partir d'une bonne intention : j'ose croire qu'il existe certaines personnes qui ont toute la sympathie du monde envers J.K. Rowling par exemple et qui sont vraiment peinés de lire les propos qu'elle tient sur les trans, et qui espèrent pour son bien que l'emballement des réseaux sociaux déclencheront chez elle une remise en question et qu'elle soit amenée à tempérer son avis. Mais dans d'autres cas, il arrive que ce que subit une personne balancée sur Twitter dépasse tout ce qu'a pu subir la victime de l'accusé, quand bien même il est coupable. Est-ce qu'il le mérite pour autant ? Exemple à prendre avec des pincettes parce qu'il n'est peut-être pas le meilleur : le photographe David Hamilton, qui s'est suicidé peu après que Flavie Flament l'ait accusé de viol alors qu'elle avait 13 ans. Est-ce bien fait pour sa gueule à cet immonde photographe ? (je dis mauvais exemple parce que ça peut être vu comme une façon d'échapper à la justice, à la Epstein si on veut) En tout cas merci Dernière modification par Jeska ; 16/07/2020 à 12h08. |
16/07/2020, 12h01 |
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16/07/2020, 12h16 |
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Dans le même ordre de pensée, une femme peut donc être donneuse de sperme. Welcome to woke land . |
16/07/2020, 14h21 |
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Je pense que résumer la cancel culture à des histoires de célébrité et de jaloux c'est passer à coté de ses aspects les plus nocifs.
Le problème n'est pas que des penseurs ou artistes millionnaires fassent l'objet de quelques boycotts ou perdent quelques contrats sous la pression "populaire" de la minorité vocale d'hystériques de twitter, elles s'en sortiront très bien vous inquiétez pas, y compris en profitant de leur victimisation pour faire progresser leurs intérêts ou idées. Le problème c'est tous les quasi-anonymes (avant de se prendre la meute les rendant un instant célèbres pour leurs fautes) qui subissent le même sort dans l'indifférence générale et auront bien plus de mal à s'en relever. Pour prendre un exemple les dizaines de personnes ayant perdu leur emploi pour avoir été assimilés aux suprémacistes blancs car un jour ils ont été pris en photo en faisant le signe "Ok". Ou encore les universitaires uniquement connus de leurs étudiants qui se font cancel pour ne pas avoir caressé leurs sensibilités dans le sens du poil, et peuvent se retrouver privés de conférences pour des années juste pour avoir fait une erreur de pronom. Etc... Ou encore les gens qui sont juste en train d'acquérir une petite notoriété / sont en train de vivre leur premier moment de célébrité, mérité et voient leur histoire se transformer en cauchemar (pour un des exemples les plus marquants voir le shirtgate) car, contrairement aux célébrités établies et bien conseillées, ils n'ont pas prévu les mesures nécessaires à se protéger de la meute (ex : effacer tout twit ou autre pouvant être mal interprété, même datant de 10 ans). ps : à part ça +1 Nof, la vidéo de Contrapoints sur le sujet est (comme souvent) excellente |
16/07/2020, 14h34 |
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Citation :
Après il n'y a pas que les célébrités et les anonymes mais tout ceux entre deux, qui ont une notoriété de niche ou dans un domaine particulier, typiquement des youtubers comme Astronogeek, ou l'ex patron d'Equidia qui s'est fait éjecté par #BalanceTonPorc pour avoir tenu des propos un peu trop beauf un beau soir mais en aucun cas pour harcèlement ou viol. Au train où vont les choses, dans 10 ans on va se mettre à cancel des gens parce qu'ils ont voté Macron en 2017. |
16/07/2020, 15h27 |
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Citation :
Ceci étant dit, l'article original aurait utilisé le terme "femme" ça n'aurait causé que peu de réactions, voire aucune, vu que ce genre de truc serait noyé dans la cisnormativité habituelle. En gros les personnes sensibles à ce sujet y auraient peut être été de leur commentaire relevant le problème, mais j'en doute. Il ne fait d'ailleurs pas mentions d'hommes ayant leurs menstruations : "An estimated 1.8 billion girls, women, and gender non-binary persons menstruate". Le fait par contre de venir relever cette formulation pour insister sur le fait que le terme qui aurait dû être privilégié, dans le contexte, est "femme", c'est clairement de la provocation envers les non-cis ou du racolage envers les transphobes. Il y a une sacré nuance entre "utiliser le mot femme pour désigner les gens qui ont des règles" et venir spécifiquement faire une remarque attaquant le terme choisi pour le titre. Ça ne m'étonne pas que ça fasse réagir les personnes se sentant prises pour cibles ou sensibles à cette cause. Tu rajoutes à ça les postures pseudo-progressistes de Rowling sur pas mal de sujets et le fait qu'elle en est pas à la première provoc du genre et oui, ça cause plus de réactions en retour. Ah et oui, des femmes ayant fait don de sperme ou en capacité de le faire il y en a, de même que des hommes enceints. Nier cela est un propos transphobe, à toi de voir si tu es à l'aise avec le fait de te tenir derrière ça. Sinon, concernant la cancel culture et particulièrement ses victimes. Je doute que les cibles principales de ces actions soit déterminées par une "crise mimétique" comme Aloïsus le propose (tout du moins, pas tel que je comprends ta description du phénomène), pour moi le constat est le même que dans beaucoup de débats, les modérés sont une cible privilégiée, ils sont une nuisance au TINA "Vous êtes avec nous ou contre nous" que les plus extrêmes se plaisent à utiliser et sont également coupables d'apporter une forme d'impureté idéologique qui leur apparaît comme dangereuse par un risque de dilution du propos ou de contamination de partisans moins affirmés. De plus une personnalité classée "progressiste" aura en général bien plus d'acolytes des illustres (lol) ayant des sensibilités proches, ce qui bien entendu va entraîner des réactions bien plus rapides et fortes que dans le cas d'une sortie similaire par une personnalité classée "conservatrice" ou qu'un "no-name". Il est possible que certains meneurs dans ces attaques soient à la recherche d'une forme de renommée ou de validation, mais ce n'est probablement pas de le cas de la masse. Par contre, je conçois tout à fait qu'une grande partie de la colère engendrée puisse être le résultat d'un désir mimétique déçu par une personnalité ayant failli à représenter l'idéal qu'il lui incombait d'incarner aux yeux de ses idolâtres. Il faut jamais rencontrer ses héros, toussa. C'est une stratégie qui me file la nausée, mes sensibilités ont énormément changées depuis mon adolescence et cela grâce à des personnes qui n'avaient pas peur de confronter leurs idées aux miennes, il m'est arrivé de me retrouver conforté dans des conceptions complètement faussées à cause, non pas d'arguments plus solides de mon côté, mais simplement de réactions de rejet extrêmes de la part d'autres interlocuteurs. Je ne soutiens pas que la bienveillance envers des conceptions et idéologies différentes soit nécessairement une bonne chose, mais je sais que l'opposé ne mène rarement à plus que durcissement et dédain. Prétexter qu'une personne ne devrait pas avoir droit de parole publique parce que ses propos ne sont pas alignés sur les nôtres me semble donc déjà extrêmement dangereux en plus d'encourager à un entre-soi bien trop présent. Je ne m'étendrai pas sur le fait que l'impact de ce genre de tactiques puisse être bien plus lourd encore si il s'abat sur une personne sur des personnes moins solides et/ou préparées à faire face à ce genre d'attaques. Dans tous les cas je suis entièrement d'accord avec les propos tenus dans la lettre ouverte liée en OP. |
16/07/2020, 19h35 |
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16/07/2020, 20h07 |
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