Les SHS et nouvelles disciplines s'en réclamant, et leurs critiques

Répondre
Partager Rechercher
Merci, avec les noms donnés par Aloisius je suis tombé sur cet article, certes pas tout jeune mais qui donne pas mal d'informations sur la question. Effectivement c'est assez intéressant comme polémique, et ça m'a l'air assez représentatif des problèmes traversés par les sciences sociales. L'article montre notamment bien que la lecture de la première guerre mondiale est restée factuelle assez longtemps, et que c'est quand les chercheurs ont adopté un point de vue plus humain en cherchant à s'intéresser au ressenti et aux motivations des poilus que les problèmes ont commencé.

C'est amusant en tout cas, je m'intéresse beaucoup à la première guerre mondiale et je n'avais jamais entendu parler de cette histoire.

Dernière modification par Tchrek ; 09/01/2020 à 17h50.
J'avais pas lu cet article mais il montre bien l'ambiance.
Belle imagination pour les insultes entre d'un côté les gauchistes pleurnichards et de l'autre les bourgeois parisianistes (bon ils siègent en Picardie, mais c'est pas loin on dira)

Personnellement je n'arrive pas à imaginer un truc comme ça en génétique. Si y en a un qui dit blanc et un autre qui dit noir, et que ça commence à s'écharper, un troisième va reproduire les expérimentations et trancher.
Mouarf les querelles historiographiques ont toujours fait partie de la discipline. Et son instrumentalisation politique aussi. On est la seule discipline scolaire dont les députés débattent des programmes dans l'Assemblée.
Et encore cette querelle-là est compréhensible socialement, parce qu'elle touche à un sujet que la société peut comprendre. Mais sur la question de la mutation féodale, on s'est écharpé aussi pendant longtemps...
Après, derrière les querelles historiographiques, il y a des enjeux importants de pouvoir (accès à des postes, contrôle de publications, contrôle d'institutions, conflit grandes écoles / universités, volonté de se faire sa place sous le soleil avec des enjeux générationnels...) qui font que ces débats-là prennent une ampleur facilement démesurée, alors qu'on pourrait très bien parvenir à des consensus.

Bon, ceci étant, tout ça n'a pas trop de rapport avec la question initiale du fil, vu que les querelles historiographiques, on en a depuis la mise au point de la méthode historique.
Histoire de situer ce débat, je ne sais plus lequel des historiens de Péronne avait déclaré en substance il y a quelques années, lorsque les derniers poilus sont morts "ouf, on ne va plus nous emmerder avec les témoignages, on va enfin pouvoir faire de l'histoire". Manque de chance, les poilus savaient écrire et ont envoyé des centaines de millions de lettres pendant la guerre.

Ceci étant, dans mon souvenir, comme souvent en histoire, la polémique a un peu vieilli et une forme de synthèse a émergé. En gros, quand les chercheurs en ont marre des disputes stériles, ils prennent en compte les résultats des uns et des autres et dépassent la question. Même processus que, par exemple, pour la dispute des fonctionnalistes et des intentionnalistes.

Mais il est vrai que la querelle du consentement avait donné lieu à des échanges d'insultes assez surprenant, sans doute parce que le problème concernait autant les matériaux utilisés que l'idéologie des chercheurs. L'histoire faite à partir de témoignages d'anonymes ou d'inconnus, ça agace. Surtout quand ça parle de chiasse et de poux.
Est-ce que les chercheurs en ont réellement marre de ces polémiques ou ceux qui en étaient à l'origine ont perdu leur pouvoir car à la retraite ou proche de la retraite ?
Citation :
Publié par Borh
Pour résumer, il y en a une qui considère que la 1ère guerre mondiale a été un moment d'union nationale et l'autre que la lutte des classes est au cœur de la 1ère guerre mondiale. Si tu as des questions précises je peux demander à ma sœur qui est MCF en histoire contemporaine, mais j'aurai pas les réponses tout de suite.
En fait, le marxisme c'est plus de l'historiographie que de la politique a proprement parler. Le marxisme c'est aussi l'étude de l'histoire a travers le prisme de la guerre des classes, et non pas au travers du prisme des nations.
Citation :
Publié par Borh
Est-ce que les chercheurs en ont réellement marre de ces polémiques ou ceux qui en étaient à l'origine ont perdu leur pouvoir car à la retraite ou proche de la retraite ?
Oh non. Becker a pris se retraite je suppose, mais ses successeurs sont au sommet, même s'ils se sont tournés vers le Rwanda. Quand à Rousseau, il est toujours à la tête du CRISES.
Citation :
Publié par Borh
J'avais pas lu cet article mais il montre bien l'ambiance.
Belle imagination pour les insultes entre d'un côté les gauchistes pleurnichards et de l'autre les bourgeois parisianistes (bon ils siègent en Picardie, mais c'est pas loin on dira)

Personnellement je n'arrive pas à imaginer un truc comme ça en génétique. Si y en a un qui dit blanc et un autre qui dit noir, et que ça commence à s'écharper, un troisième va reproduire les expérimentations et trancher.
C'est bien là la différence majeure entre science et pseudo science !
Oui c'est compliqué de faire des expériences pouvant se reproduire de maniere strictement équivalente comme dans les sciences dures, vu qu'on a un seul modèle de la terre, et que faire naitre et élever des humains dans le but de faire des expériences sociologiques dessus est relativement peu éthique.
Citation :
Publié par N° 44 636
Oui c'est compliqué de faire des expériences pouvant se reproduire de maniere strictement équivalente comme dans les sciences dures, vu qu'on a un seul modèle de la terre, et que faire naitre et élever des humains dans le but de faire des expériences sociologiques dessus est relativement peu éthique.
D'un autre côté, quand j'entends Aloisius raconter que certains chercheurs décident sciemment de mettre de côté des données (toutes les lettres des soldats) parce que ça ne va pas dans leur sens, c'est la méthode et l'idéologie qui sont en cause, pas le sujet d'étude en lui même.
Citation :
Publié par Borh
D'un autre côté, quand j'entends Aloisius raconter que certains chercheurs décident sciemment de mettre de côté des données (toutes les lettres des soldats) parce que ça ne va pas dans leur sens, c'est la méthode et l'idéologie qui sont en cause, pas le sujet d'étude en lui même.
Attention, je ne suis pas neutre dans l'affaire. Les historiens de Péronne avaient expliqué que le témoignage des soldats n'était pas fiable parce que parce que. Je suis très dubitatif, mais en toute honnêteté, je caricature un peu.
Pour ce qui est de la querelle contrainte/consentement pendant la Première Guerre mondiale, le problème c'est que l'opposition entre deux écoles antagoniques est pour l'essentiel une création médiatique qui n'a pas vraiment de fondement dans les faits.
Nul n'a jamais sciemment mis de côté les lettres des soldats ou tout autre forme de source.
Sur le fond, la discussion a surtout rejoué pour la énième fois la discussion entre structures et agents.

L'un des aspects que la pseudo controverse voile, c'est surtout une opposition entre deux positions sociales dans le champ historiographique : d'un côté un groupe très bien intégré académiquement, bénéficiant de financements avantageux notamment via l'historiai de Péronne et les différentes commémorations ; de l'autre, un groupe moins reconnu d'un point de vue académique, situé en régions (Montpellier et Toulouse si je me souviens bien), publié dans des maisons moins prestigieuses et avec moins de moyens. Sauf que comme souvent en sciences sociales, les luttes de position se sont transformés en pseudo-lutte scientifique. Des discussions finalement assez techniques deviennent alors des postures qui entravent quelque peu le débat.
Mais lorsqu'on remet les choses à plat, dans des colloques scientifiques ou de simples discussions, les choses s'avèrent finalement bien moins antagoniques.
Pour ceux que ça intéressent vraiment, au moment du centenaire, France Cul et feu la Fabrique de l'Histoire avait fait discuter Stéphane Audoin-Rouzeau et Nicolas Offenstadt (ici).
Intéressante remise dans le contexte des débats qui agitent les SHS en général.

Un point intéressant opposant les social studies et les autres sciences humaines et sociales me semble justement qu'il n'y a pas trop ce genre de débats droite-gauche ou aussi profondes divisions en leur sein, ce sont globalement des écoles où tout le monde une vision du monde assez proche du fait de la portée restreinte de ces champs qui attirent surtout des gens voulant consacrer leur vie à dénoncer des injustices sociétales et adhérent aux mêmes idées intersectionnelles et à la même approche déconstructiviste postmoderne, mais qui au lieu d'être des écoles au sein d'une discipline se sont transformées en disciplines entières. Elles sont un peu l'équivalent d'une sociologie sans sociologues individualistes / boudoniens pour contredire les bourdieusiens, ou d'une économie où il n'y aurait pas l'opposition entre orthodoxes et hétérodoxes.
Et c'est peut être ce qui les rend les plus problématiques : comme il n'y a pas de défenseurs de visions très opposées dans ces branches (genre une branche des gender studies qui s'opposerait à l'idée que le genre est une construction sociale, ou une des études postcoloniales relativisant l'impact du colonialisme ou qui le verrait comme bénéfique) pour consacrer leur temps à chercher à démonter les travaux de l'école dominante ceux ci sont moins critiqués (enfin en interne ils le sont évidemment en externe dès qu'ils sortent dans la presse) qu'ils le seraient dans d'autre branches des SHS, et comme il faut tout de même intéresser le chaland ça conduit naturellement à une surenchère entre gens qui se tapent dans le dos pour des études allant de plus en plus loin dans le même sens (voir par exemple le développement de tout un jargon relatif aux tares des blancs/autres dominants avec des termes comme "xxx fragility" dont la justification scientifique semble se limiter à "il n'y a que la vérité qui blesse" mais que toutes ces branches semblent considérer comme la trouvaille du siècle).

Après pour relativiser il y a tout de même des conflits, mais plus liés à des questions d'identité/pouvoir, dans la tradition SJW, comme quand Pascal Blanchard se fait attaquer par d'autres chercheurs des études post-coloniales qui étant racisés sont trigger qu'un* blanc soit celui qui se permette d'étaler l'imagerie 'pornographique' coloniale sur papier glacé dans Sexe races et colonies (bon bouquin soit dit en passant, convainquant sur l'influence persistante de cette imagerie, et qui ne mérite pas du tout pour moi les descentes en flammes qu'il a subi, se retrouvant pris entre les deux feux des mouvances indigénistes et printemps républicain étrangement unies pour ignorer son fond en l'accusant de voyeurisme et pornographie ; s'il a le même problème que le reste de ces études de ne pas beaucoup considérer de contre-arguments à ses thèses, il est certainement un des ouvrages les plus susceptibles de convaincre de leur utilité).

* enfin il était pas tout seul c'était un ouvrage collectif, mais il le dirigeait

Dernière modification par Twan ; 10/01/2020 à 13h45.
Citation :
Publié par Capitaine Courage
Si tu préfère l'écrit, son article "The coddling of the american Mind", co-écrit avec Greg Lukianoff

https://www.theatlantic.com/magazine...n-mind/399356/
Je n'ai plus le papier en tête mais il me semble que Haidt a justement été lui même victime du fait que certaines de ses idées sur la fragilité des jeunes filles sont loin d'être certaine.
C'est quelqu'un de bien mais il illustre lui même les biais de son époque. Par contre je redit ce que j'ai dit à Twan, il n'est pas sociologue et dans sa discipline, on peut lui dire qu'il y a des travaux semblant le contredire.
Alors qu'on ne peut contredire que les sous arguments d'une opinion présenté sous forme systémique mais jamais le système puisqu'il est en réalité un axiome.

Je suis ravis de voir que le débat a divergé car j'estime justement que c'est un problème plus général que les pires cas possibles.
J'avoue que ma solution serait de retirer le pouvoir d'ingénierie social des experts et que je suis pas du tout d'accord avec l'idée de Bronner : "On a jamais autant eu besoin de sociologie".
Citation :
Publié par Yame
C'est quelqu'un de bien mais il illustre lui même les biais de son époque. Par contre je redit ce que j'ai dit à Twan, il n'est pas sociologue et dans sa discipline, on peut lui dire qu'il y a des travaux semblant le contredire.
Oh mais il et je ne l'ai pas présenté comme tel, mais comme psychologue.
Mais comme le débat a été élargi au sciences humaines au sens large ("Humanities" pour les anglo saxon), dépassant donc le cadre de la sociologie au sens strict (d'où la question posée ici d'ailleurs : les "critical studies" telles qu'enseignées dans les universités nord-américaines relèvent-elles de la sociologie ?), le champ disciplinaire concerné devient également plus large lui aussi, et on peut y inclure la psychologie.
Répondre

Connectés sur ce fil

 
1 connecté (0 membre et 1 invité) Afficher la liste détaillée des connectés