Disons que ce qui m'interroge dans la démarche ici c'est le :
"Oui bonjour docteur, mon enfant carbure à l'école, a des copains, et est parfaitement heureux, pouvez vous le diagnostiquer s'il vous plait ?" <signe un chèque de 350 euros>
Autant je comprends très bien la détresse des parents qui ont des enfants surdoués/HP/whatever en souffrance et leur besoin d'aller voir des spécialistes, autant quand l'enfant est heureux, épanoui, a de très bons résultats scolaires, et est en bonne santé, à part s'en féliciter ici ou ailleurs et remercier le ciel (pour les croyants) , what else ? Est-il vraiment nécessaire de lui poser une étiquette quelconque qui va non seulement changer le regard qu'il aura de lui même mais aussi le vôtre ?
Na mais ceux-là, on les voit pas hein. Au mieux ils s'auto-diagnostiquent, au pire, ils passent directement chez Mensa ou autre connerie.
Nous ceux qui nous contactent, ce sont des parents, parfois en larmes, souvent dépassés et complètement démunis, ne sachant plus quoi faire comment où, vers qui se tourner, pour des mômes que l'école rejette, que les profs rejettent, qui sont en conflit ouvert avec la scolarité, les apprentissages, avec la famille.
Des gamins où pour faire les devoirs en CP ça peut prendre 3h, des mômes qui terminent punis dans le couloir 3 fois par jour, qui se bouffent des lignes ou des heures de colle parce qu'ils ont pas souligné en vert et ont préféré entourer en rouge, des mômes qu'on nous envoie parce que "il bouge tout le temps, il fait n'importe quoi, il comprend rien, il veut pas faire ses exercices, il répond/s'oppose/est insolent/rêve trop/est dans son monde".
On a parfois des profs extrêmement "violents" dans leur propos, qui se posent en censeurs maîtres du diagnostics et se permettent des "il doit être autistes ou déficient vu son comportement, vous auriez dû vous en rendre compte, il n'a pas sa place à l'école", et qui font porter une culpabilité pas croyable sur les parents tout en utilisant des termes qu'ils ne devraient même pas avoir le droit d'évoquer vu leur niveau de connaissance médicale.
Ils nous les envoient parce que "c'est pas possible, st'enfant a un gros souci, il parle mal, il comprend rien", et plus grand tu peux ajouter des "il ne sait pas lire/écrire".
On récupère des gamins que tout le monde croit teubés avec un passif scolaire chaotique, parfois en dépression, parfois avec une espèce d'errance diagnostique longue, des médications non adaptées genre ritaline et autre pour tenter de les shooter, parfois en phobie scolaire, parfois déscolarisés carrément.
Et puis tu leur parles, et tu les écoutes, et tu les regardes faire et agir, et tu te rends compte qu'il est pas teubé, ni autiste, ni "hyperactif", et que le gamin il cogite, c'est en mouvement perpétuel dans sa tête, et si tu l'empêches de bouger mentalement parce qu'il s'ennuie ou que c'est trop lent, il va bouger physiquement, et potentiellement foutre le Bronx, malgré lui.
Et tu te rends compte également qu'il met la misère à l'étalonnage de ton test avec des +2 écarts-types partout.
Le gamin te cause comme un livre, saute du coq à l'âne, s'ouvre et s'exprime, et pi à force de gratter, tu te rends compte qu'à l'école, ben, il fait le bébé/se ferme/se met inconsciemment dans le comportement que la maîtresse attend de lui.
Qu'il ne fait rien parce que c'est trop facile, pas intéressant, qu'il sait déjà, ou qu'il ne voit pas l'intérêt. Ou alors il fait vite, trop vite, parce que c'est/ça semble facile, et bâcle.
Parfois, yen a avec des vrais soucis, des dysharmonies sur profils complexes, avec des difficultés d'apprentissages réelles genre dyslexie ou dyspraxie, même un dysphasique que j'ai eu.
(Un petit, hallucinant. Les phrases sortaient bancales, avec une syntaxe défaillante, les verbes non conjugués ou oubliés, mon petit prince de motordu avec le syndrome du mot à la place d'un autre qui ressemble. Mais à côté de ça, sur tous les tests de logiques, raisonnements, réflexions, ou tests de compréhension écrite, il crevait le plafond. Il résolvait mes casse-têtes en 30 secondes chrono, percutait en un instant, il a appris à lire en un mois de CP. Mais, tout le monde à l'école le prenait pour un débile profond parce que quand il causait, ça donnait un espèce de petit nègre gloubiboulguien du genre "moto voiture vite rouler")
Parfois, ils sont tellement en souffrance et en décalage qu'ils s'enferment dans un mutisme sélectif ou total.
Parfois (souvent sur les profils complexes avec des scores hétérogènes), il y a une vraie dyssynchronie entre le niveau de maturité intellectuelle, et le niveau de maturité affective. Avec des gosses de 8 ans te causant et raisonnant comme des gamins de 16 ans (si on doit chiffrer dans les tests), mais avec un besoin de réassurance et d'affectivité et de cadre enveloppant digne d'un môme de 4 ans. Vla les angoisses que ça génère quand l'entourage du coup n'y prend pas garde et n'aide pas l'enfant à se rassurer dans son affectivité. ça donne des gamins ultra angoissés, anxieux, qui pleurent semblerait-il "pour un rien" (mais c'ets jamais rien quand tu prends le temps de comprendre en discutant avec le gamin de ce qui lui fait peur/le rend triste etc), qui font des cauchemars récurrents, ont du mal à dormir, ou d'autres manifestations du genre. Au quotidien, c'est vraiment ultra lourd et compliqué à gérer en tant que parent. Et puis aussi en tant qu'enseignant, d'autant plus quand tu n'y es pas sensibilisé.
Ce sont ces gamins-là qu'on récupère, pour lesquels les parents appellent et qu'on effectue des recherches de diagnostic. Je t'assure qu'en général, c'est pas pour se flatter et se dire qu'ils ont un petit surdoué à la maison.
A la base les parents n'en ont aucune idée, ils n'y pensent même pas. Et ce sont les petits éléments d'anamnèse, mis bout à bout, à force de gratter et d'observer le môme qui font que ce sont généralement les professionnels de santé qui évoquent l'hypothèse et envoie faire les tests.
Donc ouais, comme dit Fio, un peu de respect pour les parents. C'est pas facile tous les jours d'avoir un gamin comme ça. C'est même assez sport.
Et pour ce que tu évoques directement dans ton message :
Je pense que ça doit être tout de même assez rare les gens qui voient que leur gamin va bien dans tous les domaines de sa vie, n'a aucun souci, réussit haut la main, et qui se disent "tient, si on allait chez le psy lui faire passer des tests". Ces gens-là n'ont pas besoin d'attester en général (en général hein. Yen a ptetre. Mais pas chez nous).
Mais.
Quand, comme dans le cas de Centaure par exemple, l'enfant va bien, et que les instits le pointent en disant "ah, on dirait que celui-là, il fonctionne différemment, informons-en les parents", je trouve également que c'est une démarche saine. Et que si les parents informés décident d'explorer pour être sûrs, c'est pas plus mal. Quitte à ne pas informer l'enfant du diagnostic (ça se discute, mais ya aussi des pours et des contres sur ce sujet, on pourra en reparler).
Parce que quand on voit comment le vent peut tourner vitesse grand V suite à une poussière dans le mécanisme, un environnement qui se dégrade scolairement, un enseignant moins patient, etc, vaut mieux être au fait, voir venir, et anticiper le merdier que ramasser son môme à la petite cuillère parce qu'on aura préféré ignorer sa différence de fonctionnement.
C'est pas parce que ça va bien à un moment donné (surtout à 4 ans) que ça ira bien toute la vie (ça veut pas dire que ça ira mal forcément hein, mais tant qu'à faire, si tu peux avoir un aperçu de ce qui risque d'arriver, tu peux mieux t'y préparer et anticiper).
Et puis que le test soit "positif" ou "négatif", on s'en branle, l'essentiel est de comprendre que ces tests permettent d'avoir une photo du fonctionnement de l'enfant à un moment X, qui permet de le connaître mieux, comprendre plus facilement ses points faibles et leviers (points forts) et comment utiliser ces derniers au mieux. Parfois, ça peut dénouer des situations familiales conflictuelles en se rendant compte que notre attente en tant qu'adulte ne peuut aboutir de la façon dot on l'exige parce que roudoudou, lui il PEUT pas, il SAIT pas encore, et faudrait adapter comme-ci ou comme-ça pour que tout le monde soit content, qu'il soit HP ou non, déficient ou non, normal ou non. Et pouf, ça fait des chocapics dans l'esprit des parents, qui dans tous les cas, ressortent en ayant appris quelque chose sur leur môme et obtenu des pistes pour améliorer les choses qui forcément auront été évoquées à l'anamnèse.
(Et puis my2cents, 250-300€ pour un bilan de 3 à 5h voire plus + le temps de correction, d'étalonnage, de rédaction du compte-rendu et des tâches administratives annexes qui en découlent, c'est pas cher payé les loulous. C'est même un prix horaire plus que raisonnable pour quelqu'un qui aurait un bac+5 plus des formations annexes supplémentaires et un devoir de réactualisation permanente des savoirs + le prix d'investissement de base dans les batteries de tests qui coûtent un putain de bras. Et faut pas oublier qu'il y a +50% de charges pros, ça va pas dans sa poche hein.
C'est quand vous allez chez un orthophoniste pour le même temps de passasion et le même boulot en amont et aval en ne payant que 60€ pour un bilan que c'est du putain de vol pour le spécialiste, à moins de 5€/heure net. Mais bon, vive les tarifs fixés par la sécu et gelés depuis +10 ans).
Brayf.