La Compagnie des Chasseurs de Jade - Renaissance

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I - Raeniel

« Toute destinée, si longue et si compliquée soit-elle, compte en réalité un seul moment : celui où l'homme sait une fois pour toutes qui il est. »
Jorge Luis Borges

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Il avait fière allure, le Séraphin ! De l'eau dégoulinait de son armure de cuir, lacérée en plusieurs points. Sa longue cape évoquait à s'y méprendre une serpillère détrempée. Le sol de pierre grise n'en souffrait nullement, déjà fort souillé qu'il était par la boue laissée par les bottes de l'éclaireur. Le jeune homme tira un étui à parchemins de sous son plastron. Impassible, il le tendit à son interlocuteur.

Mépris. Voilà tout ce qu'exprimaient les yeux de l'officier tandis qu'il s'emparait du rouleau de cuir brun. Il l'ouvrit d'un geste sec pour s'emparer du parchemin contenu à l'intérieur. Son regard dédaigneux se porta alors sur les lignes qui se révélaient à mesure qu'il déroulait celui-ci. Sa voix s'éleva dans le vaste bureau, aussi froide et acérée qu'une lame.

"Alors, soldat. Est-ce là une tenue pour se présenter devant un supérieur ?
- Toutes mes excuses, Messire Chevalier. Je devais remettre cette missive dans les plus brefs délais et j'ai donc supposé que me changer ferait perdre un temps des plus précieux.
- Qui vous a demandé de penser, soldat ? Les gens de votre condition sont tout juste bon à faire ce qui leur ai demandé.
- Mes...
- Silence ! Je sais très bien qui vous êtes. Croyez-vous que vous aurez un traitement de faveur parce que vous descendez d'une lignée ascalonienne prétendument noble ? Des lâches qui ont fui leur cité, et qui aujourd'hui se targuent d'une noblesse qu'ils ne méritent guère. A croire que..."

La porte se referma avec bruit, stoppant net les propos du Chevalier. Les deux Séraphins se mirent au garde à vous, faisant résonner dans la salle le claquement sec de leurs talons. Le nouvel arrivant portait une simple armure de cuir et une épée longue battait le long de son flanc. Il émanait de lui la confiance et la tranquillité des maîtres d'armes de renom. Des cheveux blancs taillés courts encadraient un visage aux traits durs. Son regard, d'un vert profond, passa rapidement d'un interlocuteur à l'autre.

Il tendit la main, et le Chevalier mit grand empressement à lui remettre le parchemin dont il avait à peine commencé la lecture. Le remerciant d'un simple hochement de tête, le vieux maître d'armes parcouru le document. Une minute s'écoula lentement. Le silence régnait désormais dans le bureau, à peine troublé par les gouttes d'eau qui continuaient de tomber aux pieds du jeune éclaireur. Levant enfin les yeux du parchemin, l'homme porta sur le Chevalier un regard dur.

"Prenez cinq hommes, et allez renforcer la garde de Shaemoor.
- Mais mon...
- Ce n'était pas une suggestion, Chevalier."

Le Chevalier déglutit avant de saluer et de se retirer prestement. Il ne cherchait même pas à dissimuler sa surprise. Ses traits affichaient d'ailleurs ses efforts de réflexion pour tenter de comprendre ce qu'il avait bien pu faire de mal. Le maître d'armes reporta son attention sur le jeune éclaireur, son regard émeraude se radoucissant quelque peu.

"Ravi de vous revoir, Raeniel. N'en veuillez pas trop à Sire Vralen. C'est un idiot souvent aussi borné qu'arrogant, mais il manie fort bien l'épée et son courage est un plaisir à voir.
- Ce n'est rien, Maître Drunen. J'ai... l'habitude. Et cela fait longtemps que je ne m'en formalise plus."

Le vieux maître d'armes poussa un soupir quelque peu résigné. Ce qui allait suivre n'en serait que plus pénible... Par les Dieux, qu'il se sentait las. Il contourna le large bureau de bois massif qui trônait au centre de la pièce pour s'asseoir dans un confortable fauteuil réhaussé de cuir.

"Quoi qu'il en soit, ces quelques mois à Shaemoor devraient lui apprendre l'humilité, et peut être alors pourrais-je en faire quelque chose. Mais je vous en prie, asseyez vous."

Le maître d'armes désigna un des deux fauteuils de bois qui se dressait face à lui. L'intéressé haussa légèrement un sourcil mais obtempéra presque aussitôt. Depuis trois années, c'était bien la première fois que le Maître Drunen le faisait asseoir dans son bureau. Un bureau que la plupart des recrues redoutait, tant les colères de celui qu'ils appelaient le Vieux Lion étaient célèbres dans l'Académie.

"J'ai à vous parler Raeniel. Depuis que vous êtes entré au sein de la Garde Séraphine, la plupart de vos instructeurs ne tarissent guère d'éloges à votre égard. Toutefois, il semble que vous peiniez toujours à vous intégrer parmi vos compagnons ?"

Le jeune homme acquiesça en silence, puis passa nerveusement une main dans les mèches de ses cheveux blonds vénitiens. Il sentait son ventre se nouer, craignant la tournure qu'allait sans nul doute prendre la suite de l'entretien.

"Nous en avons déjà discuté à maintes reprises, Raeniel. Je connais vos ambitions.
Mais sachez qu'un bon officier doit avoir confiance en ses hommes s'il veut pouvoir gagner la leur.
- M..."

Drunen leva une main autoritaire, qui coupa net l'élan de son interlocuteur.

"Je n'imagine que trop combien tout celà doit être difficile pour vous. Je sais combien mes compatriotes peuvent parfois se montrer durs avec ceux que nous avons accueilli parmi nous. Cela fait si longtemps déjà que l'on pourrait croire que nous ne formons plus qu'un seul peuple. Mais certains comportements sont sans doute trop bien ancrés dans nos moeurs... Sans doute l'ignorez vous, mais j'ai servi autrefois aux côtés de votre mère."

Raniel haussa de nouveau un sourcil. Jamais elle ne lui avait dit qu'elle connaissait le Vieux Lion.

"C'est un des meilleurs officiers que la Garde Séraphine ait compté dans ses rangs. Une femme d'une grande valeur, dont vous avez hérité de nombreuses qualités. Et je ne peux que déplorer qu'elle n'ait jamais pu progresser au-delà du grade de Lieutenant pour des raisons qui ne devraient pas avoir leur place dans notre corps."

Un maëlstrom d'émotions contradictoires envahit le regard mordoré du jeune éclaireur. La fierté que les paroles du maître d'armes faisait naître en lui n'avait d'égale que la peur de ce qui allait suivre.

"Lorsque vous avez déposé votre candidature pour l'Académie Royale, j'ai personnellement soutenu celle-ci. J'ai l'intime conviction que vous pourrez être un excellent officier Raeniel, surtout si vous acceptez un jour de faire confiance à vos compagnons...".

Le frèle espoir qui habitait le jeune éclaireur s'embrasa. Il aspirait à devenir officier au sein de la Garde Séraphine depuis son plus jeune âge. Servir la couronne avec honneur et loyauté, protéger le peuple et maintenir la justice. Pouvait il y avoir plus noble voie ? Son rêve était enfin sur le point de se réaliser, après tant d'années d'efforts.

"Vous n'êtes pas sans savoir que le nombre de places au sein de l'Académie Royale est des plus limitée, obligeant à ne retenir que les meilleurs. Ainsi formons nous les futurs officiers de demain. Je dois vous l'avouer, cela ne remplacera jamais à mes yeux l'expérience du terrain. Après tout, j'ai obtenu mes galons sur le champ de bataille. Je crains qu'une des places réservée à la Garde Séraphine ne nous ait été soufflée par la Garde du Ministère, et il a fallu faire un choix des plus difficiles pour savoir laquelle de nos recrues choisies pour l'Académie Royale devrait céder sa place... Mais rassurez-vous, Raeniel, avec vos capacités je sais que malgré cette déconvenue vous pourrez avoir une promotion d'ici quelques années à peine..."

Soufflé comme la fragile flamme d'une bougie, l'espoir qu'entretenait Raeniel venait de disparaître, emportant avec lui son rêve le plus cher. De longues minutes s'écoulèrent, tandis qu'il prenait toute la mesure des paroles tenues par le maître d'armes. La déception fit lentement place à une colère glaciale. Ses yeux, d'habitude si doux, évoquaient deux billes d'or en fusion.

"Avec tout le respect que je vous dois, Maître Drunen. J'imagine qu'une telle décision n'a rien à voir avec mes origines ?"

Décidément bien las, le Vieux Lion ferma les yeux tout en poussant un long soupir.

"Je vous remercie pour votre franchise, Maître."

Raeniel se leva et tira lentement son épée hors de son fourreau sous le regard navré du maître d'armes. C'était une belle lame, qui lui avait été remise à la fin de ses classes. Combien avait été sa joie lorsque Maître Drunen lui avait remise en personne. Et combien il avait été fier de l'arborer devant ses parents... Il la jeta sur le bureau, avant de dégrapher la broche aux armes des Séraphins qui ornait sa cape.

"Adieu, Maître Drunen. Ce fut un honneur de vous avoir comme professeur".

Sans un mot de plus, Raeniel se dirigea vers la porte et sortit du bureau. Signe dérisoire de rébellion, il ne put se retenir de claquer celle-ci, arrachant un maigre sourire au vieux maître d'armes.

"Adieu, Raeniel. Ce fut un honneur de vous avoir pour élève."
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Dernière modification par Raeniel ; 13/08/2012 à 00h52.
Merci pour ces retours encourageant

Il s'agit non pas d'un bg individuel, mais d'une oeuvre collégiale visant à narrer l'histoire de la la Compagnie et, plus particulièrement, des Chasseurs de Jade eux-même.

C'est un projet quelque peu ambitieux que nous espérons bien pouvoir mener au bout, créant par la même un quatrième type de narration à ceux déjà proposés par Guild Wars 2. L'enjeu est d'écrire ensemble une histoire, dont nous serons tous les acteurs.

Si nous nous réservons (à priori) la partie écriture, nous comptons intégrer petit à petit les différents membres de la Compagnie, voire avec leur accord certaines personnes pouvant graviter autour de celle-ci.

Nous publierons peu à peu la suite de ce premier texte. Pour les plus impatients, elle se trouve déjà dans la bibliothèque de notre forum où le rythme de parution est un peu plus rapide il faut bien l'avouer .
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Une chaleur presque étouffante régnait dans la forge presque déserte. Manié avec expertise, le marteau donnait lentement forme à une barre de métal rougie dans le foyer proche. Chaque frappe la rapprochait de la lame qu’elle serait bientôt. Travailler le métal avait toujours permis à Raeniel d’évacuer sa colère ou d’oublier ses problèmes. Sculpter le matériau brut. Lui donner une nouvelle forme. Ne plus penser qu’à l’objet que l’on souhaite créer.

Torse nu, le corps luisant de sueur, il s’adonnait à l’art que lui avait enseigné son père, armurier et forgeron jouissant d’une certaine notoriété au sein de la Cité. C’était la troisième fois qu’il s’y reprenait. Deux lames gisaient dans un bassin d’eau en pierre. Deux échecs. Malgré ses efforts, l’ancien Séraphin ne parvenait guère à retrouver la concentration et la sérénité nécessaires à forger de bonnes lames. Mais, cette fois, sa passion pour le travail du métal ne parvenait guère à le distraire de ses préoccupations.

Il peinait grandement à se remettre du refus essuyé quant à son intégration au sein de l’Académie Royale. Son rêve de devenir rapidement officier au sein de la Garde Séraphine avait été balayé, pour des raisons qu’il peinait grandement à accepter. Depuis son plus jeune âge, il avait dû subir le racisme latent visant les descendants de ceux qui avaient trouvé refuge en Kryte. Mais jamais celui-ci n’avait eu un tel impact sur sa vie.

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Poussant un juron, il jeta la lame qu’il était en train de marteler dans la bassin d’eau. Une épaisse fumée en émana aussitôt. Raeniel poussa un long soupir face à ce troisième échec. Il était sur le point de s’emparer d’une nouvelle barre de métal lorsqu’il remarqua la présence d’un homme dans la forge.

Le jeune homme fronça les sourcils. Depuis combien de temps cet inconnu l’observait-il ? Des cheveux blancs coupés courts, une barbe taillée avec soin, une posture assez martiale et une épée longue en flanc. Tout en lui respirait le soldat, ou l’ancien soldat peut être à son âge. La quarantaine passée, ses traits étaient marqués et une cicatrice barrait son œil droit. Son regard, d’un bleu profond, avait la dureté des vétérans accomplis.

L’homme fit quelques pas en direction de Raeniel et s’empara d’une des épées qui reposait sur un présentoir. D’un œil expert, il apprécia la qualité de l’ouvrage avant de la reposer sous le regard du jeune homme.

"Une bien belle lame mon garçon. Est-ce là ton ouvrage ?"

Mon garçon. Dans la bouche de beaucoup, une telle familiarité aurait sans nul doute été choquante… et aurait peut être mérité réparation. Mais il n’était pas sans rappeler à Raeniel Maître Drunen, pour qui il avait tant de respect. Cela sonnait étrangement juste, si bien qu’il ne s’en formalisa aucunement.

"Oui messire.
- Bah. Laisse les donc les "messire" à d’autres. Appelle moi Aredan."

Le vétéran sourit avec chaleur, une chaleur communicative qui parvint à arracher à Raeniel une esquisse de sourire. Le jeune homme acquiesça du chef.

"Si je puis me permettre, j’ai le sentiment que vous n’êtes pas là pour admirer ces lames ?
- Perspicace. Le vieux Lion ne m’a pas menti sur ton compte."

Raeniel haussa un sourcil.

"C’est un vieil ami. Il m’a parlé de toi, et de ce qui avait motivé ton départ des Séraphins. Vois-tu, il sait que je cherche des hommes de talent. Plus particulièrement, je cherche des hommes qui savent à la fois se servir de leurs muscles… et de leur tête. Il parait que tu ferais très bien l’affaire, et je me fie à son jugement."

Une bouffée de fierté envahit le jeune homme, qui ne put retenir un sourire.

"Que voulez-vous donc de moi, Aredan ?
- Tu pourrais sans doute bien gagner ta vie en restant ici dans cette forge, mais d’après Drunen ce n’est pas là une vie faite pour toi… Je suis à la tête d’une petite compagnie de mercenaires, la Compagnie du Loup Gris. J’ai récemment perdu mon second au cours d’une opération et ton mentor m’a chaudement recommandé de t’engager pour le remplacer. La paye est bonne, avec de solides bonus pour ceux qui le méritent. Mais, surtout, je peux te promettre que tu vas avoir tout le loisir de voyager. Ce ne sera pas facile tous les jours, mais tu sauras enfin ce qu’est vraiment l’Aventure."

Tout cela allait beaucoup trop vite… Son départ des Séraphins. La forge paternelle que son père pensait désormais le voir reprendre, non sans une certaine fierté. Et maintenant… Second d’une Compagnie de Mercenaires ? C’était bien loin de son rêve. Mais après tout, si Maître Drunen l’avait recommandé à son ami c’était sans doute un homme d’honneur. Et l’aventure était bien plus exaltante que de forger des lames au cœur du Promontoir Divin…

"J’imagine que tu as besoin de temps pour réfléchir à ma proposition. je loge pour quelques jours à l’aub…
- J’accepte."

Ce fut au tour du vétéran de marquer un temps d’arrêt, un éclair de surprise traversant son regard saphir. Il retrouva presque aussitôt contenance, un large sourire éclairant ses traits.

"A la bonne heure. Retrouve moi donc ce soir à l’auberge du Lion Rouge, que nous puissions discuter des conditions de ton engagement.
- Très bien, Aredan.
- Capitaine Aredan, désormais."

Le vétéran sourit, adressant un clin d’œil à son interlocuteur.

"A tout à l’heure, Raeniel.
- Avec plaisir, Capitaine…"
La chaloupe s’approchait rapidement du rivage, portée par l’effort conjugué des rames et de la marée. Les hommes de l’équipage souquaient ferme, impatients de mettre enfin pied sur la terre ferme. Cela ferait bientôt un mois qu’ils avaient quitté leur port d’attache, et la perspective de manger autre chose que les rations du bord avait de quoi les enthousiasmer. Cette mission changeait des courses habituelles qu’ils menaient pour le compte de la Couronne de Kryte. Cette fois, il ne s’agissait pas de traquer les pirates qui s’en prenaient aux navires marchands krytiens ou d’escorter un convoi de négociants.

La Compagnie du Loup Gris avait pris la mer depuis bientôt cinq années. Sans doute grâce ou à cause de ses relations, le Capitaine Aredan avait été adoubé Chevalier de la Reine et il avait pu faire armer un navire à moindre coût. Quelques marins expérimentés, tous issus de la marine royale, étaient venus compléter l’équipage. En échange, ils avaient reçu une Lettre de Marque et étaient régulièrement missionnés par la Couronne. Les Loups Gris avaient ainsi quitté la terre ferme pour se forger rapidement une solide réputation comme Corsaires de la Reine.

Debout à l’arrière de la chaloupe, Raeniel surveillait d’un œil acéré la plage qui s’approchait rapidement, mais aussi et surtout la lisière de la forêt qui bordait celle-ci. De hautes bottes de cuir, des chausses sombres et une chemise blanche à col mousquetaire. Un pourpoint de cuir ouvert protégeait son torse et un baudrier courait de son épaule à sa taille, laissant pendre le fourreau de son épée. Plusieurs étuis de dagues de lancer étaient fixés à son épaule libre et à sa ceinture. Une barbe de plusieurs jours, des cheveux longs tombant aux épaules. Il était bien loin le temps du jeune Séraphin à la mine toujours impeccable. Enfin, presque toujours impeccable.

Une année s’était écoulée depuis que le Capitaine Aredan avait pris une retraite ô combien méritée, le laissant à la tête des Loups Gris. Malgré leur réputation, la perte de leur Capitaine n’avait pas été sans conséquence sur l’activité de la Compagnie. Si la Couronne leur confiait toujours quelques missions, ils avaient traversé une passe difficile, faute de contrats. Plusieurs de leurs compagnons avaient pris le parti de retourner à terre pour poursuivre leurs activités de mercenaires, réduisant d’autant l’équipage et par la même son efficacité.

Au moment où l’avenir de la Compagnie semblait au plus mal, un mystérieux commanditaire avec pris contact avec Raeniel. Un intermédiaire avait été chargé de mener les négociations avec les Loups Gris. Un agent, qui jamais ne laissa transparaître quelle pouvait être l’identité de son employeur. En temps normal, le jeune Capitaine n’aurait sans doute pas accepté une telle mission. Mais il ne pouvait guère se permettre de refuser un contrat.

La mission était, en un sens, relativement simple : explorer une île isolée et suffisamment perdue pour n’apparaître sur aucune des cartes en possession des cartographes du Promontoire Divin. L’île abriterait des ruines, où pourraient se trouver d’antiques reliques auxquelles celui, ou celle, qui les avait engagé semblait beaucoup tenir. Un léger sourire s’étira sur les lèvres de Raeniel. Sans doute s’agissait il d’un vieux noble qui comptait briller à la prochaine soirée tenue par le gratin du Promontoire en étalant ces trouvailles tout en contant de passionnants récits d’exploration… inventés de toutes pièces.

A l’avant de la chaloupe, l’un des deux marins chargés de surveiller le rivage, fusil en mains, lâcha un « hou » sonore. Les rames se dressèrent d’un seul et même mouvement, comme dardées vers les cieux. Portée par l’élan, la chaloupe s’échoua sur la plage. Aussitôt, les sept marins qu’elle transportait et leur capitaine sautèrent à terre. Deux s’emparèrent de bouts attachés à l’avant de la petite embarcation et commencèrent à tirer celle-ci sur le sable. Leurs compagnons se déployèrent rapidement en un demi-cercle ayant pour centre Raeniel. Leur façon de se mouvoir ensemble dénotait la rigueur presque militaire qui était leur, mais aussi et surtout leur habitude d’agir de concert.

Une fois la chaloupe entièrement sur le sable, Raniel lâcha quelques ordres brefs. Deux hommes demeurèrent pour protéger leur éventuelle retraite, tandis que les autres s’aventuraient dans la forêt, formant trois binômes afin de couvrir plus rapidement une plus grande surface.

C’est donc escorté de l’un de ses hommes seulement que le jeune Capitaine s’enfonça dans la luxuriante forêt. Il avait naturellement pris la direction de l’endroit qui lui paraissait le plus propice à des constructions. La baie dans laquelle ils avaient jeté l’ancre était naturellement protégée des vents par une falaise qui formait une digue naturelle, rendant le mouillage en ces lieux évident.

Le marin qui l’accompagnait s’appelait Urtel et il faisait partie des Loups Gris de la première heure. La quarantaine passée, des cheveux poivre et sel taillés courts encadraient un visage aux traits burinés. Il portait une tenue assez semblable à celle de son Capitaine, mais c’est un sabre qui pendait à son côté et deux pistolets étaient passés à sa ceinture. Après maintes années passées au sein de la petite compagnie mercenaire, il aurait amplement pu s’acheter une petite maison perdue dans les collines de la Vallée de la Reine pour y couler une retraite paisible. Mais ses frères d’armes formaient sa seule famille, sans compter qu’il était trop attaché à cette vie d’aventure.

La végétation était si dense qu’ils devaient tailler leur chemin à l’aide de grands coutelas qu’ils avaient pris en prévision. De nombreux oiseaux aux couleurs chatoyantes observaient les deux explorateurs depuis diverses branches d’arbres et lianes. C’est à peine si quelques rayons de soleil parvenaient à percer l’épaisse frondaison. Toutefois, à défaut de lumière la chaleur de l’astre se faisait amplement sentir.

Il leur fallut bien une heure pour parvenir aux abords de la falaise contre laquelle la luxuriante végétation venait s’écraser. Ils se mirent dès lors à longer celle-ci, s’éloignant encore de la plage. Une dizaine de minutes plus tard, les premiers signes de vestiges humains leur apparurent enfin. Des ruines, sur lesquelles la nature avait pleinement repris ses droits. Ne subsistaient que quelques arches et colonnes de pierre.

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Les deux hommes en profitèrent pour souffler un peu, observant la sauvage beauté des lieux. Raeniel s’empara du Cor à sa ceinture et souffla deux coups brefs. Leurs autres compagnons sauraient ainsi qu’ils avaient découvert le site, et passeraient à la deuxième partie de la mission : trouver des vivres et de l’eau pour les réserves du navire.

« Capitaine. »
L’interpellé leva les yeux dans la direction que lui désignait son compagnon. En plusieurs endroits, les pierres étaient noircies.
« Un incendie… Nous qui venions chercher des documents, cela commence mal. Bon, commençons à fouiller les environs. Avec de la chance, les anciens occupants avaient mis à l’abri ce qui était important.»
Le marin acquiesça du chef avant d’attaquer ses recherches, aussitôt imité par Raeniel.

La nuit n’allait pas tarder à tomber lorsque le jeune Capitaine finit par repérer un détail qui attira son attention. Il se trouvait dans ce qui devait être le bâtiment principal de cette petite colonie. Si l’on pouvait parler de colonie, les ruines pouvant laisser penser qu’il n’y avait à l’époque que trois bâtiments. Construit à flanc de falaise, il aurait été bien en peine de dire à quoi servaient les lieux tellement ceux-ci brillaient par l’absence de trace de leurs anciens occupants.

Il s’agenouilla devant le mur de roche, s’intéressant de près à celui-ci. De sa main gantée, il arracha la mousse qui cachait en partie une sorte de disque creusé dans la roche, dont l’intérieur était étrangement travaillé pour former une sorte d’ovale, bordé de cinq petits trous. Raeniel fronça les sourcils. Il tira de sous son pourpoint un petit médaillon d’acier que lui avait remis l’agent envoyé par leur commanditaire. L’objet aurait eu un lien avec ces lieux. Il observa pour la énième fois la petite tortue.

Son cœur s’accéléra tandis que l’excitation le gagnait. Il inséra l’objet dans la roche. Il s’emboîtait parfaitement. Il appuya légèrement. La tortue s’enfonça de quelques centimètres mais rien ne se passa. Un léger sourire s’étira sur ses lèvres. C’était une clef, après tout. Il voulut tourner la tortue d’acier mais la résistance rencontrée semblait trop forte. Il essaya dans l’autre sens. L’objet fit un quart de tour sur lui-même, sans difficulté aucune.

Des mécanismes se mirent en branle, et un léger grondement se fit entendre. Un pan entier de roche s’éleva devant Raeniel, dessinant une porte dans la falaise. Un souffle s’en échappa. Le jeune capitaine ne put réprimer un froncement de nez face à l’odeur de renfermé qui assaillit ses narines. Il se releva, son regard mordoré fouillant en vain les ténèbres du couloir de pierre qui s’ouvrait devant lui.

« Urtel !
- J’arrive ! »
Moins d’une minute s’écoula avant que n’arrive le vétéran. Il plongea son regard dans l’obscurité presque insondable, avant de maugréer dans son épaisse barbe.

« Et évidemment, nous n’avons pas pris de torches…
- Nous voilà beaux, tu ne trouves pas ? Quels talentueux explorateurs nous avons là, incapables de songer à s’équiper de lanternes avant de partir explorer des ruines.
- Faut dire qu’on pensait rentrer avant la nuit.
- Disons cela. Mais j’ai bien envie de visiter les lieux. Retourne à la chaloupe, et récupère de quoi nous éclairer. Je vais continuer de fouiller les lieux en attendant. Du moins tant qu’il fait encore un peu jour.
- Bien Capitaine. »

L’homme partit en petites foulées sur le sentier qu’ils avaient taillé pour venir, tandis que Raeniel reprenait la fouille des ruines.

Il faisait nuit noire lorsqu’il revint avec deux autres de leurs compagnons, éclairant leur chemin à l’aide de lanternes et transportant visiblement une pièce de gibier.

« Capitaine ! » lança Urtel. « Vlà le dîner ! vous ne voudriez pas plonger dans les entrailles de la terre le ventre vide ? »

Ses compagnons ponctuèrent sa question de rires brefs, et les quatre hommes se réunirent rapidement au cœur des ruines. Raeniel avait déjà préparé du feu, et il ne leur resta plus qu’à cuire la viande, qu’ils dégustèrent avec un plaisir non feint.

« Je n’aurais pas dit non à un p’tit verre pour arroser ça », lâcha Alenril, un solide gaillard qui n’avait pas son pareil pour manier les épées à deux mains.
« Ne t’en fais pas mon ami. Une fois revenus en mer nous aurons tout le loisir de mettre en perce un tonneau pour fêter notre réussite.
- A la bonne heure ! A la santé du Capitaine les gars !
- A la santé du Capitaine ! » reprirent en cœur ses compagnons.

Ce dernier sourit. Il s’était toujours senti à l’aise parmi les Loups Gris. Ils le respectaient pour ce qu’il était, sans tenir compte de ses origines. Et cela n’avait pas de prix à ses yeux. Chacun d’entre eux aurait donné sa vie pour lui, et il était prêt à faire de même. Il se leva.

« Urtel, tu m’accompagnes pendant que ces messieurs finissent leur dîner et surveillent ces ruines ? Je n’aimerai pas revenir et trouver porte close. »
L’intéressé se leva et fit mine de s’incliner tout en souriant.
« Après vous Capitaine. »

Eclairant leur route avec les lanternes, les deux hommes s’enfoncèrent dans le couloir de pierre. Raeniel s’attarda sur le levier proche de l’entrée qui commandait probablement l’ouverture de la porte. La rouille présente le dissuada toutefois de vérifier sa théorie. Il serait toujours temps de s’assurer de celle-ci si à leur retour la porte s’était refermée. Mais il était plus probable qu’elle demeure ouverte tant que personne n’actionnerait ledit levier.

Le couloir donna rapidement sur un escalier qui s’enfonçait plus profondément encore. Ils poursuivirent et débouchèrent ainsi sur une large caverne sur laquelle donnait plusieurs ouvertures. Si les murs étaient de roche brute, le sol était recouvert de large dalles de pierre. Au centre était gravé un disque contenant une tortue dont la carapace prenait la forme d’un écu stylisé.

Deux bannières en lambeaux encadraient la porte qui leur faisait face. De couleur bleu sombre, elles étaient frappées du même emblème : une tortue de jade à la carapace or, cerclée du même métal. Autant commencer par là. Fermée, la porte de bois vermoulu ne résista pas au coup d’épaule du jeune Capitaine. Qui grimaça tout de même légèrement tout en massant celle-ci, arrachant un rire à son compagnon.

Un nouveau couloir, bien plus long que le précédent. Au fur et à mesure de leur avancée au sein de la falaise, ils entendirent ce qui ne fut d’abord qu’un léger grondement : le choc répété des vagues s’écrasant contre celle-ci. Le bruit se faisait de plus en plus puissant à mesure qu’ils progressaient dans le tunnel. Ils finirent enfin par déboucher dans une grotte naturelle aux dimensions colossales. Si colossales que la simple lueur de leurs lanternes ne suffisait pas à en faire le tour.

Ils inspectèrent rapidement les lieux, découvrant des pontons de bois et de vieilles installations portuaires dans un état déplorable. Le métal avait rouillé, le bois était pourri à tel point que la progression sur les pontons devenait périlleuse…

« C’est assez vaste pour accueillir un navire, Capitaine.
Oui, c’était visiblement un port caché. Et je crois savoir par où ils passaient. »

Raeniel leva sa lanterne, éclairant le fond de la caverne face à eux. Une immense ouverture se découpait dans celle-ci, mais une impressionnante végétation tombait devant celle-ci, masquant toute lumière pouvant provenir de l’extérieur.

« Et dire que nous mouillons à quelques encablures de cette entrée…
- Pas étonnant qu’on l’ait ratée Capitaine. Avec toutes ces foutues plantes…
- Je doute que nous trouvions quelque chose d’intéressant par ici. Revenons sur nos pas. »

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Les deux corsaires reprirent donc leur exploration à partir de la salle dont le sol était marqué par l’emblème de tortue. Cette fois, ils trouvèrent ce qui devait être autrefois des bureaux. Les meubles avaient souffert des ravages du temps et l’humidité ambiante avait achevé les tapisseries qui ornaient autrefois ces salles richement décorées.

Ternis par les siècles et le sel, ces lieux conservaient malgré tout une certaine aura qui n’était pas sans émouvoir Raeniel. Une étrange sensation l’habitait, qu’il aurait été bien en peine de décrire.

Assis derrière un magnifique bureau façonné dans des essences rares, le squelette d’un homme accueillit les deux explorateurs. Assis dans un large fauteuil, il était à moitié couché sur un livre ouvert. Un encrier renversé et une plume gisaient près de sa main droite. Ses vêtements en lambeaux ne donnaient guère d’indice quant à sa condition.

Urtel écarta légèrement le corps, permettant ainsi à Raeniel de lire les écrits. Là encore, il n’y avait plus rien d’exploitable. Toutefois, il remarqua au cou de l’homme une petite chaîne en argent, où pendait une clef du même métal. Il la retira avec respect. Puis ils reprirent leur exploration du bureau, déterminés à découvrir ce qu’elle pouvait bien ouvrir.

« Ahah ! » s’exclama le vétéran.
Son compagnon leva les yeux et sourit. Le corsaire avait trouvé une petite niche dissimulée derrière un tableau, où trônait un coffre de métal. Le jeune capitaine s’approcha et entreprit d’inspecter celui-ci. L’ouvrage était extrêmement soigné et semblé totalement hermétique. Il glissa la clef dans la serrure, où elle s’inséra parfaitement. La clef tourna dans le mécanisme, et un léger nuage noirâtre s’en échappa.

Les deux hommes s’écartèrent vivement, mais trop tard. Ils se mirent à tousser violemment, mais se remirent rapidement et s’approchèrent de nouveau du coffre.

« Une chance pour nous que ce poison soit aussi vieux que tout le reste…
- Vous l’avez dit, Capitaine. »

Raeniel se pencha de nouveau sur le coffre, qu’il inspecta avec un peu plus de prudence. Il en tira deux bourses emplies de pièces d’or et deux rouleaux à parchemins. Il les ouvrit, pour découvrir des documents remarquablement bien conservés. Le premier contenait une carte, recouverte d’étranges symboles. « Des runes norns », commenta Urtel. Raeniel haussa légèrement un sourcil, avant de s’intéresser au second rouleau. Il en tira une liasse de documents, qu’ils se mit à parcourir.

« Des documents officiels visiblement. Je crois que c’était une compagnie marchande… Visiblement nous avons trouvé ce que nous étions venus chercher… »

Le sang du jeune Capitaine ne fit qu’un tour. Par trois fois, il relut en détail le parchemin sur lequel il venait de tomber.

« Tout va bien Capitaine ? »

L’intéressé roula les documents, songeur. Il rangea les deux rouleaux sous son pourpoint avant de tourner son regard mordoré vers son vieux compagnon.

« Oui mon ami, ne t’inquiète pas. Mais je crois savoir qui est notre mystérieux employeur. Finissons d’explorer les lieux, une longue route nous attend. »

Urtel n’insista pas. Il avait déjà vu ce regard et savait que poser des questions ne le mènerait nulle part.
Bien le bonjour !

Récit très agréable à lire, mes compliments
J'ai hâte de lire la suite.
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Jolane - Membre de la majorité quasi silencieuse -
Je crois que je peux compter sur les doigts d'une main (avec quelques doigts coupés) le nombre de textes RP/Background que j'ai pu lire en 13 ans de MMO de la qualité de ton premier que je viens de finir.

chapeau bas.
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