Petit essai:
Haiev de Wallice gisait au milieu de la clairière, les membres lourdement entravés par des fers. Son visage ensanglanté trahissait la fatigue. Agenouillé à même le sol, il ne bougeait pas. Une fine pellicule de neige recouvrait sa cuirasse, fendue de toute part. Seules les quelques volutes d’air condensé s’échappant par intermittence d’entre ses lèvres laissaient penser qu’il était encore en vie. Son regard était fixe, comme perdu dans perdu dans les limbes.
Un grand brasier se consumait dans la partie nord de la clairière, les flammes hautes saluaient avec chaleur l’astre nocturne. Une trentaine d’hommes étaient rassemblés autour, dévorant avec ardeur le produit de leur chasse. Ils avaient la haute stature des hommes du nord, les barbes broussailleuses, des visages crasseux à l’œil torve, le sourire mauvais. Un peu à l’écart, un géant en armure était installé sur un siège. Sa cuirasse sombre le recouvrait des pieds à la tête. Elle était parsemée de runes mystérieuses ; certaines rappelaient un oiseau, la marque du dieu corbeau, Tzeentch, seigneur du changement. De longues pointes ouvragées la jalonnaient, elles étaient encore rouges du sang dont elles s’étaient abreuvées plus tôt dans la journée. Avec une étonnante agilité, compte tenu de sa stature, il se leva et interpella deux hommes qui étaient devant lui et, lentement, il détourna la tête vers le prêtre de Sigmar ; ses yeux inhumains dardèrent en direction de sa proie.
Haiev songeait à l’embuscade. Thirus de Misar, le responsable de l’Ordre à Altdorf, l’avait chargé de rejoindre Praag. C’est en traversant la forêt de Reikvald qu’ils avaient été attaqués par l’avant-garde ennemie. L’affrontement fut rapide, d’une violence imparable. Les flèches s’étaient abattues en une pluie de mort sur son petit contingent, fauchant ses hommes avant qu’ils n’aient conscience de ce qui leur arrivait. Les survivants furent systématiquement massacrés. Malgré ses tentatives pour embrasser le funeste sort de ses camarades, les assaillants l’avaient enchaîné et mené à cet endroit.
La voix caverneuse du serviteur du chaos le fit sortir de sa torpeur.
« Alors petit prêtre, comment te sens-tu? Notre hospitalité te convient-elle? »
Haiev garda le silence, ses deux yeux bleu acier soutinrent le regard de son bourreau.
« Je prends çà pour un oui », ricana le géant. « Alors je suis au regret de te dire que la suite sera moins agréable. Nous savons que vous vous dirigiez vers Praag et nous sommes sûrs que tu es porteur de renseignements intéressants. Notre politesse ayant des limites, il va être temps de nous en dire un peu plus ».
Le prêtre continua à fixer d’un regard défiant son obscur interlocuteur.
« Même si je savais quoi que ce soit, je ne vous dirais rien, engeance du chaos…vous feriez mieux de me tuer dès maintenant »
L’un des deux hommes lui administra une rude bourrade dans le dos. Haiev tomba lourdement sur le sol, son visage s’enfonça dans le sol glacé.
« Te tuer petit prêtre? Tu vas mourir, çà tu peux en être sûr, mais rien ne presse, nous avons tout notre temps. Avant de mettre un terme à ta misérable existence, nous allons nous divertir un peu, te mettre un peu plus à l’aise, pour délier ta langue de bigot ».
Il fit un signe aux deux hommes qui hochèrent la tête en souriant. Une avalanche de coups déferla sur le prêtre, lui arrachant un cri de douleur. Bientôt, il ne bougea plus. Le géant le prit à la gorge et le souleva comme un fétu de paille. Ses yeux flamboyants éclairaient le visage du dévot d’une lueur écarlate.
« Je suis Horvald, serviteur de Tzeencht. Je connais bien la douleur et faire souffrir un homme est un art auquel j’accorde la plus grande importance. Crois-moi, avant la fin de la nuit, ton corps ne sera plus que meurtrissures et tu nous chanteras un opéra »
Plaqué contre un arbre, camouflé par l’obscurité, un homme observait la scène depuis l’orée du bois. Vêtu d’un long manteau sombre recouvrant l’ensemble de son corps, il était affublé d’un large couvre-chef orné d’un signe cabalistique qui lui cachait le visage. Lorsque le seigneur noir empoigna le prêtre et le souleva du sol, il dégaina un mousquet et visa.
« Au nom de Sigmar », murmura-t-il
La détonation fut sèche. La balle fila vers sa cible dans un long chuintement strident. Haiev eut un spasme lorsqu’elle pénétra sa poitrine, fouaillant ses chairs jusqu’au cœur. Il détourna lentement la tête en direction des bois et sourit.
« Merci », souffla-t-il avant de sombrer dans le néant.
Le guerrier du Chaos le jeta au sol avec rage et hurla des ordres à ses comparses.
« Retrouvez cet homme et ramenez le moi. Je le veux vivant », cria-il alors que ses sbires partaient déjà à la poursuite de l’inconnu.
Le mystérieux tireur courait entre les arbres avec une agilité de félin. Il y avait peu de chances que ses poursuivants le rattrapent. Il connaissait ces bois pour y avoir vécu une partie de son enfance. Lorsque l’aube poindrait à l’horizon, il serait déjà loin. Il repensait à Haiev, au regard qu’il avait eu avant de mourir. Il ne ressentait aucune culpabilité quant à son acte, il avait agi avec compassion. Mais, désormais, c’est la haine qui emplissait tout son être. Les sbires du chaos arpentaient ses terres, ses bois et cela il ne pouvait l’accepter. Le temps du jugement était arrivé et il en serait l’une des mains vengeresses.
(Extrait du journal de Kalhv de’Toroge, an 2517)