|
Une fois n'est pas coutume, quelqu'un va parler en bien de ses voisins.
Enfin, en bien ... ou presque. Les voisins en question habitent en face, ou peuplent le quartier. Ils sont étranges et effrayants, mais je les aime bien, justement pour cet aspect. Ma voisine d'en face est une femme ravagée par ... des suppositions, car je n'oserai jamais lui demander au détour de la conversation que nous n'avons pas, si elle a été anorexique ou héroïnomane, ou les deux, ou si son rapport poids/taille qui évoque celui d'un rescapé des camps est naturel. Tous ses efforts pour conserver un peu de féminité ne font qu'abonder dans le sens inverse. Ses robes légères dévoilent sa peau terne tendue par des os épais. Le khôl dont elle pense raviver ses yeux rappelle irrésistiblement le maquillage de Nosferatu dans le film de Fritz Lang. Elle collectionne des colifichets, des bijoux de pacotille, des verroteries, elle orne son cou décharné, ses poignets squelettiques, de couleurs et de matières, évoquant une momie parée d'offrandes mortuaires dans une certaine civilisation d'Amérique centrale. Elle rit souvent, et son rire ressemble exactement à celui des mortes-vivantes dans World of Warcraf. Elle me flanque la trouille, une trouille de gosse, diffuse mais réelle. Il ya aussi deux autres femmes dans le quartier, la mère et la fille, elles se tiennent le bras et se promènent toujours ensemble. D'âge avancé mais incertain, elles se distinguent par la corpulence et la couleur des cheveux. Mince et courbée, cheveux jaunâtres pour l'une Grande et dodue, cheveux grisâtres pour l'autre. A part cela, leurs traits sont semblables, à quelques rides près, et leur fumet de vieille sueur arrosée d'alcool également. Elles ont un attrait particulier pour les petits enfants, qui dès 3 ans, sont inquiets de voir ces trognes jumelles, ornées de poireaux identiques (sur le menton, là où ça pique quand on fait la bise) s'approcher en émettant des bruits de succion de leurs petites bouilles fraîches à eux . J'oubliais l'énorme sac à main qu'elles trimballent en se relayant, cadeau d'Yves Rocher, décati mais toujours d'active, mystérieusement bosselé par endroit. Mais que contient il donc? Je les ai intérieurement baptisées "The Witch Company". Dring dring - oui Allô? -bonjour madame, je voudrais parler à Madame Witch, siouplait -la mère ou la fille? Je les imagine rentrant dans leur petit et mystérieux logis, tombant le masque de la pauvreté et de la médiocrité, se redressant à l'abri des regards, l'oeil flamboyant, et saupoudrant le chaudron mijotant d'un ingrédient improbable. Il y a aussi un boucher dans mon quartier. Pas n'importe quel boucher. Celui de la chanson Celui de la chanson de Saint Nicolas, qui après cette ténébreuse affaire a du changer de nom, et prendre le sobriquet ridicule de Père Lustucru. Il n'est pas très grand, mais il est gros, ou plutôt, bien nourri. Son ventre tend son tablier blanc et rouge. Ses mains affûtent de grands couteaux. Quand il vous tend la droite pour recevoir le prix de sa viande, vous voyez sa paume blanche aux lignes illisibles. Son sourire dévoile ses dents, et sa voix de basse, rauque, a une façon de vous prendre aux tripes quand il vous lance "bonjour madame, bonjour les petits enfants"... Son crâne est lisse, dévoilant le pli de sa nuque épaissie par les travaux de force. Ses yeux bleus volent d'un détail à l'autre, vifs, attentifs. C'est l'ogre du Petit Poucet. Que l'anonymat est dur, pour les légendes. Et vous, vous en connaissez, des farfadets, des fées, des sorciers, des ogres, des goules, cachés sous le masque de l'anodin? |
31/08/2006, 14h23 |
|
Nerwen / Innana |
Voir le profil public |
Trouver plus de messages par Nerwen / Innana |