[Votre Feuilleton de l'été] Chapitre 6 : Le Bar.

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Chandler coupa le moteur et sortit de son véhicule. Il s’était garé selon le rituel consacré du vendredi : un créneau entre deux voitures, en prenant bien soin d’emboutir violemment le phare avant-gauche de celle de derrière, une Porsche toute propre et reluisante. Comme à chaque fois, il sortit un petit papier et un stylo de sa poche, écrivit soigneusement une petite note qu’il plia consciencieusement et qu’il coinça contre l’essuie-glace.

Il rangea tranquillement son stylo et parcouru d’un pas nonchalant les quelques dizaines de mètres qui le séparaient de son lieu de travail, un petit pincement au cœur en pensant que c’était la dernière fois qu’il venait ici dans le cadre de sa fonction. Ici, au Bar de JoL-City. Son aspect extérieur n’était pas très reluisant : une vieille façade jaunie par les années, aux volets décolorés et à la peinture écaillée encadrant une vielle porte en bois lardée d’inscriptions ésotériques. Il faisait pâle figure auprès de la devanture pimpante du magasin de jeux vidéos baptisé le Salon sis un peu plus loin dans la rue, ou du monument imposant et respectable de l’hôtel la Taverne situé en face. Mais tel le Kinder Surprise, ce n’était pas l’extérieur qui comptait pour l’inspecteur Chandler, mais bien le p’tit machin à l’intérieur qui fait du bruit quand on le gigote. En s’approchant de l’entrée, il hésita entre la porte normale et la porte de service. Il haussa les épaules et se contenta de vérifier que le cran de sûreté de son régulateur était bien enclenché, puis il frappa trois petits coups à la porte. Il se plaqua ensuite contre le mur, et quand une voix caverneuse émergea de l’intérieur pour demander qui était là, il ne répondit pas. Il attendit quelques secondes, puis recommença son manège. Au bout de la troisième fois, la porte s’ouvrit et le videur en extirpa sa carcasse verte et énorme.

« - Oh. Bonjour Chandler. J’aurais du me douter que c’était toi. » fit le géant d’un air las.
« - Salut K-Lagan. Comment vas-tu, yau d’poêle ? » fit l’inspecteur avec un grand sourire.
« - Euh, ça va bien. » K-Lagan hésita, et se souvint que Chandler était là pour son dernier jour. Il décida de faire un petit effort. « Et toi, l’à matelas ? »
« - Très bien, très bien, un beau vendredi qui s’annonce ! Et le vendredi, c’est jour de blague ! »
« - Ouais, il paraît. Bon, entre, ça fait des courants d’air. »

Le videur laissa passer l’inspecteur Chandler. Aussitôt, une grande bouffée de l’atmosphère confinée du Bar vint lui emplir les narines, et il inspira avec bonheur cet air si familier, mélange de vapeurs d’alcool, de transpiration et de bonne humeur. Il sourit, et, ses yeux s’habituant à l’obscurité intérieure, repéra par un réflexe lié à l’habitude les différentes personnes présentes et parmi elles celles qui pourraient poser problème. Un bref moment de silence se fit à son arrivée, puis les discussions reprirent comme si de rien n’était, après quelques saluts amicaux et quelques grincements de dents.

Le Bar était composé d’une seule et immense pièce emplie de meubles totalement hétéroclites, allant du vieux canapé en cuir beige jusqu’au siège en rotin et émaillée de tables diverses et variées. L’ensemble donnait une impression de capharnaüm sans nom, mais l’inspecteur savait bien que sous ses airs désordonnés, la pièce abritait des territoires bien délimités, et que l’on était jamais bien loin de l’incident diplomatique quand quelqu’un s’invitait à la mauvaise table. Ces codes, ces signes subtils, ces complicités et ces rivalités, c’est pour tout cela qu’il aimait cet endroit. Mais évoluer au sein de ce bouillonnement d’intrigues tout en restant neutre était éprouvant pour l’organisme et surtout pour l’esprit, et les années avaient émoussé sa motivation.

Passant d’une table à l’autre pour dire bonjour et pour vérifier que tout se passait bien, il put ressentir une tension beaucoup plus importante que d’habitude. Les sourires étaient crispés, les rires nerveux, les regards fuyants. Quelque chose n’allait pas, et ça se sentait. Les yeux qui se posaient un peu trop souvent sur le régulateur posé à sa ceinture ne laissaient guère de doute quant aux événements qui suscitaient ce malaise. Mais on était vendredi, et le vendredi, c’était jour de blague. C’était pour ainsi dire sacré, et ça permettrait peut-être de détendre un peu l’atmosphère. Chandler prit donc quelques instants pour composer mentalement son histoire, s’éclaircit la voix et voyant qu’il allait se lancer dans sa traditionnelle Blague du Vendredi, les conversations se turent.

« - C’est l’histoire d’un agriculteur qui demeure juste a côté de la ferme de notre ami ici présent, Foerdom. » commença Chandler en désignant un vieux monsieur tranquillement assis sur une chaise longue et qui parut surpris de se sentir devenir la cible de tous les regards. « Les deux gars s'étaient toujours bien entendus, jusqu'à ce qu'un événement fâcheux vienne troubler cette harmonie. L’agriculteur avait une poule qui pondait tous les matins et il allait ramasser l’œuf frais pour son déjeuner. Un beau matin, l’agriculteur aperçoit sa poule sur le terrain de Foerdom. Elle pond son oeuf et Foerdom le ramasse. L’agriculteur sort de la maison en vitesse et demande à Foerdom de lui redonner l’œuf. Celui-ci refuse car, dit-il, l’œuf a été pondu sur sa propriété et lui appartient donc. Les deux hommes argumentent pendant un bon moment, jusqu'à ce que l’agriculteur propose une solution : "Ecoute… Par chez nous, quand on a un litige qu'on ne peut pas régler et qu'on n'a pas de juge pour trancher, on utilise la méthode des couilles dures." "C'est quoi ça ? demande un Foerdom interloqué." "- C'est ben simple. Je te donne un coup de pied dans les couilles et je calcule combien de temps ça te prend pour te relever. Ensuite, tu me donnes un coup de pied dans les couilles et tu calcules combien de temps ça me prend pour me relever. Celui qui s'est relevé le plus vite a gagné." Après une brève hésitation, Foerdom accepte. L’agriculteur s'en va mettre ses bottes de construction, prend son élan en courant et donne un bon coup de pied dans les couilles de Foerdom. Notre pauvre ami tombe par terre et hurle de douleur… Il lui faut plus de trente minutes pour se relever. Lorsqu'il réussit finalement à se relever, il dit : "A mon tour maintenant." L’agriculteur répond alors : "Non, c'est bon. Tu peux te l'garder ton œuf !"

L’assemblée réagit selon son humeur et le rôle qu’elle voulait tenir, et des éclats de rire mêlés à quelques huées fusèrent au milieu de deux ou trois « OLOLOL PWNED FOERDOM § » et des chuchotements de quelqu’un qui n’avait pas compris. La tension baissa d’un cran et Chandler sourit, satisfait.

Quant à Foerdom, réagissant avec la susceptibilité des gens de son âge, il prit sa canne le plus dignement possible et quitta la pièce avec un air de dédain sur le visage. Sortant en maugréant, il regagna sa voiture, sa Porsche toute neuve qu’il ne cessait de bichonner depuis son acquisition il y a trois semaines, pour s’apercevoir qu’on lui avait défoncé le phare avant-gauche. Jurant à haute voix, il avisa un petit papier glissé sous l’essuie-glace. Il le déplia, le lut, le chiffonna et partit en trombe, faisant voltiger la note. En la dépliant, on aurait pu lire :

« Dis-donc le parvenu, apprends à te garer correctement, la prochaine fois ça m’évitera d’avoir à abîmer mon pare-choc. Si t’as la moindre réclamation, t’as qu’à m’envoyer un mail, connard !
Signé : Bardyel Wyld. »

On était vendredi, et le vendredi, c’était jour de blague.

* * *

En revenant dans les Privés et toujours en pleines spéculations, Edouard et Bbali tombèrent sur un attroupement devant la machine à café. Un jeune homme affublé d’un bob à rayures vertes et blanches se tenait debout sur une chaise et haranguait la foule sous l’œil dépité de son collègue qui se tenait, morose, dans un coin de la pièce.

« - Mais oui, comme je vous le dis ! » était-il en train de crier d’un ton exalté. « Grâce à ce bob (il le faisait tournoyer en l’air et se le passait d’une main à l’autre), vous allez pouvoir acquérir ma classe naturelle presque sans efforts ! Imaginez, toutes les posteuses et les posteurs à vos pieds pour assouvir vos moindres désirs, vos photos sur le journal du net, votre… »
« - Mais, le coupa quelqu’un, on va encore se retrouver accusés de sectarisme modatorial si on le porte tous, tu sais bien… »
« - Et puis, ajouta une jeune fille qu’Edouard identifia comme étant Camélias et qui provoqua au passage en lui un léger émoi au niveau de la ceinture, je voudrais pas dire mais t’as pas la classe du tout. »
« - Ouais, ajouta quelqu’un d’autre, il est moche ton bob. »

La foule se dispersa rapidement, laissant là un Keet désemparé et un Niwa goguenard.

« - La vache, fit Keet, mais ils ont aucun goût ces modos. Je me demande pourquoi je me barre pas sur le champ. Et réponds pas stp. » reprit-il en voyant Niwa ouvrir la bouche.
« - Des soucis les gars ? » lança Bbali en gardant l’air sérieux.
« - Ouais, répondit Keet, c’est la merde. Y a Slammy qui menace de me faire enlever mon bob, alors que c’est mon chapeau fétiche, mon gri-gri de la drague, celui avec lequel j’ai pour la première fois… enfin, qui m’a aidé à… enfin merde, c’est sentimental quoi ! »
« - Ben t’as qu’à aller voir chez nous, lui dit Edouard. Ils aiment bien les idées originales… »
« - Oh ouais, pas con ça ! fit Keet en qui la flamme se ralluma. Aller, j’y vais de suite, à plus les mecs ! »
Il quitta la pièce à grandes enjambées, laissant Niwa et les deux inspecteurs ensemble. Après un petit moment de silence où chacun regarda ses pieds, Niwa dit :
« - Il va se faire lyncher hein ? »
« - Ouaip. » répondit Bbali.
« - Ca lui fera du bien. Bon, je vous laisse, j’ai du boulot ! »
« - Ok mec. On comprend. Valider les portraits, soupeser soigneusement chaque choix, tout ça. Du boulot. Ouais. »

Ignorant royalement la remarque, Niwa repartit vers son bureau, avec en tête la photo prometteuse d’une jeune fille qu’il hésitait à conserver pour sa galerie personnelle, déjà bien étoffée. Les deux inspecteurs le regardèrent s’éloigner en silence, puis repartirent vers leur bureau pour s’atteler à leur rapport.
En cours de lecture

@Edit: Han, je suis Videur

Sinon j'ai adoré ce passage :d

Citation :
« Dis-donc le parvenu, apprends à te garer correctement, la prochaine fois ça m’évitera d’avoir à abîmer mon pare-choc. Si t’as la moindre réclamation, t’as qu’à m’envoyer un mail, connard !
Signé : Bardyel Wyld. »

On était vendredi, et le vendredi, c’était jour de blague.
Et olololol Niwa
Citation :
Publié par Soupir
« Dis-donc le parvenu, apprends à te garer correctement, la prochaine fois ça m’évitera d’avoir à abîmer mon pare-choc. Si t’as la moindre réclamation, t’as qu’à m’envoyer un mail, connard !
Signé : Bardyel Wyld. »

On était vendredi, et le vendredi, c’était jour de blague.



« - Il va se faire lyncher hein ? »
« - Ouaip. » répondit Bbali.
« - Ca lui fera du bien. Bon, je vous laisse, j’ai du boulot ! »
.
xptdr
Thumbs up
- erf, je me disais bien de ne pas tenter de lire celui-là sous peine de regretter de ne pas lire les autres..
(j'ai la plupart du temps un mal fou lorsque cela dépasse les quelques lignes)

quand je pense à toutes les sagas.mp3 qui pourraient naître sur JOL..

Talking
Message supprimé par son auteur.
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