NOIR - Chapitre 13

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Désolé pour le délai... un peu de déprime, mais c'est comme tout, ça passe



Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
Chapitre VIII
Chapitre IX
Chapitre X
Chapitre XI
Chapitre XII


CHAPITRE XIII

"Et maintenant, que fait-on ?" grinça Aarel.
"On se tait, et on attend."
Cela faisait maintenant plusieurs heures – cinq, d'après les estimations de Mahlin - qu'ils trottaient à bonne allure, mettant le plus de lieues possible entre eux et Bois-Ruisseau. Le jeune homme soupira. Il se sentait près à glisser de la selle tant la fatigue se faisait sentir. Depuis combien de temps n'avait-il pas dormi ? Ses yeux se fermaient tout seul, et seuls les petits coups secs que le cheval donnait aux rênes en avançant la tête l'empêchait de s'assoupir. Ca, et les commentaires d'Aarel, qui montait en croupe sur le cheval de bât qu'ils s'étaient vu attribué.
Devant eux chevauchait Ker, avec Shani devant lui sur la selle. Le guerrier-mage avançait sans un regard en arrière, comme si ses prisonniers n'existaient pas. Comme s'ils n'avaient pas les mains libres, comme s'ils ne pouvaient pas saisir leurs armes et l'attaquer.
"Il serait temps de songer à fuir" grommela Aarel. "Je ne tiens pas à être jugé pour un crime que je n'ai pas commis – si même il y aura un jugement."
"Ne sois pas ridiculement pessimiste".
"Donne-moi des raisons de me réjouir" marmonna le géant. "Trouve-nous un moyen de fuite. Tu n'es jamais à court d'idées, d'habitude."
"Ne sois pas ridiculement optimiste" répondit Mahlin en haussant les épaules.
Les deux retombèrent dans leur mutisme.
Ils avaient beau n'être entravés par aucun lien, il ne faisait aucun doute qu'ils étaient pris, et bien pris. Que pouvaient-ils faire ? Leur cheval de bât ne distancerait jamais le destrier de Ker, si jamais leur venait l'idée de tourner bride. Et le guerrier-mage s'était réservé une sécurité supplémentaire en prenant Shani devant lui. Il les avait bien prévenus: si jamais ils parvenaient, d'une manière ou d'une autre, à leur fausser compagnie, la jeune fille aurait à payer pour eux. Le plus effrayant, lorsqu'il leur avait dit cela, avait été sa voix, dépourvue d'émotion. Il ne faisait qu'énoncer un fait inéluctable. Qu'ils restent avec lui, et Shani vivrait. Sinon… Mahlin revit brièvement l'expression de l'homme alors qu'il souriait, et il déglutit.
Le jeune homme avait également songé un instant à profiter de leur liberté de mouvement pour tenter de maîtriser leur geôlier. Après tout, Ker leur avait laissé leurs armes et avait même tendu, sans sourciller, sa hache à Aarel. Quant à savoir où il l'avait récupérée, il n'en avait pas touché un mot.
Mais, bien sûr, l'homme se comportait ainsi car il savait qu'il n'avait rien à craindre. Les deux jeunes gens étaient moribonds, à peine capables de tenir sur scène, encore moins de se battre. Et Mahlin ne se rappelait que trop bien la mort rapide des gardes dans la prison. Ker savait se servir de son épée.
Comme si cela ne suffisait pas, une aura de lumière bleutée dessinait comme une sphère autour de l'homme, de Shani, et de leur monture. Un sort de protection, sans aucun doute. Quelle que fût sa fonction et sa puissance, il stopperait certainement tout ce que les jeunes apprentis pourraient tenter.
Par l'Arc-En-Ciel, dans leur état, même les Couleurs leur étaient inaccessibles.
Mahlin avait considéré l'idée d'utiliser le Rouge. Mais pour quoi faire ? Si même il recouvrait ses forces de manière illusoire, cela ne suffirait certainement pas à fuir – et il perdrait certainement la vie dans une telle tentative, combien faible il se sentait.
Si même ils y arrivaient, Shani restait un otage efficace pour Ker.
"Nous n'avons pas le choix" murmura-t-il. "Il faut le suivre… pour l'instant."
"J'ai la désagréable impression de n'avoir que peu eu de choix à faire, ces derniers temps" marmonna le géant, désabusé. "Est-ce qu'il y avait même un temps où nous avions notre mot à dire ?"
La voix du colosse n'était qu'un bourdonnement dans les oreilles de Mahlin alors qu'il se sentait de nouveau glisser en avant. Comment réfléchir dans l'état où il se trouvait ? Toutes ses pensées se confondaient, et l'envie de fermer les yeux se faisait irrésistible. Pendant un temps qui lui parut infini – une heure, peut-être ? – il tenta de résister.
Il se sentait glisser, glisser.
"Hey !" entendit-il vaguement.
Puis ce fut la chute, dure. Mahlin était au sol, la tête dans l'herbe, les tempes bourdonnantes. Il chercha à se relever, mais il se sentait si fatigué. Il tourna la tête pour voir Aarel reprendre les rênes. L'animal, obéissant, s'arrêta.
"Qu'est-ce qui se passe ici ?" fit une voix ennuyée.
De nouveaux sabots entrèrent dans le champ de vision du jeune homme, puis deux paires de bottes, alors que Ker sautait au sol. Loin, très loin, flotta la voix d'Aarel.
"Mahlin !"
Et celle de Shani.
"Mahlin !"
Ainsi elle se souciait de lui. C'était bien, très bien. Il se sentait bien.
"Descendez tous de cheval, nous allons dormir ici. Je vais m'occuper de lui." C'était la voix de Ker.
Quelques murmures incohérents. Quelqu'un lui posait une question, puis la réponse, nonchalante:
"Je ne peux pas me permettre de perdre une telle récompense aussi stupidement"
Mahlin sentit des doigts frais sur son visage, puis il sombra réellement.

La lune était pleine, dans un ciel sans nuage. L'air était frais et vif, revigorant. La lumière d'un feu de camp jetait des ombres diffuses alentour. Mahlin poussa un léger soupir.
"Il est réveillé" constata quelqu'un, hors de son champ de vision. Il souleva la tête.
Ils étaient tous autour de lui. Shani, Aarel. Ker. Il sourit faiblement.
"On dirait que je ne suis pas mort."
"Tu m'auras causé du souci" rétorqua Ker. "Mes Pouvoirs sur les Couleurs sont limités".
Alors seulement, Mahlin remarqua qu'il était attaché au sol, au centre d'un dessin de pierres plates, représentant grossièrement un pentacle. Les pierres luisaient doucement, tendrement, dans la lumière lunaire. La luminosité des torches semblait refuser de se mêler à cette tranquille clarté.
"Je suis ligoté" murmura-t-il comme pour lui-même.
Avec un sourire d'excuse, Aarel se baissa et coupa les liens avec un couteau.
"Tu te débattais, Ker n'arrivait pas à te soigner."
"Il m'a soigné ?"
"Cela fait une heure qu'il marmonne des incantations sans s'arrêter"
Mahlin essaya de se lever et, à sa grande surprise, y parvint. Il se sentait toujours fatigué, mais cela n'avait rien à voir avec la lassitude qui lui pesait auparavant. Soudain, il cilla.
"Combien de temps ai-je dormi ?"
"Une quinzaine d'heures, je dirais" fit Ker en se levant, époussetant ses habits. "Du temps perdu."
Mahlin resta un moment à le regarder sans parler, puis il se massa l'épaule.
"Merci" finit-il par murmurer, hésitant.
Ker se détourna en haussant les épaules.
"Tu vaux plus cher vivant que mort."
"Quelles que soient tes raisons, je te remercie" insista le jeune homme, se levant avec précaution.
"Ne me sois pas reconnaissant" ricana Ker, lui présentant toujours son dos. "A terme, tu mourras tout de même"
Mahlin en resta coi. Ses amis se réunirent autour de lui, alors que le guerrier se levait pour jeter une brassée de bois dans le feu; les flammes brillaient haut et clair et offraient une chaleur bienfaisante au c½ur de l'hiver.
Il n'y avait décidément rien à répondre à cela, rien à tenter pour le moment. Il soupira.
"Comment te sens-tu" s'enquit Shani, forçant le jeune homme à se rasseoir.
Mahlin lui sourit vaillamment.
"Aussi bien que possible. Bien mieux qu'hier."
"J'en suis heureuse. Merci de m'avoir sauvée" fit-elle simplement.
Il resta un instant interdit.
"T'avoir sauvée ?"
"A Longue-Rivière. A Bois-Ruisseau. Merci."
Mahlin jeta un regard rapide au guerrier-mage.
"Ne prononce pas le nom de Longue-Rivière ici" chuchota-t-il. "Nous avons déjà assez de problèmes comme ça."
"Il sait" fit valoir Aarel en haussant les épaules. "Visiblement, la nouvelle s'est déjà répandue."
Mahlin gémit.
"Fabuleux, tout simplement fabuleux." Puis il se tut, car Shani s'était encore rapprochée.
Il n'y avait pas la moindre trace de moquerie dans ses yeux alors qu'elle lui souriait, des yeux bien plus adultes et désabusés qu'ils ne l'avaient été une semaine auparavant. Elle était dangereusement près de lui.
"J'étais en train de te remercier" rappela-t-elle.
Luttant pour garder les idées claires, il revit rapidement ce qu'il avait fait pour elle dans les deux cas, et soupira.
"Honnêtement, je ne mérite pas ces remerciements. Je n'ai pas fait grand chose. Celui qui t'a sauvé de la prison, c'est Ker."
"Tu étais avec lui, n'est-ce pas ?" répondit Shani.
"Eh bien…" commença-t-il.
"C'est tout ce qui compte" conclut-elle. Puis elle se releva et marcha vers le feu. Le guerrier leva la tête à son approche. Il avait jusque là été perdu dans la contemplation des flammes, visiblement oublieux de ses prisonniers.
"Quand mangeons-nous ?" demanda-t-elle, impérieuse. Ker la regarda, le visage inexpressif.
"Pardon ?"
"Quand mangeons-nous ? Vous êtes censés nous ramener à vos employeurs vivants. Nourissez-nous."
Mahlin la regarda avec incrédulité. Le guerrier sourit vaguement.
"Tu trouveras de la viande séchée dans les fontes de mon cheval. Prends-en."
"Merci" répondit-elle en tournant les talons.
"A ton service."
La jeune fille disparut, happée par l'obscurité. Elle revint quelques temps après avec un lourd paquetage et entreprit de le déballer près du feu. Ker ne lui accordait aucune attention, mais Mahlin et Aarel se rapprochèrent et commencèrent à découper la viande pour la faire cuire. Ce fut durant ce travail que Mahlin remarqua un fait étrange. Il fronça les sourcils.
"Shani.. ton bras…"
"Oui ?"
"Tu te sers de ton bras pour couper la viande ?"
La jeune fille eut un sourire mi-figue mi-raisin.
"Notre geôlier m'a guérie il y a quelques heures, je ne sens presque plus rien. Il semblerait que mon infirmité handicapait sa progression."
"Il a aussi soigné certaines de mes blessures" fit valoir Aarel et, effectivement, ses coupures ne semblaient plus aussi profondes, et les rares qui restaient semblaient saines et en voie de guérison. "Quoique je ne lui ai rien demandé."
"Je vous veux en état de marcher" fit soudain Ker. Tous sursautèrent au son de sa voix, tant silencieux il avait été jusque là.
"Mais… vous avez dit vous-mêmes que vous n'aviez pas beaucoup de pouvoir, comment avez-vous pu les guérir ?" demanda Mahlin, intrigué. Il ne se sentait pas en position de poser des questions, mais sa curiosité insatiable reprenait le dessus. Ker lui lança un regard calculateur.
"Ma spécialité est le Blanc, je suis capable de lancer quelques sorts basiques. Ressouder un os n'est pas très difficile."
"Mais alors…"
"Ca a été beaucoup plus difficile pour toi. Tu avais perdu beaucoup de sang, et le peu qui t'en restait était presque entièrement corrompu par le Rouge."
"Je n'avais aucun os cassé, pourtant.."
"Là n'est pas le problème. Il est beaucoup plus facile de guérir un os que de créer du sang à partir de rien."
"Vous n'êtes pas un mauvais homme" fit soudain observer Shani. Ker détourna son attention sur elle.
"Pardon ?"
"Vous n'êtes pas un mauvais homme. Vous ne vous comportez pas comme un geôlier le devrait. Vous discutez avec nous, vous nous laissez libres et vous répondez à nos questions."
Ker haussa les épaules.
"Vous êtes mes prisonniers. Vous ne pouvez pas fuir. Pourquoi devrais-je me montrer désagréable ?"
"Pourtant, vous m'avez laissé aller chercher la viande dans vos sacoches de selle. J'aurais pu prendre votre cheval et m'enfuir, vous n'auriez pas pu me rattraper."
"Je savais que tu ne le ferais pas. Tes amis auraient souffert pour cela."
Shani soutint son regard.
"Nous valons plus vivant que mort, c'est vous-même qui l'avez dit."
"Mes talents de guérisseur sont à double tranchant. Je peux infliger beaucoup de souffrance sans tuer, ni même handicaper" répondit tranquillement Ker. Au son de sa voix, on aurait pu croire qu'il discutait plaisamment avec un ami de longue date. Shani baissa enfin les yeux.
"Je retire ce que j'ai dit. Vous êtes un monstre."
"Te voilà plus proche de la vérité."
"Pourquoi faites-vous cela ?"
Pour la première fois, une expression qui pouvait passer pour de la surprise passa sur le visage de l'homme.
"Pour l'argent, quoi d'autre ? Mille cinq cent écus représentent une somme fabuleuse."
"Vous êtes méprisable."
"Mais je vais être riche."
Aarel et Mahlin avaient assisté à l'échange sans mot dire, faisant cuire la viande avec des gestes mécaniques et la mangeant tout aussi mécaniquement. Pourtant, la nourriture méritait qu'on s'y arrête, car son goût était réellement délicieux, et cela semblait faire une éternité que les deux jeunes gens n'avaient mangé. Shani aussi semblait affamée, et elle se décida à abandonner la discussion pour se sustenter. Le silence s'installa, à peine troublé par les bruits habituels d'une plaine la nuit. Ker les regarda un instant manger, puis sortit son épée et commença à l'affûter avec une pierre à aiguiser. Les sweeez sweeez de la lame couvrirent tous les autres bruits durant le repas.
Puis Mahlin ferma les yeux et se tendit vers les Couleurs. Si jamais ils voulaient s'enfuir, le moment était bien choisi. Ker était assis et devrait se lever avant de pouvoir agir, ce qui lui ferait perdre quelques précieuses secondes. De plus, il ne pouvait s'attendre à ce que ses prisonniers tentent de se rebeller aussi tôt, et certainement pas en plein milieu du repas. Il se tendit vers l'Orange sans hésiter. Une couleur puissante, aux flammes ronflantes. Exactement ce dont il avait besoin.
Et rencontra un obstacle.
Entre lui et les Couleurs se trouvait une barrière cristalline, presque invisible mais luisant doucement sous les lumières de l'Arc-En-Ciel. Fronçant les sourcils, il essaya de pousser la barrière mentalement, mais elle ne bougea pas, ne frémit même pas. Il chercha à l'enfoncer, à se jeter de tout son poids sur elle, mais son corps n'était pas réellement là, et il n'arrivait pas à influencer de manière significative l'espace qui l'entourait. Il rouvrit les yeux.
"Je ne te soignerai pas de nouveau" observa Ker.
"Pardon ?"
"J'ai pris soin de placer une barrière entre vous et les Couleurs. Simple mesure de précaution. Je ne veux pas que vous vous blessiez en jouant avec ce que vous ne comprenez pas."
Mahlin grinça des dents. Aarel, à son côté, remua.
"Je pourrais vous sauter dessus et vous maîtriser" observa le géant.
"Mais tu n'en feras rien. J'ai mon épée en main" répondit doucement Ker.
"Quelle importance, puisque nous allons mourir de toute manière ?"
Le guerrier sourit légèrement, puis redevint impassible.
"Parce que vous gardez l'espoir, en toute circonstance. Même maintenant, vous êtes convaincus que vous allez vous en sortir, d'une manière ou d'une autre. Et vous allez attendre votre heure."
Aarel bondit.
L'instant d'avant il était assis tranquillement près du feu, écoutant son geôlier, visiblement découragé; la seconde d'après il fondait sur lui. Dans sa main se trouvait une branche morte au bout enflammé, celle-la même qu'il avait utilisé pour faire cuire la viande.
"Mahlin, Shani, avec moi !" criait-il.
Mahlin resta un instant interdit, puis se leva enfin pour assister son ami. Shani était déjà debout.
Il y eut un éclair d'acier et Aarel poussa un hurlement. La branche tomba sur le sol, coupée net, alors qu'il portait les mains à son visage. Le sang coulait entre ses doigts.
Debout devant lui, toujours aussi impassible, Ker rengainait son épée.
"Je ne t'ai pas gravement blessé, mais tu garderas la marque sur ton visage. La prochaine fois, tu perdras un oeil."
Il sortit de la clairière d'un pas vif et ne tarda pas à revenir avec un rouleau de corde. Aarel avait cessé de gémir et grognait sur le sol, mais il refusait toujours d'écarter ses mains du visage pour que ses amis puissent voir l'étendue de la coupure.
"Je n'aimerais pas vous estropier plus que nécessaire. A la moindre incartade, je vous attache pour que vous ne me causiez plus de problèmes. C'est compris ?"
La lame était de nouveau nue, et désespérément proche du visage de Mahlin. Il déglutit.
"Ou…oui."
"Parfait. Asseyons-nous, reprenons le repas, et oublions cet incident." Il se tourna vers le géant. "Cesses de te conduire en enfant. La blessure est peut-être douloureuse, mais elle n'est pas dangereuse."
Aarel finit enfin par sortir de sa prostration et ses mains retombèrent. Le sang avait déjà cessé de couler, mais une entaille parfaite était désormais visible sur son visage, partant de son arcade sourcillière droite pour descendre jusqu'au bas de la joue. Il leva la tête et une dangereuse lueur brillait dans ses yeux. Pourtant, il finit par s'asseoir.
"Je vous tuerai" gronda-t-il.
"Nous verrons cela" répondit plaisamment le guerrier. "Donnez-moi de la viande en attendant." Il prit un morceau près de lui et commença à manger, ne s'interrompant que pour sourire au groupe. "Ne pensez pas que je sois vulnérable lorsque je mange. Si vous voulez vous en assurer, vous y perdrez un ½il."
Son repas se déroula sans que personne ne bouge.
Mahlin réfléchissait à toute vitesse. Il y avait certainement quelque chose à faire ! Ils n'étaient pas entravés, ils étaient trois, ils pouvaient certainement se débrouiller pour fuir.
Mais à chaque fois, il revoyait le mouvement fluide et méprisant de l'homme, la manière dont il s'était levé avec une lenteur affectée pour bloquer, paresseusement, l'attaque d'Aarel et riposter d'un simple coup.
Ils n'avaient aucune chance. Et tous restèrent muets. Shani passa un moment à panser la blessure d'Aarel, versant un peu d'eau sur du tissu et nettoyant la plaie. C'était une coupure parfaitement nette, mais mieux valait ne rien laisser au hasard.
Ker finit par terminer son repas, s'essuya les doigts, et sourit.
"Je vois que vous êtes devenus plus raisonnables. Discutons."
La lune était haute dans le ciel, et il devait être plus de minuit. Malgré les quinze heures qu'il avait présumément passées à dormir, Mahlin se sentait fatigué. Peut-être fut-ce pour cela qu'il répondit avec agressivité.
"Discuter de quoi ? Nous sommes vos prisonniers, nous ne pouvons rien faire. Vous allez nous amener à vos employeurs, toucher votre or, et le dépenser en filles et en boisson. Qu'y a-t-il d'autre à dire ?"
Ou peut-être était-ce son impuissance qui le minait ainsi. Il avait toujours rêvé d'être un jour un puissant magicien; ses désirs avaient été exaucés par l'arrivée de Barell Khorr, mais désormais tout cela semblait très loin, et sa carrière prometteuse risquait de s'achever avant même d'avoir commencé.
"Je te sens amer" constata Ker. Mahlin manqua s'étouffer, mais n'eut pas l'occasion de placer un mot. "Globalement, tel va effectivement se dérouler notre voyage. J'ai néanmoins quelques questions à vous poser, auxquelles j'aimerais des réponses précises."
"Sinon ?" demanda Aarel.
"Je ne pense pas qu'il soit utile de repréciser tous ces détails inutiles" fit Ker.
Shani et Aarel se tournèrent vers Mahlin. Le jeune homme soupira.
"Quelles questions ?"
"Voilà qui est mieux."
Ker recula de deux pas pour s'adosser à un arbre, assis en tailleur, son épée sur les genoux. Il remballa la pierre à aiguiser avec des gestes précis, puis enfin reporta son attention sur eux.
"Plusieurs questions. Beaucoup de questions. En fait, énormément de questions." Il haussa vaguement les épaules. "Par exemple: ce n'est pas vous qui avez tué le groupe de Chasseurs, n'est-ce pas ?"
Aarel poussa une exclamation étouffée. Shani posa la main sur son bras pour le calmer et répondre avant lui
"Ce n'est pas nous."
"Comment le savez-vous, alors que visiblement tout le monde nous recherche pour cela ?" s'enquit Mahlin.
"A vous trois, vous ne seriez pas même capables de tuer un seul Chasseur, et certainement pas tout un Groupe. Vous avez du potentiel, mais aucun entraînement."
Mahlin sentit l'espoir monter en lui.
"Mais alors, vous nous croyez innocents !"
"Cela ne change rien aux mille cinq cent pièces d'or que vous valez" observa Ker.
L'espoir retomba.
"Oh" fit Mahlin.
"Vous êtes prêts à nous amener à la mort même en sachant que nous sommes innocents ?" s'enquit Aarel, incrédule.
"Pour une telle somme ? Oui." répondit Ker.
"Vous êtes un monstre" siffla Shani.
"Vous me l'avez déjà dit. Essayons d'avancer un peu et mettons nos sentiments de côté" répliqua Ker sans s'offusquer.
Mahlin ne parvenait pas à se mettre en colère. Il n'arrivait pas à partager les sentiments de Shani. L'homme en face d'eux semblait ne donner aucune prise aux émotions. Il n'avait aucune haine à leur égard, pas même de l'animosité. Certaines de ses actions suggéraient même de la sympathie, voire de la pitié ? Pourtant, il n'hésitait pas à les vendre au plus offrant, et les mutilerait si nécessaire pour cela. Non, Mahlin ne parvenait pas à se mettre en colère. Il avait trop peur pour cela.
"Ce n'est donc pas vous qui avez supprimé ce Groupe de Chasseurs" conclut tranquillement Ker. "Mais vous êtes impliqués. Racontez-moi ce qui s'est passé."
Il se tourna vers Aarel, qui se tourna vers Mahlin. Le jeune homme quêta le soutien de Shani, mais elle le regardait aussi, dans l'expectative. Fabuleux, tout bonnement fabuleux. Qu'allait-il pouvoir dire ?
"C'est un peu compliqué…" fit-t-il, hésitant.
"J'ai tout mon temps. Mais je connais la vérité sur certains points. N'essaie pas de me mentir."
Le jeune homme resta un instant muet, puis perçut un infime signe de tête de la part de Shani. Ce fut assez pour le décider. Ils n'avaient pas grand chose à perdre dans l'état actuel des choses.
"Tout a commencé par une course que nous sommes allés faire en ville…" commença-t-il.
Le feu mourut lentement pendant la discussion, les braises s'éteignant les unes après les autres. Aarel tisonna un peu le foyer, sans grande conviction, mais il ne chercha pas à remettre du bois.
"…c'est alors que notre maître a entonné une incantation gutturale" continuait le jeune homme, frissonnant au souvenir du sort qui en avait résulté. "Visiblement, les Chasseurs savaient ce qu'il cherchait à faire, car tous semblaient terrifiés."
Ker se pencha en avant, subitement intéressé. Il avait jusque là suivi l'histoire avec une considération polie, un demi-sourire aux lèvres, comme s'il hésitait à démêler le vrai du faux ou, mieux encore, comme s'il savait parfaitement que Mahlin mentait et attendait que celui-ci fasse un faux pas. Mais le jeune homme, jusque là, n'avait dit que la stricte vérité.
"Tu dis qu'ils étaient terrifiés ?"
"Plus que terrifiés" murmura Mahlin. "Terrorisés"
"Le mage blanc semblait hystérique" renchérit Shani. "A croire qu'il savait sa mort inéluctable."
"C'est donc à cet instant qu'ils sont morts ?" s'enquit Ker.
"J'y viens" pontifia Mahlin. "Donc, lorsque maître Khorr a commencé son incantation, ils ont cherché à l'interrompre par tous les moyens. Les guerriers-mages tentaient de l'atteindre de leurs armes, tandis que le magicien blanc lançait sort après sort."
"Et cet autre homme, ce… ce Dous ?"
"Il ne bougeait pas, comme si cela ne le concernait pas vraiment. D'ailleurs… mais vous allez voir." Pris par son histoire, Mahlin ne pensait plus à Ker comme à un geôlier. Il n'était que son auditoire. Il fit une pause dramatique, puis reprit: "Barell Khorr se tenait au centre d'un pentacle de Garde, et les armes n'ont pas réussi à le toucher. C'est alors que…"
"Les sombres imbéciles" gronda Ker. "Pourquoi le Mage ne s'est il pas servi de ses Guerriers comme amplificateur de son Pouvoir. Votre maître ne pouvait se battre seul contre huit."
"Ils l'ont fait" intervint Aarel. "Ils ont essayé de l'engloutir sous les flammes." Il frémit en se rappelant la chaleur qui s'était dégagée de la fournaise à ce moment là. "Mais ça ne lui a rien fait."
"Impossible."
"C'est ce qui s'est passé" confirma Shani.
"Vous nous demandez la vérité" renchérit Mahlin, "à vous de l'accepter."
Ker secoua la tête, incrédule.
"Un pentacle de Garde pouvait le protéger contre les armes, même s'il faudrait une puissance impressionnante pour arrêter aussi facilement sept Chasseurs aguerris. Mais cela ne pouvait certainement pas bloquer un sort Amplifié."
"Peut-être le mage blanc n'était-il pas si puissant que cela" avança timidement Shani.
Mais Ker secoua de nouveau la tête.
"Non. Je connais – connaissais – Vil. Ce n'est pas un diplomate, et ses manières sont parfois très brusques, mais c'est – c'était – un puissant magicien; il n'aurait pu être à la tête d'un Groupe de Chasse autrement."
"Mais…" commença Mahlin.
"Continue ton histoire, nous verrons après."
Le jeune homme s'exécuta, relatant avec force détails l'achèvement de l'incantation et les forces terrifiantes invoquées par leur maître. Il avait hésité durant tout son récit à laisser cette partie de côté, ou bien à changer certains détails – comme de faire lancer à Barell un autre sort, tout aussi efficace, mais n'appartenant pas au Noir. Mais, au fur et à mesure qu'il parlait, il s'était rendu compte qu'une simple entorse à la vérité risquait de rendre son histoire plus bancale qu'elle n'était déjà, ce qui n'était pas peu dire. S'il voulait vraiment que Ker le croie, il valait mieux ne pas improviser.
Donc il parla de la Mort sur son char, de l'odeur putride et de la poussière de tombe, des expressions d'horreur figée dans la mort qu'arboraient les chasseurs... et le guerrier-mage poussa un juron.
"L'incantation. L'incantation, tu te souviens de certains mots ?"
Mahlin hésita, puis fronça les sourcils pour donner l'impression de réfléchir. En vérité, il s'en souvenait fort bien, mot pour mot. Il avait toujours eu une bonne mémoire, et ce moment en particulier était resté gravé en lui. Mais il poussa un soupir.
"Je ne sais pas… je ne me rappelle plus vraiment… Une histoire d'Accord et de Passage, de Sceau brisé..."
"Les Sceaux sont brisés, les runes sont détruites" murmura Aarel comme dans un rêve.
Ker se tourna vers lui, surpris.
"Que dis-tu ?"
"Aarel !" grinça Mahlin, espérant stopper le géant par la force de son regard.
Peine perdue.

" Les Sceaux sont brisés, les Runes sont détruites !
Démons, répondez à mon appel ! Ce monde est le vôtre
Rejetez les chaînes du Pacte des Dieux,
Empruntez la Voie et respectez nos Accords
Le Sang versé vous ouvrira le Chemin
Venez, et obéissez, car la récompense est grande"

Aarel s'interrompit, à bout de souffle.
"C'est ce qu'il a dit, au mot près. Je pense que je m'en souviendrai toute ma vie."
Mahlin grinça des dents, frustré. Il aurait aimé garder cette information secrète. Une incantation aussi puissante n'était certainement pas inconnue au sein de l'Ordre des Mages. Or, il n'y avait pas à s'y tromper, c'était un sortilège Noir. Il secoua tristement la tête. Moins ils en diraient sur leur maître, mieux ils s'en porteraient. Il en était convaincu.
Pourtant, Ker ne donna pas l'impression de reconnaître l'incantation. Il restait les yeux dans le vague, perdu dans ses pensées. Les autres attendaient sans bouger. Il finit par relever la tête.
"Et quel a été le résultat de cette invocation ?"
"Eh bien…" commença Mahlin, gêné.
"Qu'est-ce qu'un démon ?" interrompit Shani.
"Pardon ?"
"Qu'est-ce qu'un démon ? Cette incantation parle de démons."
Aarel s'était lui-même posé la question, mais il n'y avait trouvé aucune réponse. Et il n'aurait jamais songé à demander ainsi de but en blanc à Ker, en plein milieu du récit. Mais ainsi faisait Shani. Il ne manquait plus qu'à Mahlin de commencer à disserter sur le sujet pendant des heures, s'inspirant de ses lectures.
Mais le jeune homme restait silencieux, les mâchoires crispées. Il paraissait frustré. Aarel resta songeur un instant, puis se détendit. Non, Mahlin ne savait pas non plus de quoi il s'agissait. C'était certainement pour cela qu'il se montrait aussi fermé. Il détestait montrer qu'il ne connaissait pas un sujet.
Ker n'avait pas l'air plus versé sur le sujet. Il se passa la main dans les cheveux, le premier geste innocent que les jeunes gens aient vu chez lui. Tous ses mouvements, jusque là, avaient paru si calculés, si efficaces…
"Je ne sais pas" finit-il par avouer. "Mais je n'aime pas cela. Continue ton récit" ajouta-t-il, faisant signe du menton à Mahlin.
Le jeune homme sursauta, puis acquiesca brièvement.
"Ils ont été balayés" fit-il simplement. "Tous sont morts sur le coup"
"Tous ?" s'enquit le guerrier sans plus montrer la moindre émotion.
"Tous. Presque tous. Laissez-moi terminer" protesta Mahlin.
Il attendit que le silence se fit avant de reprendre. Encore une fois, il hésita à décrire ce qui s'était passé, puis se lança.
"Il y a eu… je ne sais pas comment le décrire… une sorte de tache de noirceur qui s'étendait, continuait à s'étendre et nous recouvrait tous. On ne pouvait plus rien voir. Les incantations du mage blanc ont été comme noyées, comme absorbées par ces ténèbres… et j'ai perdu connaissance."
"Moi aussi" compléta Aarel.
Shani n'intervint pas. Ce qui s'était passé là-bas était nouveau pour elle. Bousculés par les événements, pourchassés, ses compagnons ne l'avaient mis que brièvement au courant, et n'étaient pas entrés dans les détails. Mais ce qu'ils racontaient actuellement dépassait ses suppositions les plus osées. Etait-ce une idée de Mahlin pour semer la confusion chez leur geôlier ?
Si confusion il y avait, elle était bien cachée. Ker arborait un visage serein alors qu'il contemplait ses prisonniers.
"Et lorsque vous avez repris connaissance…" incita-t-il.
"Lorsque nous avons repris connaissance, nous étions les seuls survivants" fit Mahlin. "Tous étaient morts, dans la même position, un air d'horreur absolue sur le visage. Comme s'ils.. comme s'ils avaient vu la mort."
Le silence s'installa, et dura un certain temps. Le feu s'était éteint, et la nuit semblait plus froide que jamais. Shani se rapprocha imperceptiblement, mais il ne la remarqua pas. Son attention était fixée sur Ker. Et Ker regardait les étoiles.
"Voilà une histoire intéressante" finit par dire le guerrier. "Totalement incroyable, mais intéressante". Mahlin esquissa un geste de protestation, mais Ker n'entendait pas se laisser interrompre si facilement. "A peu près aussi incroyable, somme toute, que de voir trois apprentis magiciens se débarasser d'un groupe de Chasseurs expérimentés."
"Mahlin a dit la vérité !" protesta Aarel.
"Bien sûr, bien sûr" concéda Ker avec un sourire déplaisant. "Mais ensuite ? Que s'est-il passé ensuite ?"
Il fallut encore lui raconter le meurtre de Barell Khorr par un Dous qui avait mystérieusement survécu au sortilège, puis la tentative du même Dous de mettre fin à leur jour. Mahlin décrit complaisamment l'homme pour Ker, mais celui-ci secoua la tête.
"Cela ne me dit rien. Je ne connais pas tous les mages, bien entendu. Mais cet homme ne fait en tout cas pas partie des Violets les plus en vue."
"Il ne faut pas oublier qu'ils sont les maîtres de l'illusion" fit remarquer Shani.
"Merci de me le rappeler, petite. Je n'y aurais pas pensé" répondit sèchement Ker. La jeune fille s'empourpra, mais se tut.
Mahlin bailla malgré tous ses efforts. Il sortait pourtant, aux dires de ses amis, d'un sommeil de plus de quinze heures, mais ses muscles le faisaient toujours souffrir, et cette discussion au coin du feu, dans une pénombre grandissante, l'avait fatigué plus que nécessaire.
"Vous devez tous être fatigués" constata Ker. "Dormez, vous devrez être en forme demain."
"Maintenant que vous connaissez toute l'histoire, vous n'allez pas nous aider ?" demanda Aarel
Ker regarda le géant, surpris.
"Vous aider ? A quoi faire ?"
"A comprendre ce qu'il se passe. A trouver les coupables et à leur faire payer"
"Très peu pour moi" fit le guerrier, haussant les épaules. "Vous avez déjà oublié que je vous livrais au Conseil ?"
Aarel en resta paralysé. Ker se comportait de telle manière qu'on avait souvent tendance à oublier qu'il était un geôlier, et un geôlier habile qui plus est.
"Vous portez le blanc" cracha Mahlin. "Rendre justice ne vous préoccupe-t-il donc pas ?"
"On t'aura mal renseigné. Cela n'a rien à voir" répondit Ker avec mépris. "Je cherche simplement à savoir ce qui s'est passé. La connaissance est un Pouvoir, elle aussi." Il se baissa pour fourrager dans sa besace. "Par exemple, il vous reste encore à m'expliquer comment vous avez pu mettre la main sur ceci".
Avec un respect évident, il éleva à la lueur des dernières braises les quelques volumes que Mahlin avait emporté du manoir. Les noms de leurs auteurs, en lettres dorées, étaient aisément visibles dans la pénombre. Polis d'Aethron…
"Où est-ce que vous avez trouvé ca ?" cracha Mahlin.
"J'ai pris la liberté de récupérer vos possessions sur le cheval de labour que vous montiez, au moment où Aarel s'est fait capturer. Ce n'était pas trop difficile. Le garde prêtait plus attention à sa prime qu'au cheval. C'est compréhensible. Cinq cent pièces d'or représentent une belle somme."
Avec cinq cent pièces d'or, on pouvait acheter une petite maison. C'était effectivement une belle somme.
"A vrai dire, vous avez de la chance de valoir si cher; c'est probablement pour cela que votre évasion a été si facile."
"Pardon ?"
"Le garde n'a visiblement pas prévenu ses compagnons de la capture qu'il avait faite, dans l'espoir de garder la récompense pour lui seul. Si tous avaient su la valeur de ce qu'ils gardaient, les soldats auraient certainement été plus nombreux, et j'aurais dû faire couler plus de sang pour vous libérer."
"Tu parles d'une libération" persifla Shani.
"Vous êtes à l'air libre au lieu de croupir dans une prison" constata Ker. "Essayez d'apprécier la différence." Il haussa les épaules, puis éleva de nouveau le livre. "Ceci ne me dit toujours pas comment vous avez pu mettre la main sur un tel volume. Vous ne vous rendez pas compte de la valeur qu'il peut avoir."
Mahlin fronça les sourcils.
"Je suppose que tout mage digne de ce nom possède dans sa bibliothèque des exemplaires des Anciens Mages. Notre maître ne faisait pas exception."
Ker secoua la tête.
"Mais il est beaucoup plus rare pour un mage de campagne de posséder un original."
Les trois jeunes gens restèrent foudroyés.
***changement chapitre 8: ne se rendent pas compte que le livre est l'original (n'ont aucun moyen de le savoir)***
"Un… original ?" finit par balbutier Mahlin.
"Un original. Ce livre a été écrit par Polis d'Aethron elle-même."
"Mais… huit cens ans" souffla Shani.
"Il faut croire qu'il a été bien conservé. Je connais des mages de mon Ordre qui paieraient une somme phénoménale pour le volume que j'ai entre les mains. C'est une question de prestige.. et d'exhaustivité. Les copies ne sont jamais parfaites."
"Que pouvait faire ce livre dans la bibliothèque de maître Khorr ?" s'enquit Mahlin, perplexe.
"C'est la question que je vous posais"
Devant l'absence de réponse, Ker soupira.
"Bien; je ne vous ferai pas l'affront de vous demander si vous savez qui a bien pu écrire ce livre ci" Il effleura avec respect la couverture Noire. "Ni pourquoi un mage de campagne en possédait un exemplaire. Simplement posséder ce tome était un acte de trahison. Sa mort était méritée."
"Taisez-vous !" siffla Shani.
"Méritée, mais surprenante" continua Ker, imperturbable. "Je me demande qui était votre maître… et ce Dous…"
Il ferma les yeux, perdu dans ses pensées. Lorsqu'il les rouvrit, ce fut pour ranger les livres dans sa besace.
"Maintenant, je vous prierai de bien vouloir vous attacher pour dormir."
"Nous attacher ?"
"Je n'ai pas réellement envie de rester éveillé à vous surveiller. Aarel, attache les mains de tes compagnons, puis je t'attacherai moi-même."
Aarel regarda sans la prendre la corde que Ker avait lancé à ses pieds.
"Vous seriez vraiment capable de vendre père et mère pour de l'argent, n'est-ce pas ?" cracha-t-il.
Une ombre passa sur le visage du guerrier, que la pénombre aurait pu dissimuler si ce n'avait été pour les reflets de la lune, en oblique.
"Si la somme est juste" fit-il lentement. "Tout peut s'acheter et se vendre. Je retirerai mille cinq cent pièces d'or de votre capture, et probablement autant de la vente de ce manuscrit. Je dois dire que c'est une bonne journée."
Son rire grinça comme une lame sur une pierre de taille.
"Vous n'avez aucune morale" continua Shani.
"Je me vends au plus offrant"
"Pourquoi recherchez-vous la richesse ainsi ? En tant que guerrier-mage, vous n'êtes certainement pas dans le besoin"
Ker s'assombrit encore plus, si tant est que ce fut possible.
"Cela ne te regarde pas. Attachez-vous, rapidement, sans quoi je le ferai à votre place. Je risque de ne pas être tendre avec les n½uds."
Aarel soupira. A quoi bon résister. Lentement, il attacha Shani, prenant bien garde à ne pas la blesser. Puis il se tourna vers Mahlin. Ce dernier était resté étrangement silencieux, ces derniers temps. Il sursauta, dérangé dans ses pensées, alors qu'Aarel lui prenait doucement le poignet. Il se dégagea d'un geste sec.
"Attendez !"
Aarel murmura un juron.
"Ne complique pas tout, Mahlin. Je ne serre pas trop les n½uds."
Il aurait aussi bien pu ne pas être là, pour toute l'attention que son compagnon lui porta. Mahlin se leva et s'avança vers Ker.
"Somme toute, ce n'est qu'une question de prix, n'est-ce pas ?"
Ker haussa un sourcil, vaguement étonné.
"Qu'est-ce qui est une question de prix ?"
"Tout ce que vous faites, vous le faites pour de l'argent. Vous allez au plus offrant."
"Ecoute, petit, je t'ai dit que cette discussion me…"
"Si nous pouvions vous payer plus que ces mille cinq cent pièces d'or, nous relâcherez-vous ?"
Shani et Aarel relevèrent la tête d'un même mouvement, stupéfait. Ker ne semblait pas moins étonné. Il se leva souplement, épousseta ses vêtements et avança vers le jeune garçon.
"En théorie, oui. En pratique, je t'ai déjà fouillé, et tu ne possèdes rien de bien intéressant. Tout ce que vous aviez de valeur – y compris ces grimoires -, je le possède déjà. Que pourrais bien tu m'offrir d'intéressant ?"
Mahlin se sentait plus vivant que jamais auparavant. Dans son esprit brillait distinctement un bâton finement ornementé, un bâton d'ébène au pommeau de rubis. Un très gros rubis. Il se revit mettre le bâton dans sa cachette, sous la neige et les buissons, avant d'embrasser le Rouge et de partir pour la ville. Ce rubis…
"J'ai caché près d'ici une pierre précieuse d'une grande valeur, qui appartenait à notre maître et qui est certainement magique" fit Mahlin. "Je te l'offre contre notre liberté."
Il entendit vaguement les hoquets de ses amis, puis leur silence alors que la compréhension se faisait jour. Malgré l'obscurité, il était assez près de Ker pour voir la lueur de cupidité qui dansait dans ses yeux, puis disparut, comme mouchée par un vent violent.
"Décidément, vous êtes plein de surprises" murmura le guerrier. "Mais qui me prouve que tu dis la vérité ?"
"Moi ! Je l'ai vue également !" intercéda Shani.
"Moi aussi" renchérit Aarel.
"Ah, mais votre parole ne vaut pas grand chose. Tout le monde est prêt à mentir pour sauver sa vie" sourit Ker. "Je ne vais pas me mettre en quête d'une chimère alors que j'ai une véritable fortune entre les mains."
"Elle n'est pas loin" argumenta Mahlin. Comment avait-il pu oublier ainsi le bâton du Maître ? Il fallait dire à sa décharge qu'il n'avait pas été en parfaite santé ces derniers temps. "Maintenant que nous pouvons tenir debout, nous pouvons y être en une demi-journée de cheval. Une journée, au pire."
"Et je suppose que tu l'as cachée quelque part dans la direction d'où nous venons. Ce qui, en pratique, nous fera perdre au minimum deux jours."
"Le rubis est vraiment gros" fit Mahlin avec espoir.
"Bien entendu" ironisa Ker. "Mais dis-moi, qu'est-ce qui m'empêche, si jamais ton histoire est vraie, de te torturer pour savoir où la pierre se trouve ?"
"Je me tuerai avant" fit simplement le jeune homme.
"J'en doute. Je pense que je pourrais te faire avouer en une heure, au pire" Le sourire du guerrier était désormais carnassier. "Mais, après tout, pourquoi pas. Je ne suis pas à deux jours près. Amène-nous à ton trésor, gamin, et nous reparlerons."
"Vous nous libérerez ?" s'enquit Aarel.
"Si je considère que ce que vous m'offrez vaut dans les deux mille pièces d'or, oui."
"Mais…" protesta Shani, "vous aviez dit que nous valions mille cinq c…"
"Ah, mais vous m'obligez à m'écarter de la légalité. Tout à un prix; mais l'illégalité est chère"
"La gemme vaut plus de deux mille pièces d'or" affirma Mahlin d'une voix atone.
"Tu voudras bien m'en laisser juge"
"Donc, si elle vaut vraiment ce prix là, vous nous laissez partir et vous renoncer à nous pourchasser ?" vérifia Shani, sceptique.
"Oui" fit simplement Ker. "Maintenant, dormez. Nous aurons beaucoup de chemin à couvrir demain. Je ne tiens pas à parler plus de cela ce soir."
"Mais.."
"Dormez"
Aarel tenta de nouveau d'attacher les mains de son ami, qui cette fois-ci se laissa faire. Puis Ker attacha le géant, tirant un coup sec pour vérifier la solidité des n½uds. Le colosse grimaça lorsque les liens entamèrent la chair.
"Faites de beaux rêves" sourit le guerrier en s'éloignant. Il s'installa à l'autre bout de la clairière, s'emmitouflant dans sa couverture.
Le silence s'installa sur le campement.
"Tu crois qu'on peut lui faire confiance ?" murmura Shani, tellement bas que Mahlin dut lui faire répéter.
"Non" répondit-il franchement. "Mais je ne vois pas d'autre solution. Au pire, nous gagnons deux jours."
"Je ne savais pas que tu avais caché son bâton. Je pensais qu'il avait été pris par Ker, comme le reste de nos affaires."
"Une impulsion subite" confessa Mahlin. "Je ne me voyais pas rentrer en ville appuyé sur un tel bâton. Nous étions censés ne pas attirer les regards." Sa bouche avait un pli amer. "Il semblerait que nous ayons échoué."
Ils discutèrent encore un peu, mais la fatigue ne tarda pas à les emporter. Malgré leurs liens, ils s'endormirent

Ker resta longtemps éveillé cette nuit là. La cupidité dansait dans ses yeux.
"Si la gemme est réellement aussi grosse…" murmura-t-il, rêveur.
Il serait riche, alors. Assez pour ce qu'il cherchait à faire.
La gemme, et les livres. Et les trois enfants, bien entendu. Après tout, ils étaient recherchés par la justice. Ce serait malhonnête que de les laisser s'enfuir, bien plus que de trahir sa parole..
Il s'endormit le sourire aux lèvres.
Citation :
***changement chapitre 8: ne se rendent pas compte que le livre est l'original (n'ont aucun moyen de le savoir)***
Un ptit truc qui restait ...
Sinon hum, Ker pourrait bien devenir intéressant
bref la suite
Crapo ?? Crapooo ?? Crraaaaappoooo !! Youhouuuu la suite mon Maestro !!

<cogite>

Croa ?? CroaCroaaaaa ?? Crrrrroaaa?? <essaye de l'attirer avec le cri gutturale de la crapette en chaleur.>

Ben Croa ?
Si je ne m'abuse, le crapaud est parti en vacances. Bien méritées, à ce qu'il paraît. Mais peut-être me fous-je l'oeil dans la rate. Ou bien c'était la rate dans la rétine. Qui sait.
...
Pas moi en tout cas.
Citation :
Publié par Elmar
Si je ne m'abuse, le crapaud est parti en vacances. Bien méritées, à ce qu'il paraît. Mais peut-être me fous-je l'oeil dans la rate. Ou bien c'était la rate dans la rétine. Qui sait.
...
Pas moi en tout cas.
HEIIIIN ?!?! AH MAIS NAN EH OH !! il finit l'histoire et APRES il part ! DIDIUUUUUUU !
Au moins, GreGre, quand il part en Ouakances, c'est pas a moitié !!

J'espere que t'aura bien profité, mais surtout que tu sera en forme a ton retour, pask'on t'attend au tournant, je te promet !!

Non mais, nous faire poireauter comme ca, sans préavis !

Vais lui arracher ses papattes arrières l'une apres l'autre, mouah, non maiseuhhhhh !

Ze rigole, c'est zuste de l'amour-vache !!
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