NOIR - Chapitre 9

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Et hop ! Sans les carrés


Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
Chapitre VIII


Chapitre IX

Aarel monta lentement les marches. Il portait un plateau chargé dans ses bras, et il connaissait trop bien sa propre maladresse pour avancer plus rapidement que nécessaire. Un verre de lait – non, deux -, une miche de pain frais, à peine sortie du four, sentant bon le pétrin, une pomme, deux poires. Comment diable les aubergistes avaient-ils pu trouver des poires à la fin de l’hiver ? Il haussa les épaules. Il n’avait jamais aimé réfléchir. C’était l’occupation préférée de Mahlin, ça. Chercher les tenants et les aboutissants de toute action. Lorsqu’il verrait les poires – Aarel pouvait déjà imaginer la scène – ses sourcils se soulèveraient, puis se fronceraient. Il regarderait les poires avec cette expression rêveuse, la tête inclinée, puis il mangerait. Mais non sans plisser les yeux de temps en temps, absorbé dans ses réflexions, cherchant à comprendre d’où ces fruits pouvaient bien venir.
Aarel haussa les épaules. Qu’importait la provenance de tout cela ? C’étaient des fruits, et ils sentaient bon. Il n’en demandait pas plus. Dame Maud les lui avait placés entre les mains alors qu’il se préparait à partir aux champs. Avec deux blessés sur qui veiller, il pouvait difficilement se permettre de rester inactif. Certes, ils avaient de l’argent, mais s’ils voulaient vraiment s’attirer les bonnes grâces du village en cas de problème, il valait mieux travailler dans le soleil, à leur côté. Cela créait des liens. De plus, il aimait bien cela. D’autant plus qu’il faisait beau ; il n’y avait plus aucun signe de l’orage qui avait éclaté quelques jours auparavant. A croire que rien ne s’était passé. Puis son regard tomba, à travers la large fenêtre, sur la forêt, sur ce qui avait été une forêt, et il frissonna. Il termina de monter l’escalier et poussa la porte.

" Alors, le grand malade, ca va mieux ? " Le grand malade leva les yeux du grimoire qu’il compulsait et le cacha fébrilement sous sa couverture ; mais trop tard. Les yeux d’Aarel s’arrondirent. " Qu’est-ce que tu fais encore ? " En deux pas, il fut près du lit, et le livre changea rapidement de main. On ne résistait pas à Aarel lorsqu’il voulait vraiment quelque chose. Le colosse fronça les sourcils en regardant la couverture finement ouvragée. " Tu n’étais pas censé te reposer ? Je croyais que tu voulais partir le plus rapidement possible ! Pour ça, il faudrait que tu te rétablisses, ne compte pas sur moi pour te porter jusqu’à Bois-Rouge, et les Couleurs savent où après. Alors tu poses ce livre bien gentiment, et tu dors ! " Il criait presque. Le plateau était renversé sur le sol, les fruits roulaient sur le sol. " Je ne savais même pas que tu avais ramené des livres du manoir ! Tu te rends compte du poids de… Le Vert en question, la Nature et la Terre, par Polis d’Aethron " Son regard se fixa sur la couverture. Il y avait quelque chose de frappant, dans ce titre. " Est-ce que tu te rends compte de la réaction que peut avoir dame Maud ou son mari si jamais elle tombe là-dessus ? "
Les lèvres de Mahlin étaient serrées en un pli nerveux. Il avançait la mâchoire, agressif.
" Je me rends surtout compte que quelqu’un nous traque, et que nous devons trouver le moyen de nous défendre, d’une manière ou d’une autre. "
Aarel leva des yeux exaspérés.
" Nous défendre, nous défendre ? Et contre quoi ? Tu penses vraiment que tu deviendras un Maître Mage simplement en lisant ces vieux tomes poussiéreux ? Franchement ? A mon avis, il ne faut pas y compter. Et de toute manière, Dous ne reviendra pas. "
" Qu’est-ce qui te rend si sûr ? " grinça Mahlin.
" Réfléchis un peu, cela fait bien trois jours que nous moisissons ici. Si vraiment il tenait tant que cela à mettre la main sur nous, il l’aurait fait depuis longtemps. "
Mahlin haussa les épaules.
" Je préfère ne pas prendre de risques. Rappelle-toi ce qu’il a dit. Il a promis qu’il nous retrouverait pour nous tuer. "
" Il n’a pas dit ça. Si je me souviens bien, il a simplement averti que nous nous reverrions. "
Mahlin eut un petit rire moqueur.
" Et il apportera les verres, et nous amènerons la liqueur de Te’ssari… Aarel, sois réaliste, pourquoi crois-tu qu’il veuille nous retrouver ? Je te rappelle qu’il a tué notre maître ! "
Aarel serra les poings. C'était quelque chose de terrifiant à voir, cette montagne de muscles qui contenait sa colère.
"La prochaine fois que tu parles ainsi, je t'arrache la tête de mes propres mains ! Ou bien Dous nous trouvera, ou il ne nous trouvera pas. Et dans le premier cas, il risque de ne pas y avoir grand chose à faire. " Mahlin s’agita, mais le colosse n’était pas prêt à se laisser interrompre. " Je ne suis pas fataliste, mais il faut voir la vérité en face. La seule chose à faire, c’est fuir pour qu’il ne nous trouve pas. Trois jours déjà que nous avons passé ici et il n’est pas venu. C’est peut-être une bonne nouvelle ; qui sait, peut-être ne se soucie-t-il pas de nous… Sinon, il serait déjà là. Tu te rappelles du Portail que ces Chasseurs avaient ouvert pour se déplacer ? Où qu’il soit, cela ne devrait pas lui prendre tant de temps de nous traquer si jamais c’est son intention. " Il s’interrompit enfin devant les efforts de son ami pour parler. " Tu voulais dire quelque chose ? "
Mahlin se haussa péniblement sur les coussins.
" L’auteur de ce grimoire ne te dit rien ? Ca devrait. "
" Ce n’est pas vraiment le sujet " gronda Aarel. " Quand bien même ce serait l’½uvre de Brajan De’Stil en personne… " Il s’interrompit, le souffle court. " Que les Couleurs me pardonnent ! " Il reprit le livre. " Ce n’est pas vrai… "
" Si… " fit simplement Mahlin. Ses doigts couraient sur la couverture du grimoire. La vieille couverture. Le vieux grimoire.
" Polis d’Aethron… ce n’est tout de même pas la Polis d’Aethron ? "
" Elle-même " confirma Mahlin. Il fronçait les sourcils. " Polis, qui combattit aux côtés de Brajan. La Grand’Mage Verte. "
" Je ne savais même pas qu’elle avait écrit des livres " fit rêveusement Aarel. Il tournait et retournait le grimoire entre ses mains calleuses. " Et Maître Khorr avait cela dans sa bibliothèque ? Ce livre a quatre cent ans, au bas mot… Je doute qu’il en existe de nombreux exemplaires… "
" Et encore, tu n’as pas tout vu. Ouvre-le, tu veux ? N’importe quelle page devrait faire l’affaire. "
Le géant regarda le lourd volume comme s’il allait le mordre, les lèvres retroussées en un rictus de défiance, sans qu’il s’en rende compte Finalement, il tourna quelques pages. Son souffle se fit oppressé. " Dieu du Foyer ! " exhala-t-il.

Le livre ressemblait à un véritable journal intime. Dans la marge, d’une écriture nerveuse, s’étalaient de nombreux commentaires. Quelques passages étaient raturés d’un trait épais, d’autres corrigés. Parfois l’encre avait coulé, à d’autres endroits l’écriture devenait un gribouillis illisible. Mais il n’y avait aucun doute sur l’ancienneté de ces annotations ; et c’était une écriture de femme. Aarel tourna une page, puis un autre.
" Tu crois vraiment que Polis elle-même a marqué tout cela ? Que ce livre est… est l’original ? " fit-il enfin.
" Je ne sais pas ; cela paraît tellement invraisemblable… d’un autre côté, qui d’autre aurait eu les connaissances nécessaires pour corriger cette épreuve ? " Mahlin se passa la main dans les cheveux. Il ne comprenait pas ; quelque chose n’allait pas, dans cette histoire. Quelque chose devait lui échapper. " Il faut croire que j’ai eu la main heureuse en choisissant les livres à emporter. Surtout que je dois te montrer quelque chose d’autre. Attends… " Il se pencha maladroitement vers le sac sous le lit, et fourragea dedans.
Aarel s’écarta du lit et se mit machinalement à ramasser les fruits tombés.
" C’est insensé. Comment maître Khorr pouvait-il avoir en sa possession un livre aussi précieux et aussi rare ? Il devrait être à l’Académie, sous verre, et ne pas en bouger. Je pense que… " Et puis les mots s’étranglèrent dans sa bouche alors que Mahlin brandissait un volume d’un noir mat, au titre en lettres de feu. Le Chemin des Tenebres
" Celui-ci n’est pas signé. Il n’est même pas achevé, et l’écriture est trop tortueuse pour être lisible la plupart du temps. Mais je n’ai pas vraiment de doutes sur celui qui l’a écrit. "

L’ombre du Déchu plana un moment dans la pièce. Les pages étaient craquelées.
" Nous devrions brûler ce livre " suggéra Aarel, " et enterrer ses cendres dans un coin du jardin….le plus profondément possible. Oui, je crois que c’est la meilleure solution. " Les mains de Mahlin se refermèrent sur le grimoire comme pour le protéger. " Eh bien, quoi ? Le Maudit est mort, mais je ne doute pas que tous ses écrits soient pervertis. Tu ne penses tout de même pas le déchiffrer ? " Il se pencha pour étudier le visage de son ami, puis il se lécha nerveusement les lèvres. " Bon sang, j’ai bien l’impression que c’est ton intention… "
" Et alors ? " fit Mahlin, sur la défensive. " Tu l’as dit toi-même, le Déchu est mort et enterré. Depuis quatre cent ans ! Les livres ne sont pas maléfiques en soi ! Le Noir n’est pas maléfique en soi, tu as entendu notre maître… "
" Oui, mais… "
" Mais tout le reste n’est que superstition grossière. La seule chose dont je sois sûr, c’est que je suis un mage Noir – je le suis, que les Dieux me pardonnent – et que nul n’est capable de m’enseigner ce que j’ai besoin de savoir. Peut-être ce livre y réussira-t-il mieux. "
Aarel se redressa. Il se frottait les sourcils de sa grosse main, comme à chaque fois qu’il était perplexe.
" Je ne sais pas, Mahlin… je ne sais pas. Ce livre est dangereux… Si même il n’est pas corrupteur, le simple fait de le posséder risque de te faire pendre par le premier Chasseur venu… ou même par le premier magistrat avec un tant soit peu de pouvoir. Sans compter tous ceux qui tueraient père et mère pour ne serait-ce que jeter un ½il sur un livre écrit d’une main aussi… aussi… " il hésita " légendaire. " Mahlin sourit nerveusement, mais sa prise sur le gros tome ne se relâchait pas.
" Et, non, je ne sais pas non plus comment maître Khorr a pu mettre la main sur ce livre. "
" Tu vas me dire que tu as pris cela au hasard dans sa bibliothèque sans voir de quoi il s’agissait ? Tu te moques de moi ? Tu n’aurais pas traîné cela durant toute notre progression si tu ne savais pas que c’était aussi important. "
" Mais je ne savais pas ! " gronda Mahlin. " Je t’assure ! Ces livres, ils étaient déjà sortis et posés sur la table de la bibliothèque…je n’avais pas le temps de chercher, je les ai pris. Je croyais que c’était ceux que j’avais déjà lu sans succès avant, mais… mais non. "
Ils restèrent un instant silencieux. Aarel faisait les cent pas dans la pièce, mains derrière le dos, sourcils froncés. Mahlin tournait et retournait Le Chemin des Tenebres comme s’il ne savait qu’en faire.
" Et les autres ? " finit par dire le géant en indiquant le sac sous le lit. " Je ne m’étonne plus de rien. Vas-y, dis-moi que les autres grimoires que tu as emmené sont signés Rhodaz, ou Teklan, ou même Brajan… "

Mahlin secoua la tête.
" Non, non, tu penses bien que j’ai vérifié ; mais ces deux là sont les seuls qui datent de cette époque. Les autres m’ont l’air d’être des éditions magnifiques et le Maître semble les avoir tous annotés, mais rien de plus. "
" Tu dis que maître Khorr les a annotés ? "
" Oui, pas grand chose, quelques traits de crayon. Mais j’ai bon espoir. "
" Bon espoir de quoi ? "
" Il semblerait qu’il y ait moyen de briser le Lien que ce mage Violet a tissé sur nous. Un rituel simple. "
Aarel resta un instant bouche ouverte.
" Tu veux dire que tu comprends ce qu’il y a dans ces livres ? "
Le jeune homme remua dans le lit, puis eut une grimace hésitante.
" Je n’irais pas jusque là, beaucoup de choses m’échappent, et je n’ai fait que survoler certains passages. Mais je pense que c’est faisable, oui. De toute manière, comme tu l’as fait comprendre plusieurs fois, nous n’avons pas le choix. " Aarel grinça des dents. " Je ne tiens pas à trouver Dous un beau matin au pied de l’auberge. Demain, je pense que je serai capable de t’aider à faire ce rituel. "
Les mots s’étranglaient dans la gorge d’Aarel alors qu’il tentait de poser plusieurs questions à la fois.
" Mais… moi ? Regarde ce qu’il t’est arrivé lorsque tu as manipulé les Couleurs sans précaution. Tu as failli mourir, il est hors de question que tu retentes quelque chose comme ça ! Et moi… j’ai encore moins d’expérience en ce domaine, que veux-tu que je fasse ? J’imagine que tu veux que Shani vienne nous assister malgré son bras blessé et.. " Il s’interrompit en voyant l’expression de son compagnon. " Dieu du Foyer, c’est ce que tu veux, n’est-ce pas ? Tu n’hésiteras pas à tous nous tuer pour tes théories fumeuses… d’ailleurs tu devras garder le lit au moins une semaine, a dit Pietr, et je veillerai à ce que… "

Mahlin dodelinait de la tête.
" Tout cela est bel et bon, mais tu sais aussi bien que moi que nous allons faire ce rituel, parce que le temps nous est compté, parce que nous n’avons pas le choix, et parce que tu as toute confiance en moi " Il ricana. " N’est-ce pas ? "
Aarel haussa les épaules.
" Je te laisse à tes folies. Je tâcherai d’occuper dame Maud pour qu’elle ne se mette pas à fouiner par ici. C’est tout ce que je peux faire. Pour le reste… repose-toi, s’il te plaît. Vraiment. " Il alla pour la porte, puis se retourna sur le seuil. " Je t’ai apporté quelques fruits ; ils sont là, sur l’assiette. Bon appétit. "
" Eloigne aussi Betingel ! " lança Mahlin en s’emparant d’une poire sans sourciller sur la saison. Il avait faim, et des problèmes plus importants l’occupaient.
" Ca risque d’être difficile " fit Aarel avec sérieux. " Très difficile. " Et il ferma la porte.
Mahlin murmura un juron, puis reprit avec attention sa lecture.
Il se sentait encore faible, et son esprit restait embrumé, mais le temps leur était compté si vraiment Dous n’abandonnait pas leur trace ; et le jeune homme sentait que, pour une raison ou une autre, le mage Violet ne les lâcherait pas aussi facilement. Lentement, suivant avec le doigt, murmurant pour lui-même, il comparait les passages venant de tel ou tel livre, cherchant à comprendre comment défaire ce Lien.
Il finit par sourire. Cela paraissait d’une simplicité enfantine, ne demandait aucune connaissance, aucune incantation. A partir du moment où l’on savait que Lien il y avait, le localiser puis le détruire n’était qu’une simple formalité. Mahlin soupira, corrigeant intérieurement. Une simple formalité pour un mage accompli, certes. Pour eux, cela risquait de se révéler bien plus compliqué. Mais avaient-ils le choix ?
Depuis quelques jours, il semblait vraiment que leur liberté de décision avait disparu. Une mesure d’urgence en amenait une autre, toujours plus éprouvante, toujours dans le même but : survivre. Mahlin commençait à en avoir assez.

Il s’arrêta de lire pour boire quelques gorgées de lait ; c’était rafraîchissant. Puis il entendit un bruit dans l’escalier ; benies soient les lattes grinçantes ! Il rangea à la va-vite les grimoires dans son sac, et poussa celui-ci sous son lit. Betingel entra.
" Alors, comment va notre malade ? " fit-elle aussitôt à l’intérieur, en approchant une chaise. Elle alla pour s’asseoir, puis se ravisa et s’installa sur le lit, dangereusement près du jeune homme. " Je vois que l’appétit te revient enfin ! "
" Aarel est une mère pour moi " sourit Mahlin en s’emparant de la miche de pain. Hâtivement, il rajouta : " Et je te remercie pour tout ce que tu as fait " Elle ne lui rendit pas son sourire.
" Pourquoi es-tu parti sans dire un mot, le soir du bal ? "
Mahlin resta un moment la bouche ouverte, puis elle se referma avec un claquement sec. Elle avait le don de poser les pires questions aux pires moments.
" Je… nous devions rentrer rapidement au manoir " fit-il maladroitement.
" Ca, je le sais ! Même si j’ai dû l’apprendre de la bouche de Toni Broadhelm puisque tu n’as pas daigné m’avertir. Et donc, brusquement, au milieu d’une danse, tu t’es dit que votre Seigneur vous réclamait ? Aurait-il des pouvoirs magiques pour ainsi rappeler ses serviteurs ? " Mahlin sentit la peur l’étreindre, mais, non. Elle avait dit ca d’une voix amère, moqueuse. La possibilité ne l’avait visiblement pas même effleurée. " Qu’est-ce qu’il y a, je ne te plais pas ? "
Lorsqu’il était un enfant et n’habitait pas encore au manoir, Mahlin avait l’habitude de grimper aux arbres – comme tous les enfants. Il s’était vite rendu compte que la mousse, au petit matin, était désespérément glissante et l’empêchait d’assurer ses prises. En entendant Betingel parler, il se sentait revenir à cette époque. Il se sentait sur une pente mousseuse, désespérément glissante.
Cette petite phrase, elle annonçait des ennuis ; et des ennuis, il en avait déjà bien assez pour ne pas s’encombrer plus que nécessaire. Les problèmes sentimentaux attendraient. Que répondre ?
" Si, bien sûr… " fit-il lentement. " Tu es ravissante, et… "
" Alors, quoi ? " murmura-t-elle. " Je suis une paysanne, et tu es un page ? "
Un page ? Un page ! Mais à quoi pensait-elle donc ? Et puis il se rappela que maître Khorr était vu comme un Seigneur par tous les habitants de Longue-Rivière. Un Seigneur excentrique et solitaire, mais un Grand Seigneur quand même. Peut-être un noble lassé des intrigues de la cour. Il soupira. On soupirait beaucoup, à discuter avec Betingel. Elle se rapprochait de plus en plus. Mais comment étaient élevées les filles, dans ce village ?
" Ce n’est pas du tout ça, voyons. Pas du tout. Je t’aime beaucoup et… "
Et la porte s’ouvrit sur Shani. Se jetant de côté, il s’écarta de Betingel et grimaça sous la douleur qui le transperçait.

Elle restait sur le pas de la porte, l’air surpris. Ses longs cheveux étaient nattés, et elle portait une robe qu’il ne se souvenait pas avoir jamais vu sur elle. Probablement un cadeau d’une des filles du village pour remplacer ses vêtements déchiquetés. C’était une robe de laine simple, d’un bleu profond, avec un liseré blanc grossièrement tissé sur les bras. Elle était resplendissante. Et elle avait le bras en écharpe.
" Tu m’as l’air d’aller bien mieux " fit-elle en souriant. Mais, derrière le sourire, son ton était neutre. " Je m’attendais à trouver un moribond, d’après ce que m’en disait dame Maud. " Elle s’approcha et lui toucha le front. " Pas de fièvre. Betingel, tu veux bien aller me chercher un linge propre ? Bouilli, de préférence. "
Betingel, qui l’avait suivie des yeux avec défiance, sursauta comme si on l’avait giflée.
" Il a surtout besoin de repos " fit-elle sans bouger. " Je vois que ton bras va mieux. "
" J’aimerais parler un moment avec lui "
" Il faut qu’il se repose. J’allais le quitter, justement. "
Mahlin grogna, se soulevant sur les coussins.
" J’aimerais que vous cessiez de parler de moi comme si je n’étais pas là et ne pouvais pas entendre "
Personne ne tint compte de l’interruption, et il se renfonça dans ses couvertures avec une grimace maussade.
" J’aimerais vraiment lui parler. S’il te plait. "
Comment résister à ces yeux implorants ? Mahlin se sentait de plus en plus mal à l’aise, et se détendit enfin alors que Betingel se levait.
" Ne sois pas trop longue. Comme je te l’ai dit, il faut qu’il se repose. Je serai devant la porte si tu as besoin de quoi que ce soit. "
Et elle partit d’un pas lent, pour bien montrer que rien ne l’y obligeait. Enfin, la porte se ferma. Mahlin poussa un long soupir.
" Je t’assure que je n’y suis pour rien… " commença-t-il, puis il s’interrompit. Pourquoi devait-il se justifier ? Shani ne se départit pas de son sourire et s’installa sur la chaise que Betingel avait avancée.
" Je peux te prendre un fruit ? Je suis affamée " Elle s’empara d’une pomme et mordit dedans à belles dents. " Comment te sens-tu ? Honnêtement ? "
Mahlin remua.
" Bien. Oh, ne me demande pas de courir ou de faire des acrobaties, mais je pense que je peux marcher sans trop de problèmes. Pietr m’a dit que j’aurais besoin d’une semaine pour être totalement rétabli, mais je me sens déjà en forme. Un ou deux jours de repos, et tout ira comme avant. "
" Penses-tu que nous ayons un ou deux jours devant nous ? " demanda la jeune fille, l’air sérieux. Une expression qu’il avait si rarement vue sur son visage. Un très beau visage au demeurant.
" Comment va ton bras ? " fit-il doucement. Elle cilla.
" Aussi bien que possible. Il est cassé, il faudra du temps pour que tout se remette en place. Pietr est un formidable guérisseur. "
" Et les potions que Toni t’a achetées ont dû faciliter la guérison, n’est-ce pas ? "
" Oui, il a été très gentil. Il m’a beaucoup veillé… " Le jeune homme leva les yeux au ciel " un peu comme Betingel t’a veillée. Je suis sûr qu’elle aurait fait venir les meilleurs guérisseurs pour toi si jamais elle avait eu l’argent nécessaire. "
" Oh, je n’en doute pas " gémit Mahlin. Il se redressa péniblement. " A ce sujet, tu n’es peut-être pas encore au courant, mais nous sommes riches, je dirais même très riches. Plusieurs poignées de pièces d’or, de l’argent et du cuivre à profusion. Frappés aux marques de l’Empire. "
Les yeux de Shani s’étaient arrondis.
" Ou as-tu trouvé… peu importe, je ne veux pas le savoir. C’est plutôt une bonne nouvelle ; il vaut mieux être un riche fugitif qu’un vagabond. "
" Tu sais donc que nous devons nous cacher. Aarel t’a raconté tout ce qui s’est passé ? "
" Oui, pendant les rares moments où il pouvait éloigner Toni de ma chambre " sourit-elle, toute sa gaieté revenue. Elle récupérait admirablement bien. Il chercha un instant à élucider en quoi sa bonne humeur naturelle différait de celle de Betingel, mais abandonna finalement avec un discret haussement d’épaules.
" J’arrive difficilement à imaginer Toni te veiller avec constance. Peut-être est-il réellement amoureux, cette fois-ci ? " Shani fit la moue.
" De toute manière, nous devrions quitter ce village avant qu’il ne devienne gênant. " Mahlin ressentit une bouffée de plaisir égoïste, et eut besoin de toute sa concentration pour garder un visage impassible. " Pour ma part, je peux marcher sans trop de problèmes ; tout dépend donc de toi. "
" Tu oublies encore une fois que nous sommes riches. Nous pouvons aisément acheter des chevaux, cela nous simplifiera énormément le voyage "
Shani fronça ses jolis sourcils.
" Le voyage ? Où veux-tu aller ? "
" N’importe où ; n’importe où, mais loin d’ici. Je ne veux pas affronter ce… ce Dous une fois de plus. Tu ne l’as pas vu, tu étais déjà évanouie. Tu ne te rends pas compte à quel point il est… terrifiant. Pour toi, je suppose que c’est toujours une personne avec qui tu as dansé ; un très bon danseur, au demeurant. "
" Tu ne te débrouilles pas si mal toi-même, lorsque tu te concentres " sourit Shani. " Oui, j’imagine que nous devons désormais vivre comme des fugitifs, du moins pour un certain temps. " Elle parut hésiter, se léchant les lèvres. " Mais où que nous allions, le Lien… "
"… n’est pas un problème insurmontable. Je ne veux pas trop m’avancer, mais je pense que je serais capable de le briser… avec votre aide. "

Shani fronça les sourcils ; elle ne souriait plus.
" Aarel ne m’a pas simplement raconté comment notre maître est mort. Il m’a aussi parlé de la manière dont tu as inconsidérément utilisé les Couleurs dans la forêt… "
" Oh, écoute, nous n’allons pas reparler de ça… "
" En ce qui me concerne, je n’en ai encore jamais parlé avec toi, et tu vas me faire le plaisir de m’écouter. Tête de mule ! " Elle lui planta un doigt dans le gras du ventre. " Tu as failli te tuer en jouant ainsi avec ce que tu ne connaissais pas. Avec tout ce qui est en train de nous arriver, je n’accepterai pas que tu nous rajoutes des ennuis en jouant à l’apprenti sorcier. "
" Nous sommes des apprentis sorciers " marmonna Mahlin, mal à l’aise.
" Pour l’instant, nous sommes des fugitifs ; le principe est de ne pas nous faire remarquer. Ce n’est pas en crachant du sang que tu nous aideras. "
" Mais… "
" Ce n’est pas en crachant du sang que tu nous aideras ! " répéta-t-elle d’un ton péremptoire. Puis elle adoucit ses paroles d’un sourire. " Nous parviendrons bien à nous débrouiller sans puiser dans les Couleurs. Après tout, j’ai vécu près de vingt ans sans même savoir comment les utiliser ; et je ne suis pas même sûr de savoir comment faire aujourd’hui. "
" Pendant ces vingt ans, nous n’étions pas pourchassés " observa Mahlin. " Je pense que la différence est de taille. " Shani ne répondit pas. " Nous sommes Liés à ce mage Violet, du moins est-ce ce qu’il a dit, et je serais enclin à le croire. Si nous ne nous débarassons pas de ce Lien, cela ne servira à rien de fuir ; il nous rattrappera tôt ou tard "
Il se tut, et le silence s’installa pendant un instant. L’instant se changea en moment, et le moment devint long. Mahlin s’agita dans ses couvertures, mal à l’aise. Enfin, Shani hocha la tête.
" Je suppose qu’il va falloir en passer par là. Mais j’espère vraiment que tu sais ce que tu fais. Je ne veux pas paraître cynique, mais tout aurait été tellement plus simple si le maître était mort ne serait-ce qu’un jour après… " Elle rosit en se rendant compte de ce qu’elle disait, mais reprit vite sa contenance. " Quand penses-tu pouvoir couper ce Lien ? Tu as raison, le temps presse… "
" Ce soir, cela devrait être bon, si Aarel et toi parvenez à éloigner Betingel et dame Maud de ma chambre. Vous n’aurez qu’à leur dire que…que je dors d’un sommeil très léger ; aucune n’osera me déranger. J’espère. "
" Je m’occuperai personnellement de Betingel " sourit Shani en se levant souplement. " Tu peux étudier tranquillement. " Arrivée à la porte, elle se retourna, et ses yeux étaient inquiets. " Mais prends tout de même soin de toi ; repose-toi. "
" Oui " fit Mahlin, conciliant. Sa main fouillait déjà sous le lit, à la recherche des grimoires.
" Tu me le promets ? "
" Oui " répondit Mahlin, plus sérieusement, et elle tourna la porte, et elle n’était plus là.
Il espérait sincèrement qu’elle parviendrait à faire barrage auprès de Betingel ; il avait mieux à faire. La jeune paysanne était très gentille, mais… mais… mais il replongea la tête dans le manuscrit et se mit à lire avec application.
Le soir tombait lorsqu’il releva la tête. Il pouvait distinctement voir la nuit avancer par la fenêtre, une grande chose noire qui le privait de lumière. Il grimaça. Tout mage des Ténèbres qu’il était censé être, il aurait bien aimé pouvoir approcher une chandelle.

La pénombre augmentait rapidement, et il finit par abandonner sa lecture. Les grimoires qu’il avait éparpillés sur ses couvertures se retrouvèrent dans son sac. Il fallait que cela suffise. Ils ne pouvaient se permettre d’attendre plus longtemps pour briser ce Lien ; ce damné Lien. Il bailla et enfouit sa tête sous les draps ; s’il ne pouvait pas lire, mieux vallait dormir en attendant que les autres le rejoigne.
Il n’avait pas fermé les yeux depuis plus de dix minutes que la porte s’ouvrait sur dame Maud. La plantureuse aubergiste tenait entre ses mains une soupière fumante, qu’elle posa à la tête du lit sans se soucier du bruit. Mahlin se redressa sur les oreillers.
" Debout, mon garçon ! Il faut que tu manges si tu veux récupérer ! Manger, dormir, voilà ce qui vous remet un homme sur pied ! Goûte-moi un peu cette soupe, tu m’en diras des nouvelles " Elle eut un rire tranquille alors que le jeune homme commençait à manger. Quelques croûtons surnageaient. Cela avait l’air délicieux. " C’est la première fois que je vois Betingel aux fourneaux. Je ne te demanderai pas ce que tu lui as fait, mon garçon, mais c’est bien la première fois que je la vois aussi anxieuse de plaire. Et aussi peu désireuse de te voir…"
La soupe avait soudain un goût de cendres. Betingel ; il allait décidément falloir qu’il lui parle. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien lui trouver ? C’était habituellement Aarel qui attirait les regards séducteurs, et cela avait toujours paru dans l’ordre des choses. Mais Mahlin avait soudain l’impression d’être le centre de toutes les attentions ; autrefois, il aurait pu trouver cela grisant. Maintenant, il n’aspirait plus qu’au calme. Il se rendit compte que dame Maud s’était assise sur la chaise, et il gémit intérieurement. Le calme…
" Tu devrais être plus gentil avec cette fille, mon garçon. Crois-moi, c’est bien de jouer les indifférents, je suis sûr que tu l’as piquée à vif. Mais vient un moment où il faut savoir ce que l’on veut. Elle est gentille, belle et en bonne santé, tu devrais te sentir flatté. Elle te ferait de bons enfants. Pourquoi ne t’installerais-tu pas ici ? Après tout, maintenant que… après tous ces événements funestes, tu n’as plus d’attaches. La plupart des gens t’apprécient ici ; je suis sûr que tu pourrais devenir un bon paysan ; les terres de maître Gondran sont fertiles, et tu en recevrais certainement une bonne part comme dot. " Elle le jaugea d’un ½il critique. " Si même tu ne veux pas être paysan, pourquoi pas clerc ? Tu es instruit, tu sais lire et écrire, il n’en faut pas plus ! Tu peux écrire les lettres et tenir les comptes ! Qu’en penses-tu ? "
Mahlin marmonna un vague acquiescement, cachant son expression dans la soupière. Il bénissait désormais le manque d’éclairage. Par les Couleurs ! Dame Maud méritait bien sa réputation de commère et de marieuse. Que les Ténèbres les engloutissent, elle et Betingel ! Il ne pouvait pas s’installer ici ; c’était impossible. Et même s’il l’avait pu, il ne pensait pas qu’il l’aurait voulu.
" Tu n’es pas bien bavard, ce soir " constata dame Maud, s’arrêtant enfin de monologuer. Aucune réponse ne venant, elle continua. " Mais comme je le dis toujours, il vaut mieux manger que discuter. Nous aurons tout le temps d’avoir cette discussion plus tard, mais je te demande d’y penser. Tu n’es plus un enfant, tu sais. Il paraît que tu as vingt ans. Cela me paraît un age parfait pour s’établir. "
Elle lui fit un clin d’½il.
" Je pense que tes amis s’installeront ici aussi. Shani est une épouse toute trouvée pour Toni ; je ne l’ai jamais vu si épris, lui qui courait les donzelles et fuyait toute chaîne jusqu’à maintenant " elle eut un sourire attendri. " Quant à Aarel… ce ne sont pas les candidates qui manquent, ici comme à Bois-Rouge " elle rit. " Tu sais qu’il est allé travailler aux champs cet après-midi, aux côtés de nos hommes ? Va savoir pourquoi, les lavandières sont allées étendre et battre leur linge à côté de lui. "
Mahlin essaya de joindre son rire à celui de la matrone, mais le c½ur n’y était pas. Il se sentit soulagé lorsqu’elle se leva enfin.
" Cela me fait plaisir de discuter avec toi, mon garçon, vraiment ; mais tu sais ce que c’est , mon bon à rien de mari est incapable de servir tout le monde. A voir le nombre d’ivrognes qui viennent dépenser quelques piécettes ici tous les soirs, on pourrait croire que nous sommes une véritable ville. Repose-toi bien ! Bientôt, tu pourras gambader comme un cabri ! "

Les derniers mots étaient étouffés par la cloison alors qu’elle passait la porte et dévalait l’escalier. Mahlin tendit l’oreille pour vérifier qu’elle ne remontait pas, puis se laissa retomber sur l’oreiller avec un grand soupir. Il devenait de plus en plus urgent qu’ils partent. Et ce maudit Toni Broadhelm… Il ferma les yeux. Ses dents grinçaient alors qu’il cherchait le sommeil. Bientôt, Aarel et Shani devraient venir. Il valait mieux être un tant soit peu reposé ; mais difficile de s’endormir. Tellement de choses, tellement de choses ! Il se demandait confusément s’il existait des grimoires pour les demoiselles comme pour la magie. Tout serait tellement plus simple.
Et puis les heures passèrent, et la porte s’ouvrit silencieusement. La nuit était déjà bien avancée.
" C’est nous " chuchota Aarel ; une forme plus svelte se faufila derrière lui. " Franchement, tu aurais pu choisir une heure plus normale. De quoi est-ce qu’on a l’air, à nous glisser dans l’auberge comme des voleurs ? Et ce maudit parquet qui grince ! "
Shani eut un petit rire.
" Le problème m’a occupé toute la journée, Mahlin. Comment éviter de réveiller toute la maison. "
" Et finalement elle a utilisé la magie " fit Aarel, fier comme s’il s’était agi de lui.
Ils parlaient désormais tous les deux en même temps, leurs chuchotis se complétant.
" C’était la meilleure solution "
" Elle a appelé le Vert ! "
" Ca me paraissait logique "
" Elle a parlé au bois ! "
" Il était mort, je n’arrivais à rien faire, il fallait que je tâtonne, c’était très étrange, mais finalement… "
" …elle a fait une sorte de pacte avec lui ! "
" Pas exactement, en fait j’ai créé… "
" …toujours est-il que le pêne a coulissé tout seul pour ouvrir la porte, et que le bois n’a pas craqué sous nos pieds ! "
" Je ne savais pas si ca marcherait avant d’essayer… mais ca a marché, oh Mahlin c’est merveilleux ! "
Elle lui tomba dans les bras alors qu’il cherchait encore à comprendre ce qu’ils racontaient. Et il décida qu’il comprendrait plus tard. Son corps était chaud. Il se demanda si, par conséquent, elle le trouvait froid. Il se força à penser à ce qui était important.
" Bon, plus tôt nous commencerons, et plus tôt ce sera fini. Une fois le Lien coupé, nous pourrons enfin nous détendre. "
" Ce n’est pas compliqué, tu as dit ? " demanda Aarel. Il posa la chandelle qu’il tenait sur le bougeoir. Ses mains étaient moites.
" Non, un véritable jeu d’enfant. En fait, la vraie force du Lien est qu’il est difficilement détectable. Mais une fois que l’on sait que l’on est Lié, s’en débarasser est une tâche aisée. " Shani se détacha de lui ; il la laissa partir avec regret.
" Eh bien, commençons le rituel " fit-elle avec un petit rire. Un petit rire tendu.
Mahlin prit une grande inspiration, puis sortit du lit. Quatre jours, maintenant, qu’il restait allongé. Se tenir debout lui parut d’abord malaisé ; ses jambes ne le soutenaient pas. Mais le malaise passa bientôt. Tout allait mieux dès lors qu’il s’appuyait à un mur. Si seulement la pièce voulait bien s’arrêter de tourner.
" Bien. Ce que nous allons faire, vous vous en doutez, fait appel au Violet. Vous êtes tous capables de trouver l’Arc-En-Ciel ? Shani, si tu as pu atteindre le Vert, je pense que tu ne devrais pas avoir de problèmes. Aarel ? " Le colosse fit un signe de tête affirmatif. Quand avait-il eu le temps de s’entraîner ? " Parfait. Mettez-vous autour de moi, donnez-moi la main. Je pense que le Lien a été établi avec toi, Shani, puisque c’est avec toi qu’il a dansé. Mais on ne sait jamais, peut-être sommes nous Liés également. "
Ils se prirent tous par la main, formant un cercle.
" Cela ressemble aux contes que me racontait ma mère pour m’effrayer " murmura Aarel. " Il manque le pentacle. "
" Nous n’avons pas besoin de pentacle. Comme je te l’ai dit, il ne s’agit que de magie mineure. Allez, cherchez le Violet. "
Obéissants, ils fermèrent les yeux. Mahlin prit le temps de vérifier qu’ils suivaient ses directives avant de fermer les siens. La plongée dans les ténèbres, la sensation de liberté, puis, plus profond, celle de se noyer. Puis il refit surface, et les Couleurs étaient là. Maître Khorr avait raison. Cela devenait de plus en plus facile. En un instant, il fut environné de Violet. Il prit le temps de sentir l’énergie couler en lui, puis il rouvrit les yeux. Il ne fut pas tellement surpris de voir les paupières de ses amis encore fermées. Ils avaient moins d’entraînement.
Il attendit patiemment, jouissant de la sensation de puissance, du Pouvoir qui frémissait en lui. Lorsqu’Aarel battit des paupières, il lui sourit. Shani était plus longue. Très longue. Il fronça les sourcils.
" Shani ? Tout va bien ? "
Elle était pâle sous la pâle lueur, pâle et pâlissante, une peau claire au clair de lune.
" C’est tellement plus difficile " fit-elle entre ses dents. Sa respiration était sifflante.
" Plus difficile que quoi ? "

Elle ne répondit pas, et Mahlin commença à s’inquiéter pour de bon. D’autant plus qu’il sentait le Pouvoir décroître lentement en lui. Combien de temps pouvait-il encore le conserver ?
" Shani ? " fit-il encore.
" Tous ces arbres se ressemblent " murmura-t-elle, rêveuse.
" Quoi ? Quels arbres ? "
Et puis elle ouvrit les yeux et lui sourit, d’un sourire aussi pâle que sa peau, la lueur et la lune. Mais c’était tout de même un sourire. Et ses yeux avaient des reflets violets.
" C’était… c’était plus facile avec le Vert. Tellement plus facile…. Mëme maintenant, j’avais l’impression de… " Elle porta la main à son front et se tut quelques secondes avant de reprendre. " J’avais l’impression de me noyer dans le Vert, aussi fort que je cherche à atteindre le Violet. Une sensation surprenante. Mais tout va bien maintenant. "
Aarel fronça les sourcils, mais il n’eut pas le temps de parler. Mahlin sentait le Pouvoir le déserter.
" Parfait " fit-il avec une grimace rassurante. " Commençons. Unissez-vous à moi."
Deux regards se chargèrent d’incompréhension. Il eut un geste d’impatience.
" Vous percevez mon aura ? " Hochements de tête. " Regardez-là, tendez-vous vers elle. "
" Comment ça ? " demanda Shani, perplexe.
" Je ne sais pas, je n’ai jamais fait de rituel non plus " grommela Mahlin. " Et il n’y a personne pour nous enseigner. Il nous faut essayer par nous-même, et prier pour trouver. "

" Attends, tu ne nous avais pas prévenu qu’il faudrait tâtonner ainsi " fit Shani, crispée.
" Certaines trouvailles en magie ont pris des années " marmotta Aarel. " Tu nous demande l’impossible. " Puis il s’éclaira. " Je crois que je sais.. " Il se tendit.
Et puis Mahlin sentit une douleur intolérable lui vriller les tempes. Blême, il tomba à genoux. La douleur cessa aussitôt, et Aarel le releva, les traits décomposés.
" Je… je suis désolé. Ce n’était pas ce que… Bon sang, mais on risque de te tuer à expérimenter ainsi ! "
Mahlin lui fit un pâle sourire.
" En tout cas, tu sais désormais comment donner un mal de tête insupportable à quelqu’un. C’est déjà quelque chose. "
Aarel grimaça.
" Lorsque je veux assommer quelqu’un, j’utilise mes poings ; c’est plus efficace. "
" Concentre-toi ! " siffla Shani. Elle fermait les yeux, comme si voir les Couleurs pouvait l’aider à les canaliser. Ses narines remuaient ; c’était fascinant.
" Je ne fais que ça, figure-toi " répondit Aarel, et lui aussi ferma les yeux.
Ils restèrent ainsi pendant près de cinq minutes. Mahlin grinça des dents. L’effort de maintenir le pouvoir en lui devenait de plus en plus intolérable. Il allait devoir bientôt abandonner sa prise sur le Violet, et aucune de ses lectures ne l’avait prévenu de ce qui pouvait se passer dans un tel cas. Sur le papier, les rituels paraissaient si simples ! Tellement simple qu’il n’avait pas même pris la peine de se demander comment ils le réaliseraient.
Et puis il sentit soudain une chaleur intense, comme s’il s’approchait trop près d’un feu de joie. L’instant d’après, c’était fini, et il sentait le Pouvoir circuler en lui, bien plus puissant qu’avant. Aarel dodelinait de la tête. Il avait réussi.

Quelques secondes plus tard, il y eut la même sensation, brève et douloureuse comme un coup de poignard. Et le Pouvoir coulait en lui, libre, Violet, disponible. Il s’était attendu à une certaine empathie avec ses amis, mais, non, rien. Comme si le Pouvoir avait surgi de nulle part. Et pourtant, il pouvait nommer ce qu’il utilisait. Il reconnaissait les flots, il pouvait les diviser, il savait ce qui venait de Shani, ce qui venait d’Aarel. C’était une sensation grisante.
Il ne savait pas ce que ressentaient ses compagnons, mais se sentit soudain coupable. Il perdait du temps. C’était à lui d’agir.
Concentré, il étendit le Pouvoir autour de lui, des filaments de Violet qui se mirent à tournoyer autour de lui et de ses amis. Les grimoires étaient clairs sur ces étapes, décrivaient avec précision les schemas de pensée à mettre en ½uvre, et il se sentait en territoire connu. Bientôt, il sentit la résistance qu’il attendait, autour de la tête de Shani. Et autour de la sienne. Aarel semblait épargné.
Il prit une grande inspiration, puis lâcha le Pouvoir en une attaque violente, rapide, un coup de sabre. Il sentit quelque chose se couper, quelque chose se déchirer, et puis, plus rien. Le Pouvoir reflua lentement en lui. Le Lien était coupé. C’avait été si simple.
" Ouvrez les yeux " fit-il doucement. " Nous avons réussi. "
" Déjà ? " murmura le géant. " Tu es sûr ? "
" Tu as réussi " corrigea Shani. Elle souriait, mais ses yeux étaient voilés. " Nous n’avons pas fait grand chose. "
" Je n’aurais pas réussi seul. " protesta-t-il. " J’espère que le rituel n’a pas été trop épuisant pour vous. C’était nécessaire, mais je dois avouer que j’étais très inquiet. "
" Et moi donc… " soupira Shani. " Mais nous n’avons plus rien à craindre désormais ! " Son regard confiant chercha celui de Mahlin. " N’est-ce pas ? "
Mahlin évita ses yeux en se prenant la tête entre les mains.
" Bien sûr " fit-il.
Citation :
Publié par Grenouillebleue
Tu as lu les 9 chapitres à la suite ?
perso j'avais lu les 10 premiers chapitres du premier roman d'une traite quand le sieur Ekios m'a filé le lien. Me semble d'ailleurs qu'ils étaient plus long puis que tu les mettais a cheval sur deux posts.
Citation :
Publié par Grenouillebleue
Tu as lu les 9 chapitres à la suite ?
Qu'est ce qu'on en a a cirer, le truc sur lequel il faut se concentrer la, c'est que t'as pas encore sorti le 10
http://www.mangaclub.ch/urd/ebichuley/avatars/ebichu070.jpg

(pi en plus tu slack, t'as vu comme ils sont courts tes chapires la )
Citation :
Publié par Grenouillebleue
J'ai un souci.

La suite est prête, mais si je la poste du bureau, ça risque d'être rempli de carrés...
poste, je veux voir si en trifouillant dans les codages du texte je peux éviter les carrés !
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