Mauvaise augure

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[Edit: la dague n'est plus en pierre mais en écorce, toutes mes excuses.]

Mauvaise augure

Le mektoub grattait le sol aride et chaud à la recherche de quelque herbage à brouter, soulevant à chaque coup de patte de petits nuages de poussière et de sable. Un caillou roule, révélant une petite touffe desséchée happée d'un rapide mouvement de l'animal. Son cavalier, maintenant à demi conscient, gémit, affalé sur sa selle. Il n'est ni grand ni de forte stature, le terme malingre lui conviendrait bien; il porte une tenue de voyage sale et abîmée: au travers du vêtement déchiré en de nombreux endroits on distingue de multiples éraflures sur sa peau mate rougit par le soleil. Sur son visage brun, émacié, creusé de sillons de sang et de sueur mêlés transparaît la souffrance: il a l'épaule gauche démise, plusieurs côtes cassées, des plaies ouvertes que vient lécher le sirocco.

"Une vie de chien ! Nous voilà au bout. Tu ne m'as rien épargné, hein. Bon sang que ça fait mal ! Que ta sœur vienne me prendre, vite..." se dit-il.
Pas tout à fait mort, il sent de petites piques acérées s'enfoncer dans sa chair. Piaillements et battements d'aile: les charognards qui se regroupent pour le festin. Déjà le plus audacieux s'en retourne avec son trophée sanguinolent. Tarsis le Fyros n'a plus la force de les chasser. Ses fontes sont vide, son lance-feu est brisé. Pire: il a perdu son bien le plus précieux, un fétiche mortel et rare: un long-poignard de métal, unique héritage de ce père inconnu. Il en rirait presque si sa gorge n'était pas aussi sèche. Ultime pied de nez au destin...

Dans sa lente agonie, il ne sent plus les harcèlements des volatiles affamés. Il glisse d'un monde à l'autre, au bruit de cavaliers se rapprochant à vive allure. "Je suis en train de passer enfin, pense-t-il, j'entends les gardiens du royaume des morts qui viennent m'emmener. Etrange qu'ils soient si nombreux pour accueillir un aussi piètre serviteur d'Atys." Alors qu'il va tomber de sa monture, des bras puissants le retiennent. Des mains palpent son corps meurtri, des voix parlent à ses oreilles bourdonnantes, l'embout d'une outre est glissé entre ses lèvres craquelées, mais il ne ressent plus rien. "Finalement, ce qui précède la mort est plus douloureux que la mort elle-même" est sa dernière pensée avant de sombrer enfin dans le néant bienvenu.

***

Tarsis rêve.
C'est un petit village aux abords du désert, une étape de plus dans ce périple sans but. Vidant ses poches flasques, il a juste assez de graines pour se payer un maigre repas, une place pour coucher dans la salle commune de la Maison des Voyageurs et une stalle dans l'écurie pour son mektoub. Peu de monde, des conversations à voix basse, des coups d'oeil suspicieux: l'ambiance n'est guère conviviale, une ambiance détestable sans nul doute à cause des récentes escarmouches avec les Matis, pense-t-il. Il est tard; un à un les groupes se défont. Tarsis décide de goûter la fraîcheur de la nuit avant d'aller dormir. Le ciel est clair, on y distingue des myriades d'étoiles tremblotantes. Il n'est pas le seul promeneur du soir, d'autres semblent partager son avis: c'est le moment le plus agréable de la journée. Il soupire. De quoi sera fait demain ?

Des bruits: un choc sourd suivi de caisses de bois renversées. Tarsis, intrigué, pénètre dans la ruelle étroite d'où vient le grabuge. Apercevant du coin de l'œil une silhouette furtive s'éloignant à grands pas, il s'enfonce plus avant et trébuche en jurant. "Qu'est-ce que ?..." dit-il en tombant sur un corps étendu. L'estomac noué, ses mains cherchent frénétiquement dans l'obscurité. Il retourne le corps et dégage ainsi un lance-feu et une dague d'écorce émergeant de la nuque de l'infortuné cadavre. La levant en l'air alors qu'elle dégoutte encore de sang, il a une certitude: ce n'est pas une arme Fyros. Soudain quelqu'un crie "au meurtre" ! Tarsis se retourne, entend les bruits de nombreux pas accourant dans sa direction. Il regarde tour à tour le corps, la dague, le sang qui ruisselle maintenant sur son bras. Lâchant l'arme étrangère, il saisit le lance-feu sans réfléchir et s'élance en faisant le tour du bâtiment vers l'écurie dont la porte n'est peut-être pas encore fermée. Ce soir il ne jouira pas d'un sommeil tranquille.

Alors que le jour point le mektoub épuisé ralentit l'allure, l'écume séchée aux naseaux. Tarsis le fuyard ne l'a pas ménagé: il a chevauché à bride abattue plusieurs heures durant sous les étoiles pour mettre la plus grande distance possible entre ses poursuivants et lui. Oui, il ne doute pas qu'une recherche a été lancée. Qu'il a été imprudent ! Tombé dans le panneau même, si tant est que les intentions du meurtrier véritable furent de le piéger. Fuir en pleine nuit lui assure une bonne avance mais c'est aussi une folie comme il s'en rend compte maintenant. Les pisteurs sont mis en échec pour quelque temps mais lui-même ne sait pas vraiment où il se trouve. Bah ! Il s'en sortira comme pour les autres fois...

Avisant une zone ombragée en hauteur, il décide d'y bivouaquer. La monture accueille avec joie cette halte, et ne tenant plus, s'installe. Tarsis en profite pour faire l'inventaire de ses possessions, c'est-à-dire en somme ce qu'il porte comme vêtement, le lance-feu, l'animal et les deux objets qui ne le quittent jamais: une outre à moitié pleine (gage de survie dans le désert) et quelque chose de long et dur enroulé dans un morceau de cuir. Il est tenté un instant d'en exposer le contenu puis secoue la tête. Il s'allonge inconfortablement, le lance-feu à portée de main. Comme il est nerveux ces yeux restent ouverts. Il voit et revoit le passage étroit et sombre, la silhouette indistincte. L'aurait-il imaginé ? Non, impossible. Bien que refermé et distant – une façon de se protéger des autres (de fuir, encore ?) – il n'est ni doux rêveur ni lunatique, très peu porté sur la boisson ou les substances étranges que les shamans absorbent. Dans ce monde de danger, il y a ceux qui naissent privilégiés, les détenteurs du savoir des Kamis, les communs et les laissés-pour-compte pour qui tout doit être considéré comme hostile. Tarsis est des derniers.

Il n'a pas connu son père, quant à sa mère ... Elle l'a élevé comme elle pouvait avec ses maigres ressources et le reste d'amour qu'elle n'avait pas encore perdu. Il fallait bien vivre, et souvent, le soir, elle envoyait Tarsis "admirer le merveilleux crépuscule d'Atys" afin de ne pas dissuader les clients. Qui viendrait rendre visite à cette dame dans leur chambre unique alors qu'un marmot y traîne et vous observe ? Tarsis avait vite compris de quel commerce ils étaient forcés de vivre. Il ne lui a jamais dit et même aujourd'hui il ne lui en veut pas, car il comprend que c'était la seule solution pour eux deux. Comment pourrait-il reprocher quoi que ce soit à cette femme alors qu'elle s'est tuée à la tâche pour lui permettre de vivre ? La maladie l'avait rattrapée. Quand elle sentit qu'elle allait passer elle remit à Tarsis son paquet si précieux laissé à sa garde par le seul de ses nombreux compagnons qu'elle est jamais aimé. Elle ne savait pas quelle en était la provenance, juste que c'était inestimable, puissant, dangereux et qu'il fallait à tout prix le garder caché. Puis, elle mourut. Comme personne ne pouvait ou ne voulait s'occuper de lui, Tarsis qui n'était alors pas encore homme avait du partir sur la route. Depuis il parcourt le territoire Fyros sans port d'attache, vivant de rapines ou des boulots que les autres refusent, mais jamais encore il n'a tué un autre homin.

***

Une voix rude demande abruptement: "Comment va-t-il ?
- il a beaucoup de fièvre et de sérieuses blessures. Il est faible, s'il ne trouve pas la force, seuls les Kamis le sauveront.
- Soigne-le et garde-le en vie", répond le premier qui ajoute avec un reniflement: "le Chef a des questions à lui poser et il lui faudra y répondre.
- Nos réserves s'épuisent, nous n'avons reçu ni approvisionnement ni information depuis trop longtemps. Je manque de moyens et je préférerai m'occuper de vous tous plutôt que de cet étranger, fut-il de mon peuple.
- Pourtant les ordres sont clairs: il doit vivre. Je n'en sais pas plus mais le Chef est très impatient, et très inquiet", ajoute-t-il dans un souffle.

[à suivre]
Here is the translation from the text above, to be completed to stop exactly at the same line than the previous one.
[Edit: the dagger is now made of bark, not stone. I apologize.]

Bad omen

The mektoub was scrapping the arid, hot ground, searching any herb to munch, throwing with each leg move small clouds of dust and sand. A rock shifts, revealing a dried shrub that is vanishing quickly within the animal's mouth. The now half-conscious rider moans laying on the saddle. He is neither tall nor tough, "wiry" would be convenient for him. He wears a dirty ill travel outfit; a dark sun-red skin covered by numerous scratches is visible through the vestment holes. Suffering is on his brown, diet face which he has burrowed with mixed blood and sweat: his left shoulder is displaced, several coasts are broken, the sirocco licks open wounds.

"A dog's life ! We're at the end. I owe you not much, right ? Hell, it's so painful ! May your sister quickly come and take me to the other side..." he said to himself.
Still barely alive he feels small but edged spikes digging in his flesh along with shrieks and wing slaps of scavengers gathering for the feast. Yet one dares and gets a trophy. Tarsis the Fyros has no strength left to disperse them. His saddlebags are empty, his fire-flinger is shattered to pieces. There is worse as he had lost his most precious item: a carved long-knife made of metal, a rare and deadly fetish, the one legacy left by an unknown father. If only his throat was not so desiccated, he would laugh of this, as an ultimate taunting to Fate…

In his slow agony he feels no more harassment from the ravenous avian beasts. He slips from this world to the other with the sound of riders coming fast. "I'm on my way at last, I hear the death realm keepers. That's weird they sent so much of them to meet such a worthless Atys servant." As he nearly falls down, strong arms are grabbing him back. Then hands check for his broken body, voices speak to his buzzing ears, a water pouch tube is inserted between his crackled lips, but Tarsis is not aware of this anymore. His last thought is "what is preceding death is more awful than death itself" and he finally sinks in the welcomed coma.

***

Tarsis is dreaming.
This part of the desert boundaries hosts a small village, one more halt in this aimless journey. Emptying his flat pockets he has just enough seeds to have a diet meal, to rent a couch in the Travelers House's common room and get a place in the stable for his mektoub. Few people are there, speaking with low voice and throwing suspicious glances, a stretched atmosphere resulting probably from recent skirmishes with Matis, Tarsis thinks. It's late now, groups are disbanding one at a time. Tarsis decides to taste the night freshness before going to sleep. In the clear sky many trembling stars are visible. There are other evening walkers sharing same feelings like him as it is the most pleasant time in the whole day. Tarsis sighs. What will tomorrow be made of ?

Noise erupts as smooth shock and collapsed wood containers. Curious Tarsis has a look at the narrow lane from which the quarrel comes. He catches the glimpse of a sneaking silhouette moving fast away. When he steps deeper he stumbles with a curse. "What's the hell ?..." he says falling over a lying corpse. With his stomach going stuck he starts searching in the dark. As he rolls the corpse he brings to exposure a bark dagger protruding from the unfortunate's skull base and a fire-flinger. He rises the blade still pouring of blood and has the certitude in a eye blink it is not a Fyros weapon. Suddenly someone yells "Murder !". Tarsis turns back, hears many boots coming for him. He looks in turn at the corpse, the dagger and his arm now covered with blood. Without thinking he drops the unfamiliar weapon, gets the fire-flinger and heads with speed rounding the building to the stable which doors may be not closed yet. No easy sleep will come for him tonight.


[To be continued ]
Vraiment très sympa ! J'attend avec impatience la suite !
Il y a un bon début de scénario qui paraît vraiment très prometteur
N'hésite pas à produire une suite très rapidement !!! Je veux lire la suuuiiiitttteeeuuuhhh
Merci en tout cas de produire du bon texte sur Ryzom
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http://www.planetsidestats.com/Sig/21/422153/1/sig.jpg
Did you think the lion was sleeping because it didn't roar ?
Du très bon travail Kleitus.
J'attendais ton texte avec beaucoup d'intéret et tu ne m'as pas déçu

Et comme Seenlu, à quand la suite des aventures de Tarsis ...

Le lecteur est toujours impatient
Bravo très très bon. Comme les autres je n'aurais qu'une chose à dire on veut la suite
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« Pour bien faire, mille jours ne sont pas suffisants, pour faire mal, un jour suffit amplement. »
Suite
***

Oscillant toujours entre les deux mondes, Tarsis est de nouveau happé par un autre souvenir.
N'ayant que peu de connaissance de cette région, il avait laissé le flair de l'animal les guider à la recherche d'une source d'eau et de quelques baies sauvages. Ils n'avaient obtenu des deux que le minimum. Au moins ses poursuivants semblaient avoir perdus sa trace. Depuis plus d'une journée le mektoub avançait globalement dans la même direction ce qui pour Tarsis constituait un net espoir: complètement désorienté après avoir tourné en rond il s'en remettait entièrement à l'instinct de la bête.

Depuis leur fuite et malgré le rythme effréné du début les deux avaient tissé un lien affectif puissant. Plusieurs fois Tarsis avait oublié d'attacher sa monture lors des haltes mais cette dernière ne s'était jamais éloignée, trouvant sans doute que transporter un homin armé était plus judicieux que de faire face seule aux prédateurs qui ne manquaient pas. Quand ils trouvaient de quoi se sustenter Tarsis laissait le mektoub se servir avant lui; il avait été très surpris lorsque la première fois l'animal n'avait pas tout mangé et lui avait laissé une part raisonnable. Tarsis en était venu à considérer le mektoub comme un compagnon d'infortune et à le traiter avec respect. Pour ce qui était du chemin à suivre le mektoub qui ne semblait pas regretter son ancien maître bénéficiait donc de la confiance totale de son cavalier.

C'est ainsi qu'ils arrivent misérables dans une agglomération de cabanes et huttes bigarrées: "le Comptoir Franc des Quatre Roues, ici nous n'aimons pas les voleurs de mektoub" indique un panneau branlant et grinçant. Les Quatre Roues tenaient leur nom à ce qu'on raconte de la rencontre ici-même de marchands désoeuvrés des quatre races d'homin (Fyros, Matis, Tryker et Zoraï) qui auraient mis en commun ce qui leur restait de ressources pour créer ce comptoir bien avant la naissance de Tarsis. Lui-même avait du mal à croire que ces homins aient réussi à vivre à proximité sans s'étriper; en réalité la suite de l'histoire a été étouffée. Au bout de quelques années les affaires avaient démarré et les marchands prospéraient. Evidemment de divergences d'opinions sur la conduite du comptoir éclatèrent avec leur lot de mesquineries, sabotages et coups-fourrés. Quand la situation devint explosive le Zoraï quitta l'alliance en claquant la porte, le Fyros et le Matis s'appuyant sur leur milice respective se déclarèrent une guerre larvée laissant le Tryker moins bien surveillé qu'il n'aurait du l'être. L'erreur fut fatale car celui-ci prit les devants et régla promptement le problème en faisant assassiner ses ex-collègues, s'appropriant ainsi tout le trafic...

Dans l'unique rue règne une grande effervescence et une tension presque palpable. La population est cosmopolite: ça et là des groupes de Fyros s'affairent à emballer et charger différentes marchandises dans de longs chariots tirés par des mektoubs sous le regard méprisant d'une poignée de Matis en armes. Ceux-là sont la garde rapprochée d'une dame de la noblesse Matis veut s'encanailler aux jeux. A égale distance des travailleurs et des gardes quelques Trykers observent tout le monde en chuchotant et en riant. Quand aux éventuels Zoraïs ils restent invisibles. Toute cette activité aurait presque pu rendre l'arrivée de Tarsis inaperçue. Presque, car un Matis se désintéressant du chargement tourne la tête et le voit. Il donne un coup de coude à son voisin et s'avance en ricanant bientôt suivi par les autres.

Tarsis dodelinant de la tête à bout de force ne remarque pas l'approche qui n'a pas échappé en revanche aux Trykers soudain très attentifs. Le plus grand des Matys portant une armure ouvragée pique de son épée le jarret du mektoub qui se cabre brusquement jetant à terre un Tarsis complètement pris au dépourvu. La ruade et le cri de l'animal sont tels qu'ils couvrent le brouhaha ambiant. Tous les regards convergent maintenant vers l'entrée de la rue où les Matis entourent Tarsis toujours au sol, gémissant. Le grand Matis se gausse de sa bonne plaisanterie. Un attroupement se forme, quelques Fyros posent leurs ballots. Tandis que Tarsis tend la main pour attraper son lance-feu qui est tombé en même temps que lui un autre Matis repousse l'arme d'un coup de pied. "C'est ça un fier combattant Fyros ? Ah, ah , Ahaarg!" Une bille d'écorce vient de heurter le garde Matis au dessus de l'oreille. "Là !" fait un de ses comparses, "c'est ce petit fumier !" désignant un Tryker qui range précipitamment sa fronde.

Les Matis s'élancent vers lui. Les Trykers se débandent et disparaissent. Les Fyros accourent vers Tarsis. "Hé regardez, c'est un des nôtres ! Lâches !" crient-ils aux Matis. "Arrêtez-les !" D'autres Fyros s'interposent, tentent de bloquer les gardes. Bousculades, des insultes et des menaces jaillissent, suivies d'armes diverses. Alors qu'on s'apprête à frapper sans remord une voix puissante crie: "Ca suffit !".
Suite
Un cortège d'une dizaine de personnes fend la foule en repoussant sans ménagement les belligérants qui se replient chacun de leur côté. En son milieu se trouve un Tryker d'âge avancé richement vêtu, il est escorté par des guerriers lourdement armés et deux autres êtres de haute taille dont le masque blanc et la peau bleutée indiquent qu'ils sont des Gardiens des Kamis: un homme et une femme Zoraïs. Ils portent chacun un grand bâton sculpté, des habits de feuilles et de lianes tressées. Leur front est ceint d'une couronne de pétales de fleurs exotiques. L'homme est large d'épaule, puissamment bâti; la femme à son contraire est si fine qu'on pourrait en tailler deux comme elle dans un bras de l'autre. Légèrement plus petite que son compagnon elle n'en reste pas moins de deux pieds plus grande que le plus grand des autres Homins présent. Arrivé devant Tarsis qui ne s'est pas relevé Le Tryker donne un ordre bref: "Emmenez-le".

"Je veux qu'il soit soigné, lavé" ajoute-t-il une fois de retour dans la plus grande maison du comptoir. L'homme Zoraï frémit, hésite, se tourne vers la femme. "Hé bien quoi ?" fait-le Tryker en fronçant les sourcils. Finalement les deux Zoraïs transportent délicatement Tarsis dans une autre pièce. Au bout d'une heure celui-ci est remis sur pied. Puis il est conduit devant la porte d'une salle d'eau. A l'intérieur un baquet d'eau brûlante l'attend ainsi que de beaux vêtements propres. Malgré l'étonnement que suscite ce traitement de faveur et les nombreuses questions qui lui viennent aux lèvres, Tarsis ne se fait pas prier. Il n'a jamais pris de bain privé, un luxe que seule la richesse permet d'obtenir. Il en sort bien longtemps après que l'eau eût refroidie tant le bain et le calme l'ont revigoré. Ayant enfilé la tenue disposée à son intention, il lui est demandé enfin le Maître de céans dans son bureau, à l'étage.

Ne souhaitant pas offensé son bienfaiteur, Tarsis obéit de suite. Le garde de faction devant la porte s'efface pour le laisser passer. Le bureau est à l'image de la maison: sobre, fonctionnel. Les seules concessions à la décoration sont une tête de varynx empaillée et un vieux portrait accrochés en hauteur. Diverses cartes sont étalées sur une table, elle est accompagnée d'une siège d'aspect confortable, d'un écritoire, d'une armoire et de deux chaises simples à l'autre bout. Le vieux Tryker est là, les bras croisés dans le dos observant l'activité du dehors par un panneau de bois relevé.
"Ah bien, dit-il en se détournant. Il détaille Tarsis et esquisse un sourire, l'air satisfait. Je suis Organte, le petit-fils de cet Organte-là (il désigne le portrait du menton) le fondateur de cet endroit. Et vous êtes un vagabond, que dis-je un fuyard qui a de la chance, beaucoup de chance que je sois dans un bon jour. Je sais ce que vous avez fait ou plutôt ce que vous n'avez pas fait. Quel est votre nom ?

- Tarsis. Pourquoi m'avoir aidé tout à l'heure ?

- Je suis bien placé pour savoir que vous n'êtes pas coupable. Cette personne au village m'avait causé du tord, avait enfreint les règles et devait être punie. Pure coïncidence que vous vous trouviez-là précisément ou bien volonté d'Atys ? Je ne sais pas, mais votre promptitude et votre survie jusqu'ici montrent que vous avez des ressources. Des opportunités existent ici pour des gens tels que vous. En travaillant pour moi vous vivrez avec d'excellentes conditions, vous jouerez d'une bonne réputation – la mienne - et vous ne puerez plus la bouse de mektoub. A ce propos le votre est dans mon enclos, mon palefrenier s'en occupe. Une bonne bête m'a-t-il dit.

- Je ... Je ne sais pas. Votre proposition est tentante. Il faut que je réfléchisse.

- Ne tardez pas trop, ne réfléchissez pas trop. Ma guérisseuse m'a fait part de craintes à votre sujet. Vous avez une mauvaise aura selon elle. Ce n'est pas le Goo, oh non, sinon vous ne seriez pas là. Mes amis Zoraïs – nous avons un accord voyez-vous - ne vous auraient pas laissé vivre une minute de plus avec ce fléau en vous. Non... c'est autre chose, une étrangeté, un mal, qui sait ?

- Je ne me sens pas particulièrement mal.

- Mais vous ne vous sentez pas particulièrement bien non plus. Soit, vous me donnerez votre réponse demain. Si vous refusiez j'en serais certainement affecté et déçu mais je n'en prendrais pas ombrage car je sais que vous êtes un homme intelligent, n'est-ce pas ? demande Organte en plissant les yeux.

- Je comprends que je vous suis entièrement redevable, je vous suis loyal comme vous l'êtes avec moi.

- Bien dit. Pourquoi ne resteriez-vous pas ici ce soir ? Je l'ai dit je suis dans un bon jour, une difficile affaire qui se conclue bien. Vous avez il me semble besoin de vous nourrir convenablement, et ce sera une bonne occasion de rencontrer mes gens. Maintenant pardonnez-moi mais j'ai du travail ..." Organte se retourne vers son écritoire et prend une plume
Suite ...
Laissant Organte à ses affaires et maintenant libre de visiter cette demeure dont le faste contraste tant avec le bureau de son propriétaire, Tarsis flâne. Il déambule au gré des couloirs, visite les pièces sans jamais rien toucher. Il reste d'abord pantois la débauche de richesse, les meubles finement travaillés par les plus grands artisans de la planète, les armes dans leur râtelier, les tapisseries chatoyantes... Puis, il se ressaisit. "Organte est intelligent, et dangereux. Quelles peuvent être les intentions d'un tel homin? Je ne dois pas me laisser impressionner par ses manières affables et son ton condescendant, ni par ses 'largesses'" pense-t-il alors qu'un serviteur s'éclipse rapidement, laissant derrière lui un plateau chargé de fruits et d'une coupe de vin de sève. Perdu dans sa réflexion silencieuse, il ne se rend pas compte qu'il est parvenu devant la lourde porte d'entrée. Elle est haute et massive, Tarsis peut entendre frémir la magie qui la renforce. Il hésite, tend le bras pour tenter de l'ouvrir quand une voix cristalline dit: "A votre place je ne le ferais pas. Le vent est retombé mais la tension est toujours palpable." C'est la femme Zoraï, sortant de l'ombre d'une colonne, qui a prononcé ces paroles. Tarsis se retourne et balbutie un "c'est juste, merci", soudain mal à l'aise d'avoir été épié. Comme il regagne la chambre qui lui a été assignée, il sent le regard inexpressif du masque blanc peser sur lui. "Dangereux, assurément."

L'heure du repas arrive. Quand un serviteur frappe à la porte annonçant le dîner Tarsis n'est que trop heureux de sortir de son confinement tacite mais forcé. C'est avec moins de morosité mais autant de réserve qu'il est conduit dans la grande salle à manger.

La pièce rectangulaire est la plus grande du bâtiment, et aussi la plus grande que Tarsis est vu. Dans l'après-midi comme les volets étaient ouverts et que la clarté du jour illuminait la pièce il ne s'était pas rendu compte à quel point elle était immense. Maintenant que la nuit est tombée et que des globes de sève cristallisée projettent ça et là une lumière plus diffuse la pièce est à certains endroits plongée dans l'obscurité. Sept convives sont déjà assis à une extrémité de la longue table, Organte siégeant évidemment au milieu des autres. A deux places sur la droite, l'espace est libre. Les serviteurs discrets sont en retrait, à la limite de visibilité. A son entrée, sur un signe d'Organte qui lui adresse un large sourire, tout le monde se tait. Le bruit de ses pas et celui du froufrou des vêtements du serviteur sont les seuls sons audible. La nervosité gagne Tarsis à mesure qu'il se rapproche de sa place. Il sursaute quand, par maladresse ou délibérément, le jeune Tryker à droite d'Organte qui jouait avec une pique en bois la laisse tomber. Organte lui jette un regard dur et le jeune Tryker semble s'excuser. Enfin, le serviteur qui marchait devant lui tire la chaise pour lui permettre de prendre place. Tarsis serre les poings mais déjà les odeurs de nourriture lui taquinent le nez, et, vaincu, il s'assoit.


A la gauche de Tarsis se tient donc le jeune Tryker facétieux qui l'observe d'un air rusé. Organte d'un geste ample commence les présentations. "Mes amis, voici Tarsis, voyageur endurci et prétexte malgré lui aux désordres d'aujourd'hui. Et voilà ..." Il désigne chacun des convives en commençant par l'homme à droite de Tarsis, un Fyros: "Nick-la-Hache, il ne l'amène pas à table mais il la manie comme pas deux, crois-moi sur parole (l'homme fait une mouvement de mâchoire qui pourrait passer pour un sourire); Sylvia et Luigi, de bons amis Matis (les longs cils de la femme, très belle dans une robe diaphane qui ne cache rien de son corps, papillonnent langoureusement, l'homme incline la tête); les jumeaux Trykers Jack et Jeffrey, deux garnements orphelins (ils retiennent un rire) que j'ai recueilli et élevé presque comme mon propre fils que voici enfin: Paul-Organte." Le jeune Tryker se lève rapidement et fait une révérence comique avant de s'asseoir, ce qui fait lâcher leur rire aux jumeaux et glousser la femme Matis. "Enchanté, dit le fils d'Organte. Oublie ce nom rasoir et fais comme tout le monde – sauf mon père, appelle-moi Jaunty." Organte fronce les sourcils mais l'autre adresse un clin d'oeil à Tarsis. Le repas peut maintenant commencer malgré, comme le remarque Tarsis, l'absence des Zoraï à la table.
Je trouve toujours aussi bon /clap
<va rejoindre Ethon près du feu et patiente aussi>
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« Pour bien faire, mille jours ne sont pas suffisants, pour faire mal, un jour suffit amplement. »
Les plats, tous plus succulents les uns que les autres, défilent: pâté de yubo, pinces de kipee farcies, capryni à la broche, le tout accompagné des meilleures baies de la région et d'un vin sucré qui a tôt fait de lever les inhibitions de Tarsis. Il ne se retient pas et dévore tout ce qui lui est présenté, visiblement inattentif aux regards réprobateurs des maniérés Matis. Son comparse Fyros, peu bavard, n'est pas moins aussi friand de la savoureuse nourriture; les jumeaux se disputent leurs plats; Organte père et fils, comme les Matis, mangent sans excès à la façon étudiée de ceux qui ont reçu une instruction. Lorsque baisse la cadence de la ripaille la nuit est bien avancée. Organte-père qui a laissé filé la conversation anodine et les remarques grivoises donne le signal du passage au "petit salon" d'un claquement de main. Tarsis a bien bu, son ventre est distendu de la bombance offerte; il suit comme les autres sans protester.

Dans le salon on sirote un digestif raffiné ou ce fameux thé Zoraï si propice à la méditation. Sylvia s'est finalement offusquée de la conduite si peu protocolaire de Tarsis pendant le repas car elle ne lui adresse pas un regard. Dodelinant de la tête il n'a de toute façon pas la tête au batifolage. Chacun, à part deux, semble perdu dans ses pensées intimes. On n'entend plus que les bruits de la vie nocturne entrecoupés parfois par le grincement du bois d'une racine géante qui zèbre le ciel d'Atys. Le lourd écrin de la somnolence tombe petit à petit et les convives se retirent un par un, guidé par un des serviteurs toujours attentifs et discrets.

Ils ne sont plus maintenant que trois. Tarsis sursaute au raclement de gorge du vieux Tryker. Un frisson lui parcourt l'échine comme il se rend compte que les deux maîtres n'ont pas cesser de l'observer intensément durant toutes ces minutes. Il sourit pitoyablement.

"Je suis heureux, Tarsis, que tu aies finalement choisi de rester parmi nous ce soir, commence Organte. As-tu apprécié cette collation ?" Tarsis, à nouveau sur la défensive, répond: "Oui, évidemment que oui. Je me suis perdu devant cette abondance, je crois.

- Ne te morigène pas, tu avais besoin de revigorer. C'est un peu comme un cadeau de bienvenue parmi nous. Car tu es chez toi maintenant, n'ai je pas raison ?" Tarsis baisse les yeux. Il doit bien s'avouer, à contrecoeur, qu'il a déjà fait son choix. Sa vie d'errance lui pèse tout d'un coup, il a besoin de racines solides, d'un point d'ancrage ferme pour ne pas s'égarer et disparaître. "Oui, c'est juste, j'ai trouvé ici un nouveau foyer."

- C'est heureux pour nous tous. Mais Je crains hélas que tu ne puisses pas encore jouir de ta nouvelle situation. C'est que vois-tu les esprits sont encore échaudés. Comme tu as pu le constater, l'atmosphère est lourde aux Quatre Roues. Ce mélange des communautés n'est pas au goût de tous et il n'y a pas une journée sans qu'éclate un incident maintenant que les vieilles tensions politiques entre Matis et Fyros ont été ravivées. Tu as, bien involontairement je le sais, fait monter la pression d'un cran. Tu pourrais subir à nouveau la vindicte de ceux qui n'ont pas apprécié mon intervention. Ce ne serait pas bon pour toi de commencer ta nouvelle vie au milieu de bagarres de rue, au risque de prendre un mauvais coup. Tu as vu le convoi Fyros en arrivant ? Il part demain matin pour la Cité de ton Peuple. Je me suis dit qu'admirer quelque temps ce joyau du Désert te ferait et je t'ai trouvé une place à bord comme éclaireur. Non, ne me remercie pas, tout est arrangé avec le Marchand itinérant. Ne t'en fais pas, tu ne seras pas seul, mon fils t'accompagnera. Pour son éducation... Ah ! Je te libère maintenant, je vois que tu ne tiens plus debout. Je te souhaite de bien dormir: les convois de marchandises n'offrent pas, j'en ai peur, le même confort que ta chambre douillette."
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