L’homme qui disait s’appeler Rest, quoique ce nom fut sans aucun doute celui d’un autre, était depuis la veille dans cette auberge, auberge déserte - en temps mort - d’une ville populeuse. Rien de spécial à première vue, la large salle commune était presque vide ce matin-là - et l’était la soirée passée également - le sol propre avait été lavé à l’aube, ainsi que les tables, comme toute auberge qui se respecte. Dans un coin, plus sombre que les autres mais tout de même clair, disons qu’il n’était pas frappé par le soleil directement; ce coin, reculé et positionné de façon à ce qu’il soit invisible de la rue mais que son angle par rapport à la porte empêcherait à un nouveau venu de le fixer immédiatement et facilement; ce coin, disons-le, judicieusement choisi, était précisément l’endroit que Rest avait choisi pour s’asseoir et manger des aliments qu’il portait avec lui, sans avoir en aucune manière recours à l’aubergiste pour se sustenter. Ce petit et élancé personnage, habillé de tons sombres et portant une longue cape siglée d’un dragon, se fondait complètement dans l’espace qu’il occupait; il ne bougeait pas, sa respiration était calme et inaudible : il aurait même pu surprendre un chat, petit félin agile, tigre domestique.
Du côté des cuisines, l’aubergiste faisait les maigres comptes de la veille tout en gardant subtilement un oeil suspicieux et craintif sur son mystérieux client . Les comptes qu’il faisait l’amenèrent à un vide, un trou dans ses piles de pièces, un trou qui devait être comblé par l’homme du coin. Un frisson d’hésitation lui parcourut tout le corps, mais il se résigna à essayer d’avoir son dû, car la saison était morte donc l’argent précieux. Il se dirigea d’un pas inégal vers le fond de la salle, vers l’homme du coin, vers l’homme en noir, vers Rest. Lui avait fini de manger; il avait depuis le début observé et analysé la toute la scène d’un air amusé, ricanant sur lui-même de l’état du pauvre homme qui s’en allait vers lui. L’aubergiste ralentit son allure à quelques mètres de la table, marchant plus doucement. Arrivé à la hauteur de Rest, il essuya ses mains moites sur son tablier.
« Hum... tout compte fait, votre séjour ne vous aura coûté que douze pièces d'argent, maître Rest, » dit-il.
Son client le regardait fixement dans les yeux. Il se reprit et ajouta, tremblant :
« Si... si vous êtes disposé à payer, cela va de soi. »
Rest se leva et se prépara à s’en aller, calmement. À la surprise de son interlocuteur, il mit une main dans sa bourse, faisant entendre un très généreux clinquement de pièces. Il en sortit un unique disque de métal et le lança à l'homme qui l’attrapa au vol.
« Voilà pour ta peine, » dit-il. Il s’en alla sans attendre la réaction de l’aubergiste, qui contemplait avec émerveillement dans le creux de sa main le reflet d’une pièce d’or.
La matinée touchait à sa fin alors que les rues était pleines, comme à l’habitude, des marchands et de leurs potentiels clients. La ville, capitale de d'Hibernia, était l’endroit de rendez-vous des voyageurs. Il y avait de tout dans cette ville.
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