L'hallali de la philosophie

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Le décor ? un troquet au fond d'une impasse qui disparut des cartes de Paris il y a pile 107 ans, une tablée honnête et hétéroclite parlant chiffons, quelques truands dont les oreilles sensibles nous épient, et un authentique et accorte garçon italien téléporté pour l'occasion de sa Firenze natale.

Le sujet ? et bien justement, je ne sais plus très bien (je tiens à préciser que l'alcool me rend amnésique et prétentieux*), mais je suis passé sans le vouloir du processus de fabrication du cale-biberon avec des débris d'hélicoptère à la phrase suivante: "Non mais c'est vrai quoi la philo c'est tout mort, ça sert plus à rien, même les philosophes n'y croient plus". D'aucuns se rappellent peut être une croustillante échauffourée verbale entre Thief, leader des War Legend, et Khronos, shaman presse papier des Bras KC ? et bien à ceux là j'ai envie de dire: rien à voir, à part que je vais peut être désormais tourner ma langue 7 fois dans ma bouche avant de parler. Pourquoi ? et bien...

Ma voisine ? Caepolla. Instantanément, 2 loupiottes aux reflets d'airain s'allument dans sa chevelure cyrcéenne. préjugé repéré. mode méduse enclenché. Hypnotisé par les serpentins bouclés et frissonnants d'indignation, je me fige. D'un air vaguement gêné comme pour s'excuser d'avoir à renvoyer le singe tombé de sa branche chez lui à coup de tisonnier, celle dont j'avais déjà fait part de la propension à ligaturer un thread par la philo, me jette sans ambages ni fioritures un "tu te trompes" assassin. Une fois mes trompes ligaturées, nous passâmes à autre chose. Je m'en tirai à bon compte.

Mais aujourd'hui, le singe a oublié le tisonnier, les poils ont repoussé, et il veut développer. Alors comme le disait Socrate, accouchons.
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1. Avant, la philosophie était tout et tout était philosophie
Etymologiquement d'abord. ~ vient du latin philosophia, qui vient d'un mot grec qui sonne à peu près pareil, qui veut dire "philosophie", et inversement. Comme qui dirait, c'est intrinséquement ontologique, on voit bien que ça ne veut pas dire "qui trie les gravillons par calibre sur les coteaux de la raison". Toujours étymologiquement car on y prend goût, le philosophe est "ami de la sagesse" (et si j'allais faire un tour du côté de l'étymologie de "sagesse" j'y trouverais probablement "ami du philosophe"). La philosophie regroupait sous ses ailes protectrices toutes les sciences, qu'elles soient molles ou dures, exactes ou humaines: mathématique, physique, logique, médecine, biologie, psychologie, sociologie, éthique, politique, linguistique, rhétorique, etc...C'est d'ailleurs bien simple: dans toute branche on remonte tôt ou tard à Socrate, sa maieutique, son franc-parler et sa cigüe, Platon, sa dialectique, ses banquets et sa caverne, et Aristote, ses syllogismes et son savoir encyclopédique. Mis à part quelques présocratiques comme Thalès** ou Zénon (d'Elée, pas le stoïcien de Kition) et ses célèbres paradoxes du mouvement, le triumvirat du savoir humain est indéboulonnable. Si le philosophe eut souvent "quelque chose d'autre dans sa vie" (astronome, dominicain ou conducteur de bus), le développement de l'arbre scientifique a rapidement rendu la tâche ardue, puis impossible.

Aujourd'hui la philosophie est éclatée dans toutes les sciences citées ci-dessus, et si l'on veut réduire à la philosophie de l'esprit on peut considérer l'hexagramme connexe aux sciences cognitives psycho-socio-bio-IA et j'en oublie deux. On peut même se risquer à dire que la science en général a joué à la philosophie le même tour que celle ci avait joué à la religion, y compris dans ses apories les plus métaphysiques et existentielles, désormais abordées dans chaque spécialité sous un angle différent. Si le cursus scolaire "philosophie" existe et connaît toujours un certain succès, ses ténébreux méandres sont inconnus du néophyte (contrairement à la psycho par exemple) et les produits du cursus sont majoritairement enseignants pour ce cursus, ce qui en fait une fin en soi. Par ailleurs, l'activité "philosophe" n'est plus une profession en tant que telle, et ses derniers représentants estampillés "philosophe-only" comme Glucksmann ou BHL*** sont loin d'obtenir la reconnaissance, en terme de reflexion sur l'humanité, d'autres penseurs dont ce n'est pas la spécialité (citons Camus et Sartre pour l'existentialisme, Saussure, Levi-Strauss & Chomsky pour le structuralisme, etc. ). On va me dire, tout n'est pas perdu, il reste Deleuze & Foucault, mais force est de reconnaître que le philosophe, le vrai, celui qui vit dans un tonneau de St Julien et passe ses journées à prouver l'existence de Dieu ou le contraire, se fait rare.

2. Avant, la philosophie était un instrument de contestation politique

EtAprès va me dire "la philosophie doit elle être morale ?". Faut voir.

Oui, chez les philosophes il y a eu beaucoup de lèches-bottes, notamment pendant le moyen-âge, période dominée par la religion qui a vu des St Augustin & Thomas d'Aquin adapter Platon & Aristote pour les besoins de la théologie (je suis terriblement réducteur, mais c'est l'idée). Cependant, quand la politique et l'Etat se laïcisent (on va dire à partir de Machiavel), chaque nouveau système idéal est une forme de critique, parfois masquée, du système en place. C'est particulièrement éclatant pendant le siècle des lumières (Montesquieu & son esprit des lois, Voltaire, Rousseau, Diderot), période contestataire et didactique qui s'achève peu ou prou par la révolution française.

Aujourd'hui, c'est la démocratie. Liberté d'expression, diffusion des idées en masse, pluralisme des partis politiques: chacun, et c'est particulièrement visible lors des repas de famille, a son petit système "philosophique". La philosophie, en tant qu'instrument de contestation politique, n'a plus de raison d'être. Une page perso suffit.

3. L'optimisme philosophique

Ici les exemples foisonnent, on résumera par "l'homme nait naturellement bon c'est la société qui le pervertit" et le contrat social de Rousseau qui récolte le pompon, et Kant, dont il était question il y a peu, avec sa "loi morale".

Maintenant imaginons le vampire philosophe optimiste. Ayant vécu le Siècle des lumières, cotoyé Beccaria & Smith, la révolution industrielle, le boom de la science et de l'éducation, voilà de quoi aborder un XXieme siècle plein d'optimisme. Et bien pim pam poum, 2 guerres mondiales, 1 holocauste, la physique fabrique le nucléaire, la chimie le gaz de combat, l'homme volant imaginé par Vinci ne part jamais sans quelques tonnes de bombes, et pour finir, l'affaire du sang contaminé (pour un vampire c'est gênant) et un ping globalement merdique sur Paris ouest qui rend insupportable la moindre partie de warcraft en réseau.

Je demande maintenant 3 hommes pour miner les fondements même de la philosophie: Marx et les turpitudes inhérentes à la société capitaliste sur fond de lutte des classes, Nietszche qui tue Dieu, et Freud, inventeur de la psychanalyse, qui met à jour les mécanismes humains d'inconscient et motivations à base de pulsions sexuelles. Oui, comme vous dites, l'idéalisme philosophique, celui qui tentait de couler dans du marbre l'entendement et la perception, tentant de faire concorder Dieu et l'humanité pour un monde meilleur, se prend en ce 20eme siècle chaotique un beau coup du bananier.

4. Des détails qui font mal

La chape étouffante enclochant notre belle capitale a de manière prévisible fait fuir les quelques arguments**** qui m'étaient resté en travers de la gorge face au regard de braise & à la voix de stentor de Caep & Ubal. Néanmoins 2 détails, de forme ou de fond allez savoir, n'ont pas fondu:

- Tout d'abord, la philosophie a consisté en des kyrielles de systèmes. Bien sur, des briques de ces systèmes ont largement contribué à la maturation de la pensée humaine, la logique formelle d'Aristote, le doute méthodique de Descartes, les résultats des systèmes rationnalistes ou empiriques: la philosophie a tourné certaines des plus grandes pages du savoir humain. N'empêche, si l'expression "tabula rasa" revient souvent dans les manuels de philo, ce n'est pas par hasard: peu de sciences ont pu se vanter d'avoir autant de systèmes cohérents mais fondamentalement contradictoires les uns avec les autres. Il faut pour saisir le ridicule de la chose s'être fait trainer par un philosophe à travers des milliers de page décrivant son système, puis par son successeur qui, niant d'emblée le postulat de départ du malheureux gratte-papier précédent, n'aura de cesse de décrire strictement l'inverse à travers autant de pages.

P1: L'existence précède l'essence. et bla bla bla
P2: Non, c'est l'inverse. et alb alb alb alb
Lecteur: sinon y'a quoi à la télé dimanche soir ?

=> Tout ça pour dire qu'en terme de "capitalisation de savoir faire", la philo c'est assez pauvre.


- La deuxième remarque aurait pu être un sujet de baccalauréat. "Qu'est ce que la philo dans un monde qui a faim ?". J'ai la faiblesse de penser que sur les 1000 personnes qui ont lu Kant, 10 seulement l'ont suivi jusqu'au bout, 9 sont mortes et le dernier s'est rendu compte qu'à la place il aurait pu avantageusement lire les 10 tomes de la roue du temps de Jordan. C'est ici purement une question de forme, et on m'a souvent rétorqué que Kant écrivait pour des spécialistes. N'empêche, Kant, c'est chaud, et lire "l'être et le néant" c'est se fermer Sartre à jamais alors qu'il a fait des romans très agréables. A partir de la princesse de Clèves le roman n'a cessé de croitre en importance. Il est aujourd'hui, par la richesse et les expérimentations sur sa forme, un médium prisé pour la reflexion humaine. Quant on lit un petit essai sur le kitsch délicieusement placé au coeur d'une insoutenable légereté de l'être (Kundera) on se demande pourquoi on a passé 1h sur 3 pages de Levinas. Camus, Kafka, c'est de la philo ! Je pense qu'en terme de forme et d'accessibilité, la philosophie a perdu du terrain depuis 1 ou 2 siècles, et ceci constituerait volontiers une transition sur le snobisme si le post n'était pas déjà assez long.

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Ma conclusion est interrogative: la philosophie peut elle encore apporter quelque chose (existentiellement, pratiquement) à l'humanité ou s'est elle fait ravir la vedette ? Quelle évolution pour la philosophie ? Influence des principaux philosophes de la 2eme moitié du 20eme siècle ? (Popper, Serres, etc...)

Tout ça pour dire que j'avais mangé avec Caepolla en fait

Khronos
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*et aux esprits chagrins qui prétendront que je suis perpétuellement bourré en postant je réponds que je n'ai jamais dépassé la moyenne en philo, ce qui devrait achever de m'acheter une crédibilité dans ce post. Pour Loengrin & Caepolla, vous pouvez me crucifier, ma connaissance sur la plupart des auteurs cités ici se borne à un ou deux articles, peut être un précis de cours, une anthologie de l'auteur, rarement plus. J'ai tenté de structurer ma vision de la philo exprimée trop rapidement un autre jour, mais je suis totalement ouvert à un éclairage nouveau, c'était même un peu le but du post. et aussi de se la péter grave en recopiant une encyclopédie
**qui serait content de voir son nom donné à une entreprise d'armement
***ça semble gratuit mais comptez le nombre de tartes et de couvertures Gala/Voici pour BHL.
****j'ai bien entendu honte de cette excuse
Re: L'hallali de la philosophie ?
Citation :
Provient du message de Khronos
[b]
Ma conclusion est interrogative: la philosophie peut elle encore apporter quelque chose (existentiellement, pratiquement) à l'humanité ou s'est elle fait ravir la vedette ? Quelle évolution pour la philosophie ? Influence des principaux philosophes de la 2eme moitié du 20eme siècle ? (Popper, Serres, etc...)

Tout ça pour dire que j'avais mangé avec Caepolla en fait

Khronos
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Franchement je en sais pas si la philosophie a encore quelque chose à apporter à l'humanité. Je le vois plus comme une sorte de meta science, une espèce de vue d'en haut des sciences, qui devrait être capable de décrire les connaissances humaines (au sens large).
Et sinon je ne connais pas assez les philosophes de la 2eme moitie du 20eme siècle


ps : je dois dire qu'a certains egards, ce que tu decris comme une fin de la philosophie, j'ai comme l'impression que ca arrive dans des domaines qui me sont plus familiers , comme la physique de l'infiniment petit. Une impression de fin. Mais peut être simplement par ce qu'il n'y a personne pour faire avancer les choses ... ou que la specialisation extreme (en tout cas en physique) empeche desormais d'avoir une vue globale qui est nécéssaire en philosophie.
Pour finir, tu en as de la chance
Citation :
Provient du message de Khronos
1. Avant, la philosophie était tout et tout était philosophie
Etymologiquement d'abord. ~ vient du latin philosophia, qui vient d'un mot grec qui sonne à peu près pareil, qui veut dire "philosophie", et inversement. Comme qui dirait, c'est intrinséquement ontologique, on voit bien que ça ne veut pas dire "qui trie les gravillons par calibre sur les coteaux de la raison". Toujours étymologiquement car on y prend goût, le philosophe est "ami de la sagesse" (et si j'allais faire un tour du côté de l'étymologie de "sagesse" j'y trouverais probablement "ami du philosophe"). La philosophie regroupait sous ses ailes protectrices toutes les sciences, qu'elles soient molles ou dures, exactes ou humaines: mathématique, physique, logique, médecine, biologie, psychologie, sociologie, éthique, politique, linguistique, rhétorique, etc...
Alors...Il est vrai que dans l'antiquité toutes les sciences (incluant ce que nous appelons littérature) étaient plus ou moins liées sous la même égide : la philosophie. Plus tard, et je ne saurais pas dire exactement quand, toutes ces matières se sont séparées laissant deux grandes gagnantes : la littérature et les mathématiques, considérées comme nobles.

Plus récemment, à partir du 19e siècle, je pense, on a redécouvert ce qu'intuitivement les philosophes grecs avaient devinés : toutes les sciences sont liées, mis à part peut-être la littérature. L'astronome a besoin de mathématiques, comme le biologiste qui a besoin de chimie qui a besoin de mathématique, qui a besoin de physique pour les applications.

Pour ce qui est de la littérature et de la philosophie 'classique' comme on l'apprends en terminale en France, elles ont peut-être pour but de magnifier cet ensemble ? Comment décrire des fractales autrement que par une équation mathématique ? Et bien par la littérature justement, le langage entraîne des possibilités d'expression quasi-infinies, qu'il soit oral ou écrit.

La philosophie, dans son sens premier, regroupait toutes les sciences. Maintenant que le monde scientifique s'unifie autour des mathématiques (de manière générale), peut-être la philosophie va-t-elle (ré)unifier les sciences littéraires et mathématiques ? Voilà, quel est, à mon sens le but de la philosophie : permettre une accessibilité plus grande des sciences par leur mixtion.

Joy, pas bien sûre d'avoir répondu à la question...
Re: Re: L'hallali de la philosophie ?
Citation :
Provient du message de The Joy
Comment décrire des fractales autrement que par une équation mathématique ?
Comme ça :

dim(X) = inf{ lim inf (-Log(Nd(e))/Log(e) ) | d \in M }

Zut, raté


(Ce message est sponsorisé par l'amicale des topologues Russes soutenant Pontrjagin et Schnirelmann)
Re: L'hallali de la philosophie ?
Citation :
Provient du message de Khronos
(...) Et un ping globalement merdique sur Paris ouest qui rend insupportable la moindre partie de warcraft en réseau.
En plus tu joues à W3, quel Grand Homme! Je t'adore.


En plus, je fais style en te quotant, alors que c'est le seul truc que j'ai compris.
Wink
Pour ma part, les convives et le menu du restaurant italien m'ont laissé plus de souvenirs que cette discussion-ci.
Et si j'avais voulu faire une réponse rapide, j'aurais simplement dit : vu que tu es obligé de philosopher dans ton message pour nier l'intérêt de la philosophie, tu te contredis toi-même.
Mais au diable l'avarice, et zou pour la tartine.

Pour ta question, savoir si la philosophie est utile ou influente, je n'ai pas d'avis bien tranché. Je pense que tu vas cependant un peu vite sur un point essentiel : pour pouvoir dire que la philosophie sert à ceci et pas ou plus à cela, il convient de savoir ce qu'on entend exactement par philosophie.
Comme la question de savoir ce qu'est la philosophie est déjà en soi une question philosophique (oui, le serpent se mord la queue), je ne développerai pas (qui suis-je pour clore ce débat bimillénaire ?), mais je me contenterai de quelques idées en vrac.

Etymologiquement, en effet, philosophie vient du grec philo-sophia, ce qui signifie littéralement amour de la sagesse. C'est-à-dire que c'est moins une discipline qu'un art de vivre.
Je m'explique. Le grec qui le premier fait un usage étendu du mot philosophia est Platon (on trouve quelques emplois du mots chez des auteurs antérieurs, comme Héraclite ou Hérodote, mais de manière extrêmement rare). Il n'y a pas vraiment de définition explicite et positive de la philosophie chez Platon, mais plutôt une définition négative, par opposition à tout ce que n'est pas la philosophie. Le philosophos s'oppose au philo-sômatos (celui qui se soucie d'abord de son corps), au phil-èdonos (celui qui tient aux plaisirs), au phil-argyros (celui attiré par l'argent), au philo-chrèmatos (désir des richesses), au philo-nikos (celui qui cherche la victoire et la gloire militaire), phil-archos (amoureux du pouvoir), philo-timos (celui qui recherche les honneurs). Si tu possèdes encore quelques dialogues de Platon, et si souhaites vérifier ce que j'avance, tu trouveras ça éparpillé, notamment à Phédon 66b et 82c, Phèdre 248 c à e, La République VIII à IX.

Autrement dit, le philosophe se caractérise d'abord par un objet posé comme le plus désirable, l'activité intellectuelle, là où d'autres auraient surtout privilégié le plaisir, le pouvoir ou la richesse. En d'autres termes et en un sens large, à mon avis, la philosophie ce n'est rien d'autre que l'activité intellectuelle et spéculative posée comme fin en soi.

D'où quelques conséquences en vrac pour répondre maladroitement à tes questions.

Ca ne sert à rien. Si le philosophe recherche la spéculation pour le plaisir de la spéculation, parce que la sagesse* est ce qui est le plus désirable, la retombée pratique n'est pas le souci premier. La philosphie étant une recherche, on peut ne rien trouver ou ne rien trouver d'utilisable par d'autres. Peu importe. Ce n'est pas parce que certaines idées fruit de la philosophie de certains auteurs ont eu un succès important (mettre ici les clichés sur, au choix, Aristote, Descartes ou Nietzsche) par la suite qu'il faut généraliser. Toute oeuvre qui se donnerait une vocation trop pratique court le risque d'être marginalisée comme n'étant pas assez philosophique : ainsi, par exemple, Kant aura toujours une préséance symbolique sur Rousseau.

Ca ne nourrit pas son homme. La philosophie, c'est-à-dire la recherche et la spéculation intellectuelle, sont le fruit d'hommes bien nourris et ayant du temps libre à y consacrer. Quand on a le ventre qui crie famine, on ne s'interroge pas vraiment sur pourquoi l'étant plutôt que rien ou toute autre question du même tonneau.
Pour pouvoir se consacrer totalement à la spéculation intellectuelle, il faut être dégagé des contraintes matérielles. La philosophie, selon les époques, est surtout l'apanage de personnes appartenant à un corps de privilégiés entretenus par l'organisation politique (noblesse), personnes de richesses personnelles (rentier) ou salariés par une puissance (étatique ou privée) pour se consacrer à la recherche fondamentale (universitaires au sens large).
Par contre si c'est une condition souvent nécessaire, elle est loin d'être suffisante. A preuve ce forum, dont on peut supposer que la plupart des membres satisfont l'ensemble de leurs besoins primaires et ont un temps libre conséquent. Tous ne choisissent pas pour autant de consacrer ce temps à la spéculation intellectuelle, mais vont s'orienter vers une pratique qui suppose d'autres préférences.

Ca n'intéresse (réellement) pas grand monde et c'est toujours aussi important pour le peu que ça intéresse.
Comme je disais, à l'origine déjà, la philosophie n'était pas une discipline produisant un savoir spécifique. C'est un choix, celui de l'activité de spéculation intellectuelle posée comme fin en soi. Certes, la philosophie conduit à s'interroger sur les questions les plus fondamenales (au sens premier de fondement) et amène à forger des concepts incompréhensibles pour tenter d'y répondre, mais ce n'est qu'une conséquence. Cela explique aussi que les philosophes les plus anciens se soient intéressés et aient écrit dans tous les champs de la connaissance : des mathématiques à la logique, de la physique à la médecine, du droit à la logique. Aristote, par exemple, a écrit sur à peu près tout. Ca ne veut pas dire que la philosophie était tout, les disciplines étaient très bien distinguées. La philosophie conduisait à la spéculation intellectuelle se prenant elle-même pour objet mais également à la spéculation sur les autres disciplines intellectuelles, car l'ensemble des connaissances étant encore maîtrisables par un seul homme doué et ayant le temps et l'argent pour consacrer sa vie à l'étude.
Ce qui se produit à l'âge classique n'est pas la séparation de la science de la philosophie, mais le fait que les sciences du réel tournent le dos aux résultats de la philosophie d'Aristote en se fondant désormais sur la mathématisation du réel. Rien de plus, rien de moins. De plus, la complexité des savoirs et connaissances produits par l'ensemble des disciplines intellectuelles interdit désormais à quiconque, même sérieusement doué et n'ayant que ça à faire, de les maîtriser jamais sérieusement.
Reste que toutes les disciplines continuent d'être marquées par une opposition entre le pratique et le fondamental. Prenons l'exemple de la médecine. Certains peuvent étudier la médecine dans un but d'abord pratique, celui de soigner les gens, et on peut supposer que c'est le but premier de la plupart de ceux qui débutent ces études. Mais à l'autre extrême, certains peuvent se piquer au jeu de l'activité intellectuelle et l'étude et le discours sur la médecine en arrive à devenir fin en soi, jusqu'à l'interrogation épistémologique sur les principes et méthodes de sa discipline voire jusqu'à l'interrogation philosophique sur les premiers fondements de sa discipline ou les conditions de possibilité de la science en général. Même si son intérêt se réduit à une philosophie de la médecine, le second se conduit en philosophe et plus en médecin.
Et comme on ne parle vraiment qu'avec celui qui nous comprend, la plupart des philosophes ont moins écrit pour tout le monde que pour d'autres partageant leurs intérêts, ce qui les dispensait par avance de toute nécessité d'être exotériques. Aristote est peut-être plus accessible que Kant, lui-même peut-être plus abordable que Wittgenstein, il n'en reste pas moins que bien peu de leurs contemporains devaient s'intéresser à leurs écrits les plus théoriques, et encore moins les comprendre.

Une dernière remarque sur le philosophe et le snob (pour faire le lien avec mon message dans le fil précédent) .
Tu prends BHL comme exemple de philosophe contemporain et le donne en exemple de la mauvaise santé actuelle de la philosophie. BHL est à la philosophie ce que Mme de Fontenay est à la noblesse française, un arriviste et un snob. Illustrer une démonstration le jour d'un oral d'agrégation par une référence à BHL n'est peut-être pas extrêmement judicieux.
Le snob désire être membre d'un certain groupe, dont il ne fait pas partie, et singe maladroitement leurs comportements extérieurs, ceux qui sont à sa portée. Celui qui n'a pas de fortune colossale mais pense que l'argent est la chose la plus désirable en ce monde ne va avoir de cesse de bluffer les autres en leur montrant des signes extérieurs de richesse qu'il peut se payer (des lunettes Ray-Ban aux montres Cartier par exemple pour le plus fauché, la voiture de sport pour le nouveau riche, etc). BHL, lui, singe les philosophes, et plus particulièrement Sartre : il s'engage politiquement, écrit dans les revues, courtise les médias de masse, prend parti pour toutes les causes à la mode. Mais ça s'arrête là. Il se donne un air (son statut de normalien et d'agrégé aidant) mais ne laissera pas à la postérité un Etre ou le néant ou un Critique de la raison dialectique.
Si tu veux t'assurer que la philosophie est toujours aussi vivante, importante, inutile et affaire de privilégiés, je t'invite plutôt à jeter un oeil sur (pour ne mentionner que les plus célèbres de philosophes encore en vie et écrivant toujours) : Jacques Derrida en France, Jürgen Habermas en Allemagne, Richard Rorty et Hilary Putnam aux Etats-unis.

P.S. : et moi qui pensait ne jeter qu'un oeil furtif sur les titres des discussions en cours, voilà que j'ai pris une heure de mon sommeil pour répondre à un message qui me prend plusieurs fois à témoin ou partie (). C'est fou de constater à quel point un message qui cite ou fait référence à un autre engendre un besoin de réponse pour ce dernier, presque comme un contre-poison.

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* édité pour ajout : sophia en grec, qu'on traduit par sagesse, désigne moins un contenu (un ensemble de préceptes reconnus pour sages) qu'une habileté et une aisance, notamment intellectuelle (sophos pouvant aussi qualifier la maîtrise exceptionnelle de son métier par l'artisan ou du verbe pour le poète). La sophia que désire le philosophe grec c'est une forme d'excellence d'âme. Et il n'est que philosophe, apprenti désirant la sagesse, car seul la divinité est considérée comme véritable sophos.
Citation :
EtAprès va me dire "la philosophie doit elle être morale ?". Faut voir.
Peut-être.
Peut-être d’ailleurs dirait-il, dans un mouvement de © © snobisme culturel © © : Peut-on dire que Par delà le Bien et le Mal ou Généalogie de la Morale sont des œuvres morales ?

Ensuite, il en viendrait probablement à la nécessaire distinction morale/éthique.

Et là, lassé de parler de lui à la troisième personne, il attaquerait au « je », pas si haïssable (et encore un coup de © © )
Je me devrais alors d’admettre avoir découvert cette distinction grâce à un dénommé Paul Ricœur, philosophe à ses heures, même si cette distinction lui est bien antérieure. Et que ce jour de découverte fut agréablement éclairant, comme toujours avec un concept nouveau et pertinent.

Tout ça pour en arriver à quelque chose de plus essentiel qui serait une reformulation de la question en « Qu’est-ce que la philosophie peut encore m’apporter ? Qu’est-ce que j’attends de la philosophie ? »
Car à ces questions-là, j’aurais peut-être à la rigueur quelque idée de début d’un départ de réponse.
Bien sûr cela nécessiterait une reformulation moins personnelle, histoire de prétendre un peu à l’universalité et surtout pour cacher le côté éminemment intime d’une telle réponse. Un © © mais pas avec n’importe qui © © pudique, en somme.


Pour le reste, je pensais te paraphraser avec un « la philosophie doit-elle être politique ? » mais force est de constater que Caepolla a déjà abordé le sujet brillamment et que quitte à upper, autant le faire sans trop de répétitions, et ce, même si :
Citation :
Provient du message de Cæpolla
C'est fou de constater à quel point un message qui cite ou fait référence à un autre engendre un besoin de réponse pour ce dernier, presque comme un contre-poison.
Pardonnez moi d'avance de paraphraser Caepolla:

La philosophie n'a pas de but pratique si ce n'est pour l'instigateur de la pensée en question: il s'agit en fait de spiritualité au même titre que la religion: je ne parle en aucun cas de Dieu mais du fait que parallèlement aux postulats sur les origines de la vie ou de ce qui se passe quand on meurt, tous les écrits religieux ont un désir de guider le croyant dans sa vie spirituelle, affective (cf les 10 commandements).

Si la philosophie ne peut être qu'une démarche personnelle, alors la question est de savoir si cette démarche est populaire ou pas. La chute de l'Empire romain, la négation de tous les acquis scientifiques et philosophiques par l'Eglise (ne me parlez pas des Jésuites, ils étaient aussi peu nombreux qu'aujourd'hui), les différents idéologiques entres philosophes que tu as décrits puis la réabilitation d'un certain nombre d'entre eux plusieurs siècles plus tard, tout ça me fait penser que l'histoire et la vie dans son ensemble fonctionne par cycle parce que l'équilibre ne semble par être notre fort... Aussi je ne suis pas aussi pessimiste que toi concernant cet éloignement pour la chose spirituelle: nos sociétés modernes et le rythme qu'elles imposent (métro, boulot, dodo) nous font peu à peu perdre le sens des valeurs- peut être que le fondamentalisme religieux grandissant en est la conséquence- mais je suis sûr que nos ailleuls y remédieront, comme cela s'est toujours passé au cours des siècles précédents... L'époque actuelle et l'abrutissement pas les masses-médias ne me semblent tout simplement pas propices à l'émergence d'un quelconque existencialisme, en tout cas s'ils nous y amènent par rejet de ce que l'on nous impose, le rythme de la vie nous empêche de le voir comme une priorité.
Re: L'hallali de la philosophie ?
Citation :
Provient du message de Khronos
(je tiens à préciser que l'alcool me rend amnésique et prétentieux*)
Tu as oublié de préciser qu'un demi-verre de vin suffisait à t'enivrer.
Citation :
Provient du message de Cæpolla
Pour ma part, les convives et le menu du restaurant italien m'ont laissé plus de souvenirs que cette discussion-ci.
Je n'ai absolument aucun souvenir de cet échange verbal. Soit l'alcool me rend aussi amnésique, soit j'étais en train de causer avec baai et Mme FautVoir à cet instant précis.
Une fois n'est pas coutume, il serait indécent que je prenne le temps nécessaire pour répondre au boulot. Je garde donc mes répliques pour ce soir, mais sachez que j'ai déjà tout lu (si si, je sais que vous attendiez avec impatience de pouvoir relâcher votre souffle à l'annonce de cette nouvelle ô combien importante ).


Je dirais juste que je connais certains aspects de la philo qui
n'ont pas ou peu été exploré et exploités, je compte bien y
oeuvrer plus tard, une fois mes pistes plus précises...
La philosophie ne sert à rien. Ou plutôt, elle ne sert rien.

Si on peut lui trouver une utilité de circonstance (bioéthique, morale, politique, psychologique), elle n'est toutefois au service de rien de particulier.
La philosophie fait parti de ces "activitées" (le terme est peut être mal choisi ? ) qu'on peut considérer comme des moyen, mais qui sont avant tout des finse même que l'Art, la philosophie se suffit à elle même. Et ne sert à rien. C'est bien ça qui la rend indispensable.


Ps: J'avoue je ne peux pas m'empêcher de sourire en imaginant le brave Chronos s'insurger et commencer à baver frénétiquement d'une rage mal contenue simplement parce qu'il a entendu un quelconque péquenot assener d'un ton alcoolisé un truisme ( ) aussi subtil que "La philo, ça sert à rien".
Ce même Chronos doit à tout prix éviter de venir faire un tour en cours de philo, en terminale..(scientifique dans mon cas, mais j'imagine que c'est partout pareil, sauf peut être en L, et encore)......les jours de fêtes, on était 3 à écouter cette année. Et j'étais le seul à apprécier la philo (les 2 autres notaient le cours en vue du bac bien entendu ).
Bref, si une simple phrase débile proférée par un pilier de comptoir lambda peut réellement faire sonner l'hallali de la philosophie, mes enfants, on est pas dans la merde (ou dans la merdance, ça a des accents raffarinesques, j'aime bien, dans le genre fransdenba).
Tu dis que la philo est l'amie de la sagesse, et inversement.

si c est le cas, je pense qu'elle est plus qu'importante a notre société, (elle remplacerait la religion qui n'est rien d'autre qu'un sac a connerie qui il est temps de delete), car pour moi, la sagesse, c est le fait d'etre capable de se faire la moral, et d'analiser ses actes avant, pendant et après les avoir commis.
Re: L'hallali de la philosophie ?
Citation :
Provient du message de Khronos
...
Huhu, ça tombe bien, d'une certaine manière je sors juste de cette "table" que tu décris, même si elle n'était pas à Paris ni si ce n'était pas il y a 107 ans...
Par contre je n'attaquerai jamais le "néophyte" sur sa méconnaissance en matière de philosophie, je lui indiquerai simplement que si il veut vraiment approfondir son domaine de connaissance sur un sujet déjà débattu il lui suffit de lire tel auteur et je relèverai les erreurs utiliser comme argument...

Sans parler des digressions ayant eu lieu autour du sujet central et pour attaquer rapidement, non, je ne suis pas d'accord avec ta proposition... c'est franc, honnête, et, par contre, sans concession...

Bon, attaquons. Et oui, les philosophes remontent toujours a Socrate, ce que je trouve normale, ce sont les premiers écrits vraiment "philosophique" écrits par l'homme... Donc on considère Platon et ses écrits sur Socrate comme les "parents de la philosophie", ceux qui ont décrits et montrés la Philo comme objet d'étude à part entière... comme but pour l'homme... Ce n'est peut-être pas vrai que ce sont eux qui ont réellement "commencé", mais historiquement personne n'arrivera à prouver le contraire... Du moins pour l'instant...

Ensuite se pose le problème de Kant... cet homme n'ayant pu être vraiment, pour l'instant, contredit, plombe pas mal les philosophes, résignés à penser "comme ceux d'avant"...
Ce problème ne se pose pas qu'en philo d'ailleurs, mais dans pas mal de domaine... mais la philo a vraiment, pendant une époque, drainé la totalité des penseurs disponibles... donc les avancés sont difficiles, les gens ayant pensés pour toi avant et le nombre de gens voulant y penser diminuant de jours en jours...

Quand aux philosophes "contestataire", pour un philosophe "contestataire" tu en a 100 "conformiste"... et ce quel que soit l'époque...
Il ne faut pas prendre ceux que l'Histoire a retenu comme forcement représentatifs de leur époque... au contraire, l'histoire de la philosophie ne retient que ceux qui ont fait des "avancées", et il se trouve que ceux-ci étaient des contestataire, c'est tout... et portant cela pourrait expliquer bien des choses... Mais Kant, par exemple était loin d'être un "rebelle" dans le sens on ou l'entend le plus souvent, c'était un homme simple et assez en "conformité" avec son époque...

Mais on peut voir aussi que le philosophe reflète souvent, comme les autres, son époque, Rousseau au siècles de "l'homme", des "Lumières" est profondément optimiste, si l'homme est mauvais c'est la société et le langage surtout qui l'a rendu ainsi pour lui.
Kant l'est largement moins quand même, la part de l'acquis étant très importante chez lui, la société est responsable pour beaucoup mais les "pulsions" négatives sont présentes au départ...
Il s'agit la des "prémices" des la psychologie ni plus, ni moins, la société étant ce qu'elle est, l'homme ne peut qu'en être un "reflet"...

Je réserve un chapitre "spécial" pour Nietzsche qui n'est, tout comme Sade, pas réellement considéré par les philosophes comme un philosophe... Si "La naissance de la tragédie" a beaucoup apporté à la littérature, son apport à la philosophie n'est pas réellement significative...

Pour les pays pauvres ta remarque s'applique à toute les sciences... "qu'est que la physique quantique dans un pays qui à faim ?"... A la différence prêt que, si aucune personne de ce pays n'est physicien nucléaire, quelques uns seront "philosophe"... Avec leurs mots à eux, simple, mais tout de même philosophe...

La philosophie peut elle encore apporter quelque chose (existentiellement, pratiquement) à l'humanité ?

Oui, bien sur, contrairement à Cæpolla, je reste persuadé que la philo à une application pratique certaine... le cartésianisme par exemple, est un état d'esprit assez rependu, certain sont plus proche du stoïcisme etc.
Après avoir lu quelques philosophes tu réfléchis bien souvent à leurs idées et celles que tu trouves bonnes tu auras tendances à essayer de les mettre en application dans la vie...

Voilà, je suis loin de trouver la philo inutile ou "has-been" moi... pour moi ça reste quelque chose qui régit pas mal ma vie de toute les jours...
Re: L'hallali de la philosophie ?
Citation :
Provient du message de Khronos
[i]Quant on lit un petit essai sur le kitsch délicieusement placé au coeur d'une insoutenable légereté de l'être (Kundera) on se demande pourquoi on a passé 1h sur 3 pages de Levinas. Camus, Kafka, c'est de la philo ! Je pense qu'en terme de forme et d'accessibilité, la philosophie a perdu du terrain depuis 1 ou 2 siècles[i]
Mais justement : si c'est de la philo aussi, comment en conclure que la philosophie a perdu du terrain ? Parce que ce constat (là aussi il y aurait de la philo), tu l'énonces en sous-entendant un désaccord : d'autres penseraient que ce n'est pas de la philo, ou plutôt qu'on ne peut l'y trouver au-dedans.
Mais qui pense ça ? Les serviteurs du temple, il y en a sans doute de ce genre, et de leur point de vue ils peuvent tout aussi bien avoir raison. Mais de l'autre côté, ne seraient-ils pas bien plus nombreux ceux pour qui Camus, Kafka, (j'ajoute presque au pif mais c'est une ruse: ) Dosto, Broch, Musil, Hasek, etc. apportent aussi à la philo ?

C'est une histoire formelle qui dépasse la notion d'accessibilité. Et c'est par-dessus tout un constat : on ne peut mettre en avant au détriment des philosophies sans y perdre beaucoup au passage.

Je vois dans le questionnement une espèce de faille dès le départ, résumée ici :

Citation :
Provient du message de Khronos
Ma conclusion est interrogative: la philosophie peut elle encore apporter quelque chose (existentiellement, pratiquement) à l'humanité ou s'est elle fait ravir la vedette ? Quelle évolution pour la philosophie ? Influence des principaux philosophes de la 2eme moitié du 20eme siècle ? (Popper, Serres, etc...)
C'est une approche et un questionnement qui vise l'encyclopédique. Mais il me semble que les démarches philosophiques sont par nature opposées aux visée encyclopédiques. Il est facile de se demander (soi et pas une société qui n'existe de toute façon qu'en tant que fiction collective) ce que nous a apporté tel philosophe ou tel texte. La même question mise à l'échelle de tous, comment pourrait-on y apporter une réponse satisfaisante ? Soit on dédaigne l'impossibilité d'en faire des lignes comptables et, de loin en loin, on en arrive contraint et forcé d'en conclure à la défaite philosophique par kO devant le puissant audimat, soit, plus respectueux, on touille le tout et on obtient... une bouillie d'idées reçues qui sera obligée de trier le bon grain pour ne laisser parmi les hommes que le plus facilement simplifiable : Descartes et le cartésianisme, Kant et la loi morale, etc. n'importe quoi pourvu que ça reste disable, mais il faudrait dire tronquable, en 1 phrase.


Je vois beaucoup de points communs avec une autre discipline : les maths.
En parodiant un peu ta question : "A quoi ça sert les maths ?"
Je mets de côté les découvertes mathématiques qui se sont vu offrir ultérieurement des débouchés pratiques, ne serait-ce que pour la bonne raison que même elles ne les soupçonnaient bien souvent pas au moment de la recherche.
Et par exemple, à quoi ça sert de s'être échiné pdt 22 siècles pour finalement découvrir que la quadrature du siècle ne pouvait pas être résolue ?
Dans les 2 disciplines, il y a d'une part une idée de fin en soi (en quoi je rejoins notre représente philosophe Caepolla ; je ne m'en écarterait que pour dire que j'aurais défini autrement le philo-nikos ) , il y a d'autre part et c'est une conséquence une autonomie, qui porte effectivement un risque d'enfermement (n'être compréhensible que de soi, au mieux d'un quarteron de confrères : pas besoin du monde extérieur pour travailler aux preuves capables de vérifier les intuitions : qu'ils s'agissent des règles mathématiques ou des déambulations de la pensée du philosophe, pas besoin d'expérimentation sur le terrain.
Donc forcément, on ne peut de l'une ni de l'autre échafauder de grandes théories "administratives", tout ça peut difficilement aboutir à mettre en place des maisons de quartier ou maisons des amours.

Pour autant, ça ne sert à rien ?
"A force de vous exaspérer, cette solution qui vous échappe sans cesse -et pour cause : elle n'existe (peut-être) pas - vous pousse dans des lieux que vous n'auriez peut-être pas hantés si vous n'aviez eu à résoudre que des problèmes solubles." (Denis Guedj).

Je vais te dire ( ) : au-delà (en +) de ce que raconte Caepolla, il me semble que la philosophie croise tout un tas d'apports personnels et collectifs. Tout un tas parce que, s'agissant des personnels, ce pourra être diversifié précisément. Au minimum il y a là un plaisir : plaisir de se frotter à quelque chose, de le comprendre et d'en sortir différent. Ca ne s'applique pas à tout ni à tous : après tout, si Kant et son style ne font naître aucune exaltation, pas la peine d'insister, tu trouves chaussure à ton pied ailleurs. Mais si, tout en nageant allégrement, tu sens qu'il y a quelque chose à en tirer, ça vaut le coup : de relire un coup, ou plusieurs.
Et pour moi c'est effectivement beaucoup affaire du style d'écriture... comme pour ces romans ou essais non strictement philosophiques que tu évoques, et qui eux aussi,certains, peuvent t'être rébarbatifs, pénibles : en somme , faut-il en conclure que le roman aurait perdu, se serait disqualifié ?
Même raisonnement pour les maths, ne serait-ce qu'au niveau scolaire : si (au pif) 50 % des élèves n'y comprennent rien et n'ont même pas été informé qu'il s'agissait d'un langage, que 40 % arrivent à appliquer les règles et formules sans les comprendre et que 10% comprennent, faut-il en conclure que les maths ont perdu et qu'il faut immédiatement les remplacer par des cours de tir à l'arc ou de marketing ?

La philosophie, si c'est une façon d'appréhender la vie, c'est parce avant tout parce qu'elle vise à aider à penser tout seul, à ne pas recopier. Comment ça ne structurerait pas, quand bien même on s'acharnerait des jours à y trouver des applications pratiques et un moyen de capitalisation ?

Guedj encore : "Si par démocratie on entend ce mode d'être ensemble dans lequel la souveraineté appartient à la totalité des citoyens (...), la question se pose : la démocratie est-elle possible sans une intense pratique sociale de la pensée ?"

Evidemment, si on veut bien se contenter de la démocratie cathodique consumériste, la philosophie devient parfaitement superflue (encore qu'un petit bizness sombrerait ).
En attendant, elle est le seul rempart contre la "pensée-gestion", celle de l'éternel présent.

Finissons façon tripes à la mode de Caen (une mode sempiternelle) avec Deleuze : "Penser suscite l'indifférence générale ; pourtant il n'est pas faux de dire que c'est un exercice dangereux. C'est même quand les dangers deviennent évidents que l'indifférence cesse. Dangereux parce que penser, c'est toujours suivre une ligne de sorcière."

"Et, quand la frilosité s'abat, les sorcières on les brûle." (Denis)



Pour (re) finir en pied de nez : Et quand bien même la philosophie n'apporterait plus rien, mettons plus rien que de petites jouissances individuelles, quand bien même elle serait devenue gratuite, enfin, de nos jours, cette gratuité là, n'est-ce pas un luxe qu'il serait déraisonnable d'abandonner ?
Citation :
Provient du message de Korny[PDGC]
D'accord, mais nous ce qu'on aimerait bien savoir, c'est ce qu'il s'est passé après le repas...
Ben, baignade sans tabou, puis sieste, puis repas re-belotte, puis re baignade, puis grosse sieste. Et Khronos qui a pas mal bavardé entre, gros débit. Enfin ça serait long de tout mettre, ça ne s'est fini qu'avant hier.
Pas plus que de draguer Ubaldis. Faut juste veiller à pas se tromper entre le code civil et les oeuvres complètes de Kant : si tu n'as pas le bon sous le bras, tu ne repartiras pas avec le bon sous le bras.

Edit : le mieux c'est encore de venir avec un bon vieux blues, on sait d'avance avec qui on repartira.
Citation :
Provient du message de Korny[PDGC]
D'accord, mais nous ce qu'on aimerait bien savoir, c'est ce qu'il s'est passé après le repas...
Ils se sont tous dénudés, et ont forniqué des heures durant, histoire d'assurer aux générations futures leur lot de philosophes...

Quant à l'affirmation selon laquelle "la philo ça sert à rien" la simple mention des noms de Platon et Descartes, la beauté de leurs réflexions et démonstrations suffit à démontrer le contraire. Leurs idées sont des classiques, donc par essence intemporelles et universelles.
La philosophie, qu'on le veuille ou non, a formé des façons de penser et de vivre, depuis la Grèce antique jusqu'à nos jours.
Les stoïques, les cyniques existent encore, cela ne montre-t-il pas que la philosophie fait partie de notre vie, sans forcément que nous y prêtions attention ?

Bon je vais faire court en fait:
Même si la philosophie ne servait plus à rien, si elle permet à ceux qui s'y adonnent de penser et de réfléchir, c'est au moins ça de gagné sur la connerie humaine.
Désolé de faire court, les aléas de l'existence, comme qui dirait. En l'occurrence, l'arrivée inopinée (mais appréciée) d'un ami de longue date qui revenait seulement de l'étranger, vous saurez tout, 3617 code MyLife, en zo voort.

On a beaucoup parlé étymologie ces temps-ci, et dans ce fil en particulier. Que ce soit l'habitué de la chose ou le converti ponctuel. Mettons que le philosophe soit l'ami de la sagesse. Le dictionnaire, vous le savez, c'est ma grande passion *voix à la Omar Shariff* : Larousse : sagesse : Circonspection, retenue, maîtrise de soi. Pour une fois, je me fendrai d'un "mouais" bien franc. Que ce soit parce que je suis d'humeur poétique (c'est la faute à Garcia Marquez) ou bien par réelle conviction, je trouve que la définition du dictionnaire manque de charme. J'aime à penser que le sage est quelqu'un qui sait beaucoup de choses sur "la vie", quelqu'un qui ne résiste pas forcément à la violence du courant qui menace de l'emporter mais s'arrange au mieux pour le laisser glisser sur lui, en sortir indemne, et même, qui sait, en apprendre quelque chose. Et en cela, oui, il est "circonspect, retenu, maître de lui".

Ces bases négligemment jetées comme la veste sur mon épaule quand j'accomplis sous le soleil de ces jours derniers le trajet de la gare au foyer, ne faisons pas davantage languir le lecteur assidu : mon opinion est non, la philosophie n'est pas morte. Ou en tout cas, pas sous toutes ces formes. Lesquelles sont vraies, lesquelles sont usurpées, c'est quelque chose que ce fil tentera peut-être d'expliquer, ou bien c'est affaire d'appréciation personnelle, ou encore probablement les deux.
Oui, parce que la philosophie est schizophrène, au sens clinique du terme - à savoir qu'elle perd le contact avec le monde extérieur. Mais pas seulement. Elle possède bien des visages.
*se retourne pour hurler sur les touristes de la table d'à côté pour leur intimer l'ordre sans appel de baisser d'un thon* Non mais.
Parce qu'en cet après-midi ensoleillé, bien que ce fut l'intérieur, le coq sautait au-dessus de l'âne avec la fluidité d'un ouin-ouineur sur DAoC, chacun y allait de sa petite anecdote, essayant, vainement parfois, d'attirer l'attention du reste de la tablée, et celle de la dite-Cæpolla en particulier probablement. Donc, la thèse que j'aurais aimé défendre alors, je l'ai gardée pour moi tout en me résignant à reprendre un doigt (vertical) de Tavel. Mais grâce à Avram, l'occasion m'est donnée d'en faire valoir les maigres considérations.

Il y a la philo des cafés philos. Que d'aucuns qualifieraient de vaine et factice, prétextant leur expérience consommée en la matière : "je suis passé par là, j'ai eu ma période, et je peux vous en assurer." Ce n'est pas mon cas, je n'y suis jamais allé, de fait.
Elle fait partie de la branche qui m'apparaît, à travers le prisme kaléidoscopique de ma vision déformée des choses, comme faisant partie de la branche la plus populaire actuellement : la philosophie qui consiste en l'ingestion par Baxter (contresens inside) de pléthore de traités et autres essais dont les noms des auteurs sont tour à tour illustres ou inconnus. Philosopher, pour l'adepte de cette pratique, c'est avant tout connaître la philosophie des autres. De là, partant, on peut entamer une réflexion sur le point de vue des philosophes en question, seul ou en groupe, en débattre, voir ce qu'il y a de pertinent ou ce à quoi on ne peut décidément pas adhérer.
D'un autre côté, on a ce qu'on appelle vulgairement la philosophie de vie. Du bouddhisme au rock metal, l'expression galvaudée sort malmenée d'avoir été roulée dans les sucs des courants les plus divers. Mais profondément, qu'est-ce que c'est ? Une sagesse, vraiment, qu'on aurait acquise par une réflexion sur soi, sur le monde, sur les origines - les grandes questions - ou que sais-je encore, mais qui aurait l'utilité de nous apporter une certaine sérénité dans le dur parcours traître de notre existence sur cette Terre. Une circonspection, une retenue, un contrôle de soi, donc. C'est cette approche qui me semble actuellement la plus appréciable.

Comme on l'a dit, tout le monde est philosophe, à cet air. Et pourquoi pas ? Beaucoup de gens, sans doute, aspirent à un moment ou l'autre de leur vie à cette sagesse, cette quiétude, qui vous rend confiant envers l'avenir. C'est une question de se rassurer. Ceci dit, les deux types de philosophie ne sont pas mutuellement exclusifs : en fait, les plus dignes du nom de philosophe sont probablement ceux qui ont tiré de leurs lectures sur le savoir ou la sagesse qu'on voulu leur transmettre les générations antérieures les bases de la réflexion préalable à l'établissement de leur philosophie de vie d'aujourd'hui.

Maintenant, la philosophie comme fin en soi. Je ne suis pas réellement convaincu par le concept. Par contre, je reconnais que certaines fins s'en rapprochent ostensiblement. Pour déposséder la charmante auteur de l'idée (dans le sens de l'avoir formulée), la philosophie c'est aussi un cadre d'une certaine rigueur que l'on peut placer comme pièce couvrante ou filtrante par-dessus notre quotidien. Ainsi, elle nous aiderait à nous forger l'esprit, un libre arbitre, un regard critique, une culture, une manière d'aborder les choses ou de penser, pour ne plus se jeter tête baissée dans les problèmes. Par analogie, on pense à la théorie statistique des plans expérimentaux qui permettent de déterminer les expériences à faire en un nombre limité et dans des conditions précises pour tirer le maximum d'information d'une campagne d'essai plutôt que de se lancer à l'aveuglette au laboratoire.
Quant à la philosophie passe-temps, oui je la conçois, mais alors à la manière de la lecture, comme on lit un roman ou un essai historique : et il est vrai que de savoir que les Sumériens utilisaient un système sexagésimal de position ne m'apporte pas grand-chose dans la vie ; alors oui peut-être la philosophie comme fin en soi.

Je connais peu la philosophie contemporaine - ce qui doit s'en rapprocher le plus, et j'ai encore peur de dire une bêtise, doit être le Lévinas cité par Khro. Mais quand je lis BHL comme exemple de philosophe uniquement, je ne peux m'empêcher de tiquer et pas seulement parce que c'est un wannabe. BHL est loin, à mes yeux, de ne faire que de la philosophie : c'est par exemple aussi un journaliste, comme en témoigne son dernier opus (Qui a tué Daniel Pearl ?).

Citation :
Provient du message de Cæpolla
Pour ma part, les convives et le menu du restaurant italien m'ont laissé plus de souvenirs que cette discussion-ci.
N'est-elle pas charmante ?

Citation :
Provient du message de FautVoir
Je n'ai absolument aucun souvenir de cet échange verbal. Soit l'alcool me rend aussi amnésique, soit j'étais en train de causer avec baai et Mme FautVoir à cet instant précis.
Moi je pense que c'était les deux.

P.S.: EtAprès ASV ? C'est quand qu'on se pacse ?

Edit : baai, flûte ! C'est ça de poster pendant que je rédige Et il est trop tard, ce sera pour demain.
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