4 juillet, 22h18
Fin de cavale pour Yvan Colonna, traqué pendant plus de quatre ans
par Nicolas GAUDICHET
Yvan Colonna, soupçonné d'avoir assassiné le préfet Erignac, a été interpellé vendredi en Corse-du-Sud, à quelques dizaines de kilomètres de son fief de Cargèse, après avoir été traqué durant plus de quatre ans, faisant de lui l'homme le plus recherché de France.
Cette interpellation intervient alors que se déroule actuellement et depuis le 2 juin devant la cour d'assises spéciale de Paris le procès de huit des assassins présumés du préfet.
"Oui, c'est moi." C'est par ces mots qu'Yvan Colonna a accueilli vendredi vers 19h00 les hommes du Raid venu le cueillir dans une bergerie du maquis de la Corse-du-Sud. Il n'était pas armé.
C'est "une grande nouvelle pour notre pays", s'est réjoui le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy, félicité par Jacques Chirac, selon qui "cette arrestation permettra à la justice d'établir enfin la vérité sur l'assassinat du préfet Erignac".
La veuve du préfet, Dominique Erignac, prévenue par M. Sarkozy lors de son retour du palais de justice de Paris, s'est dite "émue par (cette) nouvelle extraordinaire".
La trace de celui que la justice soupçonne d'avoir tiré sur le préfet Claude Erignac dans une rue d'Ajaccio le 6 février 1998 et dont l'arrestation était devenu un enjeu politique majeur, s'était perdue à l'aube du 23 mai 1999 dans une bergerie de Plazzile-di-Pianella.
Un ami l'y avait déposé après l'avoir pris à son domicile de Cargèse, le fief de sa famille, deux jours après les arrestations du reste du commando.
vu partout, attrapé nulle part
La veille, après que Le Monde eut mis en cause Yvan Colonna et son frère Stéphane, ce berger alors âgé de 39 ans, fils de député socialiste, avait accordé un entretien à TF1: "on m'accuse de faits. Je ne dis qu'une chose : prouvez-le !".
Le lendemain, Colonna semble s'être évaporé, alors que, place Beauvau, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Jean-Pierre Chevènement, vient de fêter bien imprudemment l'opération au champagne.
Son visage, regard direct, mâchoire volontaire, barbe de deux jours et crâne ras, a été quatre ans durant l'un des plus célèbres de France par le biais d'une photo de mauvaise qualité tirée d'images télé, placardée dans tous les commissariats et toutes les préfectures de France.
Colonna est vu partout et attrapé nulle part: à la terrasse d'un bar en Corse, ailleurs dans l'île, où dit-on, il bénéficie de soutiens. La maison familiale de Cargèse est régulièrement perquisitionnée.
Des témoins croient le reconnaître à Marseille, à Nice, en région parisienne, en Lozère vendredi encore, près de la demeure familiale des Erignac mais aussi en Sardaigne, en Afrique, à Vanuatu, au Venezuela, au Costa Rica, où des enquêteurs sont envoyés.
Des enquêteurs disent leurs convictions qu'il "a pris le maquis", d'autres qu'il est loin. Tous ne sont d'accord que sur un point: un jour, ils arrêteront Yvan Colonna.
"Toutes les informations ont été systématiquement purgées. On ne pouvait se permettre une impasse", assurait vendredi soir un enquêteur. Celle qui a finalement abouti "était exploitée depuis un certain temps", ajoutait-il.
querelles intestines
Habitué à une vie rude, aguerri à la lutte clandestine par son engagement passé au Front de libération national corse où il était considéré comme un "dur" mais avec qui il était en rupture de ban, a sans doute préparé sa fuite, d'autant qu'il se savait surveillé pour avoir trouvé des mouchards sous son véhicule.
Le seul signe de vie en quatre ans, c'est une lettre postée dans le Val-de-Marne le 19 décembre 2000, envoyée à l'hebdomadaire nationaliste U Ribombu et formellement authentifiée comme de la main d'Yvan Colonna. La lettre ne permet aucune localisation mais fait taire les rumeurs sur sa mort.
Signant "Yvan Colonna, patriote recherché", ce père d'un petit garçon s'y défend d'être l'assassin mais exclut de se "mettre entre (les) mains" de la justice.
Sa cavale devient un enjeu politique majeur. En 2001, le préfet de Corse Jean-Pierre Lacroix reconnaît qu'elle "pèse comme un échec".
Elle illustre également les querelles intestines entre les différents services de police, apparues au grand jour devant les assises spéciales où l'ombre d'Yvan Colonna plane même si son cas a été disjoint.
Les autres assassins présumés du préfet Erignac, après l'avoir désigné devant les enquêteurs comme le tireur, l'ont disculpé lors des débats. Désormais, Yvan Colonna est disponible pour donner sa version des faits. Mais son arrestation risque de poser un casse-tête juridique pour la suite du procès Erignac.