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Les Sentinelles de Pierre de Tara, par Laodhan Tara Shaheren Durhan (Coeur d'Arbre Sentinelle du Tertre des Rois)
« - Il existe une légende à propos des Sentinelles de Pierre de Tara. Et lorsque au fond du Tertre, je les ai rangés, leurs yeux de pierre grise me fixaient, pesants et lourds, comme s'ils attendaient quelque chose de moi. C'est à ce moment-là, que je sus que la Légende était Réalité.
Les Thuatá de Dánnan parcouraient alors les vertes contrées d'Hibernia librement. Oghma, accompagné de Lugh et de Dagda tombèrent un jour sur un lieu vierge de tout arbre. Seule l'herbe croissait, drue et verte. Çà et là, paissaient de grands cerfs, des biches et leurs paons.
Oghma parla aux deux autres Thuatá en ces termes : « Ici est un Lieu de Paix, mes Frères. Sentez Mère Nature, Celle qui nous a enfantés et octroyés nos Pouvoirs. Jamais elle n’est aussi présente. Je ressens le souffle du Vent glisser dans les brins d'herbe, les faisant danser à son gré. Je ressens le Soleil et la Lune abreuver ce lieu de leur Sérénité Éternelle. Je ressens les fines gouttes de pluie couler doucement jusqu'à la terre noire et fertile. »
Lugh répondit : « Je ressens la pureté du Passé qui s'est écoulé, paisible, comme une rivière au liquide scintillant et pur. Je ressens la pureté du Présent, sous mes pieds, et dans les hautes herbes qui ploient docilement sous la caresse de mes mains. Je ressens la pureté des Lendemains, et pourtant je crains pour ce lieu qui n’est magique que par sa fragilité. »
Dagda s'approcha maladroitement et manqua de trébucher. Son visage laid s'éclaira un instant, et devint aussi beau que le lieu lui-même : « Alors, mes Frères, ce Lieu est Sacré et nous le protégerons éternellement. » Les autres Dieux acquiescèrent. Puis ils restèrent quelques siècles à respirer la Magie de la Nature en ce lieu si frêle, avant de s'en aller.
La Forêt cerna le lieu, comme une muraille. A la lisière de l'herbe éternellement couleur de jade, les racines s'arrêtaient, comme par magie. Bien des décennies s'écoulèrent, le Soleil continuant sa course, les herbes ployant sous le baiser de la bise...
Puis, un jour, des Firbolgs arrivèrent sur les lieux, menés par Fiodh Poing d'Ecorce. Le lieu était si enchanteur pour eux qu'ils décidèrent de s'établir juste à la lisière. Ils construisirent un petit village, qui commença à prendre de l'importance. Des murailles en bois furent bâties, puis des murailles de pierres... La ville, nommée Dun Cermnai, était vue d'un bon oeil par les Trois Dieux. Ils savaient les Firbolgs respectueux de la Nature et qu'ils construisaient Cermnai à l'image de la beauté des lieux.
C'est ainsi que commencèrent à apparaître les Premiers Rois de Dun Cermnai. Un palais somptueux fut construit, marquant la puissance et la prospérité de Cermnai. Bâti comme un arbre, sa base campait sur des fondations dans la pierre la plus solide du pays. S'élevait ensuite un tronc, lisse et blanc, sur lequel parcourait des lierres, des lianes aux feuilles argentées ou de rubis pâles. Le feuillage était constitué des pièces du trône, des cuisines, etc... auxquelles on accédait via un escalier de blanc veiné de bleu au coeur même du tronc. L'extérieur était paré de Jade et d'Or. Lorsque l'automne venait, par la plus grande des magies, le feuillage se teintait de roux et d'ocre. Et Dun Cermnai était à l'image du palais, splendeur parmi les splendeurs d'Hibernia.
Les Rois de Cermnai se manifestaient tous par leur bonté, leur gentillesse et très vite, on sut que si un miséreux, de par Hibernia, manquait de nourriture, et qu'il venait à la cour de Cermnai, il recevait hospitalité à coup sûr. La ville fondée par des Firbolgs à l'origine, devint cosmopolite : les celtes côtoyaient les magnifiques elfes, les lurikeens marchaient à travers les échoppes en badauds ou discutaient âprement le prix d'une denrée avec un Firbolg. Des académies de druidisme fleurissaient, appréciant la sensibilité du Lieu, que nul n'osait fouler à part les Rois, protégés de Dagda, Oghma et Lugh.
Hélas, cette douce paix ne dura pas longtemps. Les inquiétudes de Lugh devinrent réalité, alors que toujours le Vent soufflait doucement sur la Lieu Sacré, que la pluie en abreuvait la Noire Terre...
Une guerre éclata entre les Rois de Dun Cermnai et des clans voisin avides de la prospérité et des richesses. Une coalition vit le jour et d'aucuns disent que des éléments Norses, des Barbares du nord, en motivèrent la création. Ils fournirent des armes aux Celtes et Firbolgs coalisés. Pourquoi ? De vagues légendes prétendent que Dun Cermnai avait atteint un tel degré de puissance et envoyé des émissaires ou espions en Midgard, que les richesses les attiraient.
La Coalition comptait une vingtaine de Clans de Celtes et Firbolgs, bien armés et au fait de leur Savoir. Ce sont autant d'hommes qu'il y a d'arbres dans la majestueuse Forêt de Tuireadh, soit trois mille combattants qui marchèrent sur Dun. Traversant la Forêt, ils arrivèrent sous les murailles et construisirent des armes de sièges sur les conseils des Barbares de Midgard. Ils se gardèrent, dans un premier temps, de fouler le Lieu Sacré qui était de l'autre côté de la ville. L'unique porte aux portes d'airain et aux gonds d'acier était gardée sévèrement.
Très vite, les murailles frémirent sous les jets de pierre et se fissurèrent, laissant des brèches. Les défenseurs, à la tête desquels se trouvait le Roi Verneann se défendirent vaillamment mais se replièrent, au dixième jour des combats, dans le Palais. Il ne restait plus que douze défenseurs qui bloquèrent l'entrée à la base de la tour, et s'enfermèrent aux étages dans le pseudo-feuillage. L'arbre-palais frémit à son tour sous les assauts mais tint bon. A l'aube du trentième jour, les assaillants décidèrent de provoquer les assiégés. Aussi souillèrent-ils le Lieu Sacré, que Dagda, Oghma et Lugh avaient foulé, tuant les paisibles animaux. Cet acte mit en colère le Roi Verneann, et c'est avec ses derniers partisans, qu'il prépara une sortie mortelle afin de détruire les profanateurs.
Dagda, qui avait senti la profanation du Lieu, arriva, grimé en humain, au moment de la sortie du Roi. Verneann se battit vaillamment, tranchant les corps de ses ennemis, volait les âmes du fil de sa Lame. Mais il succomba à ses blessures à la lisière du Lieu profané. Il en fut de même pour ses Compagnons, sauf un, un Firbolg du même Clan que le Roi de Dun Cermnai. En effet, Dagda eut le temps de le soustraire à une mort imminente, par sa magie divine.
Le triomphe des coalisés était complet et les pillages commencèrent. Le Palais fut dénué de ses richesses et les demeures aussi. Les richesses s'entassaient dans les ruelles dallées, dans le sang des victimes. La furie et la folie se lisait dans les yeux. Même la nécropole des rois fut profanée. On y vola des trésors entassés. Tout cela, Cuiodh le voyait de l'orée de la Forêt, où il était en compagnie d'un celte...
L'homme n'était autre que Dagda et Cuiodh, le Firbolg rescapé. La colère bouillait dans ses veines, comme un torrent d'eau pure. Et elle était sur le point d'éclater et de s'exprimer, lorsque les Coalisés rasèrent entièrement Dun Cermnai. Dagda le retint d'une main grasse, mais ô combien puissante. Son visage laid était caché par la pénombre de la Forêt, et pourtant sa divine présence illuminait chaque racine, chaque mousse, chaque fougère, chaque feuille. Il parla à Cuiodh d'une voix grave : « N'y vas pas, fier Firbolg. Ton acte sera inutile et tu dois rester. Rester pour enterrer les Morts. Rester pour que s'efface la souillure du Lieu. Rester pour que les Rois se reposent en paix, à travers l'éternité et l'espace infini. Rester éternellement debout sur le Tertre. »
C'est ainsi que Cuiodh devint le Premier du Clan Tara Shaheren Durhan, les Sentinelles Éternellement Debout sur le Tertre des Rois. Dagda partit, promettant protection à Cuiodh et à ses descendants. Cuiodh, l'âme en peine, mais désormais pénétré des paroles de Dagda le Dieu Laid, entreprit de construire le tertre, sur une portion du Lieu Sacré profané. Il rassembla les corps des Rois de Dun Cermnai, les cacha dans un lieu secret, parmi les ruines de la cité.
Il commença d'abord par chercher de l'aide. Il n'en trouva aucune, mais rencontra sa femme Delchaen, une douce Firbolg éprise de cet être brisé par l'Histoire et pourtant de fer dans sa Volonté. Ils revinrent sur les lieux, rassemblèrent ensemble les outils nécessaires à l'édification du Tombeau. Les travaux commencèrent et ils durèrent près de cinq décennies. Le Tertre était gigantesque, et les ruines de Cermnai avaient été utilisés aux fins de cette construction. La Nature avait caché les ruines, et il n'existait nulle part aucune trace de la cité. Le Lieu Sacré n'avait plus sa magie d'antan, et Cuiodh, désormais à la tête d'un petit clan, savait intimement que le Repos des Rois de Dun Cermnai ne commencerait qu'avec la pureté restituée au Lieu. Aussi dans sa tête mûrissait-il une vengeance...
Une vengeance, pour qu'elle réussisse, demande temps et préparation. Aussi, Cuiodh entraîna ses Fils Iaach, Eonaid, Veryan, Kimryech, au maniement des armes, et les Fils de ses Fils. S'accroissant petit à petit, la tribu atteint le nombre non négligeable de deux cent dix Firbolgs, qui vivaient sur le Lieu Sacré. Cuiodh, avant de mourir, demanda à ses fils de venger Dun Cermnai. On posa le crâne de Cuiodh dans une niche dans le mur du Tertre, les orbites tournées au centre, vers le socle de pierre où se trouvait le corps de Verneann le Valeureux et des autres Rois. Iaach devint le Chef du Clan. Rusé et charismatique, ce fut lui qui commença la Vengeance. La première victime de cette vengeance fut un clan de celtes coalisés, dont il enleva le Chef, un vétéran de la destruction de Dun Cermnai. D'aucuns prétendent que c'est un fantôme qui l'a enlevé, tant la surprise fut immense.
Iaach appela Dagda à lui, afin de savoir quel sort il devait réserver à sa victime. Dagda arriva maladroitement dans la modeste demeure, et basculant en avant, heurta une statuette de terre cuite. Dagda resta confus, et c'est dans cet instant d'humilité que Iaach vit la véritable essence divine du Dieu. Dagda se baissa vers les tessons rouge brique et les fixa intensément. Puis il sourit à Iaach, et regarda le misérable profanateur. Le lendemain, à la base du Tara, se trouvait une statuette de pierre grise, de deux pieds de hauteur, représentant un humain, une épée dans ses mains pointée au sol, les yeux fixés à l'horizon, la bouche grave et triste.
La Vengeance se poursuivit durant des années. Iaach mourut alors qu'il tentait à nouveau d'enlever un Chef de Clan. Ce fut Eonaid qui prit le relais, et sous son règne sur le Clan que se termina la vengeance. Il détruisit ce jour-là, une tribu qu'il soupçonnait avec justesse de s'entendre avec les Barbares comme au moment de la destruction de Cermnai. Il s'empara du camp et captura le chef, un immense Firbolg. Ils le ramenèrent au Lieu Sacré. Au pourtour de la base du Tara se trouvait une vingtaine de statuette de tailles plus ou moins grandes.
Eonaid amena le chef vaincu devant les statuettes et lui parla en ces termes :
« Vois tes compagnons. Tu reconnais les visages, je le vois dans tes yeux emplis d'étonnement. Oui, ce sont ceux qui ont participé à la Coalition contre Dun Cermnai, et davantage que cela, à la profanation du Lieu Sacré par Oghma, Lugh et Dagda. Tous les miens que tu vois ici, sont chargés de veiller sur le Tertre, sur ceux que tu as tués, violés par cupidité ou par attrait du pouvoir. Il y avait cent printemps, jour pour jour, et heure pour heure que le palais de Cermnai s'écroulait, mettant fin à une Ère de Bonheur. Aujourd'hui, jour maudit jusqu'à maintenant et dans le futur béni, nous accomplissons la fin de notre Vengeance. Dagda, viens à moi ! »
Dagda apparut dans la foule, boitant et s'appuyant sur un bâton noueux et s'approcha du vaincu et d'Eonaid. Il sourit à Eonaid puis sans mot dire regarda le chef vaincu terrifié dans les yeux. Une lumière irradia de Dagda, aveuglant tout le monde. La lumière étreignit le vaincu, le statufiant lentement. Lorsqu'elle s'atténua, tout le monde ne vit qu'une statue comme les autres, faite de pierre grise, les yeux fixées à l'horizon. Dagda prononça à la statue, comme si elle était vivante : « Tu as osé profané un Sanctuaire, détruire les Gardiens de celui-ci. Tu aideras le Clan des Tara Shaheren Durhan, en faisant comme eux. Nuit et Jour, près du Tertre de ceux que tu as détruit, tu monteras la Garde, que ce soit sous la Pluie, le Soleil ardent, les Étoiles glacées. » La statue sembla frémir. Puis, Eonaid la porta au dernier emplacement, à côté de l'ouverture du tombeau, sur un socle de pierre blanche, sous les yeux de Dagda.
Puis, comme par Miracle, le ciel bleu devint gris et se déchira sous la lance magique de Lugh, déversant son Eau Pure et Purificatrice sur le Sanctuaire et le Tertre. Puis, elle s'atténua, laissant paraître un Soleil éclatant. La Nuit tomba très rapidement, laissant les Étoiles et la longue traînée laiteuse à travers le Ciel. Une luciole bourdonna dans le silence nocturne et arriva au sommet du tertre de pierres. Sa luminosité s'accrut, disséminant de la poussière de lumière sur la coupole arrondie. Une herbe grasse, synonyme de fertilité, envahie le Tertre, et des fleurs sauvages, brillantes dans les Ténèbres, vinrent parer le Tara d'une splendeur naturelle.
Le Soleil se leva alors, sous les yeux médusés du Clan. Dagda se tourna vers Eonaid et lui dit ces derniers mots avant de disparaître : « Ainsi renaît ce lieu enchanteur. Dans cette Terre qu'ils aimèrent, les Rois de Dun Cermnai pourront dormir du sommeil des Valeureux. Ils entendront à travers les Entrailles de Mère Nature, le brame du cerf, le cri émerveillé des oiseaux, la douce musique du Vent sur l'herbe, le bruit silencieux d'une Fleur qui éclot, et écouteront la mélodie d'un Sommeil mérité. Après eux, il vous revient de veiller sur le Sanctuaire et au Repos des Morts. C'est pourquoi vous vous appelez les Sentinelles de Tara, éternellement debout, le regard fixé à l'horizon qui n'a nulle fin que la Fin des Temps. Je maintiens avec vous mon alliance. »
Des siècles et des siècles se sont écoulés, plus ou moins heureux. Et quand j'ai rangé les Sentinelles de Pierre de Tara dans le Tertre, je sus que leur regard pesait sur moi. En ces statues se lisaient l'inquiétude de ne plus jamais connaître les Nuits Douces d'été, les doux flocons de neige durant leur Éternelle Garde. Je me suis tournée vers elles, et je leur ai promis de revenir et de ne jamais mourir tant qu'elles ne garderaient pas à nouveau le Tertre. Et je suis parti... »
Laodhan Tara Shaheren Durhan devint Haut Veilleur du Baer-Gaeddon lors du Second Âge Sombre. Lui et son frère Troharn disparurent un jour, où les feuilles de chêne se mirent à rosir...
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