Broc - Hibernia - Chroniques Hiberniennes

 
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Les Sentinelles de Pierre de Tara, par Laodhan Tara Shaheren Durhan (Coeur d'Arbre Sentinelle du Tertre des Rois)

« - Il existe une légende à propos des Sentinelles de Pierre de Tara. Et lorsque au fond du Tertre, je les ai rangés, leurs yeux de pierre grise me fixaient, pesants et lourds, comme s'ils attendaient quelque chose de moi. C'est à ce moment-là, que je sus que la Légende était Réalité.

Les Thuatá de Dánnan parcouraient alors les vertes contrées d'Hibernia librement. Oghma, accompagné de Lugh et de Dagda tombèrent un jour sur un lieu vierge de tout arbre. Seule l'herbe croissait, drue et verte. Çà et là, paissaient de grands cerfs, des biches et leurs paons.

Oghma parla aux deux autres Thuatá en ces termes : « Ici est un Lieu de Paix, mes Frères. Sentez Mère Nature, Celle qui nous a enfantés et octroyés nos Pouvoirs. Jamais elle n’est aussi présente. Je ressens le souffle du Vent glisser dans les brins d'herbe, les faisant danser à son gré. Je ressens le Soleil et la Lune abreuver ce lieu de leur Sérénité Éternelle. Je ressens les fines gouttes de pluie couler doucement jusqu'à la terre noire et fertile. »

Lugh répondit : « Je ressens la pureté du Passé qui s'est écoulé, paisible, comme une rivière au liquide scintillant et pur. Je ressens la pureté du Présent, sous mes pieds, et dans les hautes herbes qui ploient docilement sous la caresse de mes mains. Je ressens la pureté des Lendemains, et pourtant je crains pour ce lieu qui n’est magique que par sa fragilité. »

Dagda s'approcha maladroitement et manqua de trébucher. Son visage laid s'éclaira un instant, et devint aussi beau que le lieu lui-même : « Alors, mes Frères, ce Lieu est Sacré et nous le protégerons éternellement. » Les autres Dieux acquiescèrent. Puis ils restèrent quelques siècles à respirer la Magie de la Nature en ce lieu si frêle, avant de s'en aller.

La Forêt cerna le lieu, comme une muraille. A la lisière de l'herbe éternellement couleur de jade, les racines s'arrêtaient, comme par magie. Bien des décennies s'écoulèrent, le Soleil continuant sa course, les herbes ployant sous le baiser de la bise...

Puis, un jour, des Firbolgs arrivèrent sur les lieux, menés par Fiodh Poing d'Ecorce. Le lieu était si enchanteur pour eux qu'ils décidèrent de s'établir juste à la lisière. Ils construisirent un petit village, qui commença à prendre de l'importance. Des murailles en bois furent bâties, puis des murailles de pierres... La ville, nommée Dun Cermnai, était vue d'un bon oeil par les Trois Dieux. Ils savaient les Firbolgs respectueux de la Nature et qu'ils construisaient Cermnai à l'image de la beauté des lieux.

C'est ainsi que commencèrent à apparaître les Premiers Rois de Dun Cermnai. Un palais somptueux fut construit, marquant la puissance et la prospérité de Cermnai. Bâti comme un arbre, sa base campait sur des fondations dans la pierre la plus solide du pays. S'élevait ensuite un tronc, lisse et blanc, sur lequel parcourait des lierres, des lianes aux feuilles argentées ou de rubis pâles. Le feuillage était constitué des pièces du trône, des cuisines, etc... auxquelles on accédait via un escalier de blanc veiné de bleu au coeur même du tronc. L'extérieur était paré de Jade et d'Or. Lorsque l'automne venait, par la plus grande des magies, le feuillage se teintait de roux et d'ocre. Et Dun Cermnai était à l'image du palais, splendeur parmi les splendeurs d'Hibernia.

Les Rois de Cermnai se manifestaient tous par leur bonté, leur gentillesse et très vite, on sut que si un miséreux, de par Hibernia, manquait de nourriture, et qu'il venait à la cour de Cermnai, il recevait hospitalité à coup sûr. La ville fondée par des Firbolgs à l'origine, devint cosmopolite : les celtes côtoyaient les magnifiques elfes, les lurikeens marchaient à travers les échoppes en badauds ou discutaient âprement le prix d'une denrée avec un Firbolg. Des académies de druidisme fleurissaient, appréciant la sensibilité du Lieu, que nul n'osait fouler à part les Rois, protégés de Dagda, Oghma et Lugh.

Hélas, cette douce paix ne dura pas longtemps. Les inquiétudes de Lugh devinrent réalité, alors que toujours le Vent soufflait doucement sur la Lieu Sacré, que la pluie en abreuvait la Noire Terre...

Une guerre éclata entre les Rois de Dun Cermnai et des clans voisin avides de la prospérité et des richesses. Une coalition vit le jour et d'aucuns disent que des éléments Norses, des Barbares du nord, en motivèrent la création. Ils fournirent des armes aux Celtes et Firbolgs coalisés. Pourquoi ? De vagues légendes prétendent que Dun Cermnai avait atteint un tel degré de puissance et envoyé des émissaires ou espions en Midgard, que les richesses les attiraient.

La Coalition comptait une vingtaine de Clans de Celtes et Firbolgs, bien armés et au fait de leur Savoir. Ce sont autant d'hommes qu'il y a d'arbres dans la majestueuse Forêt de Tuireadh, soit trois mille combattants qui marchèrent sur Dun. Traversant la Forêt, ils arrivèrent sous les murailles et construisirent des armes de sièges sur les conseils des Barbares de Midgard. Ils se gardèrent, dans un premier temps, de fouler le Lieu Sacré qui était de l'autre côté de la ville. L'unique porte aux portes d'airain et aux gonds d'acier était gardée sévèrement.

Très vite, les murailles frémirent sous les jets de pierre et se fissurèrent, laissant des brèches. Les défenseurs, à la tête desquels se trouvait le Roi Verneann se défendirent vaillamment mais se replièrent, au dixième jour des combats, dans le Palais. Il ne restait plus que douze défenseurs qui bloquèrent l'entrée à la base de la tour, et s'enfermèrent aux étages dans le pseudo-feuillage. L'arbre-palais frémit à son tour sous les assauts mais tint bon. A l'aube du trentième jour, les assaillants décidèrent de provoquer les assiégés. Aussi souillèrent-ils le Lieu Sacré, que Dagda, Oghma et Lugh avaient foulé, tuant les paisibles animaux. Cet acte mit en colère le Roi Verneann, et c'est avec ses derniers partisans, qu'il prépara une sortie mortelle afin de détruire les profanateurs.

Dagda, qui avait senti la profanation du Lieu, arriva, grimé en humain, au moment de la sortie du Roi. Verneann se battit vaillamment, tranchant les corps de ses ennemis, volait les âmes du fil de sa Lame. Mais il succomba à ses blessures à la lisière du Lieu profané. Il en fut de même pour ses Compagnons, sauf un, un Firbolg du même Clan que le Roi de Dun Cermnai. En effet, Dagda eut le temps de le soustraire à une mort imminente, par sa magie divine.

Le triomphe des coalisés était complet et les pillages commencèrent. Le Palais fut dénué de ses richesses et les demeures aussi. Les richesses s'entassaient dans les ruelles dallées, dans le sang des victimes. La furie et la folie se lisait dans les yeux. Même la nécropole des rois fut profanée. On y vola des trésors entassés. Tout cela, Cuiodh le voyait de l'orée de la Forêt, où il était en compagnie d'un celte...

L'homme n'était autre que Dagda et Cuiodh, le Firbolg rescapé. La colère bouillait dans ses veines, comme un torrent d'eau pure. Et elle était sur le point d'éclater et de s'exprimer, lorsque les Coalisés rasèrent entièrement Dun Cermnai. Dagda le retint d'une main grasse, mais ô combien puissante. Son visage laid était caché par la pénombre de la Forêt, et pourtant sa divine présence illuminait chaque racine, chaque mousse, chaque fougère, chaque feuille. Il parla à Cuiodh d'une voix grave : « N'y vas pas, fier Firbolg. Ton acte sera inutile et tu dois rester. Rester pour enterrer les Morts. Rester pour que s'efface la souillure du Lieu. Rester pour que les Rois se reposent en paix, à travers l'éternité et l'espace infini. Rester éternellement debout sur le Tertre. »

C'est ainsi que Cuiodh devint le Premier du Clan Tara Shaheren Durhan, les Sentinelles Éternellement Debout sur le Tertre des Rois. Dagda partit, promettant protection à Cuiodh et à ses descendants. Cuiodh, l'âme en peine, mais désormais pénétré des paroles de Dagda le Dieu Laid, entreprit de construire le tertre, sur une portion du Lieu Sacré profané. Il rassembla les corps des Rois de Dun Cermnai, les cacha dans un lieu secret, parmi les ruines de la cité.

Il commença d'abord par chercher de l'aide. Il n'en trouva aucune, mais rencontra sa femme Delchaen, une douce Firbolg éprise de cet être brisé par l'Histoire et pourtant de fer dans sa Volonté. Ils revinrent sur les lieux, rassemblèrent ensemble les outils nécessaires à l'édification du Tombeau. Les travaux commencèrent et ils durèrent près de cinq décennies. Le Tertre était gigantesque, et les ruines de Cermnai avaient été utilisés aux fins de cette construction. La Nature avait caché les ruines, et il n'existait nulle part aucune trace de la cité. Le Lieu Sacré n'avait plus sa magie d'antan, et Cuiodh, désormais à la tête d'un petit clan, savait intimement que le Repos des Rois de Dun Cermnai ne commencerait qu'avec la pureté restituée au Lieu. Aussi dans sa tête mûrissait-il une vengeance...

Une vengeance, pour qu'elle réussisse, demande temps et préparation. Aussi, Cuiodh entraîna ses Fils Iaach, Eonaid, Veryan, Kimryech, au maniement des armes, et les Fils de ses Fils. S'accroissant petit à petit, la tribu atteint le nombre non négligeable de deux cent dix Firbolgs, qui vivaient sur le Lieu Sacré. Cuiodh, avant de mourir, demanda à ses fils de venger Dun Cermnai. On posa le crâne de Cuiodh dans une niche dans le mur du Tertre, les orbites tournées au centre, vers le socle de pierre où se trouvait le corps de Verneann le Valeureux et des autres Rois. Iaach devint le Chef du Clan. Rusé et charismatique, ce fut lui qui commença la Vengeance. La première victime de cette vengeance fut un clan de celtes coalisés, dont il enleva le Chef, un vétéran de la destruction de Dun Cermnai. D'aucuns prétendent que c'est un fantôme qui l'a enlevé, tant la surprise fut immense.

Iaach appela Dagda à lui, afin de savoir quel sort il devait réserver à sa victime. Dagda arriva maladroitement dans la modeste demeure, et basculant en avant, heurta une statuette de terre cuite. Dagda resta confus, et c'est dans cet instant d'humilité que Iaach vit la véritable essence divine du Dieu. Dagda se baissa vers les tessons rouge brique et les fixa intensément. Puis il sourit à Iaach, et regarda le misérable profanateur. Le lendemain, à la base du Tara, se trouvait une statuette de pierre grise, de deux pieds de hauteur, représentant un humain, une épée dans ses mains pointée au sol, les yeux fixés à l'horizon, la bouche grave et triste.

La Vengeance se poursuivit durant des années. Iaach mourut alors qu'il tentait à nouveau d'enlever un Chef de Clan. Ce fut Eonaid qui prit le relais, et sous son règne sur le Clan que se termina la vengeance. Il détruisit ce jour-là, une tribu qu'il soupçonnait avec justesse de s'entendre avec les Barbares comme au moment de la destruction de Cermnai. Il s'empara du camp et captura le chef, un immense Firbolg. Ils le ramenèrent au Lieu Sacré. Au pourtour de la base du Tara se trouvait une vingtaine de statuette de tailles plus ou moins grandes.

Eonaid amena le chef vaincu devant les statuettes et lui parla en ces termes :

« Vois tes compagnons. Tu reconnais les visages, je le vois dans tes yeux emplis d'étonnement. Oui, ce sont ceux qui ont participé à la Coalition contre Dun Cermnai, et davantage que cela, à la profanation du Lieu Sacré par Oghma, Lugh et Dagda. Tous les miens que tu vois ici, sont chargés de veiller sur le Tertre, sur ceux que tu as tués, violés par cupidité ou par attrait du pouvoir. Il y avait cent printemps, jour pour jour, et heure pour heure que le palais de Cermnai s'écroulait, mettant fin à une Ère de Bonheur. Aujourd'hui, jour maudit jusqu'à maintenant et dans le futur béni, nous accomplissons la fin de notre Vengeance. Dagda, viens à moi ! »

Dagda apparut dans la foule, boitant et s'appuyant sur un bâton noueux et s'approcha du vaincu et d'Eonaid. Il sourit à Eonaid puis sans mot dire regarda le chef vaincu terrifié dans les yeux. Une lumière irradia de Dagda, aveuglant tout le monde. La lumière étreignit le vaincu, le statufiant lentement. Lorsqu'elle s'atténua, tout le monde ne vit qu'une statue comme les autres, faite de pierre grise, les yeux fixées à l'horizon. Dagda prononça à la statue, comme si elle était vivante : « Tu as osé profané un Sanctuaire, détruire les Gardiens de celui-ci. Tu aideras le Clan des Tara Shaheren Durhan, en faisant comme eux. Nuit et Jour, près du Tertre de ceux que tu as détruit, tu monteras la Garde, que ce soit sous la Pluie, le Soleil ardent, les Étoiles glacées. » La statue sembla frémir. Puis, Eonaid la porta au dernier emplacement, à côté de l'ouverture du tombeau, sur un socle de pierre blanche, sous les yeux de Dagda.

Puis, comme par Miracle, le ciel bleu devint gris et se déchira sous la lance magique de Lugh, déversant son Eau Pure et Purificatrice sur le Sanctuaire et le Tertre. Puis, elle s'atténua, laissant paraître un Soleil éclatant. La Nuit tomba très rapidement, laissant les Étoiles et la longue traînée laiteuse à travers le Ciel. Une luciole bourdonna dans le silence nocturne et arriva au sommet du tertre de pierres. Sa luminosité s'accrut, disséminant de la poussière de lumière sur la coupole arrondie. Une herbe grasse, synonyme de fertilité, envahie le Tertre, et des fleurs sauvages, brillantes dans les Ténèbres, vinrent parer le Tara d'une splendeur naturelle.

Le Soleil se leva alors, sous les yeux médusés du Clan. Dagda se tourna vers Eonaid et lui dit ces derniers mots avant de disparaître : « Ainsi renaît ce lieu enchanteur. Dans cette Terre qu'ils aimèrent, les Rois de Dun Cermnai pourront dormir du sommeil des Valeureux. Ils entendront à travers les Entrailles de Mère Nature, le brame du cerf, le cri émerveillé des oiseaux, la douce musique du Vent sur l'herbe, le bruit silencieux d'une Fleur qui éclot, et écouteront la mélodie d'un Sommeil mérité. Après eux, il vous revient de veiller sur le Sanctuaire et au Repos des Morts. C'est pourquoi vous vous appelez les Sentinelles de Tara, éternellement debout, le regard fixé à l'horizon qui n'a nulle fin que la Fin des Temps. Je maintiens avec vous mon alliance. »

Des siècles et des siècles se sont écoulés, plus ou moins heureux. Et quand j'ai rangé les Sentinelles de Pierre de Tara dans le Tertre, je sus que leur regard pesait sur moi. En ces statues se lisaient l'inquiétude de ne plus jamais connaître les Nuits Douces d'été, les doux flocons de neige durant leur Éternelle Garde. Je me suis tournée vers elles, et je leur ai promis de revenir et de ne jamais mourir tant qu'elles ne garderaient pas à nouveau le Tertre. Et je suis parti... »

Laodhan Tara Shaheren Durhan devint Haut Veilleur du Baer-Gaeddon lors du Second Âge Sombre. Lui et son frère Troharn disparurent un jour, où les feuilles de chêne se mirent à rosir...
Blàth O'Liam, par Cianech Bran Irgal

« Oyez, oyez... Laissez moi vous raconter une histoire de la couleur de la brume, une histoire qui est resté inscrite dans nos mémoires en partie. L'histoire de la Fleur de Liam, Bláth O'Liam...

Par-delà les vertes et giboyeuses terres, souffle le Vent. Bruissent encore les branches du passage de la Jeune et Belle Dame. L'on aurait cru qu'elle était une fée en ces temps de paix, qu'aujourd'hui on la croiserait sans jeter un regard, pressé d'aller en guerre. Les Temps sont les Temps, les Légendes des mots qui ont acquis leur sens au fil des grains de sable écoulés...

Or, vivait sur les plateaux de Moher, à cette époque où Hibernia s'appelait Eireann, Liam la Belle. On ne savait qui elle était, ni ce qu'elle était, mais qu'importe. Son visage était un de ces jolis minois, que l'on retrouve sur les vitraux du palais de Tir Na Nog ou dur d'antiques gravures : une peau aussi blanche que les neiges éphémères du Carrauntoohil, les yeux verts comme les émeraudes reposant au fond du Shannon, de fines lèvres... Ah ! Il n'est point besoin d'aller plus loin dans sa description, car je crains que les mots ne suffisent à la décrire...

Des tertres, elle était la gardienne, des grands arbres aux feuilles mordorées la danseuse qui chante l'éternel printemps. Ceux qui la voyaient ressentaient un trouble profond. Ce n'était pas sa beauté, pour si grande qu'elle fût -les Grandes Dames Elfes n'étaient encore point passé de l'Autre Côté-, c'était les larmes qui coulaient, qui abreuvaient la terre noire et fertile. Comment cette aussi belle Dame pouvait être aussi malheureuse ?

Nul ne le savait, jusqu'au jour où un chasseur la suivit discrètement jusqu'à son refuge alors que personne n'avait osé jusque là. Son étonnement fut grand quand il découvrit que c'était un tertre, autour duquel étaient disposées des torches aux flammes bleutées. Fasciné, le chasseur, nommé Caraan, se tassa sur lui-même dans un buisson, alors que la voûte se parsemait de diamants. Il y resta sommeillant, les yeux mi-clos jusqu'à l'Aube naissante. Fixant l'entrée obscure du tombeau, il la vit sortir, toujours aussi belle dans sa robe diaphane, ses grands yeux tristes, rougis par une nuit. Belle et terrible. Terrifiante. Effrayé, Caraan s'enfuit et rapporta l'histoire à Tir Upphorst. Et l'histoire enfla de ragots. La Dame n'était qu'un vague fantôme, se repaissant des âmes des malheureux décédés, ou une unseelie. Même les tavernes de la Ville Haute de Tir Na Nog résonnaient de ces rumeurs sourdes et malsaines.

Les curieux se firent de plus en plus nombreux pour entrevoir Liam la Belle, qu'on se mit à la surnommer l'Unseelie. Nul, cependant ne réussit à la suivre jusqu'à sa demeure, son tertre. C'est peu de temps après que Caraan se résolut d'y retourner, la guetter. A Tir Upphorst, on l'attendit un jour, puis un deuxième et un troisième, avant qu'on ne sonne l'hallali : Caraan avait disparu. L'unseelie lui aurait-elle pris son âme, son corps. Peut être se repaissait-elle de sa chair. Vengeance ! se mit-on à clamer.

Une battue fut organisée. Des vallées de Bri Leith vinrent des rangers, des guerriers de Connla effectuèrent le voyage jusqu'aux plateaux de Moher. Nombreux et expérimentés, ils ne tardèrent pas à trouver la Dame dansant parmi les arbres. Les molosses furent lâchés et les flèches encochées, mais elle disparut, comme par enchantement, par magie maligne. Les chasseurs continuèrent à battre la campagne et découvrirent les tertres au même moment que Liam réapparut, à découvert. Le cor fut sonné, et la chasse relancée. Sans trêve, ils la poursuivirent jusqu'aux hautes falaises.

Là, elle se retourna, tout près du rebord, de ses yeux coulant des perles d'eau. Tous s'arrêtèrent à une vingtaine de pieds, troublés. Il leur sembla que des siècles s'écoulèrent avant qu'elle ne bascula dans le vide, un demi-sourire figé sur ses lèvres. Même la chute leur fut irréelle, et, se penchant, ils ne virent que l'eau moutonner. Ils s'en retournèrent en silence au tertre, alors que la nuit tombait. C'est donc à la lueur du Crépuscule qu'ils entrèrent dans le tertre, la demeure de la soi-disant unseelie. Dans le dédale du tertre régnait une douce fragrance, dernier souvenir de l'unseelie. Quelle ne fut pas leur stupeur, lorsqu'ils découvrirent Caraan, allongé sur une couche grossière, la tête bandée d'un tissu d'une blancheur immaculée, si ce n'était le sang séché. Sa jambe droite était coincée dans une attelle. Abasourdis, les chasseurs sentirent leur coeur se serrer et ils s'empressèrent d'interroger Caraan. C'est aux mots qui s'égrenaient de la bouche du blessé que leur coeur s'emplit d'amertume et de honte.

Caraan, après une chute dans une fondrière, fut recueilli par Liam, qui le soigna. Resté inconscient, il fut stupéfait de s'apercevoir qu’il était soigné par l'Unseelie, qu'il en eut un mouvement de recul. Il balbutia à Liam de ne pas le toucher, mais Liam ne l'écouta et continua à essuyer la plaie au front. Rassuré par tant de douceur, il eut de plus en plus confiance en la Dame. Et c'est au troisième soir, qu'il posa la question qui lui brûlait les lèvres : pourquoi dormait-elle dans ce tertre, pourquoi était-ce sa demeure ?
Sa réponse, elle resta dans la mémoire de ceux qui l'avaient pourchassé :
« Je veille sur l'âme de mon bien-aimé. Chaque jour, je vis pour lui une journée qu'il n'a pu vivre. Chaque jour, je caresse la cicatrice au creux de ma paume qui scella notre amour. Au-delà de l'espace, au-delà du temps, au-delà de la mort. Chaque nuit, je le rejoins dans mes songes. Je m'allonge sur l'autel, et je rêve au futur. Je lui susurre de doux mots. Et j'attends. »
Elle n'en dit pas plus, termina Caraan.

C'est donc la tête basse que les chasseurs sortirent du tertre. Caraan sortit en dernier sur un brancard, et dans sa main, il tenait une fleur, à trois pétales d'un jaune doré. Un des chasseurs lui demanda ce que c'était et Caraan lui répondit dans une demi-inconscience :
« C'est un don de la Dame... Je dois le donner à ma bien aimée » Il marqua une pause, les yeux fixés sur la voûte étoilée, « C'est une Bláth O'Liam ».

Depuis ces mots, fleurissent dans des recoins peu connus d'Hibernia, que seul l'amour révèle, des Fleurs de Liam, frêles et fragiles. C'est ces fleurs que certains d'entre vous, avant de partir en combat, donnez à vos bien-aimées, pour lui signifier « Au-delà de l'espace, au-delà du temps, au-delà de la mort, je t'aimerai encore et toujours » »
Les Cornes de Kernunnos, par Cianech Bran Irgal

« Lorsque le bruissement des feuilles des grands chênes s'atténue, que le vent ne devient qu'un vague souffle, que l'écume se meurt et disparaît de la surface de la mer, c'est la Nature qui retient son Souffle, c'est l'esprit qui anime chaque chose -la pierre, l'écorce, le brin d'herbe, le feu-follet dans les tréfonds d'un marécage, l'eau, ...- qui s'est éteint un instant. Cet instant peut être long, peut être court, ne durer que le temps du râle du mourant. La Nature est aussi le Temps, l'Éternité et l'Éphémère.

Il ne reste alors que des êtres frissonnants, touchés du dard de la peur, et de son empoisonnée corollaire, l'angoisse rongeante. De mémoire de barde, connaissant les Récits, les Traditions des Pères de nos Pères, les Secrets des Temps Anciens, cet événement, que ne saurait égaler le feu ravageur ou la tempête, ne s'est produit que peu de fois. Trop de fois, cependant. C'est ce qui arriva quand Kernunnos perdit ses cornes.

Kernunnos est une des facettes de la Nature. Il est le dieu de la Virilité, de la Régénération de la Vie et le Gardien des portes de l'Autre Monde, l'Annwn. Il s'incarne, au même titre que Cian dans un sanglier, dans le corps d'un cerf aux bois extraordinaires. Au détour d'un vallon embrumé, on peut le voir paître, apaisé, et la nuit, se transformer en un homme à la tête de cerf et danser autour d'un brasier rougeoyant. Et lorsque le Jour de Beltaine est venu, il se mêle aux Celtes et Firbolgs, préside la cérémonie, lutte contre les meilleurs combattants, célèbre l'Ivresse de la Nature. Puis, il sombre dans l'orgie, s'accouplant avec de belles celtes au regard enflammé, sous les diamants au pâle éclat de la Nuit. Puis, il se meurt au solstice d'Été et renaît le Jour de Samhain, sortant de l'Anwnn.

Il y a si longtemps... Si longtemps que cela s'est déroulé, que la somme des soupirs amoureux des femmes d'Erin ne saurait couvrir le temps écoulé... Kernunnos dormait paisiblement à l'orée d'un bois, sur un lit de mousse, épuisé par ses danses nocturnes, lorsqu'un Elfe, descendant des Thuatá De Dannan et un Lurikeen - la légende n'a pas retenu leurs noms, maudits et oubliés- découvrirent le majestueux cerf. Qui pouvait résister à la beauté, la taille extraordinaire de ses bois ? Qui pouvait ne pas rester admiratif devant leur puissance ? Ils lui subtilisèrent ses cornes, en recourant aux arcanes les plus abouties, puis s'enfuirent.

Kernunnos se réveilla, affaibli, et comprenant ce qui lui arrivait, poussa un long et lancinant brâme d'agonie. Le symbole de sa puissance, de sa domination, lui avait été enlevé. Et l'affront fait à la Nature était si grand qu'Elle se tût. Les druides les plus vénérables s'en inquiétèrent. Ils rassemblèrent des chasseurs, des guerriers, des races Firbolgs et Celtes, leur demandant de rechercher la cause de ce Silence.

Ce fut deux compagnons, un immense Firbolg du nom de Boduogenos et une Celte de belle prestance, aux grands yeux ocre, Camlann, qui découvrirent le cerf allongé sur son lit de mousse, ses grands yeux noirs luisants faiblement. Venant de nulle part, la voix de Kernunnos leur parla :
« Beltaine approche à grands pas, et je ne porte plus les cornes qui sont ma force, mon pouvoir et l'attribut de ma divinité. Beltaine ne pourra avoir lieu, la Terre ne sera pas fécondée, et le rythme des saisons en sera troublé, au point que le Temps se figera pour l'éternité. Retrouvez mes bois... »
La voix se mourut, Kernunnos sombrant dans un insondable sommeil, un état proche de la mort.

Ils transportèrent le corps endormi dans le Cercle d'un Cromlech, dont la magie protégerait le Dieu et sauvegarderait sa vie. Le laissant, Boduogenos et Camlann suivirent les traces peu visibles. Partant de l'orée de la forêt, les traces d'un elfe se dessinaient avec précision, comme alourdi par un lourd fardeau. D'autres pas étaient presque invisibles, signe d'un petit pied léger, de toute évidence, ceux d'un Lurikeen.

La traque dura un jour et une nuit et mena le Firbolg et la Celte à la lisière des vallées dangereuses et hostiles de Bri Leith, à une tour de jaspe et de marbre blanc aux joyaux faiblement illuminés dans l'obscurité. Une tour dont l'architecture était marquée de l'empreinte des descendants des Thuatá De Dannan, les Sidhe, les Elfes. Méfiant, ils s'approchèrent de la lourde porte de bronze, close par des symboles magiques. Ils ne purent forcer l'entrée, même la force gigantesque du Firbolg n'arrivait pas à faire ployer les gonds. Camlann fit le tour de l'édifice et repéra un lierre solidement fixé aux pierres lisses et blanchâtres. Avisant Boduogenos, elle grimpa avec agilité le long du lierre. Elle pénétra par une petite fenêtre et se retrouva dans un escalier en colimaçon faiblement éclairé. Elle descendit avec prudence, et une fois en bas, activa un levier de pierre, près de la lourde porte, qui s'ouvrit. Le Firbolg la rejoint, et ensemble, aux aguets, gravirent l'escalier qui déboucha sur le centre d'une plate-forme, surmonté d'un toit de pierre aux stries colorées. Là se tenait l'Elfe, et un allié, un être qui lui ressemblait fortement, mais au regard privé de vie. L'Elfe, tout à sa contemplation des cornes posées sur un écrin doré, se retourna, surpris. Puis, il se ressaisit, et l'allié se jeta sur Boduogenos, tandis qu'une ombre se glissait subrepticement derrière Camlann. La Celte, les sens aiguisés par des années d'apprentissage, sentit la froideur de deux lames effilées et dégoulinantes de poison menacer son dos. Elle évita le premier coup en se jetant sur le côté, apercevant du coin de l'oeil un Lurikeen aux yeux sombres et au teint pâle. Elle projeta sa lance vers le petit être qui l'évita. Sortant un long poignard, elle se précipita vers lui, évitant les lames troubles et dansantes. Profitant d'un saut du Lurikeen pour lui asséner un coup mortel, elle esquiva le coup, et glissa la dague entre les côtes du petit être, qui s'affala. Boduogenos se battait férocement contre l'allié, subissant aussi les sorts de l'Elfe, les parant tant bien que mal de son grand pavois. Camlann récupéra sa lance, et la propulsa à travers l'espace vers le Sidhe. La lance s'immobilisa quelques instants dans les airs, comme suspendu par la magie, puis reprit sa trajectoire, rompant le mur invisible. L'Elfe la reçut de plein fouet et s'affala à son tour au sol. L'Allié, privé du commandement de son maître, ne tarda pas à faiblir à son tour et à tomber, disloqué. Ne s'attardant pas, Boduogenos saisit les cornes, aidé par Camlann et ils fuirent. Le jour pointait, et ce jour-là, était celui de Beltaine. Courant à en perdre haleine à travers vallons et forêts, ils gagnèrent, le soleil commençant à se coucher, le Cromlech. Ils furent surpris de voir des druides, vêtu de longues chasubles de laine, autour de Kernunnos. Les Vénérables, d'un signe, les prièrent de leur remettre les Bois de Kernunnos, puis de s'en aller. Ce qu'ils firent.

La nuit tombait. De grands brasiers crépitaient dans la plaine, leurs flammèches montant jusqu'aux étoiles. Des cris, des rires, une douce odeur de fumet de bêtes rôties. Des grands celtes aux torses nus, de belles Firbolg, aux cheveux parsemés de gui, de jolies celtes aux chevelures rougeoyantes et au regard rêveur, des Firbolgs puissants, parlant de leur voix grave et gutturale. Puis la Lune naissante, enfantée de la Terre. Le Silence se fit. De multiples tambours commencèrent leurs sourds battements, d'abord lentement, puis de plus en plus rapide. Comme un Appel. Puis, ils cessèrent. A l'orée de la Forêt, se présenta un homme à la tête de cerf, aux bois plus majestueux que jamais, décorés de verveine. D'un pas lourd mais décidé et puissant, Kernunnos entra dans le Cercle. Un long brâme et ses puissants bras levés vers le ciel en signe de victoire. Une longue clameur lorsque le premier combat commença, opposant Boduogenos à Kernunnos. Ivre de la joie de vivre, le Firbolg et le Cerf engagèrent la lutte, leur coeur battant au rythme du Coeur de la Nature. Soulevant des nuages de poussière, le combat fit rage. Pour une fois, il n'y eut nul vainqueur, nul vaincu. Juste deux êtres, les bras posés sur les épaules de l'un et l'autre, dans une union fraternelle. Et durant un court instant, la magie de Kernunnos se porta en Boduogenos, qui devint l'espace d'une courte durée, un être à la tête de Cerf. Tel était là le présent qu'il fit aux guerriers, voués à la défense de la Nature et de la Terre d'Hibernia : le pouvoir d'acquérir un moment la puissance de Kernunnos. Beltaine battait son plein, la cervoise coulait à flot. Vint après le temps des joutes guerrières, le temps des joutes amoureuses. Kernunnos choisit Camlann, et cette nuit-là, ils s'aimèrent davantage que n'importe quel couple d'amoureux en Erin. De cette union éphémère, naquit des enfants, qui eurent à leur tour des enfants et des petits enfants. La lignée se poursuit encore et dans le sang de certains celtes, coule celui du Dieu.

Lorsque le bruissement des feuilles des grands chênes se fait sentir, que le vent devient un joyeux souffle, que l'écume jaillit des profondeurs de la mer, c'est la Nature qui vit, c'est l'esprit qui anime chaque chose -la pierre, l'écorce, le brin d'herbe, le feu-follet dans les tréfonds d'un marécage, l'eau, ...- qui brille de la flamme même de la Vie. Cette flamme peut durer longtemps, ne durer que le temps du râle du mourant. La Nature est aussi le Temps, l'Éternité et l'Éphémère. Et la Vie.

C'était il y a si longtemps... Si longtemps... »
Le Mythe de la Fondation de Tir Na Nog, par Cianech Bran Irgal

A la lisière de Connacht et de Lough Derg se dressait une colline imposante, coiffée d’une couronne de pierres dressées, blanches et scintillantes. C’était alors dans les temps les plus reculés, temps où les peuples d’Erin s’opposaient, se défiant avec une violence passionnée.

Le Sang de chaque Peuple avait assez coulé, estimèrent les derniers des Thuatá De Dannan. Repliés sur eux-mêmes depuis la défaite contre les Milésians, ils avaient acquis une profonde sagesse, mais leur nombre avait décru et seuls restait quelques-uns d’entre eux et leurs descendants, les elfes avec lesquels ils entretenaient peu de rapports. Ces quelques-uns se réunirent sur la Colline Couronnée. Il y avait là Dagda, Lamfhota, Lug, Oghma, mais aussi Cuchulainn, Kernunnos sous la forme d’un être à tête de cerf, Diancecht et quelques autres figures obscures que les Traditions les plus anciennes ont oubliées hélas. Désireux de rétablir l’harmonie, la discussion n’en était pas moins âpre, jusqu’au moment où Dagda se leva. Il fit un pas en avant et tomba en arrière, se heurtant aux Quatre Pierres dressées. Sous le choc du géant, elles chancelèrent, puis basculèrent et roulèrent sur le flanc de la colline. Elles s’immobilisèrent en bas.

Cuchulainn aida Dagda à se relever. Les autres Thuatá le regardaient d’un air réprobateur, presque coléreux, bien qu’habitués à sa légendaire maladresse. Lug fut le premier à rompre le silence en faisant remarquer que la colline n’avait plus sa Couronne. Et Dagda murmura que de la maladresse pouvait en ressortir de grandes choses. Il promit alors aux autres dieux, oubliant le sujet de la réunion, que dans un an, il aurait réparé sa bévue : les Quatre Pierres seraient à nouveau dressées. Sur cette promesse, ils convinrent de se retrouver à Beltaine, c’est à dire dans un an jour pour jour.

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Dagda se mit à l’œuvre sans tarder. Il se changea en un imposant Firbolg et alla voir le plus prétentieux et dédaigneux, en même temps que chef, des lurikeens, Eirdal Duil Neimhe, descendant de Lykanan. Dagda fit preuve d’arrogance et provoqua le chef en ces termes :

« - Salut à toi, Eirdal Duil Neimhe. Mon peuple te défie, mais aucune bataille nous opposera autre que celle de l’ingéniosité, de l’intelligence. Voici ce que je te propose : nous autres, Firbolgs, te défions de construire un tunnel, un souterrain à travers la Colline Découronnée, du Nord vers le Levant. Si tu réussis, nous nous engagerons à accomplir un des défis que tu choisiras ! »

Eirdal Duil Neimhe releva le défi. Trois mois lui étaient impartis pour faire un tunnel plus haut que trois firbolgs et plus large que trois de ces géants allongés. Il mobilisa son peuple et un travail minutieux de fourmi commença. Ils percèrent au nord de la Colline et grâce à la Magie, à des machines étranges –désormais oubliées- un tunnel immense. Puis ils obliquèrent vers l’Est, et percèrent la sortie. Ils placèrent des dalles, illuminèrent la vaste galerie.

Dagda constata la fin des travaux et se changea en un vénérable Lurikeen et rencontra Eirdal qui fêtait avec opulence la réussite. Il prononça alors ces mots :

« - Ô chef Eirdal, il vous faut réfléchir au défi que vous lancerez aux Firbolgs, puisque nous avons accompli le nôtre » Dagda, grimé, marqua une pause puis reprit : »J’aurais bien une idée, qu’ils seront incapables de réaliser… » Le Chef Lurikeen le regarda et l’écouta, sous l’emprise du pouvoir de persuasion du Thuatá. « Demandez aux Firbolgs de creuser un trou immense dans la colline, de telle sorte que tous les gens de notre glorieux Peuple y puissent tenir ». Eirdal approuva et chargea le vénérable de rencontrer le peuple Firbolg.

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Dagda prit donc la route pour Connacht, à la recherche du chef Llywan Chlaiomh More, descendant de Sreng. Il prit la précaution de paraître devant Llywan sous la forme d’un elfe austère et aux traits empreints d’orgueil, et s’adressa à lui avec ces dures paroles :

« Salut à toi, Llywan Chlaiomh More, je viens te lancer un défi. Pas une bataille, mais un défi de l’esprit conjuguée à la force. Je pense ton peuple incapable de creuser un immense trou au centre la Colline Découronnée en trois mois. Si toi et les tiens tenez ce défi, mon peuple acceptera de réaliser le défi que tu nous lanceras ! »

Le Chef Llywan, aussi orgueilleux qu’Eirdal, se mit à l’œuvre avec son peuple. La taille imposante des Firbolgs et leurs connaissances profondes de la Nature leur permit d’accomplir cette tâche dans le délai. Désormais, la Colline Découronnée s’ornait d’un immense cratère, accessible par les deux entrées percées par les Lurikeens.

Dagda, satisfait, prit la forme d’un vieux Firbolg, desséché par les ans, et rencontra Llywan qui faisait bombance. Le Chef Firbolg, confiant dans la Sagesse des Aînés, demanda au vieux Druide quel défi lancer à ces elfes prétentieux. Dagda métamorphosé répondit : « Les Elfes sont, dit-on, passés maîtres dans l’art de concevoir les plus belles choses qui soient en Terre d’Hibernia, mais aussi qu’ils sont avares de leur art. Faisons leur construire ce qu’ils seront incapable de construire, un immense palais richement décoré, alliant Nature et Magie, et quatre temples, qu’ils pareront des plus somptueuses richesses. Ils échoueront, c’est certain. » Llywan acquiesça et envoya le vieux druide porter le défi.

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Dagda prit donc la route jusqu’à la Demeure des Elfes, voir la Sidhe Ellyrys Chinn Oir, descendante de Nuada et apparentée aux Thuatá, et se présenta sous l’aspect d’un celte vigoureux et puissant. Il s’adressa avec arrogance à la Sidhe :
« Salut à toi, Ellyrys Chinn Oir, je viens te lancer un défi. Cette fois, le sang ne coulera pas encore, comme toujours depuis la bataille de Mag Tured. Il s’agit de faire preuve de détachement des choses mais aussi d’esprit. Ton peuple doit concevoir un immense palais dans la face du Couchant du cratère qui allie Nature et Magie, et quatre temples que vous parerez des plus beaux ornements. Si toi et les tiens accomplissez ce défi, mon peuple acceptera le défi que tu nous lanceras ! »

La Sidhe accepta le défi la tête haute. La science infuse des elfes et leur nature semi-divine leur permit d’allier Nature et Magie, de créer une douce atmosphère dans un palais somptueux, tel qu’on n’en avait jamais vu en Hibernia. Les Quatre Temples s’encastraient dans les parois du cratère, respirant la puissance mais aussi la beauté des elfes. En moins de trois mois, leur œuvre fut terminée.

Dagda, heureux, prit la forme d’un sage Sidhe et demanda audience à Ellyrys. Elle accepta et écouta les paroles de Dagda déguisé : « Nous avons accompli notre défi, avec la facilité qui nous est coutumière. La Magie et la Nature s’allient dans la grâce des bâtiments que nous avons construits. Nous avons fait preuve d’une immense générosité en abandonnant de nos biens les plus précieux. Mais nous pouvons faire payer cela cher aux celtes. Je suis certain qu’ils sont incapables de construire de belles demeures de pierre. Proposons-leur comme défi, de construire des demeures, des terrassements, et aussi deux et belles magnifiques portes, car j’ai vu deux entrées que main civilisée a faite au Nord et à l’Est de la Colline Découronnée » Sous l’emprise de la persuasion, la Sidhe Ellyrys Chinn Oir envoya le faux elfe chez le chef des Celtes.

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Le Thuatá, passant à la Colline Découronnée, dissimula les œuvres des elfes par un ingénieux artifice de camouflage : les Temples et les Palais se fondirent dans la paroi du cratère, devenant invisibles à l’œil le plus aiguisé.

Dagda reprit la route et c’est sous la forme d’un Lurikeen hardi et hargneux qu’il rencontra le Toiseach Connor Caorthan Aruin, descendant d’Amargin. Et il lui parla sur un ton aigu et présomptueux :

« Salut à toi, Connor Caorthan Aruin, je viens te lancer un défi. Mon peuple et le tien, nous ne nous battrons pas par les armes, mais par le savoir et la faculté de s’adapter. Tu as trois mois pour construire des demeures de pierre, plus belle que celles de vos Searsanach dans le cratère, et aussi deux belles portes qui encadreront les deux entrées de la Colline Découronnée. Si vous réussissez, le peuple lurikeen vous considérera comme de vaillants adversaires et remplira un défi, dont vous aurez décidé la nature ! »

Piqué au vif, Connor et son peuple se mirent à l’œuvre. Ils construisirent de grandes maisons et d’autres plus petites, mais tout aussi splendides, des tavernes spacieuses et accueillantes, des étables pour les plus grand des destriers. Mais le chef-d’œuvre fut sans doute les deux portes. Les Celtes n’hésitèrent pas à utiliser les immenses pierres blanches allongées sur le flanc de la Colline, et qui, jadis, la couronnaient. Ils ne les débitèrent pas, mais utilisèrent leur art pour construire de grands Cairns pour qu’elles flanquent les vantaux des portes. Ils les coiffèrent de dômes dorés. A flancs de la Colline, elles brillaient dans le lointain, et le Toiseach Connor en fut grandement satisfait, et de manière plus discrète, Dagda aussi. Le malicieux géant ferma les portes de la Colline Découronnée.

Le Thuatá prit la forme d’un barde celte, le crwth sous le bras, et alla voir Connor Caorthan Aruin et lui parla en ces termes : « Nous avons accompli notre défi et avons démontré que notre savoir était aussi grand et puissant que celui des autres Peuples. » Connor répondit : « Oui, c’est désormais à nous de réfléchir à un défi » et Dagda changé rétorqua avec diplomatie : « Je ne crois pas qu’il soit bon d’en lancer un maintenant. Demain, rencontrez les Lurikeens dans la Colline Découronnée et vous le lancerez, cela donnera plus de poids à vos paroles. » Connor trouva l’avis fort juste et approuva.

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Dagda envoya plusieurs missives aux différents Peuples, leur donnant rendez-vous la veille de Beltaine, sans qu’ils sachent pour autant qu’il y aurait là leurs ennemis exécrés. C’est ainsi avec stupéfaction qu’Eirdal Duil Neimhe rencontra à la porte Nord la Sidhe Ellyrys Chinn Oir et que Llywan Chlaiomh More arriva en compagnie du Toiseach Connor Caorthan Aruin à la porte du Levant. Les portes s’ouvrirent devant eux et ils montèrent jusqu’au Palais, découvrant la ville déserte et somptueuse, ainsi que la supercherie. Le Celte et le Firbolg rencontrèrent l’Elfe et le Lurikeen dans la plus grande salle du palais, où se trouvaient quatre tabourets de bois.

Là se tenait un étrange personnage, laid de visage, gros et bouffi, aux yeux malicieux, mais à la voix si persuasive qu’ils obéirent à ses ordres. Ils s’assirent sur les tabourets. Dagda –car c’était lui- changea de forme, prenant tour à tour l’apparence d’un Firbolg imposant, d’un vieux lurikeen sage, d’un Sidhe à la fière stature, d’un barde celte. Les Chefs en furent abasourdis, découvrant qu’ils avaient été manipulés de bout en bout. Un grand silence régna, et ensemble, ils éclatèrent de rire, car ils avaient été abusés de manière égale.

Et une fois que leurs rires cessèrent de résonner, Dagda leur parla de paix, d’harmonie, du futur, mais aussi de la ville qu’il baptiserait Tir Na Nog, pays de la jeunesse, car symbole d’une Réconciliation nouvelle et jeune. La ville n’appartenait à personne d’autre qu’aux quatre peuples réunis, car c’est eux qui l’avaient construite de leurs mains et de leur esprit, et que les quatre peuples vivraient dans celle-ci. Puis Dagda disparut, laissant les Chefs entre eux. L’histoire ne dit pas ce qu’ils se racontèrent, mais dès ce moment les tensions furent bien moindres et une forme d’harmonie s’instaura.

Beltaine arriva. Les Thuatá de Dannan se réunirent en contrebas de la Colline, et ils regardèrent arriver Dagda, boitant.
« - Alors, Dagda, tu n’as toujours pas réparé ton erreur. Où sont donc les pierres qui couronnaient la Colline ? » demanda Oghma. Dagda montra les portes. « J’ai tenu ma promesse, elles sont dressées et embellies en leur sommet par une coiffe d’or. Je n’avais jamais promis qu’elles se dresseraient au sommet, mais qu’elles se dresseraient. Mais, venez, mes amis, venez à Tir Na Nog. » Et les Thuatá furent étonnés de voir ce qui avait été construit en une année : une cité magnifique grouillant de Lurikeens, de Celtes, d’Elfes et de Firbolg. Ils pensèrent tous qu’aujourd’hui s’ouvrait une nouvelle Ere, et c’était le cas.
 

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