Par Liiabe Ffiahn / Ithildin :
Comme chaque soir depuis maintenant un mois, Liiabe se tenait au sommet de la vieille tour de garde albionnaise, et contemplait au Nord les plaines enneigées de Snowdonia. Voici plusieurs semaines que Daarkyel était parti, et qu’elle ne l’avait pas revu. Depuis lors, elle se rendait en ce lieu oublié de tous dans l’espoir de recevoir quelque nouvelle de son mari. Car elle savait au plus profond d’elle-même que l’elfe de son cœur n’était pas mort, non. Il était parti, pour des raisons qu’elle connaissait bien. Mais il lui restait encore de l’espoir, et si Daarkyel devait revenir, c’est ici qu’il viendrait : l’endroit où ils avaient échangé leurs premiers baisers, l’endroit où ils s’étaient dit « oui », l’endroit où ils s’étaient aimé.
Ce soir encore, Liiabe n’apercevrait aucun signe de son mari. Cette fois-ci, elle avait compris : Daarkyel ne reviendrait pas. Profitant des derniers rayons du jour, elle s’assit sur le bord du parapet, sortit de sa besace un petit rouleau de parchemin, une plume de cygne et un petit bocal d’encre bleue, et se mit à écrire. Son écriture était lente, posée, réfléchie, la plume glissait sur le parchemin pour former les mots et les phrases que le cœur de Liiabe contenait. Une fois la lettre achevée, l’elfe la relut encore une fois avant de la signer :
Daarkyel, mon Amour,
Voici trop longtemps que tu es parti, cela fait trop de matin que je me réveille sans te voir à mes côtés. Les journées sont longues et ternes sans toi, et je erre sans but dans les campagnes, le cœur lourd. Mais je ne t’en veux point.
Tu as choisi de partir, je l’ai compris maintenant, je sais que tu ne reviendras pas. Cette Guerre des Trois Royaumes nous a tous usés, et semble interminable. Beaucoup sont ceux qui se sont battus vaillamment, et qui ont décidé de se retirer des combats, laissant place aux jeunes et fougueux combattants de la nouvelle génération.
Malheureusement, je n’ai pas eu le temps de t’apporter ce que tu méritais avant ton départ, mais je vais te l’offrir maintenant. Ce cadeau, j’aurais voulu t’en faire part dans de meilleures circonstances, mais la vie en a décidé autrement. Je porte en moi le fruit de notre amour, Daarkyel, je suis enceinte.
Je suis maintenant consciente de ce que cela représente pour nous. Aussi, j’ai l’intention de me retirer petit à petit des combats incessants aux frontières pour ne pas mettre inutilement en danger notre enfant. Je m’adonnerai à quelques enchantements mineurs en attendant le jour de l’heureux événement. Puis, je lui apprendrai à faire son chemin dans la vie, quelle que soit la voie qu’il choisisse. Je lui enseignerai les principales règles de vie, le respect de son prochain, la patience, la prudence, le courage. L’ampleur de la tâche peut faire peur à n’importe qui, mais je suis confiante.
Et le jour où il me demandera où se trouve son père, je lui conterai notre histoire, et lui seul sera juge de ce qu’il devra penser et entreprendre. Dès lors, il pourra voler de ses propres ailes, et mon devoir sera accompli.
Qui sait ce que j’entreprendrai alors ? N’ayant certainement plus le cœur à participer à une guerre qui m’aura enlevé l’elfe que j’aimais, je chercherai vraisemblablement à te rejoindre, loin de notre Royaume d’origine, afin de finir nos jours ensemble, main dans la main.
Puisse ton voyage t’emporter sur une terre agréable et accueillante, et que les regrets n’assombrissent pas trop ton cœur après la lecture de cette lettre. J’ai confiance en l’avenir, j’ai confiance en notre amour. Vas, et ne te retourne point. Je t’aime.
Liiabe respira profondément. Le soleil se couchait à l’Ouest, et le vent se levait, froid et sec. Leur enfant naîtrait au printemps, ce serait alors le début d’une nouvelle vie pour elle. L’elfe reprit entre ses doigts sa plume et signa la lettre.
Ta femme,
Liiabe Ithildin
Elle ne put empêcher une larme de tomber sur le parchemin, mais elle l’essuya aussitôt. Elle enroula la fine feuille et la lia avec un petit cordon de cuir. Elle appela alors à elle un faucon qui passait au dessus de la tour. Lui accrochant la lettre à une patte, elle lui murmura :
« Cette lettre est pour l’elfe que j’aime. Vole, et trouve-le pour moi. Notre amour te guidera. Vole ! »
L’oiseau partit au loin, et lorsqu’il eut disparu, Liiabe descendit à l’étage, dans la salle de garde. Il était trop tard pour rentrer, maintenant. Elle s’assit sur un des lits de paille, le dos au mur, les mains sur le ventre. Elle se couvrit de sa pèlerine, et, soulagée, elle s’endormit presque aussitôt, tandis que son Compagnon du Voile montait la garde, silencieusement.
Aux premières lueurs du jour, l’enchanteresse était debout. Elle monta une dernière fois sur les remparts pour admirer le lever de soleil sur les contreforts de Caer Hurbury. La journée s’annonçait belle, pas une trace de nuage à l’horizon. Elle rassembla alors ses affaires, descendit les marches, et partit à l’Est, en direction du Mur d’Hadrien. Après quelques centaines de mètres, elle se retourna pour regarder une dernière fois la vieille tour de garde : elle n’y mettrait vraisemblablement plus jamais les pieds. Inspirant profondément, elle se remit en route, traversant forêts et buissons aussi vite et aussi discrètement que possible.
Arrivée chez elle, la journée était déjà bien avancée. Liiabe monta dans sa chambre, et se changea. Elle déposa soigneusement dans l’armoire sa robe resplendissante et colorée, et enfila une robe noire, unie. Elle se regarda quelques instants dans le miroir, puis regarda son ventre. Elle se retourna enfin, et éclata en sanglots, voyant le lit dans lequel Daarkyel ne viendrait plus se coucher.
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