Provient du Monde
L'anaconda vert, mythes et réalités
LE MONDE | 26.05.03 | 12h58
Vivant dans les zones marécageuses de la région amazonienne, l'anaconda vert peut approcher les onze mètres de long et peser plus de 150 kilos.
Faut-il croire ceux qui affirment que l'anaconda peut atteindre plusieurs dizaines de mètres de long ? Qu'il est capable de manger un homme adulte ? Que la femelle fait ses petits avec plusieurs mâles simultanément ? Vrai ou faux ? Quand on a affaire à un boa géant dont le lieu de vie est le réseau fluvial sud-américain de l'Amazone et de l'Orénoque et dont le nom local, d'origine quechua, est yacumama - "mère de l'eau" -, il n'est pas toujours simple de démêler le mythe de la réalité.
Seule certitude : apparenté au boa constricteur et au python, l'anaconda vert, Eunectes murinus, n'est pas plus venimeux qu'eux. Mais la manière dont il enserre et étouffe ses proies dans ses puissants anneaux vaut bien un poison.
Autant, donc, se le tenir pour dit, et garder ses distances pour admirer la bête, forte de 150 à 200 kg et recouverte d'une livrée vert foncé à motifs noirs (sur le dos) et jaune pâle (sur les côtés). Si encore on y parvient ! Car l'anaconda, pour se faire discret, ne se contente pas d'être nocturne ; il passe de surcroît le plus clair de son temps dans l'eau. Même s'il lui arrive de grimper aux arbres pour les guetter et se laisser brusquement tomber sur elles, c'est dans les marécages, immergé jusqu'au cou, que le plus aquatique des boïdés préfère traquer ses proies.
Poissons, tortues, oiseaux, canards, mais aussi chevreuils, moutons ou chiens : le géant reptilien n'est pas regardant sur l'espèce, pourvu que la viande soit fraîche. Son mets favori pourrait toutefois être le capybara, un énorme rongeur herbivore inféodé à l'eau, dont le poids atteint 60 kg. Si l'ingestion par un anaconda affamé d'un enfant, d'un adolescent, voire d'un adulte de petite taille, reste un événement rare, ce n'est donc pas par manque de capacité stomacale, mais par la seule grâce de ses mœurs aquatiques, qui rendent peu probable son contact direct avec des populations humaines.
CAMOUFLAGE PARFAIT
Excellent nageur, plongeur hors pair, voici donc le chasseur à l'affût. Embusqué dans l'eau d'un fleuve ou d'un marais, sa large tête au cou épais dépassant à peine (yeux et narines sont placés au sommet du crâne), il attend, immobile. Avec sa robe verte tachetée, le camouflage dans la végétation environnante est parfait. Qu'un mammifère ou un oiseau vienne boire sans le voir, et c'en sera fini de lui. Empêché de fuir par des dents acérées et de fortes mâchoires, il sera promptement enlacé, enserré, étouffé par le corps puissamment musclé de l'anaconda... et, enfin, avalé tout rond.
Redoutable prédateur ne craignant guère que le jaguar et le caïman noir - et encore ces derniers y regarderont-ils à deux fois avant de l'attaquer -, l'anaconda vert est-il pour autant le monstre que l'on dit ? Car les récits d'explorateurs abondent qui font état de spécimens mesurant 20 m, 30 m, parfois même 60 m... Aujourd'hui encore, de nombreux habitants de l'Amazonie restent persuadés du bien-fondé de ces légendes.
Mais la vérité, au dire des spécialistes, est que l'on ne connaît au- cun membre de cette espèce ayant dépassé les 11 mètres. Pour une raison simple : à corps immense, besoins gargantuesques. Un handicap quasi insurmontable dans un milieu où le "gibier" de grande taille, essentiellement terrestre, n'est guère abondant.
A y regarder de près, le python réticulé de l'Ancien Monde serait même légèrement plus long que lui... Mais le corps de l'anaconda est d'un diamètre impressionnant et se révèle beaucoup plus pesant que celui des autres grands boïdés constricteurs. Accordons-lui donc le statut de plus grand serpent du monde : il le mérite bien. Et même si sa taille avoisine plus souvent 6 m que 10, elle suffirait largement pour qu'un homme de stature moyenne, s'il n'y prenait garde, y laisse sa peau.
"Des tests que j'avais effectués en Amazonie péruvienne, dans un environnement naturel, avec un anaconda sauvage véritablement agressif de 4,5 à 5 m ont montré que le rapport de forces changeait considérablement selon que l'on affronte le même animal sur terre ou dans l'eau, en termes de résistance à l'étreinte et de maîtrise du serpent", affirme en connaissance de cause le naturaliste Jean-Luc Sanchez (Reptilmag n° 10, sept.-nov. 2002, Reptilmag Animalia Editions, BP 2, 24140 Campsegret ; tél. : 05-53-24-07-60).
DOUZE MALES ET UNE FEMELLE
"Dans le second cas de figure, des personnes m'accompagnant ont dû m'aider à me dégager du serpent, dont l'étreinte était devenue suffocante et dangereuse."
Reste la dernière question, concernant la polygamie réelle ou supposée de Madame... La reproduction survient entre février et mai, période durant laquelle chaque femelle (trois fois plus grosse que le mâle) est attractive pendant quelques semaines. Et la légende, ici, rejoint la réalité : durant cette brève phase de fécondité, les prétendants peuvent être jusqu'à douze à s'enrouler ensemble autour d'une seule femelle, formant ainsi une extravagante mosaïque ou "boule de reproduction".
Fruits de ces copulations multiples : 70 œufs environ, que la mère, vivipare, portera pendant six à huit mois. Durant tout ce temps, elle cessera pratiquement de s'alimenter, peut-être pour éviter que les contractions de ses puissants anneaux n'endommagent ses petits. Ces derniers, à leur sortie du cocon maternel, seront longs de 70 à 80 cm : leur âge tendre sera pour eux le plus dangereux, cette "petite" taille les mettant à la merci, une fois n'est pas coutume, de nombreux animaux.
Catherine Vincent