La danse de l'hologramme décapité.

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Parce que tout était jetable, tout était à jeter. Les rêves de gamin, les ambitions d’adultes, et surtout les faux sentiments qu’on se prête à chérir, parce que c’est rassurant de les avoir près de soi. Avec la malsaine paresse d’une raison qui réalise son décès. On ne veut pas. Mais c’est toujours trop tard. Si ce n’était que des voix de damnés qui résonnaient dans un crâne étroit et ténébreux… mais c’est, dans tout ce que l’horreur a de soudain, l’univers entier qui s’avance pour nous engloutir. Alors, fermer les yeux ou les garder ouverts, rien n’a d’importance, tout est déjà à jeter.



Sur le sombre disque oblongue de sa chambre, la cascade blonde qui servait de cheveux à Joy avait pris la forme étouffée d’un soleil naissant. Ses pupilles chromées semblaient figées comme un arc électrique prisonnier d’une capsule, funèbre évidemment, un peu comme une réplique miniature en deux exemplaires de celles dans lesquelles on rangeait les morts avant de les larguer dans le vide intersidéral, du temps où les gens rêvaient encore d’aller vivre sur les stations orbitales. A côté de ses lèvres fines entrouvertes, une poignée de pastilles jaunes et vertes traînait sur le carrelage miroir, micro feu d’artifice bicolore, figure pétrifiée d’une explosion frustrée. Ingrédients de désirs artificiels à la recherche du baiser sans âme d’un consommateur. Drogues.

Mais dans le loft spacieux, petit sanctuaire profané d’ombres miroitantes, de multiples impacts attestaient de la délivrance du feu prométhéen. Sur les murs en acier plastifié, les centaines de trous étoilés rendaient compte de la farouche volonté de tuer qui s’était exprimée avec une éloquence toute nihiliste. Cartouches calibrées au seize millimètres pour minigun. Fabrication humaine divinement mortelle.

La baie vitrée opaque avait coulissé, sans doute à cause d’une détonation, et donnait à voir, sous les nuages noirs d’un horizon très bas, les fleuves d’or asséchés que déversait la mort quotidienne de l’astre solaire. En dépit de la marée de pue verdâtres qui allait célestement recouvrir le politiquement correcte et désert quartier de Via Rosso One, en provenance du secteur industriel, les réverbères néons des larges allées parviendraient encore à percer l’obscurité surnaturelle dans laquelle se draperait automatiquement l’ogre-ville à dix-neuf heures trente. Mais ce soir, quelqu’un savait que les électrons du réseau électrique de Néocron ne se percuteraient pas les uns les autres sans raison. La magie de la lumière artificielle, ce soir, évoquerait le sacrifice d’une innocente pour que demain, pour tous, revienne la chaleur puante mais si naturelle du soleil.

En un mot comme en mille, pour Joshua Troy, tout mourrait. Mais avec le sens précis du nécessaire gâchis.


Les images se bousculaient dans sa tête, et il lui semblait que son esprit soufflait sur les spectres de ces dernières vingt-quatre heures comme un vent triste et malade sur une maison abandonnée. Rien n’avait de sens apparent, il ne régnait sur ses sentiments que la logique du Mal. Toujours souffrir, jusqu’au Néant.

Pourtant, à travers les couches épaisses mais trouées de sa mémoire, quelque chose d’imperceptible remontait. Une soudaine poussée de lucidité nauséeuse, qui se présentait comme hostile et terrifiante et qu’il avait naïvement associé avec l’une de ces séquences biorythmiques incrémentées dans les puces RéAlt prohibées : sur la peau dormante d’un marais, les rides crevées de la silhouette d’un prédateur aquatique se dessinaient aussi solennelles que cabalistiques. Le nom du batracien, ou du mammifère auquel était irrationnellement rattaché l’amas de synapses sollicités par son activité cérébrale lui demeurait nimbé d’inconnu. Deleted.

Il fit un pas vers le panneau holographique du CytiCom qui scintillait comme une émeraude aplatie traversée par la flamme d’un parasite, peut-être un fossile virtuel dans une nouvelle ambre. Sur sa face, des lignes de caractères sans fin défilaient dans tous les sens, sans respect pour le sens de lecture ou l’idée d’apesanteur. De temps à autre, la ligne du regard plongeait dans un trompe-l’œil minimaliste qui donnait lieu à l’ouverture d’une série de fenêtres toujours plus petites, souvent animées d’images dont la gamme chromatique était soit trop brillante, soit trop sombre. Plusieurs portraits encadrés dansaient ainsi, pendus à une ligne immatérielle.

Au prix d’un léger effort, il s’en détourna. La pièce baignait toujours dans une semi-pénombre voluptueuse qui mettait en valeur le meublé de l’appartement, plaqué chrome et ténèbres. L’endroit avait été saccagé, et le corps d’une jeune femme à ses pieds n’était pas en meilleur état. Dehors, la journée disait qu’elle allait se terminer tranquillement. Les mouettes-drones du NCPD étaient sorties dans les cieux avec les derniers feux, et les piaillements de leurs buzzers indiquaient que l’heure avançait.

Quelle vue imprenable sur l’océan ! Troy ne pouvait se laissait aller à admettre qu’une telle chose puisse encore exister sans n’être qu’une illusion, un crime, ou la preuve irréfutable de sa folie. Comment un espace avec des formes si simples, nettes et pures pouvait-il exister sans que n’ait était bâti sur son cadavre quelques buildings commerciaux ou blockhaus résidentiels ? Pourquoi La Ville tolérait-elle cette présence du vide ? Si proche et si vaste, qu’il happait le regard de qui l’observait, et ne semblait lui rendre qu’avec une identité vierge et purifiée par le passage dans cette limbe matricielle ?

Néocron n’avait pas besoin du monde extérieur pour exister. Ouroboros tissé de métal et de béton, serpent géant issu des vingt-sept derniers siècles, la gueule prise par la queue, sachant appliquer sur lui-même le cannibalisme nécessaire pour survivre, digérant indéfiniment cette partie de son corps la plus basse et la plus méprisable, celle qui se développe en permanence, génération spontanée de vices et de délinquances. Joshua Troy, contrairement à l’illustre fondateur de la mégacité, était partisan de la création d’un dôme protecteur autour de la ville du Nouveau Temps. Mais quant à savoir, si le but de cette bulle hermétique aurait été de préserver le monde de ce qu’elle aurait contenu ou au contraire de garder à l’abris les constructions humaines du fantôme de la Nature, Josh n’avait pas statué avec certitude l’implication de son idée.

Tout demeurait flou, comme si deux litres de whisky synthétique avaient été déversés sur le microcircuit intégré de son œil bionique. Ce matin il avait ingurgité des yoghourts en tubes aux algues retraitées, ça coûtait une fortune de cybercrédits et ça l’avait fait roter. Mais quand on était employé chez Biotech, on se devait de montrer qu’on était pourvu de plus de raffinement et de goûts que ces anarchistes dégénérés de l’OutZone.

Il prit appui au mur. Avant que le sol ne se dérobe sous ses pieds, il lui sembla percevoir comme la sensation d’une chute libre et d’un impact contraint. Traumatisme crânien, au moins quatre points de sutures.



Entre les larges carreaux du sol, les rainures se remplissaient d’une liqueur vermeille pourpre; à la vitesse précise du débit sanguin, elles s’apparentaient à ces bandes de chargement de programmes qui se coloraient progressivement, avec quelques fois un courtois message implorant la patience de l’utilisateur ou un aperçu sous forme de pourcentage. Dans le cas de Josh visiblement, son organisme, sous l’effet rétroactif d’un psychotrope, l’avait invité à se mettre hors-service le temps que son cervelet évacue les hormones endocrinées. La dégradation de son état n’atteindrait pas les cent pour cent, et ce qui aurait pu être perçu comme un bug avec une autre interprétation, ici, lui sauverait la vie.



A suivre...
Bravo ! Superbe texte bien dans l'esprit, j'ai hâte de lire la suite.
Juste si je peux me permettre une petite critique si ca t'intéresse (attention je suis bien incapable d'écrire la moindre de ces lignes hein , on est d'accord , cependant je suis un fervent lecteur de SF) je trouve que ton texte est surchargé en métaphores ce qui le rend un petit peu plus lourd.
Mais sinon j'ai adoré .
Citation :
Provient du message de Shishi la puce
https://jolstatic.fr/forums/jol3/images/icons/icon14.gif

ps kath ca depend des écrivains... Tu lis Dune c confit de metaphore.. mais le plus en SF... c le descriptif
Ha la la, c'était une critique personnel, et encore une fois en rien pour dénigrer le travail de DeuxAmes que je trouve exellent.Mais je me suis dit que si il était comme moi il aimais bien les critiques et avis sur son travail .
Sinon pour la SF je suis pas d'accord avec Asomiv par exemple n'est pas du tout descriptif et c'est l'un des meilleurs écrivains de SF que je connaisse.Gibson l'est beaucoup plus mais il est dans un style plus immersif.
Citation :
Provient du message de Shishi la puce
Asimov... pas asomiv
C'est une faute de frappe, pas de connaissance, je suis un grand fan j'ai lu les 7 bouquins qu'il avait ecrit sur la fondation et tout le cycle des robots.
Sinon je fait beaucoup dans les "amis" a la place des "mais" et pas mal aussi de "torp" a la place de "trop" et pas mal d'autre si vous faites attention a mes posts lol.
[edit je suis vexé que l'on ai pu croire que je me sois trompé sur le nom de mon idole *s'en va bouder*]
Exclamation
Regardez qui traîne encore ses guêtres millénaires sur JOL !
C'est notre schizophrène préféré !
On comprend toujours rien de ce qu'il écrit, mais c'est chouette quand même, non ?
Je me souviens qu'à l’époque il nous contait avec le même talent ésotérique les aventures d’un démon aux ambitions mesquines et au patronyme écrit à l’envers. C’était une sale bête qui servait le « voyageur », une terrible entité décidée à précipiter la quatrième prophétie sur les pauvres bourgades d’un royaume désormais perdu.
Alors forcément, quand je le retrouve en train de boire du Whisky synthétique à base de Guano et du yaourt en tube parfum taxifolia, ça fait drôle (on roterait à moins, soit dit en passant.) .
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