[Histoire] Le retour du guerrier

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Les brumes de novembre ont envahi les Highlands, faisant paraître chaque rocher tel une silhouette tantôt couchée, tantôt courbée, ou bien encore dressée comme pour avertir le voyageur des dangers qui guettent en ce pays tourmenté.
Le danger. Voilà bien ce qui manque à l'homme qui s'acharne à couper du bois avec force et fracas, troublant le calme ambiant. D'allure robuste, la barbe taillée avec soin, les longs cheveux roux maintenus en queue de cheval, l'homme essaie de ne penser à rien d'autre qu'à ces bûches qui doivent céder à sa volonté.
Il s'arrête un instant, épongeant son front humidifié par l'effort et par l'air, et observe la tête de sa hache, impeccablement affûtée, cette même hache qu'il a si longtemps abattue sur les adversaires de son pays, aujourd'hui simple outil domestique.

Il n'a connu que la guerre. Grandir dans un monde menacé par des envahisseurs était excitant, il se souvient des expéditions nocturnes qu'il menait avec ses camarades de jeu, bravant les interdits des adultes, bravant le danger d'une éventuelle rencontre avec un ennemi infiltré. S'entraînant férocement au maniement des armes la journée, le groupe de jeunes fous cherchait à mettre en pratique son talent la nuit tombée.

Il n'a jamais vécu que pour la guerre.

A l'âge de seize ans, il fut marié à une jeune fille docile, bien jolie certes, mais docile comme une esclave, comme une femme qui sait qu'elle n'a d'époux que pour assurer la descendance du Clan. C'est aussi à cet âge qu'il fut décidé qu'il participerait aux patrouilles qui assuraient la sécurité de la région. Ainsi débuta réellement son apprentissage de la souffrance, de la peur, de l'amour du sang, de la sauvagerie, le regard de l'ennemi empreint d'espoir sauvage comme il espère être le premier à frapper, son regard lorsqu'il sait qu'il sera le premier à perdre un membre et à agoniser lentement sous les pas de ses frères qui le poussent toujours plus en avant.

La guerre a toujours été son unique compagnon.

Combien d'années a-t-il passé sur les champs de bataille ? Vingt ? Trente ? Il ne sait plus lui-même. Il ne sait même plus son âge. Il a réussi à faire trois enfants à son épouse, deux garçons et une fille. Ses garçons font sa fierté d'homme, sa fille est son joyau, celle qui fait battre ce qu'il lui reste de coeur, celle qui lui donnait la force de rester encore debout dans la terre noyée de sang alors que ses jambes voulaient fléchir et arrêter à tout jamais leur effort.

La guerre a toujours été présente à ses côtés.

Mais la guerre est finie, l'envahisseur est reparti usé et vaincu. Les Clans l'ont poursuivi, parfois jusque dans ses propres terres. Là ils ont massacré tout ce qui était ennemi, hommes valide, vieillards, femmes, enfants, animaux. Là ils ont tout brûlé pour que jamais, jamais l'envahisseur n'ait la volonté de revenir. Oui, la guerre est bien finie, mais elle ne pourra jamais l'être dans l'esprit de ces guerriers, de ces êtres autrefois hommes, aujourd'hui barbares sanguinaires sans ennemi à mutiler.

La mort est sa seule amie fidèle.

Rares sont ceux qui n'ont pas la nostalgie des champs de bataille. Lui-même y pense à chaque instant que la vie lui laisse. Lorsqu'il regarde ses fils maintenant en âge de combattre, il ne voit que ses frères d'armes tombés devant lui et sur lesquels il fallait marcher pour avancer toujours plus avant vers l'adversaire. Lorsqu'il croise le regard innocent de sa fille, il ne voit que les regards vides des enfants laissés pour morts par l'ennemi. Lorsqu'il regarde sa femme, il ne voit que celles qu'il a tuées sur les terres de l'ennemi, pour le punir de son audace.

La mort lui manque.

Le calme qui règne dans cette maison est insupportable. Est-ce là la vie de tous les jours à laquelle il est condamné ? Quel but doit-il se donner chaque jour au réveil ? Quelle utilité a-t-il maintenant que plus aucun danger ne menace les Clans ?

La mort l'appelle.

Avec tout ce bois coupé, sa femme et ses enfants pourront tenir une bonne partie de l'hiver, et puis le plus proche voisin ne se trouve qu'à une heure de marche d'ici, c'est un homme certes lâche et faible car il n'a jamais tenu une arme entre ses mains, mais il saura prendre soin d'eux.

La mort est là.

La hache en main, l'homme tourne le dos à la maison et commence à marcher. Le chemin escarpé est à forte pente, mais les jambes de l'homme se revigorent de l'exercice qu'il leur donne. L'homme sourit à la sensation de ses muscles qui renaissent. Bientôt il court comme un combattant à la rencontre de l'ennemi, brandissant sa hache et criant du souffle du barbare. Il la voit, menaçante et rassurante à la fois, son amie de toujours, celle qu'il entendait respirer sur son épaule sur les champs de bataille. Elle lui montre le chemin vers les hordes ennemies, alors il court de plus belle, avec une ardeur renouvelée.
"Un dernier, juste un dernier" dit-il avant de disparaître dans le brouillard.

La couverture de nuage semble menacer l'océan qui rugit, ou peut-être est-ce l'océan qui menace le ciel. Alors que le soleil orangé du soir fait son apparition entre les deux opposants, nul ne saurait différencier l'agresseur de l'agressé, l'envahisseur de l'envahi. Mais cette lutte perpétuelle a, en ce jour, fait une victime inattendue. Au bord de la falaise que l'océan tantôt fouette, tantôt caresse, une mèche de cheveux roux joue dans les vagues au creux d'un rocher. Brisée sur ce rocher, une hache de bel ouvrage renvoie au soleil son éclat, saluant son passage tardif en cette belle journée paisible.


[Mes excuses pour cette histoire qui est légèrement hors-sujet, je n'avais simplement pas le coeur à la modifier pour l'adapter un peu mieux au monde de Camelot]
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Koren Rougelame
Mercenaire du Duc Bors
Albion/Brocéliande
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