Mort et Déchéance

Répondre
Partager Rechercher
Le Théâtre était fermé, et un pauvre barde habillé de loques tentait d’attirer la foule peu nombreuse par ce temps froid et pluvieux. Il avait trouvé la porte close et de dépit essayait de gagner quelques piécettes pour se payer une chambre d’hôtel. Ses longs cheveux blancs étaient trempés, et l’on devinait à ses traits une ascendance elfique.

« - Damoiselles et damoiseaux, oyez oyez l’histoire du barde rendu muet suite à une plaisanterie de mauvais goût, écoutez comment cela est arrivé, venez, approchez, n’ayez pas peur ! »

Quelques badauds attirés par ses vociférations s’arrêtèrent.

« - La soirée battait son plein, et la boisson allait bon train. Alors que l’hiver s’en était allé, et que le printemps enfin réapparaissait, le Théâtre des Illusions s’était apprêté pour accueillir en son sein la fête du renouveau. Y étaient conviés nobles, paysans et malandrins, tous parés de leurs plus beaux atours, et tous mélangés, faisaient la fête et dansaient.

La bière coulait à flots, et quelques gardes veillaient à ce qu’aucun incident ne vienne gâcher la soirée. Mais comme vous vous en doutez, lorsque les nuits commencent à être chaude, les hommes aussi ont la température qui monte, surtout lorsque l’hydromel et le vin elfique sont de la partie !

Un couple entra dans la vaste salle de bal toute illuminée et décorée. La jeune femme était belle. Plus belle que les belles, sa seule présence éclipsait toutes les autres. De longs cheveux blancs venaient cascader sur ses épaules dénudées, et de mignonnes petites oreilles pointure dépassaient de cette soyeuse chevelure. Sa peau très claire avait des reflets légèrement bleutés qui lui donnait un air à la fois fragile et exotique. Ses courbes parfaites et généreuses étaient engoncées dans une robe argentée un peu trop serrée pour elle, ce qui mettait son corps parfait encore plus en valeur.

D’une démarche lascive et féline, elle s’avança parmi la foule, sans un regard pour les jalouses. Mais à chaque pas les discussions s’éteignaient et le silence se faisait. Etaient-ce sa beauté qui provoquait ce soudain mutisme ? Non gentilles dames et gentils damoiseaux, c’était son compagnon qui retenait l’attention.

D’une taille approximative de un mètre à un mètre vingt, le nain était petit. Normal me direz-vous. Mais il était laid aussi ! Normal aussi ? Cela se discute. Les traits coupés à la serpe, couturés de plusieurs cicatrices qu’une épaisse barbe noire ne pouvait entièrement cacher, il possédait néanmoins de beaux yeux bleus. Bleus et froids comme la mort. Mais hélas, d’énormes poches venaient cacher ces deux joyaux, lui donnant l’aspect d’un homme (d’un nain pardonnez-moi) qui se serait fait pocher les deux yeux… Ce qui en y repensant était peut-être le cas… Sa peau était grise, lointain héritage d’une arrière-grand-mère Duergars, et cela le rendait encore plus laid qu’un orque défiguré.

Lorsque le choc fut passé et que la foule se remit à parler, c’était pour critiquer. Tous et toutes se gaussaient du drôle de couple, et mon frère barde ne fut pas le dernier. Il entonna une balade grivoise apprise dans une taverne de Port Ponant. Je m’en vais vous la conter :


http://www.smilies.org/basesmilies3/hearts.gifLa pucelle et le gobelinhttp://www.smilies.org/basesmilies3/war3_orc.gif

Une douce et belle vierge, à peine effarouchée,
Las s’était perdue dans une profonde forêt,
Pleine de courage, elle n’avait aucune crainte,
Elle se tint muette et n’émit pas une plainte.

Pas même lorsqu’une tribu de gobelins,
Brandissant lances et épées, s’en allant en guerre,
S’en vint à passer près d’elle, croisant son chemin,
Telles des immondes mais vivantes insultes à la terre.

Cachée dans le feuillage dru d’un framboisier,
La pucelle toute tremblante se tint immobile,
Tandis que les ronces déchiraient son chemisier,
Passa en chantant, un gobelin volubile.

La créature s’arrêta là pour uriner,
Tout en chantonnant une complainte fort salace,
Et devant la belle sorti son petit bélier,
En attendant que Dame Nature grand bien lui fasse.

A sa grande surprise, il fut fort soulagé,
Non pas comme il le pensait par une miction,
Mais par de douces caresses, pleines de volupté,
De chaudes embrassades et de lentes frictions.

Avide de connaître, la cause de ce bien,
La bête se pencha à travers le feuillage,
Il découvrit la vierge, toute timide et toute sage,
Le rouge aux joues d’avoir, sucé un gobelin.

La pudeur est ma foi, mauvaise conseillère,
Dictant souvent sa loi sur nos comportements,
Réprimant nos ardeurs de vicieux et pervers,
Mais il est vrai parfois, qu’être un porc est gênant…



Il n’alla pas plus loin, et il ne chanta plus jamais. Tous avaient ri, se moquant ouvertement du couple. Le nain, fort courroucé par l’outrageante chanson lui avait sauté à la gorge, et de ses petits doigts boudinés avait broyé son larynx comme s’il s’était agit d’une noix. Devant tant de rage et de colère, aucun garde n’osa intervenir, et le barde perdit la vie.

Depuis lors, je suis sa voix, mais jamais je ne moque ni ne ridiculise, car mon Art n’est pas fais pour ça, mais pour dispenser joies et plaisirs. »

Le barde salua, les yeux fermés, priant pour qu’une pièce ou deux tombent sur le pavé, mais aucun bruit ne parvint à ses oreilles.

Las, le visage dégoulinant de pluie, il se laissa aller à verser quelques larmes qui vinrent se noyer dans la flaque dans laquelle il pataugeait.

Le visage accablé de tristesse et de douleur, le vieil elfe, secoué de spasmes s’allongea dans la fange, et garda les yeux ouverts sur sa déchéance.


« - Pourquoi ai-je abandonné l’anneau ? Peut-être aurait-il exaucé un dernier vœu ? »

Ce furent ses derniers mots. Un fin sourire venait d’illuminer son visage d’albâtre, et bien que morts, ses grands yeux gris contemplaient maintenant les plaines fleuries d’Arvandor…
Répondre

Connectés sur ce fil

 
1 connecté (0 membre et 1 invité) Afficher la liste détaillée des connectés